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12/02/2008

Des sablières aux trésors cachés

    Enfin un très joli et très précieux livre sur les sablières des églises bretonnes!

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    Il y avait bien eu en 1997 une thèse de doctorat due à  Sophie Duhem et publiée aux Presses Universitaires de Rennes ("Les sablières sculptées en Bretagne"), thèse qui a redonné un coup de jeune à la recherche sur les décors sculptés de ces sablières.db883ca9bf04d5c971ff32f59bf764fa.jpg Il y avait eu, il y a plus longtemps, les ouvrages de Victor-Henry Debidour sur l'art de Bretagne, qui causaient  des sablières succinctement au détour d'un chapitre, sur un ton parfois assez ambivalent ("Ce n'est pas là du grand art", écrivait-il des sablières, leur préférant les ciselures des jubés, conditionné qu'il était à apprécier d'abord l'art plus académique ou manifestant plus de maîtrise et de virtuosité, et rabaissant par suite l'art plus simple, plus direct). La collection Images du Patrimoine de l'Inventaire général des Monuments artistiques de la France, de son côté, rarement consacre une page ou deux à ce genre de création marginale, comme dans le cas par exemple du fascicule consacré à la Vallée du Blavet et au Canton de Baud dans le Morbihan.

     D'innombrables petites plaquettes sont bien sûr consacrées aux églises bretonnes avec de ci de là quelques photos de sablières, mais cela fait désordre. Et puis il y a les cartes postales... Les photos personnelles qui s'avèrent vite impossibles à réaliser correctement parce que les sablières, qui sont des poutres à la lisière des charpentes comme on sait, sont bien trop hautes, cachées dans la pénombre qui plus est...476742849383d6e686af3d9ceedb76cf.jpg On ne peut en faire que dans les chapelles aux murs bas, comme dans la rare chapelle Saint-Côme à Saint-Nic au bas des Monts d'Arrée, où, chance!, les sablières sont étranges, expressives et rigolardes, (mais il manque encore et toujours quelque chose, une lumière bien disposée par exemple).

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     C'est pourquoi je dis "enfin!", devant le livre de Claire Arlaux (l'auteur) et d'Andrew Paul Sandford (le photographe), "Trésors cachés des sablières de Bretagne" qui est paru en octobre 2007 aux Editions Equinoxe (Collection Impressions du Ponant, formats des livres à l'italienne), sympathiquement basées dans une ville qui est bien loin de la Bretagne, St-Rémy-de-Provence... Enfin un éditeur (ici régionaliste) et des auteurs qui ont le minimum d'audace requis pour se lancer dans un tel défi artistico-éditorial. Il est certain que l'essor de l'intérêt pour l'art brut et les arts primitivistes en général n'est pas étranger à  ce genre de tentative.

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Sablières dans l'église du Croisty (Morbihan), certains sujets étant présentés vus de haut (le cerf traqué) à côté d'autres vus de profil (les chiens traquant le cerf), photo Andrew Paul Sandford

      Sandford se consacre à photographier la Bretagne, ses paysages et son patrimoine, depuis plus de 30 ans, nous dit-on... Il a ici livré une impressionnante série de clichés pris dans les meilleures conditions d'éclairage et de proximité qui puissent être, rendant l'accés aux décors des sablières le plus confortable du monde. Etonnants décors où la fantaisie et la truculence, la satire et la caricature aussi, parfois anti-cléricale (oui, dans l'église même...), le tempérament métaphysique se donnent libre cours dans des dimensions restreintes qui contraignent les charpentiers sculpteurs de ces poutres à des acrobaties formelles et des solutions plastiques qui les rendent cubistes avant la lettre, en tout cas furieusement modernes bien avant l'heure (Debidour situait la durée de l'art des sablières sculptées depuis 1450 à peu prés jusqu'après 1660, même si bien sûr ici ou là on continua d'en faire jusqu'au XIXe siècle). Bien souvent, on pense en les voyant que leurs auteurs devaient s'occuper, en d'autres moments de leurs commandes, des figures de proue des navires, tant les analogies de style et de figuration viennent à l'esprit naturellement.

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Etonnante sablière où le personnage de droite ressemble à des profils que l'on retrouve fréquemment dans l'art populaire des graffiti, voire dans l'art brut ou singulier (je pense à Gaston Mouly en particulier)

    Le livre est donc avant tout un magnifique album d'images hésitant à être caractérisées comme naïves  ou primitives, voire comme brutes. Un album fatalement vital qui bouleversera nos solitudes modernes de son petit monde coloré et cordial, incroyablement plus proche de l'humain que ne le pourront jamais faire toutes les froides élucubrations actuelles de nos média.

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Photo Andrew Paul Sandford

    Un défilé de trognes colorées de toutes formes, souvent proches d'un certain archaïsme, alterne avec des saynètes de tous ordres, proverbes ou dictons illustrés, ex-voto à d'autres moments dirait-on (le paysan que renverse un attelage de boeufs tirant la charrue). Un bestiaire réaliste ou symbolique

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 s'en donne partout à coeur-joie, ainsi que des évocations mythologiques empruntées aux différentes cultures européennes, celtiques ou gréco-latines. On trouve toutes sortes de personnages dans ces petites églises bretonnes qu'il faut avoir la curiosité de visiter tant les surprises s'y cachent à coup sûr, en dépit d'un aspect extérieur parfois si modeste et bénin qu'on ne les perçoit même plus dans le paysage. Ogres (comme dans la chapelle de Locquémeau à Trédrez, dûs au sculpteur Jean Jouhaff au début du XVIe siècle), contorsionnistes scatologiques ou obscènes,

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 dragons, angelots et masques grotesques, pirates, elfes, enfants tels des petits singes roses jouant à la balançoire,c8cf117ba6d4905e28f8fdcd31554b11.jpg paroissiens aux faces de guignols peinturlurés de façon criarde, animaux musiciens, constituent comme un carnaval évoquant l'imagerie populaire et ses thèmes de prédilection comme les scènes du "Monde à l'envers" ou l'univers du Roman de Renart. Cela n'est pas très éloigné non plus des petites histoires racontées sur les frontons de ruches slovènes, dont j'ai parlé dans ma note du 26 août 2007.

    La situation marginale dans l'espace religieux de ces sculptures étonnantes signale aussi une représentation des péchés à ne pas commettre, selon la doctrine chrétienne, avec leurs ivrognes et leurs bacchantes dont les soi-disant vices, d'être montrés avec la volonté de les stigmatiser, deviennent dialectiquement aussi bien des exemples qu'on pourrait suivre...

     Ces sculptures ne sont pas sans rappeler les oeuvres colorées et grotesques des arts singuliers, brut, naïf, hors-les-normes, etc, qui attirent tant d'amateurs aujourd'hui, les précédant cependant de plusieurs siècles et nous indiquant que l'on a donc affaire avec elles à une sorte de tradition expressive populaire très immédiate, joyeuse et truculente.

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     Et comme elles, parfois (je pense à la discutable restauration ripolinesque du site de Fernand Châtelain à Fyé dans l'Orne), on se demande si les sablières n'ont pas été restaurées à certains endroits, semble-t-il peu nombreux, avec un zèle qui s'exprime dans l'emploi de couleurs peut-être un peu trop criardes. Cela a pour effet d'aplatir la délicate naïveté, la simplicité toute en nuances des saynètes (voir dans le livre les sablières de Treflevenez, de Ploerdut, de Landerneau -qui fait dans le rose bonbon très pâtissier, à moins que ce ne soit un effet pervers des retraitements d'images sous Photoshop?- ou celles de la chapelle Notre-Dame de Lospars à Châteaulin, dont les statues ressemblent furieusement au mauvais goût des santons provençaux, très kitsch).

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Commentaires

un bien joli livre en effet et qui donne envie d'aller voir sur place ; j'aimerais bien que les auteurs viennent faire un tour en normandie, il y a des églises avec des rageurs et autres décors qui devraient les intéresser

Écrit par : P. Herman | 28/02/2008

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Bonjour Mme Herman, qu'est-ce que c'est un "rageur"?
Pourquoi ne pas en parler de ces églises normandes ("p't'ête ben que oui, p't'ête ben que non"?) sur votre propre blog? Ce sont bien d'autres "inspirés" des bords des routes, plusieurs siècles avant les patentés (et les patenteux de nos amis québécois), non?

Écrit par : Le sciapode | 29/02/2008

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les rageurs ou avale-poutres sont des têtes de monstres aux extrémités des sablières ; on ne les voit pas seulement sur les églises mais aussi sur les maisons à colombages ; je cherche une illustration à joindre mais n'en ai pas trouvé pour l'instant ; sinon je pourrai scanner peut-être une photo argentique d'un manoir augeron

Écrit par : P. Herman | 01/03/2008

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Ah bien, "rageurs", "avale-poutres", c'est bien joli, je trouve. Je n'avais qu'"engoulants" jusqu'ici, que j'avais tendance à confondre avec "engoulevents", ce qui n'est pas totalement fortuit, puisque les dictionnaires nous apprennent que c'est le genre d'oiseau qui vole la nuit le bec grand ouvert et qui ramasse comme ça tout plein d'insectes sans coup férir, un grand paresseux qui avance la gueule ouverte, vous voyez ça... Plutôt marrant. L'"engoulant" des poutres d'églises avance en vol stationnaire et ne ramasse que des poutres, lui...
Bon, à quand votre anthologie d'avale-poutres, Pascale Herman. des promesses, toujours des promesses, mais à quand l'action? Faut pas dire: je vais faire, il faut le faire, c'était le conseil sciapodique du jour.

Écrit par : Le sciapode | 02/03/2008

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En attendant ma photo de rageurs, voici un lien
http://www.etab.ac-caen.fr/ecauge/ecoles/dossiers/Cheminf/Pretrev/manoir.htm
qui vous montrera le joli manoir augeron où j'ai pris cette photo de rageurs ; en plus on y est bien reçu et on peut y goûter de bons produits.

Écrit par : P. Herman | 05/03/2008

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Je pense que la référence incontestable dans le domaine des sablières de Bretagne restera l'ouvrage de Sophie Duhem : thèse extraordinaire à lire et à relire avec passion. Quant aux photos de cette page, celles de Tréguron en Gouézec, de Saint-Côme en Saint-Nic, de la chapelle Saint-Pierre en Plogonnec et de Notre-Dame de la Croix à Plélauff, elles ne sont, ici, que le pâle reflet de la réalité...

Écrit par : kergranit | 30/09/2008

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Merci M.Kergranit de votre commentaire. J'ai le tort (ou l'avantage, c'est selon) de pratiquer l'esprit de l'escalier. Je ne pense qu'en janvier de cette nouvelle année 2009 à ce que j'aurais dû vous rétorquer.
Les photos de ces pages sont effectivement - je suis le premier à le penser, croyez-le bien! Tout cela est fait à dessein... - "le pâle reflet de la réalité". Comment pourrait-il en être autrement? J'ai envie de propulser mes lecteurs vers la Bretagne des petites églises et chapelles naïves. Ce blog n'est là que pour l'amorce, allécher, mettre sur les routes, ouvrir des pistes... Vous l'avez bien compris.

Écrit par : Le sciapode | 16/01/2009

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Comment osez-vous écrire cela ! Les petites chapelles de Bretagne ne sont pas "naïves", mais sont tout simplement "l'image" de nos anciens... Art populaire oui !!!!

Écrit par : Narkis Morgane | 29/05/2009

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Le mot "naïf" pour moi ne revêt aucun sens infâmant, tout au contraire. C'est à mes yeux le génie de rendre d'une façon excessivement directe tout le charme de l'existence brute, la poésie immédiate de la vie. Naïf ou ingénu sont des vertus que j'admire. Il me semble que ma note, et tant d'autres sur ce blog, le démontrent sans cesse. Alors, veuillez lire plus attentivement, je vous prie. Ces artisans, vos anciens, et en même temps les anciens de tous les poètes de Bretagne ou d'ailleurs, avaient les yeux clairs, voilà tout... Et ne chipotons plus sur les mots. Le sens de mièvrerie ou de culculterie attaché à ce mot de "naïf" est une imposture que je ne partage pas du tout. Naïf n'est pas une réduction, c'est tout le contraire.

Écrit par : Le sciapode | 02/06/2009

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Accoler naïve au mot chapelle est maladroit contrairement à votre « subtile » et longue justification… L’architecture naïve par définition n’a pas de but fonctionnel : toute chapelle en Bretagne en a une, le culte y étant toujours affectataire de nos jours…
Je vous invite à un petit périple en Bretagne « non touristique » afin de porter un jugement en connaissance de cause et venir savourer le patrimoine architectural laissé par nos ancêtres !
Kenavo

Écrit par : Narkis Morgane | 05/06/2009

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Votre conception de la "naïveté" est bien rigide et ne souffre d'aucune remise en question à ce que je vois. Seriez-vous quelque peu dogmatique et par dessus le marché légèrement nationaliste bretonne? Ce qui expliquerait votre susceptibilité à l'égard des chapelles naïves à l'ombre desquelles comme on le constate une fois de plus il reste toujours aussi difficile de penser librement...

Écrit par : Le sciapode | 05/06/2009

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Eh allez zou! c'est reparti, les polémiques infinies sur les catégories artistiques naïves, populaires ou brutes... Quand de surcroît on y sent mêlé le bon vieux relent de sarrasin du patriotisme de terroir, on entre dans le vif historique du sujet... Hélas.
Régis Gayraud
PS : Y a-t-il une fonctionnalité à la sablière décorée, je vous demande?

Écrit par : Régis Gayraud | 11/06/2009

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Prendre l'opposé de ce qui paraît faux ne résout rien ....

Écrit par : Le Philosophe | 29/06/2009

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J'ai acheté votre livre et je suis très satisfait de son contenu, c'est du beau travail.
MAIS: je suis surpris par la saturation des couleurs qui me choque énormément. Pour exemple je prends l'Église de COMBRIT (que je connais bien ; je crois vous y avoir rencontré). Les sablières polychromes ont des teintes pastel et non pas des couleurs vives telles que vous les avez travaillées avec un logiciel photo. J'ai réalisé un DVD sur l'Art religieux pour la paroisse de Combrit et mes images des sablières reflètent la réalité.
Mais ce que vous avez fait est remarquable.

Écrit par : CARIOU Gérard | 20/02/2011

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A Gérard Carriou:
Il va de soi que votre commentaire s'adresse avant tout aux auteurs du livre que je n'ai fait que commenter et recommander ici sur ce blog. Le Poignard subtil n'est pas l'auteur, en l'occurrence, seulement un passeur.
Ce que vous dites des couleurs vives qui ne vous paraissent pas refléter la réalité, fait écho à ce que je dis dans mes commentaires.
Et si vous m'envoyiez des images de vos sablières telles que vous les avez perçues?
Merci de votre attention.

Écrit par : Le sciapode | 20/02/2011

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