03/04/2024
Les francs-tireurs de l'art II, la vente en ligne?
Tajan est un peu en retard... Hier, 2 avril, si l'on se fie aux dates qui étaient avancées depuis plusieurs jours sur le site web (mais cette date a reculé désormais...), auraient dû être mis en ligne les lots complémentaires de la vente du 10 avril prochain (celle-ci, 163 lots, bénéficiera d'une exposition dans les locaux de Tajan, 37 rue des Mathurins dans le 8e arrondissement parisien à partir du vendredi 5 avril). Les lots complémentaires sont intitulés, sur leur site web, "Francs-tireurs II". Pour l'instant, à l'heure où j'écris ces lignes, au matin du 3 avril, difficile pour les collectionneurs et autres amateurs d'art autodidacte hors système des Beaux-Arts de se faire une idée de ce qui est – était? – proposé dans cette partie II. S'en faire une idée, avant d'en acquérir éventuellement, relève de la divination!... Mais ce sera très vite corrigé sans doute.
Alors, je mets ici quelques reproductions d'œuvres à tout hasard, choisies parmi les très nombreux lots qui avaient été envisagés. En attendant que l'intégralité des œuvres proposées au feu des enchères sur le web soit enfin visibles.
Ali Mimoune (Maroc), sans titre, 26x39 cm (Ali Mimoune est peut-être l'autre orthographe d'Ali Maimoune, toujours actif à Essaouira ; cette œuvre-ci est ancienne, plus primesautière que celles que le même Ali Maimoune produit aujourd'hui et qui sont nettement plus décoratives et un peu fades, il faut bien le dire), photo Bruno Montpied.
Victor Amoussou (Bénin), sans titre, stylo sur papier, 29x27cm, 2022 ; ce créateur est toujours actif aujourd'hui, son œuvre se divisant en deux parties : dessins aux thèmes semble-t-il grandement influencés par l'imaginaire vodou béninois et marmites martelées de façon à figurer des masques grotesques); ph. B.M.
Benjamin Déguénon (Bénin), sans titre (série "Irréalité"), stylo sur papier, 24x32 cm, vers 2020 ; ph. B.M ;
Benjamin Déguénon est un artiste, plus « singulier » que directement brut. Il est capable de s’exprimer sous plusieurs formes et il est à la tête de différentes périodes dans son œuvre. C’est sa série « Irréalité » ‒ qu’il aurait pu tout aussi bien intituler « surréalité » ‒ qui fait de lui un dessinateur inspiré, lui aussi sans doute influencé par la mythologie vodou béninoise. Cette originalité le rapproche des « bruts », et aiderait aussi bien à fonder un surréalisme inconscient africain.
Patrick Chapelière, sans titre, crayons de couleur, grattage sur papier, 50x40cm, 2007.
Yves D'Anglefort, Projet pour la cathédrale Notre-Dame de Paris avec le temps, crayons de couleur sur plusieurs feuilles de Canson collées en deux parties sur du carton plume et rassemblées en une seule œuvre, 80x110cm, 2023.
Oscar Haus (Belgique), sans titre, crayons de couleur sur papier, sd (avant 2005).
Des œuvres de ce créateur belge, particulièrement inspiré et talentueux, sont conservées à la Collection de l’Art Brut à Lausanne, de même que dans la collection d’Art et Marges à Bruxelles. Il fit partie des créateurs encouragés à s’exprimer plastiquement par le Centre de la Pommeraie de Bruno Gérard et autres à Ellignies Sainte-Anne, à partir de 1974. Accordéoniste lui-même, après une période où il dessina des paysages et autres objets de la vie quotidienne, il choisit de se concentrer sur la représentation des plus célèbres de ses homologues musiciens, toujours uniquement à l’aide de crayons de couleur. D’autres œuvres de lui sont au Musée de la Création Franche à Bègles qui a eu raison de souligner son acharnement technique dans la superposition des tons qui confère un éclat particulier à ses œuvres.
Ilmari Salminen (Finlande), dit "IMPPU" (1929-2008), President Tarja Halonen, marqueurs, crayons de couleur et collage de coupures de presse sur papier, 69x51cm, 2000.
Ilmari Salminen est l’auteur d’une œuvre entièrement consacrée à glorifier, par le truchement de compositions ornementales et géométriques, diverses personnalités liées à l’histoire de la Finlande. Il a été exposé dans plusieurs régions du monde, à commencer dans son pays au musée d’art contemporain d’Helsinki, mais aussi dans des galeries à Kyoto au Japon, ou à Genève en Suisse. Il a été incorporé à des collections de photographies brutes plus récemment. Ses compositions, centrées sur des figures de personnalités, ne sont pas sans faire penser aux compositions de même conception dues à l’auteur brut russe Alexandre Lobanov ou au Français Charles Boussion.
Bibli : Photo/Brut, Collection Bruno Decharme et Cie, sous la direction de Bruno Decharme, co-édition ABCD/Flammarion/American Folk Art Museum, Paris-New-York, 2019.
Etc, etc...
DERNIERE MINUTE: Enfin, ça y est, la liste intégrale des lots de cette partie II des "Francs-tireurs de l'art" a été affichée ce mercredi 3 avril, en début d'après-midi: faut aller sur ce CLIC...
09:10 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Photographie, Photographie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : tajan, francs-tireurs de l'art ii, vente en ligne, victor amoussou, ali mimoune, benjamin déguénon, patrick chapelière, oscar haus, yves d'anglefort, ilmari salminen | Imprimer
16/11/2020
Benjamin Deguenon
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Carton recto-verso de l'exposition à la galerie Dettinger-Mayer qui aurait dû se tenir en novembre 2020, en plein reconfinement... Et qui n'aura été vue que de rares privilégiés (pas de prolongement de prévu, car d'autres artistes attendent derrière).
Ce n'est pas les fermetures de galeries pour cause de confinement qui m'empêcheront de présenter les découvertes des uns et des autres galeristes bien inspirés, comme Alain Dettinger à Lyon dont je soutiens régulièrement l'action, les recherches, les propositions d'artistes qu'il ne cesse de recueillir ici et là, avec sa curiosité tous terrains. En l'occurrence, il présente actuellement un très intéressant artiste béninois qu'il a rencontré à Cotonou, Benjamin Deguenon, que l'on pourrait ranger tout à fait dans un art brut contemporain
Benjamin Deguenon, dessin au stylo Bic sur papier, série "Irréalités", 2020. Image reprise d'Instagram.
Ce dernier semble avoir commencé en 1996 si l'on suit le site web de l'Agence Dekart (béninoise sans doute) où ces propos sont attribués à l'artiste : "Je pourrais dire que j'ai commencé en 1996 sans m'en rendre compte que c'est de l'art que je faisais."
Benjamin Deguenon, dessin au stylo Bic sur papier, série "Irréalités", 25 x 32,5 cm, 2019. Image reprise d'Instagram.
Benjamin Deguenon, Dispute, dessin au stylo Bic sur papier, série "Irréalités", 2017. Image reprise d'Instagram.
Le CV que l'on trouve également sur internet (sur un blog à son nom, probablement animé par une connaissance de l'artiste, mais qui ne paraît plus avoir été continué depuis 2013) fait remonter sa première exposition à 2000 à Abomey dans une "Maison des arts contemporains" de la ville. Il n'y a pas d'écoles d'art au Bénin, si bien que, si l'on y pratique l'art, ce ne peut être qu'en autodidacte. Dans un méli-mélo des créateurs bruts avec les artistes contemporains locaux. Deguenon paraît avoir travaillé parmi des artistes plus ou moins complices avec la vedette artistique locale, Dominique Zinkpé (dont les œuvres, personnellement, ne m'impressionnent guère). Un nom d'artiste dont les lecteurs de ce blog se rappelleront peut-être, car je l'ai déjà évoqué relativement à un autre créateur appelé Monlemé Gladys, également béninois. Je disais dans la note que je lui avais consacrée en 2015 qu'il créait "quelque peu dans l'orbite d'un autre artiste de là-bas, déjà pas mal "lancé", le dénommé Dominique Zinkpé, créateur d'un centre culturel, qui lui-même a parmi ses influences admises le peintre d'origine haïtienne Jean-Michel Basquiat." Je soulignais dans la même note le côté déstructuré des compositions de ce dernier artiste.
Benjamin Deguenon, dessin au stylo Bic sur papier, série "Irréalités", 25 x 32,5 cm, 2019.Image reprise d'Instagram.
Or, cette "déstructuration" on la retrouve quelque peu chez Benjamin Deguenon, où toutes sortes d'objets, de formes, de fragments, notamment de morceaux de corps, parfois saignant, suintant, tranchés, amputés, flottent dans le vide de la feuille. L'artiste tente de rassembler ces éléments en les structurant comme il peut. D'où les troncs sans feuillage, parfois semblables à des potences, les fils à la patte ou aux poignets reliant les corps les uns aux autres, les queues traînantes servant de délimitation de sol, les serpents ou les bras démesurément allongés comme autant de traits cherchant à stabiliser les compositions...
Benjamin Deguenon, dessin de 2019. Image reprise d'Instagram. Que représente-t-elle? Une artiste en train de façonner deux statuettes d'homme et femme, tandis que traînent à ses pieds toutes sortes d'objets comme autant de déchets au-dessus desquels l'art se dresse...?
Benjamin Deguenon paraît bien empêtré dans son environnement de "vieilles tôles, débris d’émaux colorés, fils en cuivre, ramassés dans la « jungle urbaine » puis percés, cousus, poncés, vernis et assemblés pour recréer l’espace de la toile." (Fabiola Badoï, sur un site web parlant de l'artiste). Il s'est essayé de manière peut-être un peu trop éclectique, dans une précipitation brouillonne, à diverses formes d'art, le dessin (la série "Irréalités") ne paraissant être apparu que récemment. Il a fait des assemblages à base de matériaux glanés recyclés. Il a fait des décors pour des pièces de théâtre. Il a pratiqué la peinture, l'aquarelle, les encres, le pastel, sans que ce que j'ai vu sur le Net puisse me convaincre que ce soit là le médium le plus idoine à ce qu'il veut exprimer.
Benjamin Deguenon, assemblage peint, 2017. Image reprise d'Instagram.
Benjamin Deguenon, aquarelle, 2019. Image reprise d'Instagram ; on voit dans cet exemple que c'est surtout le dessin qui donne de la force à l'image, les couleurs étant presque superflues.
C'est qu'au Bénin, comme dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, l'art surgit au carrefour de diverses influences. Des autodidactes purement inspirés doivent probablement composer avec le voisinage d'artistes locaux cherchant à se mesurer aux artistes occidentaux dont les réussites économiques doivent évidemment en fasciner plus d'un. Cela doit être difficile de maintenir sa ligne d'inspiration dans un tel environnement, pressé par les sirènes d'un succès possible dans le domaine de l'art (même genre de sollicitation que dans le domaine du sport, voir ce joli film intitulé Le Ballon d'or). La réputation de "l'art brut", qui pénètre progressivement en Afrique (voir le cas de Pape Diop que j'avais évoqué sur ce blog au début de l'année) vient en outre se surajouter à cette pression – un autre cas de créateur béninois est apparu dans ce corpus avec Ezéchiel Messou, réparateur de machines à coudre, obsédé par elles et les dessinant de façon obsessionnelle au point de les sublimer en des compositions devenues étranges, voir ci-dessous).
Ezéchiel Messou, sas titre (machine à coudre "Lucind"), stylo Bic sur papier, 29,7 x 21 cm, vers 2019; ph. et coll. Bruno Montpied.
Benjamin Deguenon, en dépit de tous ces vents divers, semble avoir dégagé malgré tout sa voie au milieu des sirènes de l'arrivisme, grâce notamment à ses dessins de la série qu'il a intitulée "Irréalités" (qui auraient pu tout aussi valablement se nommer "surréalités", d'ailleurs). C'est le mérite d'Alain Dettinger de l'avoir remarqué en le présentant dans sa galerie de la place Gailleton, en lui offrant sa première exposition personnelle¹ en France.
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¹ Benjamin Deguenon a certes fait des expositions d'échange, en 2012, en collaboration avec l'Association des Artistes de Belleville, à Paris et à Cotonou, mais il semble que ce soit avant tout dans le cadre d'expos collectives.
10:03 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier, Art visionnaire, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : benjamin deguenon, galerie dettinger-mayer, art brut africain, dominique zinkpé, monleme gladys, jean-michel basquiat | Imprimer