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Rechercher : Jacques Brunius

Hypnos, images et inconscients en Europe 1900-1949

 Man Ray,Marquise Casati, 1922, Galerie Marion Meyer, Paris, copyright Man Ray Trust Adagp Paris, 2009, Photo Marc Domage.jpg   Le 14 mars, débutera une exposition qui nous intéresse vivement au Musée de l'Hospice Comtesse, à Lille, Hypnos, images et inconscients, 1900-1949. Organisée par les conservateurs du musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq, Savine Faupin, Christophe Boulanger et Nicolas Surlapierre, en collaboration avec Lorand Hegyi, le directeur du musée d'art moderne de Saint-Etienne, l'exposition se propose de montrer comment de nombreux artistes des premières décennies du XXe siècle se sont emparés de la notion d'inconscient, l'interprétant ou se l'appropriant. La notion était alors une révélation suite aux travaux de Sigmund Freud à Vienne. L'exposition ne se veut pas moins qu'une "contribution à l'histoire de l'inconscient visuel". On se dit: chiche, mais il faudra voir les résultats in situ. Car les images de l'inconscient sont fort multiples et variées.

Frantisek Drtikol, Le cri, 1927 MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Dist.RMN, copyright Jacques Faujour, copyright DR.jpg

Frantisek Drtikol, Le cri, 1927, Musée national d'art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris, Dist. RMN, © Jacques Faujour © DR

    Trois thèmes chronologiques structurent la manifestation, "le cosmos intériorisé (1900-1918)", "une géopoétique de l'inconscient: Berlin, Budapest, Cologne, Paris, Prague, Zürich (1918-1933)" et "l'heure dangereuse (1933-1949). Selon ces thèmes, on retrouve là des domaines qui ont déjà fait l'objet de passionnantes expositions précédemment montées ailleurs, comme l'art des spirites (la Halle Saint-Pierre notamment a monté deux expositions sur le thème, l'art médiumnique et l'art des spirites tchèques de la région des Monts des Géants et du musée de Nova Paka) Jan Tona,sans titre, musée municipal de Nova Paka, expo L'art brut tchèque, Halle Saint-Pierre, 2002-2003.jpg ou la photographie spirite par exemple (cf le Troisième oeil, la photographie et l'occulte, Maison Européenne de la Photographie à Paris, 2004-2005). Un éclairage particulier doit être donné sur la production des médiums de Bohème-Moravie, précisément ces créateurs que l'expo sur l'Art Brut tchèque de la Halle Saint-Pierre (2002-2003, ensuite montée en Belgique, puis à la Collection de l'Art Brut à Lausanne), sous l'impulsion de son organisatrice Alena Nadvornikova (une membre historique du groupe surréaliste tchèque contemporain), avait fait brillamment découvrir aux amateurs.

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Josef Kovář, Pruřez ovoce Neptuna, 1905, Mestské Muzeum Nova Paka, République Tchèque, © DR

      La deuxième section sur la "géopoétique de l'inconscient" semble vouloir nous montrer des créateurs choisis ailleurs qu'en Europe de l'ouest, de façon à exposer une exploitation de la découverte du continent inconscient, peu connue en France, par d'autres mouvements que le surréalisme, à savoir en l'occurrence le cubisme, le dadaïsme ou l'expressionnisme. Si dans ce dernier cas, on connaît tout de même assez bien par ici le cinéma des Robert Wiene ou Fritz Lang, moins répertoriée est l'existence des "marionnettes dadaïstes" qu'on nous annonce dans l'expo et qui nous intriguent davantage (sans doute parentes des magnifiques oeuvres sculptées d'un Marcel Janco qui étaient naguère montrées au Centre Georges Pompidou dans le cadre de l'exposition bric-à-brac Traces du Sacré). De même les créateurs tchèques gagnent beucoup à être davantage contemplés (Kupka, Vachal, Driskol, etc...). On espère donc faire des découvertes dans cette section (par exemple Josef Vachal).

Hypnos Frantisek Kupka Le reve, 1909, Museum Bochum, Bochum, copyright ADAGP Paris, 2009.jpg

Frantisek Kupka Le rêve, 1909, Museum Bochum, Bochum ©ADAGP Paris, 2009

 

      La troisième partie de l'exposition veut cerner ce moment de division et de totalitarisme (national-socialisme, stalinisme...) qui s'empare de l'Europe entre 1933 et 1949. Dans les représentations liées à l'inconscient se lisent des tendances et des menaces idéologiques qui font alterner les messages d'Eros ave ceux de Thanatos. C'est aussi le moment où le surréalisme qui s'était fait le champion de la libération du langage des désirs enfouis est traqué en Europe, et se diffuse dans le monde en même temps que s'exilent ou se cachent les membres des groupes européens. Cependant, on peut se demander si la place du surréalisme dans ce projet sur les images de l'Inconscient n'est pas quelque peu minoré. Il faut attendre de voir l'expo.  

     C'est près d'une centaine d'artistes d'Europe de l'Ouest, d'Europe Centrale et Orientale qui sont présentés, parmi lesquels Jean Arp, Brassaï, Victor Brauner, František Drtikol, Marcel Duchamp, Max Ernst, Simon Hantaï, Paul Klee, Hilma af Klint (de cette dernière, on a déjà eu l'occasion de voir des oeuvres en France, voir ma note du 25 avril 2008 sur ce blog, notamment à l'expo déjà mentionnée Traces du Sacré), Bohumil Kubista (qui était, Ô nom prédestinant, cubiste...), Frantisek Kupka, Emma Kunz, Augustin Lesage, André Masson, Joan Miró, Laszlo Moholy-Nagy, Man Ray, Joseph Sima, Sophie Taeuber-Arp, Marie Toyen, Josef Vachal, Lajos Vajda, Adolf Wölfli..., les cinéastes Fritz Lang, Friedrich Wilhelm Murnau, Georg Wilhelm Pabst, Robert Wiene..., des écrivains et poètes tels qu'André Breton, René Char, Géza Csáth, Robert Desnos, Franz Kafka, Frigyes Karinthy, Dezső Kosztolányi, Ghérasim Luca..., ainsi que des théoriciens de la psychanalyse comme Sigmund Freud, Sándor Ferenczi, Carl Gustav Jung ou Karl Abraham.

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Joseph Vachal, décor peint pour la maison de Josef Portman en 1922-1924 ; photo extraite du livre Facétie et Illumination, l'oeuvre de Josef Vachal, un graveur écrivain de Bohême (1884-1969), textes réunis par Xavier Galmiche, Presses de l'Université Paris-Sorbonne/Paseka, 1999

      On notera au passage que des créateurs de l'art brut, non professionnels de l'art par définition, comme Lesage ou Wölfli se trouvent ici mélangés aux artistes d'avant-garde. Cela augure-t-il d'autres mélanges à venir dans le cadre du nouveau Musée d'Art Moderne à Villeneuve-d'Ascq (où, comme on sait les travaux d'extension du musée, comprenant une aile consacrée à la présentation de la collection d'art brut du musée, sont en train de s'achever)? Wait and see... 

     L'exposition se tient du 14 mars au 12 juillet 2009. Musée de l'Hospice Comtesse, 32, rue de la Monnaie à Lille. Pour plus de renseignements, cliquer sur le site du musée d'art moderne Lille-Métropole (voir lien ci-dessus) à Villeneuve-d'Ascq. A noter qu'Hypnos devrait être la dernière exposition hors-les-murs du musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq avant sa réouverture prévue pour 2010.

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Déchiffrer les messages d'outre-tombe de l'abbé Fouré... (A propos du site de l'ancienne Croix de l'Ermite)

     Non, tout n'est pas dit sur l'abbé Fouré, ses rochers et ses bois sculptés, sa bonne (oui, il avait une bonne du curé, comme nous l'a appris le livre paru récemment de Jean Jéhan, elle s'appelait Marie Lefranc et maintenant à Rothéneuf, les fins limiers de l'Association de Joëlle Jouneau sont à la recherche de ses descendants, avis à la population, s'il y en a un qui surfe sur internet, il est le bienvenu ici)... Tout n'est pas dit, et loin de là!

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L'abbé Fouré lisant, vers 1906, son journal réactionnaire favori (Le Salut, devenu collaborateur pendant la guerre ultérieure de 39-45, si je me souviens bien...) ; à sa gauche, à terre on distingue le gisant d'un homme d'épée avec hermine à sa tête (symbole de la Bretagne), et inscription en latin "Olim fuit" ("Il fut, jadis")

 

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Photo Bruno Montpied, 2010

 

    En particulier, les amateurs se rappellent le gisant sculpté par l'abbé situé à quelque encablures du site principal des rochers, sur le chemin des douaniers (ou des contrebandiers, selon l'idéologie que l'on défend...), soit dans une zone pour laquelle personne n'eut jamais l'idée saugrenue de faire payer un droit de péage. A ce propos, on peut toujours s'étonner de la rupture qui est faite au niveau du site des Rochers sculptés de ce chemin qui aurait dû normalement suivre le littoral, or il a été détourné, et ce depuis des lustres, à la suite d'on ne sait quel passe-droit apparemment. Mais revenons à nos moutons et en l'occurrence au site actuellement appelé "de la Croix du Christ" (et anciennement appelé "de la Croix de l'Ermite", croix qui du reste était plantée à un endroit plus éloigné de quelques mètres de l'emplacement actuel).

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Emplacement de la Croix du Christ, vue zoomée depuis les rochers, ph. BM, 2010

      Il a été dit par Frédéric Altmann dans son livre de 1985, La vérité sur l'abbé Fouéré (éditions AM, Nice), que le gisant situé à côté de la croix était à n'en pas douter un certain "Saint-Judicaël, roi de Dommonée"... Il ajoute que ce n'est pas "Jean, duc de Bretagne", qu'il qualifie (légèrement, comme on va le voir) "d'inscription fantaisiste". De cette affirmation, il n'apporte aucune preuve (d'où sort-il cet invraisemblable Judicaël, je me le demande depuis des lustres?). Du coup, Jean Jéhan, dans son propre récent livre, lui emboîte allégrement le pas sur ce détail. Altmann apporte cette affirmation aux pages 113 et 114 de son livre. Il reproduit une carte qui ne porte pas le cachet de l'abbé (celui-ci authentifiait ses cartes avec un cachet surtout -je pense- pour contrer le commerce de cartes non autorisé par lui), carte où l'on peut lire, en guise de légende du gisant: "Rothéneuf, rochers sculptés. Jean, duc de Bretagne". Voir ci-dessous:

 

Jean-Duc-de-Bretagne-carte-.jpg

 

     Certes, il n'y a pas le cachet de l'abbé. Altmann veut y voir une preuve que la carte est légendée de façon suspecte ; or, même si le commerçant qui l'édita ne paya pas de droits à l'abbé, cela n'implique pas qu'il ait mal travaillé automatiquement dans les légendes qu'il imprimait. Il fallait trouver un indice plus stable pour confirmer ou infirmer cette légende. La preuve que la légende est correcte m'a été enfin fournie par une autre carte que j'ai découverte tout récemment  et que je ne me souviens pas avoir vue éditée ailleurs. Je la reproduis ci-dessous:

Jean-IIII-Duc-de....jpg

 

    Ah, bien sûr, ce n'est pas évident à déchiffrer, surtout sur un écran d'ordinateur peut-être. La photo sur la carte n'est pas de très bonne qualité qui plus est. Alors, la maison ne refusant rien à ses lecteurs, je m'en vais vous l'agrandir en entourant d'un trait photoshoppeur l'inscription tracée à la main sur le rocher situé à gauche prés du gisant, ce même rocher contre lequel l'abbé s'appuie sur la carte où il lit "le Salut". Car, oui, il y a bel et bien une inscription!

 

Jean IIII Duc de, inscrip soulignée.jpg

 

    Sur ce rocher, l'inscription, tracée de la main de l'abbé (la graphie est assez proche d'autres inscriptions qui étaient visibles autrefois sur le site des rochers, voir ci-dessous), peut se reconstituer ainsi: "Jean IIII (ou IV), duc de Bretagne"... L'abbé maîtrisait-il mal les chiffres latins? On croit lire en effet quatre I, mais peut-être est-ce seulement la faute à l'imprécison de la photo. Il me semble que nous avons là une preuve à peu prés certaine du sens que prêtait l'abbé à son gisant. On sait en effet (grâce à l'historien régionaliste Noguette, alias Eugène Herpin, qui se fit le mémorialiste partiel de l'abbé), que l'abbé était entiché de patriotisme breton. L'histoire de ce "Jean IV" ne pouvait que le retenir. Chef de la Bretagne, il en avait été chassé par le  roi de France Charles V en 1378, qui voulait réunir la Bretagne à sa couronne. Jean IV avait dû s'exiler en Angleterre. Rappelé par les nobles bretons, il débarqua à Dinard (comme on sait ville toute proche de St-Malo), fit la guerre à Charles V et reconquit la Bretagne. Ces faits d'armes (encore chantés aujourd'hui en Bretagne paraît-il, voir Gilles Servat) ont dû grandement impressionner l'abbé!

 

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Inscriptions qui se lisaient dans les rochers du vivant de l'abbé, apposées par lui ou en tout cas avec son accord, décrivant des personnages qui semblent avoir été inventés par l'abbé qui rêvait sur les anciens habitants de Rothéneuf ; leurs noms étaient apposés au-dessus des personnages sculptés qu'ils étaient chargés de légender, au nombre desquels se trouve un Jacques Cartier ; à noter aussi que le chiffre latin IV est correctement orthographié ici ("Jean IV fainéant"...) ; la graphie paraît très proche de celle du rocher du gisant

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Sceau de Jean IV, Duc de Bretagne ; on notera les hermines sur son écu et son pourpoint, ainsi que l'épée, deux détails que l'on retrouve sur le gisant sculpté par l'abbé

     A noter que l'association des amis de l'œuvre de l'abbé Fouré, animée par Joëlle Jouneau, se propose de faire nettoyer dans les mois qui viennent cette fameuse sculpture de gisant qui actuellement devient difficile à "lire", étant donné les nombreux lichens qui la couvrent. 

 

 

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Guy Harloff, le Hollandais volant

     C'est le retour d'un peintre en ce moment, Guy Harloff (1933-1991), à la Galerie Les Yeux Fertiles (27, rue de Seine, Paris VIe ardt ; expo du 19 janvier au 28 février avec des peintures de Yolande Fièvre, des oeuvres de très belle qualité de Henri Goetz, Jiri Kolar, Christian d'Orgeix -on aimerait en voir plus de ce dernier- Mimi Parent, Jean Terrossian), sorte de peintre fantôme de la modernité passablement oublié, et peut-être inaperçu déjà de son temps, malgré des expositions marquantes en 1961 à la Galerie La Cour d'Ingres, ou chez Arturo Schwartz à Milan, ou encore à Venise. Peintre globe-trotter d'origine hollandaise, qui voyagea passablement en Italie, en Turquie, en Iran, dans le monde arabe, aux USA, et ailleurs en Europe, c'est peut-être pour cette raison qu'il n'eut pas le temps de marquer les mémoires dans les lieux traversés (je pense aussi à une autre artiste, apparentée au surréalisme, Alice Rahon-Paalen, qui voyagea beaucoup, exposa partout, fut une peintre inventive vite oubliée ; un DVD de la collection Phares d'Aube Elléouët a su réparer récemment cet oubli).

 

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Guy Harloff, Heart, 1960, technique mixte sur papier, 41x34 cm

      Sa peinture est un agglomérat de symboles venus de diverses cultures, entre autres orientales. Voici ce qu'écrivait à ce sujet Nanos Valaoritis en 1963 dans le n°28 de la revue Bizarre, numéro entièrement consacré à Harloff (j'avais ça chez moi sans l'avoir jamais lu, tout arrive): "Toujours entourés d'objets et enrichis d'inscriptions et exclamations diverses en toutes langues et écritures, apparaissent des soleils resplendissants, des roses des vents, belles comme des mariées, des roues du Destin, des feuilles, des ammonites, l'œil dans l'œil, le cœur dans le sexe, le triangle hermétique, images dont l'intention se rapporte plutôt au lyrisme et à la poésie spontanée qu'à la signification cachée, au défi et à la protestation ouverte d'esprit didactique, plutôt qu'à la cabale phonétique". Que "l'intention se rapporte plutôt à la poésie spontanée qu'à la signification cachée" me ravit et me séduit, parce que généralement les langages symboliques me paraissent d'une insupportable lourdeur. Ici, avec Harloff, rien de tout cela.guy harloff,alchimie,art singulier,périphérie de l'art moderne,art moderne méconnu,beat generation,galerie les yeux fertiles,alice paalen,dvd les phares Une qualité plastique indéniable que l'on soit dans le noir et le blanc du stylo Bic (travaux très proches de certains embrouillaminis visionnaires et ténébreux de l'art brut) ou dans la jubilation  chromatique.

 

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Guy Harloff, une des oeuvres exposées aux Yeux Fertiles

 

     Cet artiste se tint apparemment en lisière des courants dominants de son époque, restant sincère, concentré sur son inspiration et son chemin personnel. Il paraît de la même race que d'autres créateurs indépendants d'après-guerre, comme Jacques Le Maréchal, Michel Macréau, Jan Krisek, Hans Reichl (à qui Harloff reconnaissait devoir beaucoup) ou encore Gaston Chaissac. Il pourrait faire figure comme eux de grand ancêtre des créateurs "singuliers", ce mot si dévalorisé actuellement mais que je continue d'employer pour désigner les créateurs en marge du cirque médiatique, les périphériques de l'art contemporain ne se résignant pas à abandonner les arts plastiques traditionnels, les vrais purs, non vénaux...

 

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Galerie Les Yeux Fertiles, vue de l'exposition Guy Harloff

       Les "Singuliers" d'aujourd'hui souscriraient peut-être à cette envolée lyrique et pleine d'un bel excès de Guy Harloff parue elle aussi dans le même numéro 28 de Bizarre:

      "Je pense que la peinture devrait rentrer dans la clandestinité ; tout comme les premiers chrétiens dans leurs catacombes. Il serait salutaire qu'elle redevienne, au moins pour un certain temps, souterraine, interdite. On peindrait en cachette, sans montrer ce que l'on fait. Pour soi-même. C'est mon désir le plus cher, et le plus secret.

      En effet notre travail supporte un poids énorme et écrasant. Il est la proie des marchands, l'enjeu des spéculations, le gagne-pain et le moyen de faire fortune de beaucoup d'individus qui, sans la peinture, se tourneraient vers d'autres occupations tout aussi lucratives. Il faut produire pour ce marché, en accepter les liens, la tyrannie, les conséquences, ou bien rester dans l'ombre, solitaire, et crever de faim. La plupart d'entre nous travaillent dans des conditions désastreuses, sollicités de toutes parts, assaillis, vilipendés ou portés aux nues, toujours à la limite de l'endurance physique et spirituelle. Il s'ensuit généralement un abaissement de la qualité de la peinture, et bien des œuvres commencées dans la réalité et la vérité finissent en queue de poisson. Actuellement, nous sommes saturés de mauvaise peinture, et l'on voit un peu partout des tableaux et des dessins, signés même par des grands noms, qui auraient intérêt à être déchirés, ou tout au moins, à ne pas sortir de l'atelier.

     C'est pourquoi je propose, le plus sérieusement du monde, qu'une loi internationale, ou quelque chose dans le genre, soit votée qui interdise la vente des tableaux, et l'acte de peindre.

     Ceux qui continueraient malgré tout (moi, par exemple), les vrais mordus, ceux qu ne peuvent faire autrement, eh bien, ils peindraient quand même, mais en cachette, et cela serait toléré..." (Guy Harloff, extrait de "Où il est question de quelque chose d'autre...").

 

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Guy Harloff, dessins au stylo Bic, expo à la galerie Les Yeux Fertiles

 

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Jean-Louis Cerisier à la chasse aux muralistes de campagne

     C'est un peu tardif si vous aviez l'opportunité d'aller aujourd'hui au musée d'art naïf et d'art singulier de Laval, mais ce ne l'est pas du point de vue de la stricte information.

      "Rendez-vous singulier" ce dimanche à 16h donc, pour assister à une conférence de Jean-Louis Cerisier, peintre singulier et naïf lavallois dont j'ai déjà eu maintes fois l'occasion de parler ici.

     En parallèle de son travail de création, nous dit le laïus du musée, "il s’est intéressé dans les années 1900-2000 [sic] aux créations populaires dont est parsemé le territoire : fresques de village, œuvres dans les écoles, cafés décorés, art éphémère, se livrant à une véritable enquête en Mayenne et dans les Pays de la Loire à la recherche de ces créations insolites. Il livre aujourd’hui un aperçu du résultat de ses recherches. Une occasion unique de (re)découvrir le territoire à travers le regard de ses artistes anonymes". Il a d'ailleurs déjà donné l'occasion aux amateurs de se rendre compte de cette création, ici qualifiée un peu vite, il me semble, de "populaire" (ce qui l'assimile de fait à d'autres formes de création populaire comme l'art rustique, ou les environnements spontanés dont je parle souvent et introduit donc une certaine confusion dans l'esprit du public), dans la revue 303 (ancien rédacteur en chef Jacques Cailleteau), voir le n° 43 ( sur le peintre Beyel, un vrai naïf pour le coup, article intitulé "Origné ignoré, sur les traces du peintre Beyel", 1994), le n°57 (article "Mondes insolites et travaux artistiques: la Mayenne à l'œuvre", 1998) et le n°58 ("Mondes insolites et travaux artistiques: la Mayenne à l'oeuvre, seconde partie").

 

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Peinture murale de Beyel (1926) dans le café-tabac,alimentation d'Origné (Mayenne), ph. B. Renoux, extraite du n°43 de 303, 1993 ; ce peintre nomade et solitaire peignait, paraît-il en échange du gîte et du couvert

 

     Il compilait à cette occasion peintres naïfs locaux inconnus, auteurs de fresques dans des cafés (Beyel, André Thureau), créateur autodidacte d'un environnement brut (Céneré Hubert), peintres fresquistes régionaux au métier affirmé mais aux sujets un peu insolites (Tribus), fresquistes du dimanche aux limites de la peinture de croûte (Olivacce ; par ailleurs je sais Cerisier amateur de peintres inconnus de dépôts-vente comme un certain A.Labarde qui l'intrigue, à la limite de la peinture kitsch), créateur singulier célèbre (Robert Tatin), et peintre intellectuel mystique adepte de muralisme atypique (Xavier de Langlais). Nul doute cependant que dans ses recherches menées sans trop de discrimination (le tri viendra-t-il plus tard?), Jean-Louis prend tout ce qui vient, dans la mesure où la peinture de campagne l'interpelle, l'intrigue, et peut-être aussi lui rappelle quelqu'un qui ne serait pas si éloigné que cela de ses propres démarche et thématique personnelles... Voir par exemple la fresque ci-dessous qui ne va pas sans évoquer certaines de ses peintures.

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Jean-Louis Cerisier, façade à Nozay, Loire-Atlantique

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Jean-Louis Cerisier, Le port, 33 x 25 cm, 2010

 

      C'est cependant une excellente idée de sa part de se livrer à cet inventaire – parallèle au mien plus axé sur les créations en plein air d'autodidactes d'origine strictement populaire, non professionnels de l'art – des fresquistes et peintres régionaux dont les décorations sont perdues dans les campagnes de Mayenne et au delà (on pourrait les étendre à toute la France). On obtiendra sans doute à la fin un panorama de la création décorative provinciale qui irait du naïf absolu à l'intellectuel primitivisant, en passant par les artistes publicitaires semi amateurs et les peintres du dimanche imitant de loin les peintres d'église, en les mixant avec les artistes singuliers contre-culturels et alternatifs, quelque créateur brut étant admis au banquet pour que le panel soit complet, dans le désir de Jean-Louis Cerisier tout de même (c'est le sentiment que j'ai) de rassembler toutes ces créations sous la seule bannière de l'art. Ce qui à mon humble avis représente une position restrictive qui ne tient pas compte de l'explosion des barrières socialement admises générée par la reconnaissance des créateurs bruts, œuvrant hors système traditionnel des beaux-arts justement (j'y assimile ici les créateurs d'environnements spontanés). C'est la position seulement réformiste de Jean-Louis Cerisier vis-à-vis de l'art que je pointe là, que je distingue d'une position plus révolutionnaire sur laquelle je campe personnellement.

 

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A. Labarde, sans titre, sans date, coll. Jean-Louis Cerisier, ph. Bruno Montpied, 2009 ; on est ici à la limite de ce que les Américains appellent le Bad Art, tandis qu'en Europe, on parlerait plutôt de peintures de croûte, du type de celles qui végétent au fond des dépôts-vente (Labarde a d'ailleurs été repêché par Cerisier dans ces bric-à-brac), certaines oeuvres recélant cela dit un charme indéfinissable, aux limites du naïf, du raté, et de l'incongru...

 

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D'étonnants jardins en Nord-Pas-de-Calais

     On avait eu naguère (2011) un cahier de l'Inventaire du Patrimoine de la région Poitou-Charentes entièrement consacré à un créateur autodidacte, Gabriel Albert à Nantillé (Charente-Maritime), qui avait décoré son jardin d'environ 400 statues en ciment polychrome des années 60 aux années 90 de l'autre siècle. C'était le premier cahier de l'Inventaire entièrement dévolu à un autodidacte d'extraction populaire (plus naïf que brut dans ce cas). Je m'en étais fait l'écho sur ce blog.

couv d'étonnants jardins en nord-pas-de-calais, images du patrimoine.jpg    Voici que les collaborateurs de l'Inventaire du Patrimoine récidivent, cette fois dans la région Nord-Pas-de-Calais, avec un cahier, le n°293, entièrement axé sur une enquête explorant les sites encore en place et dont les auteurs dans plusieurs cas ont pu être interrogés. Quelques sites plus anciens, dont les auteurs sont disparus, sont également évoqués, comme celui de Remy Callot, sur qui nombre d'informations sont apportées dans le livre par Tiphaine Kempka, ou encore celui de René Pecqueur (à ne pas confondre avec Charles Pecqueur), dont les réalisations, des grands candélabres-arbres (on pourrait créer tout spécialement pour lui le mot-valise "candélarbre"), ont malheureusement été détruites, hormis quelques bricoles conservées ici ou là, notamment au LaM à Villeneuve-d'Ascq). Ce site est chroniqué avec sensibilité et intelligence dans l'ouvrage de l'Inventaire par Michel Cabal.

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Site ancien de René Pecqueur (1933-2003) à Louches (Pas-de-Calais), photos Marguerite Tartart et Michel Cabal

 

     Ce dernier Pecqueur était connu des chercheurs depuis déjà quelque temps, s'ils avaient comme moi découvert son existence au hasard d'internet en tombant sur lui alors qu'ils cherchaient de l'information sur l'autre Pecqueur, prénommé Charles. Un site web, animé par le même Michel Cabal était en effet dédié à René. La revue Pays du Nord lui avait également consacré un entrefilet.

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Photo parue dans La Voix du Nord (voir notre lien ci-dessous au mot "Turenne"), probablement tirée des archives de la famille Pecqueur ; Charles pose devant la tête de Blanche-Neige

    D'étonnants jardins apporte aussi une information actualisée sur son homonyme, Charles Pecqueur, créateur d'un site important à Ruitz, constitué de fresques et de statues et qui fut photographié et décrit à de nombreuses reprises dans les ouvrages centrés sur les environnements créatifs populaires, comme ceux de Bernard Lassus (1977), Jacques Verroust (1978) ou encore Francis David (1984). Dans ce livre de l'Inventaire, on trouve du reste un texte de Lassus qui revient sur sa propre enquête des années 60, époque à laquelle il découvrit le site de Pecqueur et lança le terme d'"habitant-paysagiste". Nathalie Van Bost, dans la partie du livre plus spécifiquement attachée à montrer des images des sites (fort belles), ajoute quelques informations, notamment sur l'état dégradé des réalisations de Charles Pecqueur, même si sa fresque consacrée à Blanche-Neige paraît tout de même étonnamment bien conservée, cinquante ans après sa confection. N'entendant plus parler de cet environnement, pourtant remarquable (Pecqueur, profitant de sa position de maire de la commune de 1946 à 1965 avait décoré au départ un rond-point de la petite ville avec Blanche-Neige et ses sept nains ; lorsqu'il n'exerça plus ce mandat, il rapatria comme il put des fragments de ce décor dans son propre jardin, une photo dans le livre nous montrant au passage qu'existe toujours la Blanche-Neige du rond-point), n'entendant plus parler de ce site donc, je m'étais figuré qu'il ne devait rien en rester. Dans les explorations que je fis, en 1989 d'abord, puis par la suite pour les besoins du film Bricoleurs de paradis, je ne poussai pas jusqu'à Ruitz. Or, il faut toujours aller vérifier sur place les sites, même s'ils furent indiqués à des époques éloignées. C'est grâce à son fils, aujourd'hui sexagénaire et prénommé joliment Turenne, que la maison de son père a pu être préservée, même si on peut se demander jusqu'à quand... L'endroit pourrait constituer un jour -rêvons un peu- un de ces centres de documentation et de ressources qui serait spécialisé sur la question des environnements populaires et singuliers. La municipalité de Ruitz ne se sentirait-elle pas concernée?

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Un détail des mosaïques de Remy Callot à Carvin (Pas-de-Calais), ph. Bruno Montpied, 2008

     L'ouvrage de l'Inventaire contient beaucoup d'informations donc, et des études historiques sur la fonction des jardins de mineurs qui étaient destinés à leur assurer un complément alimentaire de qualité pour leur santé. Le temps passant, les mines fermant les unes après les autres, la notion de jardin évolua pour certains héritiers ou nouveaux arrivants vers une utilisation plus créative ou commémorative (plusieurs habitants aimant à préserver la mémoire des mines).

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Le jardin de mineur de Concetta et Michele Sassano à Wingles ; lui aussi se retrouve dans l'ouvrage D'étonnants jardins ; ph. BM, 2008

     Des sites de qualité naïve affirmée, comme celui de Jean Cathelain par exemple, à Billy-Montigny, ou celui du "Jardin au titan" d'Alain Lefranc à Waziers, sont par ailleurs dévoilés, à ma connaissance, pour la première fois dans ce livre, tandis que d'autres, du genre accumulatif et sans grande mise en scène (tendance hélas de plus en plus fréquemment rencontrée, comme si tous savoir-faire et techniques avaient été perdus dans les milieux ouvriers), ou du genre miniaturistes et faiseurs de maquettes, peuvent laisser assez indifférents (sites de Jean-Philippe Carlier, ou de François Golebiowski par exemple)... On rencontre aussi ici et là dans ce mini-inventaire des sites actuels du Nord-Pas-de-Calais des environnements qui paraissent davantage relever d'une création cultivée, et donc  plus d'un environnement d'artistes, ce que j'appelle personnellement un "environnement singulier" (exemple de Philippe Hermez, et du sculpteur anonyme de Marchiennes, ou encore de "la maison du pirate" repérée par les enquêteurs dans la région de Dunkerque).

     Cependant, on trouvera là, au final, un ouvrage que tous les mordus des environnements populaires spontanés auront à cœur de se procurer pour compléter leur documentation sur le sujet. Entre autres librairies où on peut le trouver, à Paris, à la librairie de la Halle Saint-Pierre bien sûr, mais aussi à la librairie de la Caisse des Monuments Historiques dans l'Hôtel de Sully, rue Saint-Antoine dans le Marais.

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Expo de l'Art en Marche à Moulins

Du 6 juillet au 21 août 2015 à l'Hôtel du Département à Moulins

 

      Les choix esthétiques de L'Art en Marche, disons-le sans ambages, ne sont pas pour leur majorité ma tasse de thé. Il y a trop, du moins dans le rassemblement visible à Lapalisse dans l'immense entrepôt qui l'abrite, d'artistes ailleurs qualifiés de "singuliers" mais manquant singulièrement d'originalité (à mes yeux, s'entend, ce n'est qu'un avis purement personnel). Mais il existe aussi une minorité de créateurs proches de l'art brut ou de l'art populaire contemporain, et aussi des artistes plus inspirés, marginaux talentueux peu connus (comme Jacques Renaud-Dampel par exemple ou Pépé Donate). A Moulins, du 6 juillet au 21 août, voici une petite sélection intéressante, où le terme d'art brut ne paraît cette fois pas trop usurpée.

 

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Une œuvre de Pépé Donate exposée au musée de l'Art en Marche à Lapalisse en avril 2014

 

     Sur les cinq artistes ou créateurs présentés à Moulins, il en est au moins trois à recommander de la part du Poignard Subtil, à savoir Monique Le Chapelain, Jean Tourlonias et Popy (alais Guy Maraval).maraval_guy-spirale~1997.jpg On pourrait très bien ne pas remarquer le dernier nommé, mais je dois à un camarade qui visitait avec moi le dit entrepôt le printemps dernier (alors que Luis Marcel avait annoncé à grands renforts de trompe qu'il vendait tout - combien de fois a-t-il "tout" vendu?, me demandé-je maintenant...) de l'avoir remarqué en achetant une des ses œuvres ce qui fit que je pus repasser plusieurs fois devant par la suite, et que je me surpris à changer d'humeur à son égard au fil du temps.maraval_guy-l_oeuf~OM798300~11123_20120611_19014_73.jpg Il faut croire que Popy, ancien marin qui s'est mis à peindre (à l'acrylique) depuis un grave accident où il paraît avoir vu la mort de près, ne fait pas de l'art "immédiat" en dépit d'un graphisme pourtant élémentaire et d'un vocabulaire de sujets volontairement réduit. C'est peut-être à cause de cela du reste que je passai à côté au début. "Trop proche de Chaissac", me suis-je dit tout d'abord. Et pourtant un charme opère à la longue, du moins en ce qui concerne les œuvres que je reproduis autour de ces lignes (la première s'intitulant "Spirale" et la seconde "L'Œuf"), datant de la fin des années 90.

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Monique Le Chapelain, Grand éléphant décoré, 20F (inventaire Muel D85), 1997, coll. Bruno Montpied (cette œuvre bien entendu ne préjuge pas de celles qui sont présentées à Moulins)

      Monique Le Chapelain, je n'ai plus de nouvelles d'elle. J'ai contribué autrefois à la faire connaître, notamment par le truchement de la revue Création Franche, et puis, affamé perpétuellement de nouvelles découvertes, j'ai fini par laisser se distendre les rapports. Elle menait une vie assez rangée en compagnie de son époux dans une banlieue assez quelconque, du côté des Ulis, que rompaient seules de temps à autre des sorties dans des soirées dansantes qui étaient son plaisir suprême. Elle passait pour l'occasion des robes étourdissantes colorées et vaporeuses qui lui composaient un écrin pour la princesse qu'elle n'avait jamais cessé de rêver être depuis son enfance. Ces robes, ces parures se retrouvaient transposées dans ses peintures et ses dessins, parfois trop hâtivement brossées tellement elle était pressée de produire. Ses dessins et gouaches sont moins connus que ses peintures à l'huile, mais mériteraient pourtant d'être appréciés, étant donné leur relative "tranquillité". Les quelques exemples que je conserve ont une stabilité dans la facture, une maîtrise exempte de la précipitation dont je parlais ci-dessus. Je donne deux exemples de sa production que je conserve, une peinture à l'huile tout d'abord (ci-dessus) et immédiatement après une gouache justement...

 

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Monique Le Chapelain, Coq de piques, 1963

 

     Jean Tourlonias est le plus connu des trois, avant tout pour ses véhicules (motos, voitures de course...) portant les noms de vedettes connues et les noms des personnes à qui les peintures étaient destinées. il figurait en bonne place à l'exposition thématique de la Collection de l'Art Brut à Lausanne sur les véhicules  (en 2013-2014). Habitant Cébazat près de Clermont-Ferrand, c'était un peu le régional de l'étape. Si l'on a vu à Lapalisse des petits paysages sans grand relief, on l'estime avant tout pour ses bolides ébouriffants dédiés aux destinataires des ces véhicules futuristes.

 

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Jean Tourlonias est passé un jour par La Godivelle et ses deux lacs, sur les rudes hauteurs du Cézallier, petite peinture photographiée par Régis Gayraud sur une brocante auvergnate en 2015...

 

 

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Trois Tourlonias aux noms des anciens animateurs de la Collection de l'Art Brut à Paris, puis à Lausanne, ph. BM

 

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31/07/2015 | Lien permanent

Les Mayennais toujours à l'œuvre et à la manœuvre en Estonie

     "Chers amis et contacts,

      J'ai le plaisir de vous annoncer une nouvelle exposition de La Mayenne à l'oeuvre,  organisée au musée Paul Kondas d'art naïf et outsider de Viljandi en Estonie, du 15 mai au 15 juillet 2015. 

     La précédente exposition, Croisements et Filiations, organisée en 2013 au musée National des beaux-arts de Biélorussie à Minsk, présentait les ramifications à l'origine de l'émergence de la création naïve et singulière dans la région. 
 
     Celle-ci, qui a pour titre Destins croisés aborde l'aspect plus actuel de la mouvance singulière en Mayenne." (Jean-Louis Cerisier)
 

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Article de Pauline Launay dans Le Courrier de la Mayenne du 6-5-2015

    
    Donc, il faut comprendre qu'il s'agit du deuxième volet d'un ensemble appelé globalement "La Mayenne à l'œuvre" et  qui se transporte cette fois en Estonie dans ce petit musée de Viljandi, avec l'appui de M. Michel Raineri, ambassadeur de France en Estonie, en partenariat avec le ministère de la culture d'Estonie, le musée du Vieux-Château à Laval, etc., pour montrer des artistes et créateurs mayennais contemporains.
 

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Un dessin de Robert Tatin, La Vierge aux Oiseaux, 1982, coll. Art Obscur

 
 
   On veut y présenter quelques créateurs  et artistes emblématiques de ce creuset curieux lavallois et mayennais qui, dans la filiation avec le Douanier Rousseau, le grand ancêtre d'où tout est parti à l'évidence, ou avec Jules Lefranc,  Henri Trouillard, Robert Tatin, ou Jacques Reumeau (voir ci-contre, coll. Art Obscur), tous natifs de Laval, a su se renouveler en s'enracinant dans cette région.Reumeau 2 (2).jpg Jean-Louis Cerisier, le commissaire d'exposition, en collaboration avec Michel Leroux et son "art obscur", ainsi qu'avec plusieurs membres d'une association lavalloise, CNS 53 (Création Naïve et Singulière: Serge Paillard, Nathalie Mary, Michel Basset, Chantal Mady-Houdayer, Jean-Luc Mady, Salomé Mady), Jean-Louis Cerisier lui-même se veut à la fois artiste (que je qualifierai de "naïf moderne" tant ses expérimentations le mènent quelquefois  à dépasser allégrement les frontières de son art d'autodidacte naïf) et organisateur, médiateur de ses compagnons de créativité en Mayenne, nébuleuse que j'ai appelée autrefois dans un court article que j'avais inséré dans un ancien numéro de la revue des Pays de la Loire, 303, Arts, Recherches et Créations, "L'Ecole de Figuration poétique lavalloise".
 

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Jean-Louis Cerisier, un billet de 1000 zlotys déchiré, allégorie d'un refus de la vénalité proposé par l'artiste?


      On sait par exemple que Jules Lefranc, fut aussi à la fois peintre et collectionneur, et qu'il légua une bonne partie de sa collection au musée du Vieux-Château à Laval ce qui permit de lancer le musée en 1967. Et que ce dernier s'est ouvert très récemment à l'art singulier en lui consacrant quelques salles, en attendant mieux (une extension du musée à l'ancien palais de justice voisin par exemple). Art singulier qui est vu par les conservateurs du lieu comme une continuation de l'art naïf en moins strictement référent à la réalité visuelle, puisque l'art singulier se détache de la représentation du monde extérieur pour peindre plutôt des images aux formes et aux couleurs libres.
 

Gustave Cahoreau.jpgGustave Cahoreau tenant une de ses sculptures, un "protégé" de Michel Leroux... Archives Art Obscur

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Céneré Hubert, créateur multi-formes et notamment créateur d'environnement à St-Ouen-des-Toits (toujours en Mayenne), Archives Art Obscur

 

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Un très beau dessin (pastel?) de Patrick Chapelière ; à noter que les trois créateurs ci-dessus s'apparentent davantage à l'art brut qu'à l'art dit singulier, tant leur travail s'accomplit dans l'écart vis-à-vis des démarches traditionnelles artistiques ; coll. Art Obscur

 
     Jean-Louis Cerisier nous a adressé quelques images des œuvres qui seront exposées (du 15 mai au 15 juillet au musée Paul Kondas d'art "outsider et naïf" de Viljandi; ce Paul Kondas qui paraît être lui-même un "singulier" estonien que le musée de Viljandi verrait bien exposé en retour à Laval). Le moins que je puisse dire, c'est qu'il y a de quoi être ravi et enchanté par plusieurs artistes à découvrir si l'on doit se fier uniquement au panel proposé par Cerisier (voir les différentes illustrations émaillant cette note).
 

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Alain Lacoste, autre Singulier mayennais bien connu et prolifique ; coll. Art Obscur

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Marc Girard ; j'aime assez cette œuvre qui me fait penser à ... moi, mais aussi à Chaissac, à Lacoste...; coll. Art Obscur

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Et un Joël Lorand, un... Peut-être relativement ancien, non? ; coll. Art Obscur

 
 
    Dommage qu'il faille aller si loin pour les voir réunis (même si aura lieu en Mayenne durant seulement trois jours un autre petit rassemblement d'œuvres, comme je l'ai précédemment signalé, à St-Cénéri-le-Gérei).  

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Benjamin Péret, la riche actualité d'un révolutionnaire surréaliste qui s'intéressait à l'art populaire

Bande-annonce du film de Remy Ricordeau Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret, poète, c'est-à-dire révolutionnaire
 
      Un vent salubre souffle en ce moment du côté de certaines aiguilles qu'il faut ré-aimanter, eu égard à l'actualité encombrée par l'évocation des fanatiques d'obédience musulmane. La figure de Benjamin Péret revient du passé pour nous rappeler aux ordres du merveilleux et de la liberté qui ne souffrent aucun compromis avec les curés et imams de tous ordres. Remy Ricordeau, dont les lecteurs de ce blog ont souvent entendu parler, notamment pour son film Bricoleurs de Paradis, sur des environnements populaires spontanés, que j'avais co-écrit avec lui, a récemment sorti un film documentaire sur Benjamin Péret dans la collection Phares produit par Seven Doc qu'animent Aube Elléouët-Breton et Oona Elléouët.

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Le coffret avec le film de Ricordeau sur Benjamin Péret, coll.Phares, prod. Seven Doc

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Robert Benayoun, inversage sur un portrait de Benjamin Péret, paru dans l'Anthologie du Nonsense du même Benayoun

 
    Il va faire l'objet de plusieurs projections en public, d'abord à Rochefort-en-Terre puis à Nantes:
    Le film sera projeté au Café de la Pente, lieu associatif de Rochefort-en-Terre (dans le Morbihan) le jeudi 28 janvier à 20h, une rencontre avec le réalisateur étant prévue à la suite. 
    On pourra aussi se rendre à Nantes le samedi 30 janvier à 15h, à la Médiathèque Jacques Demy, salle Jules Vallés, où sera présenté le manuscrit des Couilles enragées par Dominique Rabourdin (le livre fait en ce moment l'objet d'une réédition aux éditions Prairialbenjamin péret,seven doc,collection phares,poète révolutionnaire,art populaire et surréalisme,remy ricordeau ; ajoutons au passage que personnellement je regrette l'ancien titre faisant contrepèterie qui avait été choisi paraît-il pour déjouer la vigilance de la censure: les Rouilles Encagées). Cela sera suivi de la présentation des cahiers Benjamin Péret par des membres de l'association des amis de ce dernier. A 21h, ce même jour, au Cinématographe, rue des Carmes, on projettera de nouveau le film de Rémy Ricordeau, Je ne mange pas de  ce pain-là, Benjamin Péret, poète, c'est à dire révolutionnaire. La projection sera suivie d'une rencontre avec le réalisateur. Avis donc à nos lecteurs nantais.benjamin péret,seven doc,collection phares,poète révolutionnaire,art populaire et surréalisme,remy ricordeau
    
    A Paris,  notez une autre projection qui sera organisée par la librairie Quilombo le mercredi 9 mars à 19h45 au CICP, 21 rue Voltaire 75011 Paris (M° Rue des Boulets): http://www.librairie-quilombo.org/Benjamin-Peret,6317
 
   Pour être encore plus complet signalons que le coffret du film est disponible à Paris entre autres à la librairie Publico, à la librairie Quilombo (ces deux librairies vendant également par correspondance sur leur site internet) ainsi qu'à la librairie du Centre Beaubourg (Georges Pompidou), et à la librairie de la Halle Saint-Pierre (où l'on peut trouver d'autres DVD de la même collection Phares, tous consacrés à des figures du surréalisme, en majorité des plasticiens). A Lyon,  on trouvera le DVD sur Péret à la librairie Descours, qui dans sa partie galerie, on s'en souvient, a récemment organisé une expo intitulée "Surréalistes, certes".
 
 
 
Extrait du film Je ne mange pas de ce pain-là, et diffusé entre autres sur le site Arcane 17 de Fabrice Pascaud ; à regarder et à écouter dedans surtout le fragment d'émission de télévision où Max-Pol Fouchet rend un extraordinaire hommage à Péret
 
       L'édition de livres n'est pas en reste pour Péret. Dominique Rabourdin a récemment réuni aux éditions URDLA la Légende des minutes, une étonnante gerbe d'envois et dédicaces diverses et  variées que Benjamin Péret apposait sur ses livres destinés à plusieurs amis et connaissances. Cela pourrait paraître pour de l'écume mais c'est mal connaître Péret qui dans cet exercice atteint parfois à l'haïku surréaliste. A Kurt Seligmann,/La rivière, dans la brume, jouit/des prochaines collisionsà Toyen/ A quoi bon baisser la tête si le ciel est haut?A André Pieyre de Mandiargues/ la grande statue de sel brillant/ au soleil.

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La Légende des minutes

 

        Deux autres ouvrages sortent également bientôt, une réédition du Déshonneur des poètes – ce brûlot contre les ex-poètes surréalistes, devenus communistes staliniens et épris de nationalisme qu'étaient Aragon et Eluard pendant l'Occupation – accompagné d'une réédition de Les syndicats contre la révolution (écrit avec Grandizo Munis) aux éditions Acratie, et une édition d'un récit de Péret peu connu Dans la zone torride du Brésil, visite aux Indiens, sorte de journal de son voyage en forêt amazonienne en 1955. Là, c'est publié aux éditions du Chemin de Fer.

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       Devrait également sortir sous peu une nouvelle édition de L'art populaire au Brésil, autre étude peu connue, qui sera accompagnée de photos inédites de Benjamin Péret, à qui on ne connaissait pas ce talent.

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Une des photos de Benjamin Péret à paraître aux éditions du Sandre

Ce sera publié par les éditions du Sandre, sur lesquelles je reviendrai bientôt à propos d'autres prochaines parutions nous concernant encore plus directement sur ce blog.

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Benjamin Péret face à Gaston Chaissac en 1959, photo de Gilles Ehrmann ; il l'appela le "dandy rustique", appelation qui plut à Chaissac

    On apprendra ainsi peut-être davantage l'intérêt que portait le poète à différents types d'art populaire, aux contes et légendes d'Amérique du Sud, et peu avant sa mort à Gaston Chaissac. S'il avait vécu plus longtemps (il est mort en 1959), qui sait s'il ne se serait pas tourné davantage vers l'art brut? 
 

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Une des citations qui émaillent Je ne mange pas de ce pain là, Benjamin Péret, poète, c'est à dire révolutionnaire
de Rémy Ricordeau, éditions Sevendoc

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Réhabiliter l'art naïf de qualité, trier le mauvais grain de l'ivraie...

       Cela fait déjà un certain temps que je milite pour une revalorisation et un ré-éclairage de la peinture naïve, dont, à mon avis, il faudrait retrancher beaucoup d'artistes trop mièvres, trop systématiques (les petites foules multicolores à la brésilienne, les chats, les natures mortes sans relief, les "cucuteries" comme dit le collectionneur Yankel...), qui ont contribué à dévaluer l'art naïf de qualité.
 

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Louis-Auguste Déchelette

 
      Il faudrait réorienter les projecteurs au contraire sur les insolites (Dechelette), les frustes (Louis Roy), les rugueux (Ghizzardi ; voir ci-contre son autoportrait), Ghizzardi-Autoportrait.jpgles oniriques (Skurjeni, Trouillard, Beranek, certains Haïtiens), les cas-limites que l'on confond avec l'art brut (Séraphine, Emerik Fejes, Ilija Bosilj, Hirshfield, Trillhaase, Bödeker...), sans parler des anonymes insolites et talentueux qui sont présents en maintes collections , etc.
 

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Erich Bödeker, Autoportrait assis sur une chaise, musée de Thurgovie, Suisse.

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Erich Bödeker, groupe, photo transmise par les Amoureux d'Angélique.

ErichBoedekerAmoureud'ang4.jpg

Erich Bödeker, Famille royale (?), photot transmise par les Amoureux d'Angélique.

 

art naïf,

Bruno Bruno, Romantica, huile sur toile, 65 x 50 cm, Lyon, 1973, ph. et coll. Bruno Montpied ; ce tableau a été chiné à l'origine par Jean-Louis Cerisier qui a eu la gentillesse de me le céder.

art naïf,

L. Plé, sans titre (un homme en train de se noyer), huile sur toile, 22,5 x 33,5 cm, sd (milieu XIXe siècle ?), ph. et coll. B.M.

 
       Je parle ci-dessus de "cas-limites". Il y a en effet, de temps à autre, de la part des défenseurs de l'art brut, régulièrement des tentatives de récupération de nombreux artistes ou créateurs qui avaient été jusqu'à une époque classés dans l'art naïf (Séraphine, Scottie Wilson, Joseph Moindre (voir ci-contre les deux tableaux de paysage photographiés par moi à l'Atelier-Musée Fernand Michel de Montpellier), Boix-Vives, Wittlich...), avant que l'art brut développe sa notoriété. Auguste Moindre (2).jpg
     Il serait temps d'adopter la démarche contraire, et de rendre à César ce qui appartient à César.
       Chez les meilleurs Naïfs, à ne pas confondre donc avec l'art mièvre, il y a aussi de l'onirisme et de la distorsion qui assurent un charme incomparable à leurs œuvres où l'imaginaire vient fêter des noces inédites avec le spectacle du motif extérieur. Georges Schmits, en Belgique, s'inspirant de Georges-Henri Luquet, appelait cela du "réalisme intellectuel". Certes on est dans ce que l'on appelle "la peinture de genre" (portraits, paysages, nus, natures mortes), et alors? Ce qu'il y a de passionnant avec ces peintres, qui certes ne dédaignaient pas de se confronter à l'art académique (Rousseau rêvait de s'égaler aux peintres "pompiers", genre Bouguereau et Gérôme), c'est qu'ils sont débordés par des pulsions qui laissent s'exprimer l'inconscient de leur relation au monde extérieur. Le défaut de leur technique, auquel ils remédient par un bricolage personnel, est la première "trahison" de cet inconscient qui suinte... Dubuffet, en repoussant l'art naïf, essentiellement je trouve par décision stratégique – il voulait se distinguer à tout prix d'Anatole Jakovsky qui avait déjà constitué un corpus vaste et varié d'oeuvres d'autodidactes, à l'instar d'autres critiques d'art internationaux (je pense à Otto Bihalji-Merin, Albert Dasnoy, Thomas Grochowiak...) –, a commis une erreur de nature régressive, contrairement aux surréalistes, André Breton en tête, qui admiraient sans séparation auteurs d'art brut ou d'art naïf. Les tentatives de déshabillage de Paul pour donner à Jacques, auxquelles les successeurs de Dubuffet se sont livrés ces dernières années en expurgeant l'art naïf de certains de ses éléments talentueux (Séraphine en est emblématique) ont essayé de corriger et d'effacer l'erreur de Dubuffet. Mais en masquant, ce faisant, la valeur de l'art naïf lui-même.

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Abram Topor, un paysage, collection privée région parisienne (Abram était le père de Roland Topor), photo B. M.

E. Daider (dec par Cl Massé), le Grand Bal, bas-relief en plâtre peint, don famille Michel,1970 (2).jpg

E. Daider, Le Grand bal, bas-relief en plâtre peint, oeuvre découverte par Claude Massé, don famille Michel, Atelier-Musée Fernand Michel,1970 ; ph. B.M. ; cet auteur est inconnu, ce me semble dans le corpus connu de l'art naïf, du moins dans celui qui a été circonscrit par les livres de Jakovsky ou de Bihalji-Merin ; de celui-ci, on consultera toujours avec fruit, pour se faire une idée des plus qualitatives et variées, son monumental ouvrage, rédigé en compagnie de Nebojša-Bato Tomašević, L'Art naïf, Encyclopédie mondiale, paru chez Edita en 1984.

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Horace Diaz se prend parfois pour un sciapode

    Il a 81 ans et il est en pleine forme ce maître cimentier qui avait déjà été repéré dans les années 1970 par Jacques Verroust qui sans citer son nom fit figurer une de ses girafes lourdement vêtue de gros galets dans son livre fameux Les inspirés du bord des routes (1977).Les Inspirés des bords de routes,Ph.JacquesVerroust, Le Seuil, 1978.jpg Il répond au doux nom d'Horace Diaz, et habite Lodève dans l'Hérault. En trente ans la population de ses statues a semble-t-il passablement proliféré, ce qui lui attire des cars de touristes. Je dis "semble-t-il" car je n'ai pas encore eu l'occasion d'aller vérifier de mes propres yeux. Ce sont Martine et Pierre-Louis Boudra de l'association Gepetto (le musée des Amoureux d'Angélique à Carla-Bayle prés des Pyrénées) qui sont mes yeux en l'espèce. Ils m'ont envoyé toute une flopée de photos en guise de reportage sur le créateur.

Horace Diaz, autoportrait, collection Musée des Amoureux d'Angélique, Carla-Bayle, ph.Boudra, 2009.jpg
Horace Diaz, autoportrait monopodique... ph.Association Gepetto, 2009

    Et pour commencer, ils m'ont d'abord fait connaître cet "autoportrait" de monsieur Horace, posé sur une jambe unique, ce qui l'unit furieusement avec le thème du sciapode, n'est-il pas? Le sujet semble l'émoustiller, puisqu'il en a réalisé aussi une autre version plus "potiche"...Horace Diaz, sculpture en ciment, ph.Boudra, 2009.jpg Comme le sciapode de plus, il paraît être sensible au fait de devoir lui associer le personnage mythique féminin qui lui fait pendant, la sirène, justement évoquée dans ma note précédente... C'est du reste un thème souvent traité par les faiseurs d'environnements spontanés. Elle séduit l'imagination aisément cette sirène, elle appelle peut-être aussi les mains façonneuses, par ses seins, et ses courbes ondoyantes faciles à modeler...Horace Diaz, Sirène, ph.Boudra, 2009.jpg A côté de cette figure de la mer, Horace a pensé à ses possibles compagnons les dauphinsHorace Diaz, Dauphin, ph.Boudra, 2009.jpg.

Le monsieur se livre ainsi à l'édification d'une galerie en plein vent des figures qui lui viennent à l'esprit petit à petit. Tiens une girafe,Horace Diaz, girafe et autres animauxs, ph.Boudra, 2009.jpg puis si je faisais un chien, un cygne, un éléphant, un crocodile...?Horace Diaz, un crocodile, ph.Boudra, 2009.jpg De proche en proche, Horace Diaz se coule dans la peau d'un Noé se reconstituant une arche pour un improbable déluge (quoique pas si improbables que cela les déluges dans l'Hérault...).

     A la différence d'autres bricoleurs de décors faits maison, il ne se sert pas de matériaux issus de son environnement immédiat, il ramène ses galets en particulier du sud de l'Espagne (quoique la veine paraisse s'y tarir, je tiens ces informations de l'association Gepetto). Horace Diaz en use immodérément de fait, recouvrant avec aussi bien ses oeuvres que ses meubles, ses portes... Ses mosaïques présentent un aspect un peu moins fin que dans le cas d'un Picassiette mais sans doute plus solide sur la durée (et plus doux à  ce qu'ont ressenti les Boudra).

Horace Diaz,et Piere-Louis Boudra, ph.Martine Boudra, 2009.jpg
Statue d'un tailleur de pierre (?), Horace Diaz le protégeant de son parapluie, et Pierre-Louis Boudra, ph.Martine Boudra, 2009
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    A cette note, ajoutons une précision, qui s'avère une découverte tout à fait surprenante et une révélation. Je la dois à M.van Hes, l'animateur émérite du blog cousin de nos préoccupations Outsiders Environments Europe  (voir le lien dans notre liste de liens colonne de droite).  Dans le commentaire qu'il a nous a laissé ci-dessous, il nous apprend en effet que le sculpteur barbu représenté ci-dessus par Horace Diaz est très probablement Paul Dardé, vedette à Lodève où il est connu entre autres pour le monument aux morts anti-conformiste qui se trouve prés de la mairiePaul Dardé, monument aux morts de Lodèveve.jpg. En cherchant sur la toile, j'ai découvert l'oeuvre de ce sculpteur que je ne connaissais que par ouï-dire. Un site consacré aux monuments aux morts pacifistes (décidément on trouve tout sur la Toile) nous signale que l'homme était un antimilitariste qui s'était pour cette raison spécialisé dans la sculpture des monuments aux morts, malin, non...? Il est notamment connu pour un autre monument aux morts qui fit scandale à Clermont-L'Hérault, où il représenta à côté du cadavre d'un Poilu une femme lascivement étendue à ses côtés, le veillant nue, assurant à ses mânes le soutien des filles aux moeurs pas si légères aprés tout...Monument de Clermont-L'Hérault, ph.Site Monuments aux morts pacifistes.jpg L'artiste a de la force en tout cas, lui qui écrivait en 1931 à un de ses amis: "Je sculpterai non pas pour ce monde puant et civilisé, mais pour les solitudes... Où ? Vous le savez : je travaillerai, à l'avenir, pour le Larzac"...
      Il me revient vaguement que j'avais trouvé autrefois une carte postale montrant une des sculptures insolites de ce Paul Dardé. Je vais tâcher de la retrouver pour l'insérer à la suite de cette note. En tout cas, il est tout à fait passionnant de noter cette proximité, cet hommage rendu par un sculpteur autodidacte, Horace Diaz, à un sculpteur professionnel du temps passé. Ce n'est pas la première fois, on se rappellera par exemple le peintre autodidacte François Baloffi (qui n'habitait pas loin, défendu du côté de Perpignan par Claude Massé) qui avait représenté dans certaines de ses peintures sur nappe cirée le célèbre Catalan Pablo Picasso...
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     Et voici que j'ai retrouvé la carte postale ancienne qui représente une oeuvre tout à fait insolite et puissante de Paul Dardé (la carte ne porte que le nom "Dardé" mais ça ne peut être que de Paul...), une "Tête aux serpents", peut-être la célèbre Gorgone de la mythologie gréco-latine. A la regarder attentivement, on se dit que la qualification parfois décernée à Dardé par certains historiens d'art, que sa sculpture porterait la marque d'une sorte de "naturalisme surréaliste", n'est en réalité pas du tout aventurée...
Dardé,TêteAuxSerpents.jpg

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