05/12/2010
Le Théâtre Bois De Bout de François
François le marionnettiste, photo Bruno Montpied, décembre 2009
Depuis quelques mois, l'ami Remy Ricordeau me l'ayant signalé sur le parvis du Centre Beaubourg à Paris, je garde des photos de côté sur un marionnettiste de rue, dont je viens de découvrir qu'il se prénomme François. Remy me l'avait présenté en me disant qu'il s'exprimait avec ses marionnettes dans une musique qu'on pourrait apparenter à une sorte d'art brut musical. J'étais allé le voir, l'avais écouté. Il s'exprime avec un sabir étrange, déformant les mots, prenant un drôle d'accent en effet. Mais lorsqu'on l'entend répondre aux questions d'un interview dans le web-documentaire présent sur le site Brèves de trottoir (excellent site qui se voue à l'illustration sonore, visuelle, cinématographique des figures de la rue parisienne - et voilà encore un crêneau de pris sur le web!), on se dit qu'il a de la culture - il cite Dubuffet et son "homme du commun" à un moment - il nous dit descendre d'une famille de marionnettistes, il n'est pas complètement "barré".
François, 2009, ph. BM
Mais qu'est-ce que ça fait au fond? L'homme est éminemment sympathique. Il vient en vélo tous les jours d'une campagne située à 50 kms de Paris pour rencontrer un public divers et varié (ou non, il lui est arrivé de jouer devant le vide, en continuant quand même), il manipule ses marionnettes à fil, tirant des borborygmes par-dessus l'action de ses histoires décousues, soufflant dans son harmonica avec une sainte inspiration. Il fait de "l'art populaire", il maintient le théâtre de marionnettes en public, comme il dit à un moment où on n'en voit plus beaucoup dans les rues. Son désintéressement est peut-être ce qui lui fait avant tout rencontrer quelque public plus ou moins éberlué et lentement gagné à sa cause. Son jeu, son accent pâteux, comme d'un dyslexique ou d'un handicapé verbal, intriguent, donnant à ses spectacles un aspect vaguement foutraque.
Les marionnettes épuisées, ph BM, 2009
09:00 Publié dans Art immédiat, Art populaire insolite, Fantastique social, Musiques d'outre-normes, Paris populaire ou insolite | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : françois le marionnettiste, brèves de trottoir, marionnettes de rue, figures de la rue parisienne, théâtre populaire | Imprimer
21/03/2010
Etoiles noires de Robert Giraud
Robert Giraud, on commence à le connaître davantage, grâce au blog d'Olivier Bailly, Le copain de Doisneau, qui a ranimé sa mémoire sur internet avant de publier une courte biographie sur lui chez Stock, intitulée Monsieur Bob. Plusieurs livres de lui sont aujourd'hui disponibles, notamment chez l'éditeur Le Dilettante. Son livre le plus connu, Le vin des rues a été réédité chez Stock, en même temps que sortait la biographie d'Olivier Bailly.
C'était un connaisseur et un écrivain du Paris populaire des années 50 aux années 90 (il est disparu en 1997) que l'histoire littéraire a tendance à passablement occulter. Lisons ces lignes d'Olivier Bailly qui cerne en quelques mots les centres d'intérêt du personnage: "Il ne traitera que de sujets en marge: clochards, tatoués, gitans, petits métiers de la rue, prostitution, bistrots, sans oublier la cohorte des excentriques de tout poil. Son premier coup d'éclat, il le réalise avec Doisneau, dans Paris-Presse, avec la publication d'un reportage au long cours, "Les étoiles noires de Paris", onze articles consacrés à des personnages insolites qui peuplent le Paris de cette époque et que Bob croise pour certains dans ses périples journaliers et là où il boit son vin quotidien." (Monsieur Bob, p.84). Le vin était une autre de ses passions, sang de la vigne qui irriguait le corps de ses passions pour la vie immédiate. Olivier Bailly note qu'il fréquentait les bistrots qui avaient une certaine exigence en matière de crus, ceux tenus par des bistrotiers qui allaient sur place dans les régions chercher leurs récoltants, en évitant les "bersycottiers", c'est-à-dire les négociants de Bercy qui s'étaient enrichis pendant la guerre grâce au marché noir avec des mauvais vins (surnommés "côteaux de Bercy", synonymes de piquettes). Giraud, qui fut aussi un temps secrétaire de Michel Tapié au début de l'histoire de la collection de l'art brut, en 1948, alors que Dubuffet était parti voyager en Algérie, et qui garda mauvais souvenir de ce dernier qui le traitait en factotum (bien longtemps après, il parlait de lui en disant que Dubuffet n'était qu'un cave...), Giraud eut-il le temps de lire la "biographie au pas de course" (publiée dans Prospectus et tous écrits suivants, tome IV, 1995) où Dubuffet se vante lorsqu'il était marchand de vins justement à Bercy d'avoir renfloué son entreprise grâce au marché noir (il précise avoir alors vendu des "vins d'une qualité un peu supérieure" au vin de consommation courante, ce qui lui procura des bénéfices qui lui permirent d'éponger les dettes de son commerce d'avant-guerre, car il n'y avait sans doute plus de taxes sur ce négoce réalisé sans factures, sur parole)...? Nul doute que cela lui aurait confirmé ses impressions de la fin des années 40.
Giraud vécut de divers petits métiers (il vola même un temps des chats, il fut avec sa femme Paulette bouquiniste à la hauteur de la Samaritaine). Ses sujets de prédilection étaient les clochards, les tatoués, les bistrots, et l'argot sur lequel il publia de nombreux livres. Il s'intéressa aussi aux créateurs insolites, plusieurs de ses articles publiés dans différentes revues et journaux (outre Paris-Presse, il y eut aussi Franc-Tireur et la revue Bizarre) s'y rapportent: par exemple Frédéric Séron dans Les étoiles noires de Paris (1950 ; avec Robert Doisneau, son complice photographe qui fit de nombreux reportages avec lui, il paraît l'un des tout premiers à avoir rendu visite à Séron, avant Gilles Ehrmann en particulier), Picassiette (dans Bizarre n°V en juillet 1956), ou encore Gaston Chaissac dans Franc-Tireur en août 1956 (Chaissac de qui il reçut une correspondance dont certains éléments ont été publiés par Dubuffet et Paulhan dans Hippobosque au bocage en 1951). Charles Soubeyran (auteur des Révoltés du Merveilleux, livre consacré à Doisneau et Ehrmann où l'on voit plusieurs des créateurs évoqués dans les "étoiles noires de Paris" comme Jean Savary, Maurice Duval, Frédéric Séron, Pierre Dessau) a un jour signalé que certain "dandy de muraille" peint par Chaissac renvoyait au frère de Robert Giraud, Pierre Giraud qui était un dessinateur et un peintre spontané, associé un temps à l'aventure de la débutante collection de l'art brut.
Les chroniques de Robert Giraud sur les figures de la rue parisienne, vivant sous d'autres coordonnées mentales que le commun des mortels, au fond, on pourrait les voir comme issues d'une tradition de chroniqueurs du Paris populaire excentrique, qui rassemblent par exemple ces auteurs du XIXe siècle connus sous le nom de Lorédan Larchey (Gens singuliers), Champfleury (Les Excentriques), Charles Yriarte, Charles Monselet, etc, tous auteurs que l'on retrouve aujourd'hui au catalogue des précieuses éditions Plein Chant.
En attendant que quelque éditeur veuille enfin réunir les différentes contributions de Robert Giraud à la cause de l'art brut, on se contentera d'initiatives isolées comme cette réédition à Noël 2009 des onze articles parus dans Paris-Presse, "Les étoiles noires de Paris", sous l'aspect d'un livre-objet conçu par Bernard Dattas qui s'est amusé pour le compte des "Editions des Halles" à publier cet ensemble sous la forme d'un livre massicoté en étoile, qui une fois ouvert révèle des dizaines d'autres étoiles de toutes couleurs (c'est joli mais ne va pas sans faire des difficultés pour la lecture...).
Bonne idée qu'a eu là Bernard Dattas (qui ne paraît pas à son coup d'essai, d'autres ouvrages ont semble-t-il été réalisés auparavant sur lesquels je n'ai que des ouï-dire, le monsieur cultivant, semble-t-il, un certain secret). On découvre ainsi l'ensemble des personnages qu'avait évoqués Giraud en 1950, ceux que j'ai déjà cités, plus Armand Févre, André Gellynck, Salkazanov, M. Dassonville et sa cane Grisette, Gustave Rochard, M. Nollan dit l'Amiral, le peintre Héraut, Pierre Dessau qui se baladait en costume Directoire et juché sur un grand Bi à travers Paris... Malheureusement je ne puis renvoyer mes lecteurs à une quelconque adresse qui leur permettrait d'avoir accès à leur tour à cette charmante publication. A moins que M. Dattas, s'il nous lit, veuille bien éclairer nos lanternes.
15:44 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Environnements populaires spontanés, Fantastique social, Littérature, Paris populaire ou insolite | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : bernard dattas, robert giraud, robert doisneau, étoiles noires de paris, frédéric séron, environnements spontanés, figures de la rue parisienne, paris insolite | Imprimer