07/09/2012
Emancipations à Ste-Anne
On ne trouve pas de l'art brut inédit tous les jours. Le Centre d'Etude de l'Expression, situé dans le Centre Hospitalier Ste-Anne et dirigé par Anne-Marie Dubois, avec la collaboration de Jean-Christophe Philippi et Antoine Gentil (c'est la deuxième fois que ces deux-là travaillent avec le Musée Singer-Polignac, le lieu où sont traditionnellement montées les expos du Centre d'Etude)¹, propose pour les semaines qui viennent la manifestation intitulée "Emancipations". Aux dires de Jean-Christophe Philippi, on devrait y trouver du nouveau, notamment des oeuvres de la Collection Ste-Anne peu vues voire jamais exhibées.
Voici ce qu'en dit Anne-Marie Dubois dans le communiqué de presse:
« S’émanciper, c’est sortir des sentiers battus, des carcans et avoir accès à de nouvelles libertés de regards et d’expressions. Cette nouvelle exposition constituée de rencontres entre des artistes provenant d’horizons différents, permet à la Collection Ste-Anne d’affirmer sa particularité hors des catégories et des références pré-établies.
Il s’agit de se laisser guider par son plaisir et son émotion en s’émancipant de ses références artistiques et culturelles. »
Selon elle, les travaux des créateurs de la Collection, anciens pensionnaires d'hôpitaux où ils s'approprièrent l'art dans une démarche ultra-personnelle par besoin d'expression, histoire probablement de distendre un peu les barreaux de leurs cellules, ces travaux ne se nourriraient que d'eux-mêmes, à la différence des oeuvres d'artistes contemporains singuliers avec lesquelles l'expo organise une confrontation. C'est là revenir à une vision orthodoxe de l'art brut qui date des débuts de l'histoire de cette notion (époque de Dubuffet et Thévoz). Un art brut qui ne se nourrirait que de lui-même peut apparaître aujourd'hui comme une vue de l'esprit, lorsque l'on sait à quel point les créations dites brutes ou spontanées des milieux asilaires sont imprégnées et voisines des expressions populaires traditionnelles, participant d'une culture commune. Et lorsqu'il s'agit de créateurs enfermés d'origine culturelle plus savante, on ne peut faire abstraction si aisément de leurs connaissances artistiques préexistantes. Ce qui caractérise davantage l'art brut, plutôt que d'être hors-culture, c'est la rupture, l'urgence d'expression, la transgression. Ce sont ces notions que mettent en avant aujourd'hui ceux qui continuent de chercher sur l'art brut.
Alfred Passaqui, Collection Centre d'Etude de l'Expression
Et c'est ce point qui nous mobilise plutôt – et c'est une préocupation qui intéresse sans doute tous les artistes d'aujourd'hui – cette question de l'émancipation, ou de la rupture, comme disait Thévoz, opérée par les créateurs vis-à-vis des modèles d'expression disponibles. Quel est le levier qui déclenche ces déploiements graphiques surprenants, jamais vus, qui finissent par hanter nos mémoires par leur langage inédit et captivant? L'expo Emancipations paraît poser la question.
Hassan
("C'est un artiste d'origine sénégalaise qui travaille dans la rue à Barcelone, il dessine et grave des plans de maisons sur des planchettes de bois", J-C. Philippi)
Je n'ai pas la liste globale des créateurs et artistes proposés, mais on promet Gustave Cahoreau, Raymundo Camilo, Marie-Noëlle Fontan, Giordano Gelli, Régis Guyaux, Hassan, Paul Hugues, André Labelle, Michel Nedjar, Marilena Pelosi, Yvonne Robert (voir ci-contre La Chatte à Hortense s'appelle Vanille, de 2007, coll. BM, non exposé à Emancipations), et des créateurs de la collection Sainte- Anne dont Alfred Passaqui, Maurice Blin, Jean Janès (que personnellement je ne trouve pas terrible). Ces deux derniers sont actuellement exposés au Musée d'Allard à Montbrison dans l'expo "De l'art brut et d'autres choses...", dont le commissaire d'exposition est Alin Avila, par ailleurs directeur de la revue Area². Voici à la suite quelques images de certains créateurs parmi les moins connus, présentés au musée Singer Polignac, que je dois à l'obligeance de Jean-Christophe Philippi pour plusieurs d'entre elles. On remarquera qu'un autre des fils rouges de l'expo renvoie aux réitérations de formes qui paraissent le mode privilégié de structuration des œuvres. Attention cependant que ce choix de montrer des images basées sur des répétitions de formes ne contribue pas ancrer dans l'esprit des amateurs que l'art brut peut être, lui aussi, le siège d'un certain nombre de poncifs (une expo à venir de Marco Raugei à la Galerie Rizomi de Turin allant aussi dans ce sens), tant il existe d'œuvres ressemblant parfois à des planches iconographiques de catalogues (véhicules divers en rang d'oignons à la David Braillon, parapluies de Gugging, vaches à la Krüsi, volatiles ou armes à la Blackstock, etc...).
Maurice Blin, tel qu'il est exposé au musée d'Allard à Montbrison ; "Loulou ayant chaud/Mit son nez au Paul Nord/Attrappa une engelure/Et repartit au Paule Sud,/Avec une couverture"...
Paul Hugues
("Paul Hugues est un artiste qui figure dans le premier catalogue de l'Aracine, il a dessiné à l'atelier de l'hôpital de Brévanne (gérontologie). C'est une oeuvre du grand âge", J-C. Philippi)
Giordano Gelli (provient de l'atelier de La Tinaia à Florence)
Régis Guyaux (centre d'art "'La Hesse" à Vielsam en Belgique)
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¹ Jean-Christophe Philippi a par ailleurs fait l'objet d'une exposition personnelle au Musée Singer-Polignac, comme je l'avais également signalé en son temps.
² Cette exposition, à Montbrison (Loire), qui court jusqu'au 4 novembre prochain, a fait l'objet d'un catalogue où l'on retrouve les images des oeuvres montrées dans l'expo et quelques textes intéressants comme l'excellente contribution de Mme Michèle Gendrat, "ancienne élève de l'Ecole du Louvre", qui présente très honnêtement et très précisément ce qu'est l'Art Brut. A noter aussi que cette exposition présentait des panneaux gravés d'Alain R., détachés donc des murs de Rouen dont ils font partie usuellement. Exposés de façon ainsi déplacée, dans un contexte muséal, ils accédaient au rang d'œuvre de type lettriste. Un lettrisme brut... Le film Playboy communiste de David Thouroude et Pascal Héranval était diffusé parallèlement pour restituer heureusement le contexte d'origine de ces graffiti.
18:12 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier, Confrontations | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musée singer-polignac, centre d'étude de l'expression, jean-christophe philippi, anne-marie dubois, émancipations, art brut, art singulier, hassan, régis guyaux, paul hugues, yvonne robert, giordano gelli, la tinaia, alfred passaqui | Imprimer
29/03/2012
Jean-Christophe Philippi à Sainte-Anne
Y en a qui prennent des risques, ils vont se faire enfermer volontairement à Sainte-Anne. Heureusement, cela reste symbolique. Ce ne seront que des tableaux et des dessins de Philippi, une centaine m'a-t-on dit, qui iront en l'occurrence faire un séjour au musée Singer-Polignac, dans une collaboration entre le Centre d'Etude de l'Expression et le peintre qui veut que l'on confronte son travail –tout à fait impressionnant– aux oeuvres que conserve le Centre d'Etude. On se souviendra également qu'il avait aussi organisé récemment, en compagnie d'Antoine Gentil, une exposition collective, Qui est aveugle?, présentant de façon éclectique divers créateurs de l'art singulier côte à côte avec des œuvres de pensionnaires d'asile, des peintres de l'art naïf atypiques et d'autres grands isolés de l'art.
Jean-Christophe Philippi, sans titre, 80x130 cm, 2009
Les travaux de Philippi, que l'on devine investi à corps perdu dans sa peinture, emploient des techniques variées, craie, pastel gras, encre de Chine, acrylique, stylo, crayon sur tous les formats. Peignant depuis sa jeunesse (aimant alors les travaux du groupe COBRA, comme cela m'est arrivé à moi également), il a déjà eu l'occasion, trés tôt, d'exposer dans diverses galeries, en France et à l'étranger. Il est présent dans plusieurs collections. et à la différence de tant d'autres peintres égocentriques, il ne se contente pas de son propre travail, il entretient un dialogue permanent avec d'autres formes d'expression, ce qui le nourrit en retour, sans affecter son originalité, probablement en raison d'un caractère entier et d'une sensibilité exacerbée qui le garantissent du mimétisme. Cette posture de créateur dialoguant avec les autres créations, sans exclusive, sans discrimination entre "grandes" et "petites" œuvres, je ne peux que m'en sentir proche, comme le démontre, je crois, assez le Poignard Subtil tout au long de ses notes.
Jean-Christophe Philippi, sans titre, 75x110 cm, 2012 (il y a ici une parenté graphique avec les dessins de Swen, que présente Claude Brabant du côté de la galerie l'Usine, je trouve)
Exposition ouverte du 13 avril (vernissage le 12 avril à partir de 18h) au 17 juin 2012, musée Singer-Polignac (Centre Hospitalier Ste-Anne, 1,rue Cabanis, Paris 14e ardt), tous les jours (sauf mardi) de 14h à 19h, entrée libre.
10:42 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : jean-christophe philippi, musée singer-polignac, art singulier, swen | Imprimer
13/02/2010
Touche française à la Galerie Impaire
La Galerie Impaire est sympa. Elle ouvre ses portes, jusqu'ici consacrées aux créateurs américains contemporains et (surtout) souffrants d'incapacités mentales (autrement dit des handicapés mentaux), à quelques créateurs et artistes alternatifs, "singuliers", français.
Une exposition, proposée au départ par Gaëla Fernandez, l'animatrice de la galerie, qui a fait entièrement confiance à Jean-Christophe Philippi, l'un des exposants (et pas des moindres), s'y tiendra du 25 février au 4 avril 2010 (vernissage le 25 février). Ce sera l'occasion pour les amateurs parisiens de découvrir des oeuvres sincères rarement montrées dans la capitale, toutes sélectionnées par le co-curator ci-dessus nommé (Cocurator, nos amis américains n'ont pas l'air de se douter que cela peut prêter chez certains esprits mal tournés à la galéjade). D'ailleurs, étant donné la nationalité french des artistes sélectionnés, on aurait dû parler, comme me l'a écrit Jean-Christophe Philippi, de "cocorico-curator".
Elle réunira (entre autres, pour savoir tous les noms des artistes exposés on se reportera au site de la galerie) Pierre Albasser, pour une fois présentée avec son épouse Geha (connue pour ses travaux d'art postal mais non limitable à cela), Gérard Sendrey, Jean-Paul Henry (un handicapé pas assez connu), les dessins et peintures semi naïfs du Mayennais Patrick Chapelière, des oeuvres d'Alain Pauzié (qui se faisait rare, à Paris tout au moins), des peintures d'Yvonne Robert (que le texte anonyme qui présente l'expo sur le carton d'invitation virtuel que l'on m'a envoyé associe aux ex-voto, mais qui sont plutôt de simples saynètes de la vie quotidienne qui ont retenu l'attention de Mme Robert, dont on n'est pas sûr même qu'elle les envisage sous un angle caricatural).
Yvonne Robert figure dans la collection de l'art brut à Lausanne.
17:09 Publié dans Art singulier | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : pierre albasser, géha, gérard sendrey, yvonne robert, jean-christophe philippi, galerie impaire, art singulier, jean-michel chesné | Imprimer