13/03/2023
Les inspirés du bord des routes, premier film du Vidéoguide de l'Inventaire du Patrimoine de Nouvelle-Aquitaine
Suivez le Vidéoguide de l'Inventaire du Patrimoine en Nouvelle-Aquitaine... Qui vous emmène sur les traces des environnements populaires spontanés de cette immense région sous la forme de courts-métrages disponibles en libre service sur YouTube. Le premier de cette série vient d'être mis en ligne (voir ci-dessous). Cette dernière en comprendra quatre autres : un sur la question de la conservation et de la patrimonialisation, un sur le cas d'André Degorças en Charente, sur lequel je prépare en outre un article à paraître dans le prochain Création Franche, un troisième sur les cas d'Antoine Paucard et François Michaud, bien connus des lecteurs fidèles de ce blog puisque j'en parle, surtout du dernier, depuis 1991, et dans mon inventaire du Gazouillis des éléphants, bien entendu, enfin un quatrième sur le jardin de Gabriel Albert à Nantillé (Charente). Tous ces films courts sont, et seront, réalisés par Juliette Chalard-Deschamps avec l'aide rédactionnelle de Yann Ourry (connu pour sa défense du jardin de Gabriel Albert ). Dans le premier, on voit Stéphanie Birembaut, la directrice et conservatrice du Musée Cécile Sabourdy à Vicq-sur-Breuilh (Haute-Vienne), interviewée dans le jardin de son musée, en compagnie de votre serviteur, l'animateur de ce blog, tous deux s'évertuant à donner une première présentation du sujet à destination d'un public "non averti" :
13:55 Publié dans Amateurs, Architecture insolite, Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : inspirés du bord des routes, habitants-paysagistes naïfs, musée cécile sabourdy, vidéoguide nouvelle-aquitaine, inventaire du patrimoine nouvelle-aquitaine, environnements populaires spontanés, stéphanie birembaut, bruno montpied, sidération, françois michaud, abbé fouré, antoine paucard, andré degorças, gabriel albert, franck barret, raymond guitet, gilis | Imprimer
31/05/2008
Grandeur et décadence du jardin zoologique de Raymond Guitet
De tous les sites et environnements imaginés par des autodidactes d'origine populaire, j'ai un faible pour le "jardin zoologique" de Raymond Guitet qui agonise à Sauveterre-de-Guyenne dans ce que l'on appelle l'Entre-Deux-Mers, les "mers" en question étant la Dordogne et la Garonne. Je l'ai visité trois fois. Une première en 1988, une seconde en 1991 et la troisième tout récemment en mai 2008 (je fêtais l'anniversaire de ma première visite faut croire, mais ce fut une triste fête, le jardin est en voie de complet anéantissement).
En 1988, avec Christine et Jean-Louis Cerisier, aux portes de la bastide de Sauveterre, en demandant à des personnes assises sur un banc si on était encore loin du jardin, on s'était vu rétorquer que non, mais "c'est qu'il n'y avait plus rien là-bas"... Celle qui nous renseigna s'avèra une proche parente de Guitet (ce dernier étant décédé depuis un petit bout de temps, au moins trente ans). Une fois sur place -le site était à une centaine de mètres-, nous nous avisâmes qu'il y avait encore beaucoup de statues, certes en mauvais état (beaucoup étaient fissurées, avaient perdu leur ciment, montrant les infrastructures en tôle rouillée sur lesquelles l'auteur avait coulé le ciment, certaines statues avaient été enlevées...). Ainsi, il y avait encore quelque chose, et simultanément aux yeux des proches "il n'y avait plus rien". Cela me fit réfléchir. Les créations de Raymond Guitet avaient été associées par cette femme de façon tellement étroite à Guitet de son vivant que celui-ci une fois mort, sa création avait disparu aussi à ses yeux...
Ces statues avaient un aspect rugueux, surtout parce qu'à cette époque elles avaient perdu leurs couleurs. Car elles étaient peintes, comme on peut s'en convaincre en regardant les photos, vraisemblablement du début des années 70, de Jacques Verroust, publiées dans son livre de 1978 (écrit avec Jacques Lacarrière) Les Inspirés du Bord des Routes (Le Seuil éditeur). Je fais comme ces auteurs au fait, j'orthographie Guitet avec un "t", comme le créateur lui-même l'orthographiait, il n'est que de lire les panneaux en ciment où il a apposé plusieurs fois son nom (l'orthographe avec deux "t" se trouve notamment dans les livres de Claude Arz sur la "France insolite" par exemple, et dans des ouvrages anglo-saxons qui ont recopié cette graphie à partir de Arz).
Les statues étaient disposées leur face tournée vers la route, à l'intention des passants sans l'ombre d'un doute, derrière un portique décoré de statuettes où un médaillon en ciment proclamait fièrement "L'an 1950 jardin zoologique de Sauveterre créé par R.Guitet". Au revers, une autre inscription ajoutait cette précision: "à l'âge de 75 ans". Ce portique existe encore aujourd'hui, mais la première inscription a été maladroitement badigeonnée de ciment, et il ne reste plus qu'une statuette pendouillant lamentablement (une sorte de lutin avec un bonnet). 75 ans en 1950, je m'étais dit que Guitet avait donc dû naître vers 1875, ce qui faisait de lui un créateur avec un pied culturel dans le XIXe siècle. On a donné la date de 1956 pour sa disparition (Jean-Louis Lanoux, voir bibliographie à la fin de cette note) , qui a donc suivi de près la réalisation de son jardin, elle-même étalée, finalement, sur un assez court laps de temps. Pour le reste, on ne sait pas grand-chose sur Raymond Guitet. J'ai retrouvé dans mes notes de 1988 qu'il aurait exercé le métier de charron, puis de marchand de fruits. Patrick Riou le signale quant à lui comme "cantonnier", ce qui a été répété ensuite sans confirmation de la véracité du fait...
Le jardin zoologique, plus très zoo, plus très logique... ; il reste trois grandes statues lézardées, un ou deux animaux, le portique, mais c'est bien tout... ph.B.Montpied, mai 2008
Pour faire un peu progresser la bio de ce créateur magnifique mais peu prolixe (on ne connaît de lui que cet unique jardin paysagé de quelques dizaines de mètres carré), je suis allé demander à J-L. Lanoux où il avait trouvé la date de la mort de Guitet. Il a eu la grande amabilité de me communiquer les dates exactes de naissance et de mort: 18 juin 1876-13 janvier 1956, ainsi qu'une copie d'un document intéressant. Il a été en contact avec une habitante de Sauveterre s'intéressant au "cas Guitet". Cette dame avait également ajouté les précisions suivantes: "(...) marié à 22 ans à Marie Barthélémy (27 ans). Profession jardinier. (...) Homme vaillant, a élevé quatre enfants. Il fut adjoint au maire en 1929 et en 1940. Il faisait les marchés, notamment volailles, oies, oeufs. Il avait créé également une petite scierie. Une de ses filles mariée au Maroc l'avait mis en contact avec un exportateur d'agrumes et avec toutes ces activités il avait à ses moments de détente élaboré ce jardin "zoologique" que le temps inexorable a griffé bien sérieusement..." (Extrait d'une lettre de Mme G. à J-L.Lanoux, 17 avril 1990). La mairie actuelle, comme on le voit, aurait pu prendre davantage soin de l'oeuvre d'un des anciens responsables, petite remarque en passant...
"Zoologique", pour qualifier ce "jardin" m'a toujours paru curieux... Guitet avait campé des animaux certes, un singe avec un boulet (disparu), un serpent, un lièvre debout (disparu), un chien (encore en place aujourd'hui), plusieurs oiseaux, des oies, des dindons, des vautours avec leurs nichées (dont un oeuf en train d'éclore dans un des nids ; ces vautours perchés sur des aquariums sans eau où étaient suspendus des poissons sont actuellement absorbés dans les buissons et les arbres qui ont envahi l'arrière du jardin), un ou deux lions (dans la saynète représentant un dompteur de "cirque", saynète elle aussi disparue)... Mais ce que l'on remarquait avant tout, c'était les statues représentant des êtres humains, personnages célèbres de l'histoire de France, comme le général Leclerc (statue toujours en place), Jeanne d'Arc (en place), le général (sic) De Lattre de Tassigny (en place), des autoportraits (il y en avait deux à deux tailles différentes, statues aujourd'hui toutes les deux disparues...) et des saynètes de type caricatural ("T'en fais pas, la Poste marche si mal", groupe de deux petites statues qui avait déjà disparu avant 1988 ; on connaît leur existence par les photos de Jacques Verroust et de Patrick Riou, elle se situaient aux pieds du singe sur son arbre ) ou illustrant un dicton ("Crédit est mort, les mauvais payeurs l'ont tué", groupe abîmé en 1988, disparu en 2008). Il est probable que Guitet n'avait pas trop fait attention à cette petite contradiction. Mais du coup les braves généraux et la célèbre pucelle se retrouvaient embringués dans une drôle d'Arche de Noé...
Plusieurs statues pouvaient être identifiées grâce à des inscriptions gravées dans le ciment de socles ou de médaillons placés au sol devant les statues. Une de ces inscriptions que j'ai photographiée déjà bien abîmée en 1988, et qui était alors installée à même le sol au risque d'être recouverte par la végétation, avait été à l'époque des photos de Jacques Verroust dressée contre les jambes de la grande statue représentant Guitet. Voici ce qu'elle disait:
Inscription sur une galette de ciment posée à même le sol (et rehaussée par moi) ; disparue aujourd'hui... Photo B. Montpied, 1988
La statue comportait elle-même une inscription à ses pieds qui identifiait Guitet sous les traits de cet homme à gilet et casquette, en sabots, tenant un oiseau sur le poignet: M.Guitet créateur du jardin zoologique de Sauveterre [...]. Ce terme de "créateur" est à souligner. Il est assez rare qu'un de ces créateurs d'environnement spontané qualifie lui-même de façon aussi nette son activité. Le terme d'"artiste", on le voit en tout cas, n'a pas été retenu par l'auteur lui-même (à nos yeux de façon tout à fait pertinente).
L'autre statue autoportraiturant Guitet le représentait, dans des dimensions nettement plus réduites par rapport aux quatre autres statues placées sur la même ligne au fond du jardin, avec un immense chapeau (peut-être traditionnel?) et des accessoires qui paraissent comme les attributs d'une profession (une corde autour de la taille?). Est-ce une petite roue qu'il porte sur l'épaule gauche (où sur ma photo de 1991, se tient un morceau écroulé du chapeau)? Toutes ces précisions auraient pu être apportées par la moindre recherche d'un érudit régional qui serait allé enquêter auprès de la famille. Il n'est pas dit que cette enquête n'ait pas été menée (comme on le sent dans les recherches de Lanoux qui datent de 1990). Mais pour le moment, nous n'en avons pas entendu parler.
Ce jardin était une merveille. Ses statues, son ordonnancement, l'idée de placer en son centre un bassin (quadrilobé, joli mot précis, n'est-ce pas Jean-Louis?) qui était rempli d'eau autrefois (on en voit sur les photos de Jacques Verroust), d'où émergeait l'étrave d'une barque avec un marin juché dessus brandissant une pagaie, et qui comportait, semble-t-il lui aussi une inscription que cite Patrick Riou dans son livre ("15 juin date mémorative") -peut-être un souvenir de combats auxquels Guitet aurait pu participer? Hypothèse que j'aventure... La naïveté de sa conception, de sa facture, naïveté rugueuse et non mièvre... comme je les regrette à présent que tout est parti à vau-l'eau. Son Leclerc qui ressemble encore un peu à un Golem, sa Jeanne d'Arc à quelque solide guerrier africain, et l'air quelque peu éberlué de son De Lattre ne donnent plus qu'un faible écho de ce que l'on ressentait en découvrant ce petit théâtre de verdure avec ses simulacres en plein vent.
Je l'ai déjà égrenée la liste des statues anéanties, ou volées (ce qui est un des espoirs qui nous restent, que ces statues ressortent un jour sur quelque brocante, et c'est parfois la dernière solution qui reste lorsque toutes les bonnes volontés ont été épuisées pour sauver légalement un site dont les successeurs ne veulent rien faire), mais il faut la redire, en une litanie résignée: plus de singe au boulet et de serpent autour de l'arbre, "Crédit est mort" et bien mort..., plus de marin sur son esquif, où sont passés "les trois sages" qui "voyaient, entendaient tout, mais ne disaient rien" (et dont les conseils auront finalement été bien trop entendus)? Envolés... Plus de cirque miniature, plus de lièvre, plus aucun autoportrait de Raymond Guitet, plus d'animaux, dindons cocasses, vaguement ubuesques. Le terrain bâille à la mort, tout est déséquilbré, infirme, il ne reste plus que l'attente d'un coup de grâce...
Bibliographie sur Raymond Guitet:
Jacques Verroust et Jacques Lacarrière, Les Inspirés du Bord des Routes, Le Seuil éditeur, Paris, 1978.
Patrick Riou, Les Jardiniers du Quotidien, ou l'art populaire dans le grand Sud-Ouest, Patrick Riou, Toulouse, 1984 (vraisemblablement).
Bruno Montpied, Le Ciment des Rêves, une promenade chez quatre créateurs de sites naïfs ou bruts du Sud-Ouest [François Michaud, Gilis, Raymond Guitet et Gabriel Albert], in Plein Chant n°44, Bassac, printemps 1989. Ce texte est émaillé de petites erreurs que j'ai plaisir à corriger aujourd'hui (attributions de noms erronés aux statues de Guitet, erreur sur le nom de Gabriel Albert, coquilles de l'imprimeur, n'en jetez plus)... Ce texte n'en reste pas moins le premier à parler de Guitet, les deux ouvrages précédents ne montrant que des photos sans apporter beacoupde commentaires. La briéveté de ma visite, ses conditions de clandestinité (nous avions tout de même sauté sans autorisation la petite clôture...), le fait que j'ai surtout photographié à tour de bras et filmé aussi en Super 8 ce jour-là (avec la crainte d'être embêté par les voisins), tout cela est grandement responsable des erreurs d'interprétation. Mes successeurs eurent beau jeu de les rectifier, à partir de ce premier jet. Mais il est vrai aussi que la vérité se construit à plus d'un.
Jean-Louis Lanoux, L'autre vie de Raymond Guitet, Bulletin de l'Association les Amis d'Ozenda n°44, septembre 1991. Dans cet article Jean-Louis concluait en demandant, optimiste comme on le connaît: "Alors, pour Raymond Guitet, une autre vie demain?". On a vu la réponse, hélas.... Cette autre vie risque fort de ne plus exister que dans nos mémoires, photographiques ou autres. Merci en tout cas à J2L qui s'est gentiment fendu pour notre blog de ses informations inédites sur Guitet.
(Il y eut d'autres personnes par la suite qui parlèrent un peu de Guitet, mais rien de fondamentalement nouveau ne fut apporté, semble-t-il (mais nos lecteurs peuvent très bien nous communiquer d'autres références que nous n'aurions pas vues) ; on se contenta de publier des photos et de recopier platement ce qui avait déjà été écrit (sans citer ses sources bien entendu), je pense notamment au plumitif peu inspiré qui livra un texte sans relief dans Zon'Art n°5, au printemps 2001, "La curieuse zoologie de Raymond Guittet" (sic) )
01:40 Publié dans Art Brut, Art naïf, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : raymond guitet, environnements spontanés, habitants-paysagistes, inspirés du bord des routes | Imprimer