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22/02/2009

Hypnos, images et inconscients en Europe 1900-1949

 Man Ray,Marquise Casati, 1922, Galerie Marion Meyer, Paris, copyright Man Ray Trust Adagp Paris, 2009, Photo Marc Domage.jpg   Le 14 mars, débutera une exposition qui nous intéresse vivement au Musée de l'Hospice Comtesse, à Lille, Hypnos, images et inconscients, 1900-1949. Organisée par les conservateurs du musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq, Savine Faupin, Christophe Boulanger et Nicolas Surlapierre, en collaboration avec Lorand Hegyi, le directeur du musée d'art moderne de Saint-Etienne, l'exposition se propose de montrer comment de nombreux artistes des premières décennies du XXe siècle se sont emparés de la notion d'inconscient, l'interprétant ou se l'appropriant. La notion était alors une révélation suite aux travaux de Sigmund Freud à Vienne. L'exposition ne se veut pas moins qu'une "contribution à l'histoire de l'inconscient visuel". On se dit: chiche, mais il faudra voir les résultats in situ. Car les images de l'inconscient sont fort multiples et variées.

Frantisek Drtikol, Le cri, 1927 MNAM, Centre Georges Pompidou, Paris. Dist.RMN, copyright Jacques Faujour, copyright DR.jpg

Frantisek Drtikol, Le cri, 1927, Musée national d'art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris, Dist. RMN, © Jacques Faujour © DR

    Trois thèmes chronologiques structurent la manifestation, "le cosmos intériorisé (1900-1918)", "une géopoétique de l'inconscient: Berlin, Budapest, Cologne, Paris, Prague, Zürich (1918-1933)" et "l'heure dangereuse (1933-1949). Selon ces thèmes, on retrouve là des domaines qui ont déjà fait l'objet de passionnantes expositions précédemment montées ailleurs, comme l'art des spirites (la Halle Saint-Pierre notamment a monté deux expositions sur le thème, l'art médiumnique et l'art des spirites tchèques de la région des Monts des Géants et du musée de Nova Paka) Jan Tona,sans titre, musée municipal de Nova Paka, expo L'art brut tchèque, Halle Saint-Pierre, 2002-2003.jpg ou la photographie spirite par exemple (cf le Troisième oeil, la photographie et l'occulte, Maison Européenne de la Photographie à Paris, 2004-2005). Un éclairage particulier doit être donné sur la production des médiums de Bohème-Moravie, précisément ces créateurs que l'expo sur l'Art Brut tchèque de la Halle Saint-Pierre (2002-2003, ensuite montée en Belgique, puis à la Collection de l'Art Brut à Lausanne), sous l'impulsion de son organisatrice Alena Nadvornikova (une membre historique du groupe surréaliste tchèque contemporain), avait fait brillamment découvrir aux amateurs.

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Josef Kovář, Pruřez ovoce Neptuna, 1905, Mestské Muzeum Nova Paka, République Tchèque, © DR

      La deuxième section sur la "géopoétique de l'inconscient" semble vouloir nous montrer des créateurs choisis ailleurs qu'en Europe de l'ouest, de façon à exposer une exploitation de la découverte du continent inconscient, peu connue en France, par d'autres mouvements que le surréalisme, à savoir en l'occurrence le cubisme, le dadaïsme ou l'expressionnisme. Si dans ce dernier cas, on connaît tout de même assez bien par ici le cinéma des Robert Wiene ou Fritz Lang, moins répertoriée est l'existence des "marionnettes dadaïstes" qu'on nous annonce dans l'expo et qui nous intriguent davantage (sans doute parentes des magnifiques oeuvres sculptées d'un Marcel Janco qui étaient naguère montrées au Centre Georges Pompidou dans le cadre de l'exposition bric-à-brac Traces du Sacré). De même les créateurs tchèques gagnent beucoup à être davantage contemplés (Kupka, Vachal, Driskol, etc...). On espère donc faire des découvertes dans cette section (par exemple Josef Vachal).

Hypnos Frantisek Kupka Le reve, 1909, Museum Bochum, Bochum, copyright ADAGP Paris, 2009.jpg

Frantisek Kupka Le rêve, 1909, Museum Bochum, Bochum ©ADAGP Paris, 2009

 

      La troisième partie de l'exposition veut cerner ce moment de division et de totalitarisme (national-socialisme, stalinisme...) qui s'empare de l'Europe entre 1933 et 1949. Dans les représentations liées à l'inconscient se lisent des tendances et des menaces idéologiques qui font alterner les messages d'Eros ave ceux de Thanatos. C'est aussi le moment où le surréalisme qui s'était fait le champion de la libération du langage des désirs enfouis est traqué en Europe, et se diffuse dans le monde en même temps que s'exilent ou se cachent les membres des groupes européens. Cependant, on peut se demander si la place du surréalisme dans ce projet sur les images de l'Inconscient n'est pas quelque peu minoré. Il faut attendre de voir l'expo.  

     C'est près d'une centaine d'artistes d'Europe de l'Ouest, d'Europe Centrale et Orientale qui sont présentés, parmi lesquels Jean Arp, Brassaï, Victor Brauner, František Drtikol, Marcel Duchamp, Max Ernst, Simon Hantaï, Paul Klee, Hilma af Klint (de cette dernière, on a déjà eu l'occasion de voir des oeuvres en France, voir ma note du 25 avril 2008 sur ce blog, notamment à l'expo déjà mentionnée Traces du Sacré), Bohumil Kubista (qui était, Ô nom prédestinant, cubiste...), Frantisek Kupka, Emma Kunz, Augustin Lesage, André Masson, Joan Miró, Laszlo Moholy-Nagy, Man Ray, Joseph Sima, Sophie Taeuber-Arp, Marie Toyen, Josef Vachal, Lajos Vajda, Adolf Wölfli..., les cinéastes Fritz Lang, Friedrich Wilhelm Murnau, Georg Wilhelm Pabst, Robert Wiene..., des écrivains et poètes tels qu'André Breton, René Char, Géza Csáth, Robert Desnos, Franz Kafka, Frigyes Karinthy, Dezső Kosztolányi, Ghérasim Luca..., ainsi que des théoriciens de la psychanalyse comme Sigmund Freud, Sándor Ferenczi, Carl Gustav Jung ou Karl Abraham.

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Joseph Vachal, décor peint pour la maison de Josef Portman en 1922-1924 ; photo extraite du livre Facétie et Illumination, l'oeuvre de Josef Vachal, un graveur écrivain de Bohême (1884-1969), textes réunis par Xavier Galmiche, Presses de l'Université Paris-Sorbonne/Paseka, 1999

      On notera au passage que des créateurs de l'art brut, non professionnels de l'art par définition, comme Lesage ou Wölfli se trouvent ici mélangés aux artistes d'avant-garde. Cela augure-t-il d'autres mélanges à venir dans le cadre du nouveau Musée d'Art Moderne à Villeneuve-d'Ascq (où, comme on sait les travaux d'extension du musée, comprenant une aile consacrée à la présentation de la collection d'art brut du musée, sont en train de s'achever)? Wait and see... 

     L'exposition se tient du 14 mars au 12 juillet 2009. Musée de l'Hospice Comtesse, 32, rue de la Monnaie à Lille. Pour plus de renseignements, cliquer sur le site du musée d'art moderne Lille-Métropole (voir lien ci-dessus) à Villeneuve-d'Ascq. A noter qu'Hypnos devrait être la dernière exposition hors-les-murs du musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq avant sa réouverture prévue pour 2010.

02/10/2008

L'inspiration au fond de la terre

   Décidément, la mine il n'y a rien de mieux pour susciter des vocations de peintre... On connaissait les peintres plus ou moins spirites comme Augustin Lesage, Joseph Crépin ou Victor Simon dans la région du Nord de la France (zone de Burbure, Arras, Béthune), dont certains comme Lesage travaillèrent dans les mines de charbon. L'exposition montée il y a quelques années à la Halle Saint-Pierre (en 2002-2003), par la surréaliste tchèque Alena Nadvornikova, sur l'art brut tel qu'on pouvait en découvrir des exemples en Bohème, en Moravie ou en Slovaquie avait révélé les peintres et dessinateurs médiumniques originaires de Silésie et du nord de la Moravie, contrées connues pour leur industrie lourde ou minière. Leurs oeuvres riches et délicatement tracées n'avaient rien à envier aux dessins médiumniques conservés à la Collection de l'Art Brut de Lausanne, où par la suite du reste elles furent exposées.

Erwin Sowka sur le site muzeum miejskie zabrze.jpg
Erwin Sowka, tableau reproduit sur le site Muzeum Miejskie Zabrze  

    Cela a donné visiblement des idées aux Polonais qui ont aussi une région de Silésie sur leur territoire de l'autre côté de la frontière avec la République Tchèque. Pourquoi ne pas baptiser du terme "art brut" les peintres mineurs de la région de Katowice?Erwin Sowka, Sainte-Barbara,extrait du site muzeum miejskie zabrze.jpg C'est ce qui se passe avec l'exposition "Des profondeurs à la lumière, art brut de Silésie" ouverte  depuis le 10 septembre et prévue pour durer jusqu'au 10 novembre 2008) au Musée de l'Hospice Comtesse à Lille (qui s'est déjà fait remarquer en montant naguère l'exposition "L’Homme-Paysage" en 2006-2007). Comme me l'a indiqué Gilles Manéro, à qui je dois l'information de cette exposition, malgré son sous-titre, on reste assez loin de l'art brut dans ce cas, et plus près de l'art naïf en réalité. Il s'agit pour les organisateurs d'un tour de passe-passe, les naïfs polonais de la région de Katowice, encouragés à l'époque du régime communiste, sont aujourd'hui quelque peu "plombés" par ce parrainage désormais honni dans des pays ralliés aux valeurs de l'ouest, où l'art brut est bien davantage à la mode.  L'art naïf, d'origine populaire, a représenté en effet à une époque, pour son malheur, un corpus d'oeuvres aisément embrigadables sous la bannière du réalisme socialiste. Comment laver cette tache "déshonorante"? Eh bien, par un coup de baguette magique, on maquille la plaque minéralogique, et ni vu ni connu, ce qui était hier art naïf devient art brut aujourd'hui!

     On me dira peut-être, mais vous l'avez vu cette expo au fait? Non, je ne l'ai pas vue (pas encore), mais je me suis un peu renseigné. La liste des artistes, tous travailleurs à la mine et appartenant à des groupes d'artistes mineurs (au sens d'ouvriers, et non pas d'artistes secondaires...), impressionnante (je cite en désordre Stefan Brom, Emil Brzezina, Ewald Gawlik, Ludwik Holesz -celui-ci pas loin de l'"art brut"-Ludwik Holesz extrait du site spscholka republika.jpg Jan Janiga, Marian Jedrzejewski, Teofil Ociepka -peintre très connu lui en Pologne et dans l'art naïf international- Léopold Wrobel -qui a sculpté le charbon, paraît-il - Pawel Wrobel, le cousin du précédent, assez connu lui aussi en Pologne, Marcin Pogrzzeba, Jozef Torka, Krzysztof Webs, etc.), cette liste laisse reconnaître certains créateurs comme Ociepka ou Wrobel, légèrement connus par ici, et classés depuis longtemps dans  l'art naïf. Jakovsky, dans son Dictionnaire des peintres naïfs du monde entier paru en 1976 chez Basilius-Presse à Bâle, a été d'ailleurs excessivement sévère avec Ociepka (1892-1978): "Ses sujets de prédilection sont la préhistoire et la science-fiction. Il se complaît à peindre des animaux disparus, ainsi que ceux qui n'ont jamais existé. C'est un aimable cauchemar, peint avec des couleurs d'un goût parfois douteux". Pour ce jugement sur les couleurs, selon un de nos amis peintres, lui-même proche de l'art naïf et par ailleurs connaisseur de l'art naïf polonais, Jean-Louis Cerisier, il y aurait beaucoup à redire. Si on doit se contenter d'en juger par les reproductions d'une qualité elle-même douteuse de certains ouvrages (j'emprunte les reproductions que je mets en ligne ici à un ouvrage polonais sur Ociepka d'Andrzej Banach, spécialiste de l'art populaire, édité par Wydawnictwo Arcady en 1988), les qualificatifs assassins de Jakosky paraissent fondés... Mais il paraît qu'il ne faut bien entendu pas se contenter de cela. Il faut nous montrer les tableaux d'Ociepka en France. Ses sources d'inspiration, la cryptozoologie et la science-fiction, me le rendent particulièrement sympathique personnellement. Le fait qu'il soit exposé à Lille est donc une excellente chose et une occasion d'en découvrir davantage sur lui au moins.

Ociepka, Gra morskich fal, 1951, extrait d'un livre d'Andrzej Banach de 1988.jpg
Teofil Ociepka, Gra morskich fal [un traducteur est demandé...], 70x100 cm, 1951 (intéressante, non, cette mer qui a des angles droits...?) ; extrait d'un livre sur Ociepka d'Andrzej Banach, 1988

      J'aime l'art naïf de qualité personnellement, et je ne pense pas être le seul. Je ne l'associe pas nécessairement à la propagande communiste, pas davantage que je n'associe l'art populaire aux tentatives de récupération nationaliste qui ont pu exister à différents moments de l'histoire (sous le régime de Vichy par exemple). On peut transmettre cet avis aux organisateurs de l'expo de l'Hospice Comtesse et à tous ceux qui se font des idées fausses sur l'art naïf. D'accord, il y a, il y a eu du mauvais art naïf, de l'art naïf "cucul", comme l'appelle justement le collectionneur d'art naïf Yankel (qui a fait une donation importante au musée de Noyers-sur-Serein dans l'Yonne comme on sait). Mais il y a aussi un art naïf de qualité, effectivement aux limites parfois de l'art brut. L'exposition qui va s'ouvrir au Musée Maillol sur Séraphine de Senlis (Séraphine Louis), pour accompagner la sortie du film "Séraphine" est là pour nous convaincre de ce fait, même si certains, comme Michel Thévoz, sont tentés d'annexer à l'art brut les bons créateurs de l'art naïf, histoire de vider cette catégorie de ses meilleurs éléments, et histoire de n'y laisser que les mièvres et les cuculs, pour confirmer les oukases de Dubuffet à l'égard des Naïfs.

affiche du film sur Seraphine Louis 2007.jpg

      Ce que j'aime dans l'art naïf, c'est quelque chose qui me paraît aujourd'hui très moderne, la capacité à mettre sur un même plan des objets venus de l'imaginaire et des objets venus du monde perçu. Comme un terrain où réel rétinien et réel intérieur se rencontreraient. Cela explique en particulier que le surréalisme ait accordé beaucoup d'importance aussi bien à l'art naïf qu'à l'art brut.