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23/04/2013

Du côté de Lausanne (nouvelles de la Collection d'Art Brut, expo James Edward Deeds...)

     Ça bouge à Lausanne. La nouvelle conservatrice est donc Sarah Lombardi... Tandis que Lucienne Peiry continue d'être la "Directrice de la recherche et des relations internationales de la Collection de l'Art Brut". Les expositions du moment sont consacrées, toutes les deux du 15 mars au 30 juin, d'un côté à James Edward Deeds (un temps surnommé "The Electric Pencil", "le Crayon Electrique", surnom qu'on lui donna d'après des inscriptions retrouvées sur ses dessins et avant qu'on ne découvre sa véritable identité) et de l'autre à Daniel Johnston.

 

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James Edward Deeds, Miss Laben (recto), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm. Photo : Atelier de numérisation, Ville de Lausanne. Collection de l’Art Brut, Lausanne ©2010 Electric Pencil Press


          Lucienne Peiry a décidé depuis quelque temps de mettre en ligne à l'usage des amateurs ce qu'elle appelle ses "Notes d'art brut", ensemble d'articles de presse, d'agenda des rencontres et autres conférences nombreuses que donne et organise notre ancienne conservatrice de la collection d'art brut, et également des découvertes les plus récentes qu'elle fait d'auteurs d'art brut (Lucienne Peiry, qui connaît son sujet, maintient en effet, à juste titre, la notion d'auteur d'art brut, qui se distingue, sans qu'elle insiste outre mesure dessus, de la notion "d'artiste" d'art brut que tant de plumitifs approximatifs emploient en ce moment à tire-larigot).

 

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James Edward Deeds, The Black Snake (recto), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation, Ville de Lausanne, Collection de l’Art Brut, Lausanne
©2010 Electric Pencil Press (apparemment le bateau ici représenté n'est pas un navire imaginaire mais existait bel et bien, cf. le film visible sur le site electricpencildrawings.com


         La nouvelle conservatrice, Sarah Lombardi, paraît avoir été en charge du concept de la nouvelle double exposition, Deeds/Johnston. L'expo du deuxième, musicien atypique, chanteur folk passablement excentrique (une sorte de Neil Young cabossé à la voix chevrotante et fragile comme du verre, faisant parfois l'effet d'un ongle griffant une vitre...), était déjà passée à Nantes l'année dernière au Lieu Unique. On devait passer à côté pour aller voir les projections du "Week-end Singulier" de cette année-là. Sarah Lombardi a dû découvrir les dessins de Daniel Johnston à cette occasion. Je me souviens que je lui avais demandé à cette occasion (avril 2012, il y a juste un an) ce que devenait la Collection Neuve Invention qui est comme une poupée russe enclavée au sein de la collection de l'Art Brut, mais dont on n'entendait plus trop parler.

    On sait que selon Dubuffet et Thévoz, ce département devait rassembler tous les cas-limites situés entre art brut et "arts culturels". Or j'apprends dans un encart du site internet de la Collection, que Sarah Lombardi a décidé de redonner un peu de lumière sur cette Collection Neuve Invention... dans laquelle elle range Daniel Johnston. Cela m'a fait l'effet d'une curieuse réponse indirecte et décalée dans le temps. Pour elle donc, la Neuve Invention continue, comme entité à part de la collection princeps sans doute, ce qui à mon humble avis reste une bonne chose et évite les amalgames et les confusions à l'œuvre ces temps derniers. D'autant plus lorsque l'œuvre graphique d'un Johnston qu'on expose à Lausanne reste plutôt de l'ordre du faible et du médiocre (pour moi ce dernier est bien plus surprenant comme musicien que comme graphiste...).

 

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James Edward Deeds à l’âge de 7 ans, 1915, photographe non-identifié


      Rien à voir avec l'extraordinaire oeuvre dessinée de James Edward Deeds (1908-1987), interné depuis 1936 jusqu'à la fin de sa vie, dont on retrouva les dessins exécutés sur des bordereaux de son asile, cousus dans un livre fabriqué à la main, qui a fait l'objet d'un magnifique reprint aux USA (on peut le trouver par ici, par exemple à la Halle Saint-Pierre à Paris), reproduisant il me semble quasi intégralement ces chefs-d'oeuvre d'art naïf (au sens sublime du mot). Quelle suavité, et quelle enfance du regard préservée, se présentent à nous à cette occasion. S'il est un exemple d'art du plus pur immédiat, c'est bien chez James Edward Deeds qu'il faut aller le chercher. Ce livre, cet album de croquis au charme puissant fut sauvé par un enfant qui l'exhuma d'une poubelle où il allait s'anéantir. Que ce soit un enfant qui se chargea de ce sauvetage doit nous convaincre de la mystérieuse complicité qui s'établit par l'esprit entre candides de tous âges.

 

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James Edward Deeds, States Attorney (verso), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation - Ville de Lausanne, Collection de l'Art Brut, Lausanne, ©2010 Electric Pencil Press

 

    Un véritable obsédé des plumes, cet extravagant Mr. Deeds, et pourquoi pas si l'on songe à l'extraordinaire pouvoir métamorphique de cet élément naturel...? Et ces yeux, ces yeux, entièrement baignés de la lumière des voyants, noyés de songes... Deeds tirait le portrait des gens qui l'entouraient, et des animaux aussi, certains peut-être vus à la faveur d'un cirque ayant débarqué dans sa campagne et qu'on avait laissé voir aux pauvres fous pour les distraire un peu. Il dessinait le tout dans une sorte de carnet de bord qui fait un peu penser au livre de croquis de Marguerite Bonnevay que j'ai chroniqué sur ce blog naguère.

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James Edward Deeds, sans titre (verso), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation - Ville de Lausanne, Collection de l'Art Brut, Lausanne, ©2010 Electric Pencil Press



Commentaires

Deux fois aujourd'hui, j'ai eu les larmes aux yeux. Deux fois ce matin, à une heure d'intervalle, le temps de visiter deux étages de la Collection de l'art brut, deux artistes américains m'ont ému plus que de raison. Je viens de voir cette superbe exposition Deeds, ainsi que l'exposition Charles Steffen du deuxième étage, et par la même occasion le nouvel accrochage de la collection, et voici le concentré de mes rêveries. Deeds est sans conteste une de ces révélations artistiques qui font violemment résonner votre être sensible comme il en existe une tous les cinquante ans, et encore. Il faut être aveugle pour ne pas voir le génie de cet homme. Observez de près la représentation de la plume noire du chapeau de sa belle-soeur. Et regardez ces pupilles dirigées vers l'intérieur. Steffen est un dessinateur hors pair, un graphiste incroyablement sûr, et qui, par contraste, semble tellement peu certain d'avoir raison, que dans ses textes, il invoque Dieu en permanence. L'humilité qui suinte de ses écrits que je relis ce soir dans ma chambre d'hôtel à Ornans est absolument extravagante. Ces deux là ont été martyrisés par la société. Non, pas par la société, celle-ci a bon dos, mais par la sainte famille, cette épouvantable sainte famille, le creuset de toutes les angoisses (cher Sciapode, vous connaissez ma boutade : n'emprisonnez pas les assassins, incarcérez leurs mères). La soeur de Steffen lui faisait régulièrement brûler ses dessins; Deeds était régulièrement martyrisé par des électrochocs, lui qui semblait le plus doux des hommes. C'est son père, son père! - moi qui suis père, cela me parle et me martyrise doublement ! - qui l'a fait interner, pour une bête histoire de bagarre avec son frère, ce frère qui est photographié avec lui, sur un banc de l'asile, le bras sur l'épaule! Tous, et les deux artistes (et le frère, et même peut-être la soeur et le sinistre père, sont des victimes) qui, aujourd'hui, m'ont donné terriblement envie de pleurer. Et en même temps, il y a toujours ce cruel paradoxe qui fait que c'est cette souffrance-là qui les a élevés.
Tout ça pour dire que la collection de l'art brut n'a jamais, me semble-t-il, été aussi mûre qu'aujourd'hui. Je n'y vais pas très souvent. j'y ai vu la belle exposition Darger, j'y ai été en 2004 au moment d'Ecritures en délire. C'était mignon, c'était propret, mais j'ai comme l'impression qu'il y a une belle tenue aujourd'hui, un souffle neuf que je mettrais bien au crédit de nouvelles équipes... Miss Lombardi?
Par contre, attention au toit : ça m'inquiète, ces coulures d'humidité autour des tableaux médiumniques de Lesage, et la tache d'eau qui a emporté un bout de la frise de Pepe Vignes n'est pas de bon augure. Il faudrait faire passer d'urgence un couvreur. L'helvétique collection a les moyens, je pense?

Écrit par : Régis Gayraud | 29/07/2013

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Cher Monsieur,

merci mille fois pour votre témoignage. Quant au mur en question, il fait actuellement l'objet d'une rénovation afin d'accueillir à nouveau les oeuvres de notre collection comme il se doit!
Meilleures salutations.

Écrit par : sarah lombardi | 28/08/2013

Sarah Lombardi, puisque vous nous faites l'honneur de croiser par cette colonne, pourriez-vous répondre à cette autre question que je pose dans la note ci-dessus, à savoir que devient selon vous la collection Neuve Invention? Est-elle toujours distincte de la collection princeps d'art brut, où les deux se retrouvent-elles mixées?
Je suis aussi passé visiter, comme monsieur Gayraud, la collection en juillet (pour voir enfin l'expo Deeds) -effectivement, l'accrochage nouveau était fort beau, fait de grands classiques (j'ai été content de découvrir enfin pour de vrai les médaillons de ciment de Salingardes, et les dessins extraordinaires d'Heinrich-Anton Müller notamment)- et j'ai vu accrochées aux cimaises du Château de Beaulieu au moins trois œuvres relevant plutôt de la Neuve Invention (dont un Verbena) qui ne comportaient aucune légende informant le public que ces œuvres appartenaient à une collection appelée longtemps "annexe" par Dubuffet. Elles étaient accrochées au milieu de la collection permanente d'art brut.
Alors? Qu'en penser? Pourriez-vous nous éclairer là-dessus? Merci d'y penser.

Écrit par : Bruno Montpied | 30/08/2013

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