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Disparition de Lolette Grégogna
21/03/2009 | Lien permanent
Le griffonneur de Rouen
J'ai déjà évoqué, quoique subrepticement (dans Création Franche n°26, sept.2006 ), ce vagabond des mots graffités sur les murs de Rouen. Je l'ai découvert dans le livre de Pascale Lemare, le Guide de la Normandie Insolite (éd. Christine Bonneton, juillet 2005). Rencontré au tout petit matin en compagnie de mon camarade Philippe Lalane, il nous avait glissé son nom, Alain R., susurré serait plus juste, au coeur d'un flot de paroles fort difficiles à saisir. Et ce nom, ces mots mis bout à bout dans une kyrielle de sons quasi inintelligibles, ressemblaient aux mots que l'on trouve en différents lieux de Rouen, plus lisibles, plus intelligibles sur les murs que dans sa propre parole. Pas de phrases, des mots seuls, et beaucoup de noms propres.
Coluche, Jesse James, Antoine, Lutte Ouvrière, Langevin, Humanité, Karl Marx (auquel Alain R, sur certaines photos, commence à ressembler...), Capa, SNCF, Martine, Louis XVI, Robinson Crusoe (comme lui, Alain R. a fait naufrage), Essaouira, Tintin, Gai Luron, Chateaubriand, Carlos, Aznavour, Ysengrin, Géronimo, Jean Gabin, Arsène Lupin, Gaston Doumergue, Les Garçons Bouchers, Perpignan (un rare nom de ville), Cavanna, Ribeiro (peut-être Catherine), Crochet (le capitaine), Don Quichotte, Mauritanie, Sidi Brahim, Ali Baba, Oncle Picsou, Haribo, Laguiller, PCF, Mitérand (sic), Patrick Bruel, Gagarine, Olivier Besançonot (sic), Socrate, Gotlib, Polidor 1854, Mandrika, Landru... Que de noms semés au hasard des murs plâtreux, avec une orthographe rarement en défaut, ce qui est à noter. Cela pourrait correspondre à un besoin de rassembler en une gerbe éclatée ce qui reste d'une mémoire, d'une culture (très contre-culture du reste) en danger de dissolution...? Les murs étant les pages du sans domicile fixe (mais Alain R. en est-il un?).
Dans cette litanie, on trouve aussi des noms communs. Les mots: playboy (qui revient à quelques reprises), toise, enchaîné, chéri, goupil (à moins que ce ne soit "Romain Goupil"), ciné, bijou, petit bouchon, dérailleur, occultistes, gaufres, flûte, aligator (sic), mosquée, pied, parole, femme, ménate, regard, devin, trique, tambourinement, paparano... Les graffiti laissent parfois les mots bien distincts, mais parfois aussi ils se chevauchent, rendant la lecture difficultueuse. Le support devient alors palimpseste, agrégat de lettres confusément entassées, comme si dans ces moments-là la mémoire s'affolait et ne pouvait plus empêcher la grande mêlée, la grande confusion... Pour moi qui travaille dans l'animation avec des enfants ces inscriptions pulsionnelles ressemblent fort aux efforts enfantins d'apprentissage du langage qui passent par des accumulations de mots écrits laborieusement, en tirant la langue ou pas, les mots s'entassent en vrac, dans une disposition brute sans souci d'ordonnancement, absolument hors de toute norme d'affichage...
Il n'y a pas très longtemps, un blog s'est créé sur internet entièrement voué à notre griffonneur, avec un inventaire photographique de David Thouroude, recensant un maximum d'inscriptions dans la ville de Rouen (tenant le registre qui plus est des inscriptions effacées ou disparues... Travail de fourmi passionnée qui laisse pantois!). Les animateurs du blog en outre ne se sont pas contentés de faire des photographies mais ils ont aussi relevé tous les mots inscrits par leur héros... Alain R. s'y trouve portraituré à différents endroits de la ville, avec son accord à ce que dit Pascal Héranval sur le blog. Comme je n'ai pas recueilli cet accord (lorsque nous l'avons rencontré, il fut impossible d'établir un véritable dialogue), je m'en tiens à son prénom et à l'initiale de son nom comme cela été déjà utilisé dans un article de Jean-François Robic, Le texte des villes, qui l'évoque dans l'ouvrage collectif Dessiner dans la marge (textes réunis par Boris Eizykman, éd. de l'Harmattan, 2004). Le nom du site s'inspire des mots d'Alain R.: PLAYBOY COMMUNISTE. Avec ce blog, est apparu aussi récemment un film tourné sur Alain R., qui a fait l'objet de plusieurs projections dans le cadre du festival Art et Déchirure à Rouen (selon Philippe Lalane, les séances multiples ont toutes été complètes ; il y a visiblement autour de ce griffonneur un intérêt du public, des habitants de la région, Jean-François Robic le signalait déjà dans l'article cité ci-dessus). Les auteurs du film sont David Thouroude et Pascal Héranval, et sa durée est de 52 min. Ce sont eux aussi qui sont à l'origine du blog "Playboy Communiste", sur lequel on peut aussi apercevoir des fragments de leurs vidéos.
21/06/2008 | Lien permanent | Commentaires (14)
De l'ennui
Deux personnages très différents (quoique relevant du sabre et du goupillon qui comme chacun sait font souvent affaire ensemble) lèvent tous les deux les yeux au ciel... Dans le cas de ce christ à l'allure quelque peu vautrée sur sa chaise, lever les yeux au ciel est à prendre bien sûr au pied de la lettre, mon père pourquoi m'as-tu envoyé là, vois ces hommes et plus généralement, "ecce homo", comme il est marqué sur le bandeau qui longe son corps, boudi, que je suis pressé de faire l'"ascension"...
Tandis que ce militaire plus profane paraît simplement se barber, à moins que ce ne soit une expression de simple assoupissement, ou les deux à la fois... Peut-être a-t-il ras le bol de faire les potiches?
31/07/2008 | Lien permanent | Commentaires (3)
Le Dictionnaire des objets de dévotion
Paru en 2006 aux Editions de l'Amateur, cet ouvrage, écrit par Bernard Berthod et Elizabeth Hardouin-Fugier, renseignera parfaitement les amateurs d'objets populaires liés aux pratiques de dévotion. Crucifixions en bouteille, ex-voto sculptés ou peints, reliquaires en papiers roulés ou réalisés avec d'autres techniques (parfois portatifs en forme de livres), crèches architecturées dans le goût polonais, poupées de couvent, statuettes naïves, suaires brodés et peints de Besançon, de Compiègne ou d'ailleurs,
boîtes à système avec vanités, boîtes avec saynètes religieuses en verre filé, canivets (papiers découpés au canif), billets spirituels aquarellés, bénitiers en faïence (du genre de ceux que collectionnait André Breton), bannières de procession, tableaux en coquillages (comme celui qui figure sur la couverture du livre), etc... C'est une énumération bien complète de cet invraisemblable capharnaüm d'accessoires de la religion populaire ou non, souvent broché sur d'anciennes pratiques païennes archaïques, qui est collectionné aujourd'hui en raison, entre autres motifs, de l'inventivité artistique qui s'y déploie (c'est en tout cas ce qui me fascine personnellement dans ces objets). Une collection française liée à ce thème se détache parmi d'autres, la collection de l'Association Trésors de Ferveur, basée à Châlons-sur-Saône (22, rue gloriette, 71100 Châlons-sur-Saône, site: www.chez.com/tresorsdeferveur), qui a fait l'objet d'une exposition à la Bibliothèque Forney à Paris en 2005 (avec un catalogue à la clé).
En feuilletant le dictionnaire, on trouve des objets ou des références étonnants comme la mention du reliquaire conservant une larme du Christ à Chemillé dans le Maine-et-Loire (mais bien sûr il en existe d'autres, à Marseille, à Orléans, etc.) qui n'est en réalité qu'un petit morceau de quartz taillé ce qui n'empêche nullement de l'adorer... Les auteurs nous parlent aussi des pratiques lithophagiques, où les fidèles mangent de la pierre littéralement, ou de la poussière de pierre de sanctuaires parce qu'ils lui prêtent bien entendu des vertus bénéfiques. On l'accommode mêlée à du vin, ou diluée dans la bouillie que l'on administre aux enfants. "La poussière des martyrs est la plus prisée"... Les clous aussi sont très prisés des amateurs, parce qu'ils ont servi à clouer Jésus, mais aussi parce qu'ils rentraient dans la fabrication de la croix.... On trouve des clous ou des fragments de clous sacrés dans d'innombrables reliquaires.
Il paraît qu'à la Toussaint en Bretagne et en Normandie, nous disent toujours les auteurs, on embroche des pommes sur les pointes aiguës d'une branche d'arbre. C'est l'arbre des âmes, que l'on vend aux enchères en vue d'obtenir des grâces et des faveurs (des saints, ou des morts?) et qui reste une année dans une chapelle. On les place sur les tombes le 2 novembre. Le livre évoque aussi les jeux de parcours, les puzzles, les jeux de cartes à finalité édifiante ou didactique, servant à la propagande religieuse, comme ils peuvent servir ailleurs à la propagande politique, ou à la pédagogie laïque. Un long article se concentre sur les oeufs, leur symbolique, l'utilisation de leur forme pour les ciboires et les reliquaires. Bref, on fait incontestablement son miel en lisant cet ouvrage (d'autant que le miel -et la cire (autre long article)- vient des abeilles, et que les abeilles, je l'ai encore appris avec ce livre, sont venues des larmes du Christ, à se demander ce qui est venu de ses autres sécrétions...).
L'ouvrage, comme tant d'autres sur les sujets voisins de l'art naïf ou de l'art brut, se trouve à la librairie de la Halle Saint-Pierre, au pied de Montmartre à Paris (la plus grande librairie spécialisée en France sur le thème des arts populaires et spontanés, rappelons-le).
12/10/2007 | Lien permanent
2008 par delà les peaux de vaches, les peaux de bananes, les peaux de balles et les balais de crin...
01/01/2008 | Lien permanent
Rectification de bob
Voici une photo historique pour happy few comme disait le copain Stendhal. Une prise sur le vif de celui que le pilote de Belvert qualifie de "bob" et qui serait plutôt ce que mon défunt père appelait familièrement (attention je ne garantis pas l'orthographe, et si un lecteur de passage pouvait me la faire connaître, accompagné si possible d'une savante dissertation lexicologique à son sujet, je lui en serais éternellement reconnaissant...), un "NID d'OEILLASSE", c'est-à-dire un galure sans forme à présent, objet-fétiche, compagnon de toutes les flâneries au long cours, voici donc la chose dont, j'ose le dire, je suis très fier, et pour que nul ne l'ignore... :
22/10/2007 | Lien permanent | Commentaires (5)
Fleurs de flammes
Flânant avec les enfants de mon centre de loisirs, nous cherchons matière à photographie. Les enfants nous entraînent vers "la maison qui a brûlé" non loin, ça les a bien entendu frappés. Et sur une vitre, mon attention se cristallise sur de curieuses "fleurs" collées sur des vitres qui paraissent s'être brisées sous l'ardeur d'un brasier. Peut-être du plastique qui s'est recroquevillé par l'intensité de la chaleur. Clic, un paysage surgit avec ses magiques fleurs de flammes sous lesquelles semble couler un fleuve...
13/10/2007 | Lien permanent | Commentaires (1)
Départ de Martha Grünenwaldt
J'ai appris grâce à l'animateur du blog sur l'art singulier, Frédéric Lux, la disparition à 97 ans de Martha Grünenwaldt. Elle eut longue vie, en dépit de nombreuses souffrances et difficultés (fille d'un musicien ambulant qu'elle accompagnait lors de ses tournées, elle fréquenta peu l'école, joua du violon aux terrasses des cafés pour nourrir ses trois enfants qu'elle dût élever seule après sa séparation avec son mari, puis fut domestique). Peut-être continuera-t-elle, désormais, à jouer du violon au ciel de notre mémoire en compagnie de l'accordéon de Pépé Vignes? Orchestre d'anges new look, avec pourquoi pas Pierre Jaïn à la batterie?
Il nous reste quelques documents sur elle (un petit film de Bruno Decharme par exemple, réalisé il y a peu de temps semble-t-il, peut être visionné sur le site de ce dernier), des quantités de dessins surtout (activité commencée en 1981), la plupart réalisés aux crayons de couleur et au feutre, ce dernier outil étant bienfragile hélas, comme on s'en convaincra avec le dessin ci-dessous, exécuté aux alentours de 1985, et qui a pâli...
Révélée par l'association Art en Marge de Bruxelles, elle fut souvent exposée chez eux (elle y eut une rétrospective en 2002 entre autres). L'Aracine aussi possède de nombreuses oeuvres d'elle (ainsi que le Musée de la Création Franche à Bègles), et il m'est déjà arrivé, en 1989 dans Artension (deuxième série), d'écrire au sujet d'une exposition Grünenwaldt organisée dans les locaux de l'Aracine à Neuilly-sur-Marne.
Martha Grünenwaldt utilisait tous les papiers qui lui tombaient sous la main, afin de satisfaire sa véritable compulsion de dessin. La femme, les animaux sont les sujets fréquents de ses dessins. Mais il y a aussi toute une efflorescence de motifs et d'ornements à la limite de l'abstraction, de l'informel, ambivalents comme dans une recherche de formes à la naissance (à la racine) de l'expression et de la mise en forme.
30/03/2008 | Lien permanent
Diablotin de mèche
Au centre de la flamme se tient un diable. Il patiente. Il n'a pas tout son temps pourtant. Il se consume, il devrait disparaître dans les heures qui suivent. Mais le voilà raide comme un piquet, comme une bouffarde au coin de la bouche. Aussi fugace qu'un nuage. Et autour de lui, une danse d'anges en cire fondue qui esquisse une ronde...
03/03/2008 | Lien permanent
Naissance de MAX T.
Évoluant depuis quelques années déjà au sein des vieux loups de brocantes, individus fréquemment partagés entre antiquaires classieux mais calculateurs, maramians presque enguenillés, alcooliques cachant mal leur vice sous les oripeaux d'un métier proche de la bohème sans en être tout à fait, grands enfants maquillés en excentriques boulimiques, rustres et autres montreurs d'ours aux griffes élimées, faux aristocrates créchant en baraque, bourrus sauvés des eaux, moustaches déguisées en conquistadors à la retraite, Max T. est un cas à part.
Il trafique comme les autres, vend de l'art populaire, aime les vieux outils, le fer particulièrement. Il s'est mis à retaper les objets un peu trop abîmés selon son goût, et petit à petit devient restaurateur sans s'en apercevoir. Dès lors, il a mis la main dans l'engrenage. Il crée des oeuvres à ses moments perdus, une "patte" enfantine s'y laissant reconnaître.
Au début, il n'en laisse rien paraître, il sème dans le décor de sa vie quotidienne ses créations au milieu des autres objets chinés en brocante parmi ses congénères brocs, le plus souvent des objets qui n'ont plus d'auteurs avérés. L'anonymat baigne son capharnaüm. Pourquoi pas ses propres réalisations? Je m'y laisse prendre, un jour je photographie un jouet-acrobate jaune le prenant pour un frais et naïf témoignage d'art populaire (voir ma note du 25 juin 2007), alors qu'il semble être sorti tout droit des mains du Max, ce dernier ne le reconnaissant pas tout à fait, à mots couverts seulement (peu amateur d'explicite, le bougre)...
Pourquoi n'avoue-t-il pas qu'il en est l'auteur? Par manque de confiance? Par désir de se mesurer à la poésie des objets populaires naïfs, et donc au rebours de l'hypothèse de la timidité, c'est par fierté qu'il agirait ainsi...? La réponse ne vient pas. Il vous regarde de ses yeux cernés, il roule sa vieille clope dégueulasse, l'allume puis tire dessus, laisse le silence répondre à sa place. Et laisse aussi le photographe tirer quelques portraits des dessins, des assemblages, des sculptures en fil...
Max T., sans titre sans date, assemblage de matériaux divers (la tête est faite des tessons d'un pot qui au départ était intact ; en se brisant, les tessons ont donné un air affaissé original à la tête, la ficelle est venue pour tenir le tout sans doute), photo B.M. 2008
Max T. dessin au stylo sur la couverture d'un cahier, sans titre sans date, photo B.M. 2008
Il préfère le secret, rester en retrait. Il vit en Normandie avec sa femme et ses deux enfants. Il se délasse avec ces petites créations, Dieu sait où ça le ménera.
Max T., dessin sans titre sans date, stylo, photo B.M. 2008
27/02/2008 | Lien permanent