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05/07/2007

André Bindler, un sauvetage remarquable

 

    J'avais remarqué à la parution du Guide de la France Insolite de Claude Arz (1ère édition, 1990, le site disparut à la seconde édition) un très étonnant site accumulatif à Sickert en Alsace dû à un ouvrier-paysan (tisserand, puis régleur de machines dans l'industrie textile) appelé André Bindler. C'était du reste un des rares lieux cités dans le bouquin qui fût quelque chose d'inédit, le reste étant une habile compilation de découvertes faites par d'autres chercheurs mélangées à des évocations de sites mystico-baba-new age à la mords-moi-l'noeud...

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    Une association "Traces+Signes Sundgau", animée entre autres par Jean-Claude Altoe et aidée par Bernard Chevassu (très grand défenseur de nombreux sites et environnements situés dans l'est de la France, quand est-ce qu'il réunira en un seul livre tous ses articles sur la question?), avait déjà exposé Bindler à l'occasion de l'exposition "Art autre, autre art" en 1982 à Altkirch (une maquette de bateau assez "brute"). Mais c'était à peu près tout, à ma connaissance bien sûr (si l'on excepte bien sûr les articles de presse régionale qui sont légions sur ces environnements et autres créations d'autodidactes).

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Le site de la maison d'André Bindler, dite du "musée de la Doller", l'entrée du "musée" se distingue en haut à gauche surmontée d'un arceau (photo 1991, publiée sur le site de Marc Grodwohl). A gauche encore le pignon dont on voit l'agrandissement plus bas dans cette note (photo sur la couverture de "Tours et détours à l'Ecomusée d'Alsace")

   L'environnement créé par Bindler (né dans les années 20) est tout à fait remarquable. Fait d'une accumulations d'objets installés sur les murs de sa ferme et de statues d'hommes ou d'animaux souvent peints en bleu (de style plus naïf que brut, le cerf y étant un motif récurrent), de décorations peintes au pochoir sur les murs,  il est principalement consacré à l'évocation de son pays et de ses habitants, qualifiés sous le terme générique du "Sickertois". C'est le premier thème, car secondairement il a aussi chanté les louanges de certains grands hommes en les statufiant naïvement, notamment les officiers rendus célèbres par la libération de la France (Leclerc, De Lattre de Tassigny, De Gaulle..., les mêmes qu'on retrouve dans le site de statues naïves dues à Raymond Guitet à Sauveterre-de-Guyenne, réalisé plus tôt, juste après la Seconde Guerre, alors que le site de Bindler a été créé de 1979 à 1992).

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André Bindler, galerie des Grands hommes, Ecomusée d'Alsace (photo publiée sur le site de Marc Grodwohl)

    Il s'est aussi livré à des facéties (des statues de"buveurs de bière", censées caricaturer gentiment les Allemands avec qui les Alsaciens entretiennent des rapports ambivalents). Il s'intéressait aussi à des sujets plus exotiques, de même qu'il éprouvait un véritable amour pour la nature (nombreuses statues animalières). Son environnement était qualifié par lui de "musée de la Doller", du nom de la vallée où il vivait. Doit-on entendre aussi par en dessous "musée de la douleur"...?  Je me hâte de préciser que rien ne paraît  le confirmer dans les sujets traités.

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André Bindler devant le groupe des "Buveurs de bière", avant le transfert de l'environnement, 1991, document Marc Grodwohl

   Il a renversé de façon amusante un certain ordre muséographique en exposant dans des galeries couvertes des éléments naturels (souches, branches tordues, racines...) qu'il a interprétés, alors que ces éléments proviennent du monde extérieur, perpétuellement à l'air libre, alors qu'il laissait ses statues et certaines de ses maquettes (Notre-Dame-de-Paris, Tour Eiffel, décidément très à l'honneur chez les créateurs populaires d'environnements) dehors, à la merci du climat. A propos de maquettes, il en a confectionné plusieurs, une vingtaine de maisons de son village, plusieurs églises, qu'il exposait dans une galerie décorée de masques grotesques (Voir ci-dessous, photo site Marc Grodwohl)

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   Et ce qu'il y a de formidable avec cet environnement, c'est le sauvetage auquel il a donné lieu. Sauvetage n'est peut-être pas  le mot adapté du reste, car le site n'était pas encore en péril lorsqu'il fut transféré  avec l'accord de son auteur par des bénévoles sous la direction du passionné Marc Grodwohl, directeur et fondateur depuis des années de l'Ecomusée d'Alsace à Unguersheim (il ouvrit en 1984) sur le site de l'Ecomusée (le site fut remonté dans une disposition équivalente et restauré respectueusement avec la supervision et l'accord d'André Bindler). Il faut dire que cet Ecomusée est un projet merveilleux, ayant déjà sauvé entre autres objets, monuments et architectures rurales, par exemple le célèbre carrousel-salon Demeyer à la façade sculptée par Gustave Bayol, connu pour ses petits cochons et chevaux de manége forain. Ce n'est pas un écomusée comme les autres, car il est bien plus ouvert sur l'ensemble des aspects de la créativité populaire, ne se limitant pas aux seuls outils ou objets rustiques par exemple.

   Le récit du transfert, l'analyse du site avaient déjà fait l'objet d'une petite brochure vendue sur place.3c0a028129ccee1f8b7d0a8c86e5fca7.jpg Depuis que M.Marc Grodwohl a malheureusement été licencié de la direction de l'Ecomusée l'année dernière, il a créé un site, auquel nous renvoyons vivement les lecteurs de ce blog (il est tout à fait passionnant à lire, je pense que Belvert en aura peut-être déjà entendu parler...), et où l'on retrouve ces textes, enrichis de nombreuses mises à jour (ainsi que de nombreuses autres photos). A noter également que Marc Grodwohl tente une enrichissante confrontation avec un autre site, canadien, celui de Georges Racicot, qu'il associe nommément à "l'art indiscipliné" québécois (une connection s'est donc faite entre Marc Grodwohl et la Société des Arts Indisciplinés? On aimerait  des commentaires là-dessus). En parcourant le site de Marc Grodwohl, on découvre que comme par hasard il fait aussi référence à la collection Humbert (ainsi qu'à la Société des Arts Indisciplinés), références donc communes avec Le Poignard Subtil.

    Donc, il est prouvé qu'en France, pourvu qu'un terreau culturel existe, favorable à l'art populaire sous toutes ses formes (car trop d'amateurs d'arts et de traditions populaires  restent hermétiques à l'art brut et aux habitants-paysagistes qu'il regarde avec condescendance), des entreprises de sauvegarde patrimoniale sont possibles, sans atermoiements inutiles pour cause de difficultés bureaucratiques ou financières (je pense à ces imbroglios, ces stagnations qu'on constate du côté des communes propriétaires des sites dans leurs rapports avec les Monuments Historiques). La passion bénévole soulève les montagnes bien souvent. On l'a déjà constaté à la Fabuloserie par exemple, avec le sauvetage du merveilleux Manège en fils de fer et tôles de Pierre Avezard.

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Georges Racicot, détail de son site (montré dans l'article de Marc Grodwohl)