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08/10/2007

Le tailleur, les escargots (suite)... et les boucs?, un texte de Marc Grodwohl

  

  « La note du 26 août 2007 consacrée aux ruches décorées de Slovénie (au passage je signale les ruches anthropomorphes de Moravie) reproduisait une scène satirique associant un tailleur à un escargot.
  J'ai trouvé, pour l'instant en deux exemplaires en Alsace, une scène représentant un personnage assis à califourchon sur un bouc brandissant une paire de ciseaux . L'une est sculptée sur un montant de porte en grès milieu XIXe siècle à Obermodern ( ?) dans le Bas-Rhin, l'autre figure sur un poêle du modèle  "Kunscht" , daté de 1844, que j'avais pu sauver à Folgensbourg (Haut-Rhin) et remonter à l'Ecomusée d'Alsace où j'espère qu'on en prend soin car c'est une pièce d'exception [Voir photos ci-dessous].
   Près de 200 kilomètres séparent ces deux objets, il n'y a donc aucune possibilité de diffusion par "contamination", ce décor est arrivé à ces endroits par des chemins différents.
   Le décor de la "Kunscht" qui est reproduite ici est d'une facture exceptionnelle pour ce genre d'objets.
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1er objet: kunscht de Folgensbourg, vue d'ensemble et détails, ph. Marc Grodwohl
 
   Chaque carreau est décoré d'un sujet différent, à l'engobe et au barolet, technique peu utilisée pour le décor des poêles. Mais plus encore que la technique, c'est la stylistique et l'inspiration des  décors qui ne se rattachent pas à des ensembles connus dans la région : leur mode anecdotique (arts forains, musiciens, animaux savants) relève d'un autre répertoire. Il est vraisemblable que ces décors aient été réalisés par un artiste de passage, venu de quelque part en Europe centrale, comme d'autres qui allaient de village en village réaliser ici une peinture de plafond de maison paysanne ou un décor de café de village.
  Je donne deux exemples de céramique de poêle des Guzuls, population de l'ouest carpatique de l'Ukraine, qui sont très près de l'inspiration de la  "Kunscht"  sud-alsacienne.
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2ème objet: poêles des Guzuls, photos Marc Grodwohl
  
   Aussi pourrait-on se demander si la scène du tailleur était signifiante pour le client alsacien, ou si elle appartenait à un ensemble exotique dont le sens lui échappait. Je suppose plutôt que cette scène a eu une large diffusion, à preuve je l'ai trouvée ailleurs en Alsace et certainement les lecteurs vont-ils en mentionner d'autres.
   Ce que je sais du tailleur dans ma région du sud alsacien est qu'il peut, sans que ce soit une règle générale, être identifié au juif. L'association bouc et juif, via la dévalorisation du juif par l'odeur qu'on lui prêtait pour le rabaisser au rang de bête, est une réalité. Le bouc est aussi on le sait bien, une forme du diable, et des contes européens existent, dans lesquels les sabots fourchus du tailleur sont dévoilés. Il y a enfin le bouc symbole de cette lubricité que le folklore prête aussi bien au juif qu'au diable. Par analogie cette énergie sexuelle excessive est associée à l'impuissance, via les ciseaux. Et l'impuissance (nouer les aiguillettes) est oeuvre de sorcellerie. Le tailleur de la scène est in fine ambivalent, forme humaine castrée du bouc, mais aussi celui qui vient contrer les désordres sexuels.
   Je crois que la proximité du tailleur et du bouc est attestée dans l'iconographie allemande à partir du XVIIe siècle. Venons-en au tailleur. Ce que j'en ai entendu auprès de mes "grands témoins", ce qui situe ces représentations comme vivantes dans la 1ère moitié du XXe siècle, est que les tailleurs de village n'ont pas, pour le moins qu'on puisse dire, une grande aura. C'est un métier pour des gens malingres, inaptes aux travaux agricoles ou artisanaux de force. Ils travaillent toujours à l'intérieur, dans les vêtements et dans le plus intime des autres. Par analogie, ils puent. Ils ne trouvent pas femme et sont zoophiles. Trop pauvres pour avoir une vache, ils se satisfont de leur chèvre. La boucle est bouclée. De plus ils ont toujours des histoires à raconter aux enfants, et la pédophilie avant la lettre n'est pas loin. Ce ne devait pas être drôle d'être tailleur. »
 
   Marc Grodwohl
 



 

 

18/08/2007

L'Iran naïf? Un texte de Marc Grodwohl et un prolongement du Sciapode en direction de MOKARRAMEH GHANBARI

Dans la région du Guilan existe une tradition tout à fait étonnante pour nous de peintures figuratives naïves, notamment sur les sanctuaires (Husseinzadé).
En voici quelques images prises dans un village du delta oriental du Sefid Rud (photos 1-2-3) .
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           Cet art populaire et l'art des réalisations publiques sont de la même veine surtout dans les périodes les plus récentes, fin XIXe, début XXe siècle, et il serait ethnocentrique de qualifier de "naïf " ce qui peut relever en réalité des conventions régissant la représentation des personnes. A titre de comparaison avec l'art public urbain, les faïences d'un hammam fin XIXe, début XXe s. à Rasht, la capitale du Guilan avec la représentation du héros Rostam (photos 4-5-6).

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(Trois vues consacrées aux mêmes faïences)
Les thèmes légendaires iraniens dits préislamiques (tirés du Livre des Rois de Ferdowsi) sont assez courants et volontiers prétexte à des oeuvres d'art officiel au milieu des ronds-points (exemple l'oiseau Simorgh dans un rond-point près de Chaboksar).
J'ai vu aussi se diffuser le motif du char d'Athéna, choisi par un commerçant pour décorer sa boutique, et qu'on voit maintenant décliné aussi dans des réalisations publiques.
Enfin deux photos (7-8) du pèlerinage de Immamzadé Ebrahim, montrant le développement du goût pour la couleur et un jeu d'adresse ingénieusement réalisé avec des vieilles poupées.
Marc Grodwohl
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LE POINT DE VUE DU REDACTEUR DU BLOG: 
M.Marc Grodwohl, ancien responsable de l'Ecomusée d'Alsace est revenu récemment d'un séjour en Iran où il a été invité par des confrères à visiter leur propre musée du patrimoine rural  dans la région du Guilan, dans le but de procéder à un échange de vues.
 Son site internet (voir dans nos liens ci-contre à gauche) évoque cette visite et contient aussi plusieurs autres images. Elles renvoient vers un autre lieu, à Fuman, un espace ouvert au public, où sont disposées plusieurs statues qui font penser un peu aux statues que l'on voit dans certains jardins ou environnements de créateurs populaires autodidactes européens (par exemple celui de Gabriel Albert en Charente-Maritime, ou celui de René Escaffre, dans le Lauragais). J'en présente quelques-unes ci-dessous:
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(Toutes les photos jusqu'ici sont de Marc Grodwohl) 
Le mot de "naïf" est employé, on l'a vu ci-dessus dans son texte, par Marc Grodwohl qui lui trouve par moments un accent "ethnocentrique". En Europe, ce même terme revêt aussi une connotation ou une intention réductrices de temps à autre, de la part des historiens ou des critiques d'art paternalistes ou condescendants à l'égard des créateurs autodidactes dont ils ne voient pas l'originalité et l'extrême fraîcheur d'expression. Personnellement, quand je l'emploie, ce n'est bien entendu pas du tout dans une telle optique . Naïf pour moi est synonyme d'"immédiat".
Si l'on retient ce caractère d'"immédiat", on peut juger les statues de Fuman "naïves". Cependant, à ne considérer que les photos (je n'ai jamais vu les oeuvres originales), je leur trouve un aspect assez analogue à celui des santons provençaux, que je ne qualifie pas de naïfs, mais plutôt d'artisanat populaire à la limite du kitsch (je parle des santons surtout). Il me paraît bon de les faire figurer ici à titre de documentation servant à nourrir nos regards d'amateurs d'arts populaires.
Pour compléter la confrontation des styles et aider à se faire une idée plus juste de ce qui se joue sous ces termes de "naïf" ou de "brut", il est bon de signaler qu'il existe aussi en Iran une immense artiste autodidacte qui n'a été révélée pour le moment en France que par le magnifique film d'Ebrahim Mokhtari, "Mokarrameh, et soudain elle peint", diffusé dans de nombreux festivals (notamment celui de Vic-le-Comte dans le Massif Central, merci Régis Gayraud de nous l'avoir signalé en son temps; cliquez ici pour plus de renseignements sur le moyen actuel de se procurer le film, apparemment seulement en version anglaise). Elle s'appelait Mokarrameh Ghanbari. Née en 1928, elle est décédée tout récemment le 24 octobre 2005.
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Photos de Mokarrameh ci-dessus et ci-dessous récupérées sur le site Mokarrameh.com

              Sa première exposition date de 1995 (soit environ quatre ans après qu'elle eut commencé à 63 ans à peindre) et eut lieu bien entendu en Iran à la galerie Seyhun (par la suite, elle a exposé en Suède et aux USA ; en France, comme d'hab, on n'a encore rien vu venir, malgré la diffusion du film dans des festivals...). Il semble que ce soit son fils artiste qui la voyant en train de barbouiller spontanément dans le décor de sa vie quotidienne eut l'idée de lui fournir du matériel de peinture et qui l'encouragea (ça fait songer à d'autres cas similaires, Boix-Vives, ou Joseph Barbiero, aussi me semble-t-il en France furent poussés par leur progéniture vers la création). Elle a peint des toiles mais aussi les murs de son logement. Parmi ses thèmes de prédilection, on retrouve entre autres le héros Rostam dont parle Marc Grodwohl dans son texte.

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               Elle fut mariée contre son gré à une sorte de cacique de son village (Dankandeh dans la province de Mazandaran, au nord de l'Iran) qui obligea par la torture son père à lui donner sa fille. Elle eut plusieurs enfants de ce mariage pour le moins houleux (émaillé de brutalités).

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                On annonce un film en préparation aux USA avec Meryl Streep dans le rôle de Mokarrameh, et un metteur en scène iranien résidant en Californie, Essy Niknejad... Ah, ces Yankees, ils ne manquent jamais de prendre le train en marche...

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05/07/2007

André Bindler, un sauvetage remarquable

 

    J'avais remarqué à la parution du Guide de la France Insolite de Claude Arz (1ère édition, 1990, le site disparut à la seconde édition) un très étonnant site accumulatif à Sickert en Alsace dû à un ouvrier-paysan (tisserand, puis régleur de machines dans l'industrie textile) appelé André Bindler. C'était du reste un des rares lieux cités dans le bouquin qui fût quelque chose d'inédit, le reste étant une habile compilation de découvertes faites par d'autres chercheurs mélangées à des évocations de sites mystico-baba-new age à la mords-moi-l'noeud...

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    Une association "Traces+Signes Sundgau", animée entre autres par Jean-Claude Altoe et aidée par Bernard Chevassu (très grand défenseur de nombreux sites et environnements situés dans l'est de la France, quand est-ce qu'il réunira en un seul livre tous ses articles sur la question?), avait déjà exposé Bindler à l'occasion de l'exposition "Art autre, autre art" en 1982 à Altkirch (une maquette de bateau assez "brute"). Mais c'était à peu près tout, à ma connaissance bien sûr (si l'on excepte bien sûr les articles de presse régionale qui sont légions sur ces environnements et autres créations d'autodidactes).

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Le site de la maison d'André Bindler, dite du "musée de la Doller", l'entrée du "musée" se distingue en haut à gauche surmontée d'un arceau (photo 1991, publiée sur le site de Marc Grodwohl). A gauche encore le pignon dont on voit l'agrandissement plus bas dans cette note (photo sur la couverture de "Tours et détours à l'Ecomusée d'Alsace")

   L'environnement créé par Bindler (né dans les années 20) est tout à fait remarquable. Fait d'une accumulations d'objets installés sur les murs de sa ferme et de statues d'hommes ou d'animaux souvent peints en bleu (de style plus naïf que brut, le cerf y étant un motif récurrent), de décorations peintes au pochoir sur les murs,  il est principalement consacré à l'évocation de son pays et de ses habitants, qualifiés sous le terme générique du "Sickertois". C'est le premier thème, car secondairement il a aussi chanté les louanges de certains grands hommes en les statufiant naïvement, notamment les officiers rendus célèbres par la libération de la France (Leclerc, De Lattre de Tassigny, De Gaulle..., les mêmes qu'on retrouve dans le site de statues naïves dues à Raymond Guitet à Sauveterre-de-Guyenne, réalisé plus tôt, juste après la Seconde Guerre, alors que le site de Bindler a été créé de 1979 à 1992).

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André Bindler, galerie des Grands hommes, Ecomusée d'Alsace (photo publiée sur le site de Marc Grodwohl)

    Il s'est aussi livré à des facéties (des statues de"buveurs de bière", censées caricaturer gentiment les Allemands avec qui les Alsaciens entretiennent des rapports ambivalents). Il s'intéressait aussi à des sujets plus exotiques, de même qu'il éprouvait un véritable amour pour la nature (nombreuses statues animalières). Son environnement était qualifié par lui de "musée de la Doller", du nom de la vallée où il vivait. Doit-on entendre aussi par en dessous "musée de la douleur"...?  Je me hâte de préciser que rien ne paraît  le confirmer dans les sujets traités.

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André Bindler devant le groupe des "Buveurs de bière", avant le transfert de l'environnement, 1991, document Marc Grodwohl

   Il a renversé de façon amusante un certain ordre muséographique en exposant dans des galeries couvertes des éléments naturels (souches, branches tordues, racines...) qu'il a interprétés, alors que ces éléments proviennent du monde extérieur, perpétuellement à l'air libre, alors qu'il laissait ses statues et certaines de ses maquettes (Notre-Dame-de-Paris, Tour Eiffel, décidément très à l'honneur chez les créateurs populaires d'environnements) dehors, à la merci du climat. A propos de maquettes, il en a confectionné plusieurs, une vingtaine de maisons de son village, plusieurs églises, qu'il exposait dans une galerie décorée de masques grotesques (Voir ci-dessous, photo site Marc Grodwohl)

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   Et ce qu'il y a de formidable avec cet environnement, c'est le sauvetage auquel il a donné lieu. Sauvetage n'est peut-être pas  le mot adapté du reste, car le site n'était pas encore en péril lorsqu'il fut transféré  avec l'accord de son auteur par des bénévoles sous la direction du passionné Marc Grodwohl, directeur et fondateur depuis des années de l'Ecomusée d'Alsace à Unguersheim (il ouvrit en 1984) sur le site de l'Ecomusée (le site fut remonté dans une disposition équivalente et restauré respectueusement avec la supervision et l'accord d'André Bindler). Il faut dire que cet Ecomusée est un projet merveilleux, ayant déjà sauvé entre autres objets, monuments et architectures rurales, par exemple le célèbre carrousel-salon Demeyer à la façade sculptée par Gustave Bayol, connu pour ses petits cochons et chevaux de manége forain. Ce n'est pas un écomusée comme les autres, car il est bien plus ouvert sur l'ensemble des aspects de la créativité populaire, ne se limitant pas aux seuls outils ou objets rustiques par exemple.

   Le récit du transfert, l'analyse du site avaient déjà fait l'objet d'une petite brochure vendue sur place.3c0a028129ccee1f8b7d0a8c86e5fca7.jpg Depuis que M.Marc Grodwohl a malheureusement été licencié de la direction de l'Ecomusée l'année dernière, il a créé un site, auquel nous renvoyons vivement les lecteurs de ce blog (il est tout à fait passionnant à lire, je pense que Belvert en aura peut-être déjà entendu parler...), et où l'on retrouve ces textes, enrichis de nombreuses mises à jour (ainsi que de nombreuses autres photos). A noter également que Marc Grodwohl tente une enrichissante confrontation avec un autre site, canadien, celui de Georges Racicot, qu'il associe nommément à "l'art indiscipliné" québécois (une connection s'est donc faite entre Marc Grodwohl et la Société des Arts Indisciplinés? On aimerait  des commentaires là-dessus). En parcourant le site de Marc Grodwohl, on découvre que comme par hasard il fait aussi référence à la collection Humbert (ainsi qu'à la Société des Arts Indisciplinés), références donc communes avec Le Poignard Subtil.

    Donc, il est prouvé qu'en France, pourvu qu'un terreau culturel existe, favorable à l'art populaire sous toutes ses formes (car trop d'amateurs d'arts et de traditions populaires  restent hermétiques à l'art brut et aux habitants-paysagistes qu'il regarde avec condescendance), des entreprises de sauvegarde patrimoniale sont possibles, sans atermoiements inutiles pour cause de difficultés bureaucratiques ou financières (je pense à ces imbroglios, ces stagnations qu'on constate du côté des communes propriétaires des sites dans leurs rapports avec les Monuments Historiques). La passion bénévole soulève les montagnes bien souvent. On l'a déjà constaté à la Fabuloserie par exemple, avec le sauvetage du merveilleux Manège en fils de fer et tôles de Pierre Avezard.

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Georges Racicot, détail de son site (montré dans l'article de Marc Grodwohl)