01/09/2017
Art brut en Chine populaire ?
La question se pose depuis quelque temps, depuis peut-être la découverte de Guo Fengyi et de ses femmes visionnaires émergeant au sein d'arabesques fleuries. Des centres d'art pour "malades mentaux" et sans doute aussi pour handicapés mentaux, existent ; le blog CN KICK (article de Lauriane Roger-Li), féru de culture contemporaine chinoise, cite par exemple le Nanjing Outsider Art Center (voir ci-contre une œuvre de Ba Zi publiée sur le site CN KICK) et le Today Art museum, mais on peut se demander si l'art qu'on y défend ne proviendrait pas avant tout d'ateliers, comme c'est le cas en Europe, à Gugging en Autriche par exemple (où, certes, il y a des créateurs talentueux mais qui reflètent un style "Gugging", dû peut-être avant tout au matériel mis à la disposition des auteurs) ou ailleurs en Asie, comme au Japon, où une bonne partie des productions proviennent d'ateliers pour handicapés. L'art produit dans des hôpitaux, ou des locaux mis à disposition par des ONG comme en Chine, à notre époque, est médiatisé par l'entourage du créateur qui le stimule. Ce qui, on se le rappelle, est contradictoire avec les critères de l'art brut envisagé dans son sens strict, puisqu'il s'agit d'une expression autarcique, coupée de toute influence artistique, émanant d'un individu secret ne cherchant pas a priori à communiquer ses œuvres.
En ce qui concerne ce que l'on appelait "l'art des fous", jusqu'à la moitié du XXe siècle, dans les hôpitaux français, on ne s'intéressait pas de très près aux productions sauvages des malades, productions qui ont constitué une partie de la collection d'art brut montée après la seconde guerre par Jean Dubuffet, grâce aux dons que lui consentirent plusieurs psychiatres collectionneurs. On ne s'y intéressait guère et on ne cherchait pas à l'encourager particulièrement, on s'en servait plutôt comme matériel de diagnostic. Cela changea par la suite avec l'art-thérapie. On encouragea, on stimula, on créa des galeries, des circuits de vente, ce qui perturba l'appréhension de cet aérolithe créatif qu'était l'art brut tel qu'envisagé au départ par Dubuffet. C'est cette attitude en vogue dans les milieux asilaires que l'on retrouve aujourd'hui en Asie, semble-t-il. En outre, la confusion est entretenue, en Europe, par certains marchands d'art brut désireux de mêler l'art brut à l'art contemporain, et bien entendu cela n'aide guère à s'y retrouver....
Œuvre de Li Zhongdong sur le "Facebook" de la BHN 7.
La Biennale Hors-les-Normes propose du 29 septembre au 7 octobre prochains une sélection de créateurs chinois, dans les locaux de la MAPRAA (9 rue Paul Chenavard, 69001 Lyon). "Art brut raffiné de Chine", cela va s'appeler. On notera le jeu de mots sans trop saisir l'intention, s'il y en a une, qui se cache derrière... Des noms sont jetés en pâture pour les amateurs : Zhang Qifeng, Zhou Huiming, Li Zhongdong, Fen Cangyu, Li Jie, Jian Jian, Pin Fang, Qi Wen, Qiao Yulong, Shi Zhiwei, Yang Chuanming, Yang Min, Yue Yue, Zheng Donghui, Feng Ying et Li Changsheng... Mais – n'est-ce pas ? – je ne pense pas que cela dise grand-chose à personne par ici, à moins d'être un proche des trois personnes citées par la BHN comme étant ceux avec qui elle a étroitement collaboré "depuis six ans" pour l'organisation de cette exposition : "Zhang Tianzhi, Guo Haiping, fondateur de l’atelier Outsider, et Liu Sammi, fondateur (sic? Car il semble que ce soit plutôt une "fondatrice") du festival «Almost Art Project»". Sur ces gens-là, on n'apprend pas non plus grand-chose dans le programme de la BHN, 7e du nom, à part peut-être à partir des mots "Almost art project" qui renvoient à un site internet chinois (muni de quelques traductions en anglais). Les animateurs qui sont derrière, semble-t-il des professionnels de la communication culturelle, paraissent s'intéresser à la fois à "l'outsider art" (sans donner beaucoup d'exemples), aux comic's, et au street art, joyeux mélange qui signe une tendance plutôt "contre-culturelle" donc...
Sur le site internet d'Almost Art project, on trouve une photo en faible résolution montrant Liu Sammi (ou Sammi Liu...), une femme donc apparemment, interviewée devant un éclectique rassemblement d'œuvres de styles bruto-naïvo-singularo-autodidactes... pas vilaines a priori...
Il faudra donc aller à Lyon. Le Poignard Subtil fera le voyage et tentera de vous en dire plus.
18:45 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : bhn7, biennale hors-les-normes, lyon, art brut chinois, almost art project, mapraa, liu sammi, li zhongdong, art brut raffiné de chine, ba zi, gugging, guo fengyi | Imprimer
Commentaires
Les organisateurs sont eux-mêmes des artistes. Guo Haiping par exemple est un artiste contemporain reconnu en Chine qui avait fait l'expérience d'aller enseigner les techniques de dessins et de peinture pendant 3 mois dans un hôpital psychiatrique.
Je le connaissais comme ayant été le fondateur du "Nanjing natural art center" qui était un centre privé qui accueillait des handicapés mentaux pour les faire travailler à la création d'œuvres. Voir cette série d'articles parus sur le Global Times (qui est l'organe officiel de l'Etat chinois en anglais):
http://www.globaltimes.cn/special/2011-01/615113.html
Et de manière plus concise dans celui-ci:
http://old.newschinamag.com/magazine/creative-freedom
Il semble donc que, depuis, il a créé l'atelier Outsider. Je ne sais pas si l'ancien centre existe toujours et si cet atelier lui a succédé. Ce qui est sûr, c'est que les conceptions de Guo relatives à l'art brut, il y a quelques années, étaient plus proches des conceptions japonaises (art des handicapés mentaux) et de l'esprit "outsider" américain que de la conception européenne (art spontané ou immédiat).
Écrit par : Li Heimi | 01/09/2017
Répondre à ce commentaireMerci de cet excellent commentaire, fort éclairant, et donnant des pistes de recherche et d'information utiles aux amateurs non sinophones. J'ai lu pour le moment "en diagonale" certains des articles que vous mentionnez. M'a frappé notamment l'évocation de ce peintre, frère de Guo Haiping, devenu fou "après avoir lu durant trois jours et trois nuits les œuvres choisies" du président Mao. Je me suis dit qu'il me serait probablement arrivé une chose équivalente si on m'avait obligé à accomplir le même acte!...
Et puis, quelle n'a pas été ma consternation en lisant qu'en Chine populaire près de un habitant sur treize (énorme!) était atteint de troubles mentaux... Que cela ferait environ cent millions de personnes touchées! On comprend, dans ces conditions, que tout soit fait là-bas pour trouver des solutions et notamment qu'on explore la piste des ateliers d'art-thérapie. Mais, je maintiens mon point de vue, en faisant cela, on s'éloigne de ce que recherchait Dubuffet derrière la notion d'art brut.
Écrit par : Le sciapode | 02/09/2017
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