13/02/2024
Sur la berge, au bord du gouffre
Un paysage m'a sauté aux yeux récemment, mais quelle pauvre livrée, il avait - matériellement parlant – avec son méchant support gris en carton, un peu déchiré dans un angle à l'arrière, ses taches de je ne sais quel pigment brun ici et là, aux pourtours de la composition, ses piqures dues à la dégradation de la cellulose de son support, ses traces de griffures légères, son aspect brumeux...
Anonyme, provenance USA, crayon? Fusain? Rehauts d'aquarelle blanche?, sur papier cartonné, 35x42,5 cm, ph. Bruno Montpied, 2024.
Tout à fait le genre de pièce invendable, en particulier dans une vente aux enchères, où l'on brille assez peu par l'audace des œuvres proposées aux collectionneurs (on y aime assez peu, de plus, les pièces anonymes, car pas de spéculation possible). Et pourtant... En dépit de tous ses stigmates, ses blessures, ses horions, l'œuvre a un charme indéniable.
Deux enfants, semble-t-il, se tiennent au bord d'une rivière. Le courant impétueux s'écoule vers une chute d'eau, ceignant la composition sur deux côtés. On devine un frêle esquif à la surface de l'onde, tout près de basculer vers le précipice. Ce petit bateau à la voile carrée blanche a-t-il été mis à l'eau par le garçon (à moins que ce ne soit une fillette: il/elle a les cheveux longs), à droite (se tenant bizarrement comme flottant sur l'eau ; est-ce qu'il/elle aurait déjà mis le pied dans l'eau?), ou par cette petite fille, à gauche, qui lève le bras en direction de son compagnon (sa compagne?), semblant l'exhorter à sauver la coquille de noix? Son bras est-il un appel à l'aide ou un reproche? Le fond du lieu où les deux protagonistes se tiennent est ténébreux, sombre peut-être comme le drame qui se joue dans l'âme de la fillette de gauche...
La scène est intense, mouvementée, les eaux se précipitant vers la chute contrastant par leur impossible arrêt – tel le destin matérialisé dans son cours inéluctable – avec le débat qui anime les deux personnages qui paraissent impuissants à remédier à la petite catastrophe en cours.
De quelle époque a surnagé ce dessin? XIXe siècle ou XXe ? Il semble, aux dires du collectionneur qui l'a chiné, je crois, sur internet, que cela provient des USA et qu'il relèverait du "folk art". J'emploierai plutôt, personnellement, le terme d'art naïf américain, plutôt ancien, car je penche pour le XIXe (comme peuvent peut-être le prouver les piqures brunes)... Les accoutrements des deux personnages, le dessin de leurs visages, paraissant loin d'être modernes...
Par analogie, spontanément, il me fait penser à un autre dessin que je possède dans ma collection (que j'ai reproduit récemment dans un mien article, « Le dessin, école d’art buissonnier », hors-série n°35 d'Artension de décembre 2023, consacré au dessin), et qui représente d'autres enfants (semble-t-il, là aussi) contemplant un des leurs comme roulé au bas de la pente au sommet de laquelle ils se tiennent, qu'on en juge:
Clément, sans titre ,sans date, stylo et crayon sur papier couché, 16x18 cm ; ph. et coll. B.M. ; là aussi, on retrouve une bande de terre où se tiennent trois protagonistes (dont l'un tient, dirait-on, comme un ballon au bout d'un fil) contemplant un quatrième bizarrement roulé en boule en bas de la composition, bande de terre qui ressemble à une botte géante, prête à les expédier au diable...
18:25 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art de l'enfance, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : art naïf américain, art invendable, art enfantin, rivière, chute d'eau, esquif, fillettes, paysage en noir et blanc, dessin au crayon, dessins au stylo | Imprimer
30/10/2016
Aventures de lignes (8) : José Guirao
José Guirao
José a commencé la création par le biais de la photographie qu’il a pratiquée initialement en autodidacte absolu. Venu d’Arles et monté à Paris à la fin des années 1970, de père espagnol, ce qui a une influence sur ses goûts culturels, il a aussi fait à une époque, en amateur, du cinéma Super 8 (des déambulations dans divers lieux). Dans la photographie, ses goûts le poussèrent à s’intéresser, à une certaine période, à l’art baroque, à la beauté des femmes, à une certaine grâce extatique, présente par exemple dans les tableaux ou statues d’église. Il livre également, durant un temps, des superpositions d’images faites par diapositives projetées sur des objets ou des êtres.
Depuis quelques années, il s’est jeté avec fureur dans le dessin au crayon et à la mine de plomb, outils simples qui lui suffisent, et auxquels il se limite dans une attitude semblant empreinte d’un certain ascétisme graphique. Son vocabulaire iconographique se borne volontairement aux visages qui l’obsèdent, aux mains et aux fragments de corps enchevêtrés…
(Voir Bruno Montpied, « José Guirao, dessinateur par réaction vitale », dans Création Franche n°42, juin 2015, Bègles)
José Guirao, Les trois mains, 80x60cm, crayon graphite sur papier, vers 2008 ; dessin exposé à "Aventures de lignes", galerie Amarrage, 88 rue des rosiers, St-Ouen, du 22 octobre au 4 décembre 2016.