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21/04/2014

Art brut à Taïwan (5): Le jardin enchanté d'un garde-barrière retraité, Chen Kunpiao

Le jardin enchanté d'un garde-barrière retraité

 

     Avant mon départ pour Taiwan à la recherche d’environnements spontanés, je m’étais renseigné auprès de quelques amis sur place susceptibles de me suggérer quelques pistes. Une amie m’avait alors indiqué avoir entendu parler par une de ses connaissances d’une « installation » étrange entrevue par celle-ci quelques années auparavant devant une maison des faubourgs de la ville de Taidong le long de la route qui mène à Kuanshan.

        La brève description qui m’en avait été faite m’avait fort intrigué : un petit ensemble bariolé avec des animaux divers de facture très grossière. Muni de ces renseignements lapidaires, j’ai parcouru lentement la route dans la direction indiquée. Au bout d’une vingtaine de kilomètres, ma recherche s’était révélée vaine. Persuadé que le site avait été détruit, j’effectuai le trajet de retour vers Taidong très déçu de cette déconvenue. Mais comme souvent lors de ce genre de recherche, la magie se manifeste lorsqu’on ne l’attend plus. C’est dans la partie la plus dense du faubourg, là où précisément je ne pensais pas le trouver, que je le découvrai finalement. Installé à même le trottoir, sans doute masqué par une voiture lors de mon premier passage, l’ensemble bariolé pourtant de taille fort modeste m’apparut tout d’un coup dans son énormité, c’est à dire dans toute la mesure de son incongruité en un tel lieu.

 

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Le préambule, côté rue, ph. Remy Ricordeau, 2014

 

 

        Je m’arrêtai donc pour photographier cette curiosité et essayer de me renseigner sur son créateur. M’adressant à quelques ménagères qui conversaient bruyamment devant la boutique voisine, on me fit comprendre avec quelque malice que je ne voyais là qu’un préambule à la partie « la plus belle » qui se trouvait derrière la maison. J’utilise des guillemets car je crus déceler dans le ton de leurs propos une ironie moqueuse, ce que la suite me confirmera. Passablement excité par la vue de cette première partie dont la forme et les couleurs m’apparaissaient déjà aussi  originales qu’intrigantes, je fis donc le tour du pâté de maisons pour accéder à la cour arrière qu’on m’avait indiquée. Les voisines ne m’avaient pas menti. Et je leur en suis d’autant plus reconnaissant que sans leurs indications je me serais sans doute contenté du préambule, sans imaginer que l’essentiel se trouvait à l’arrière.

 

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Devant la porte arrière de la maison, une girafe et un footballeur faisant sécher 2 pantoufles, ph. RR, 2014

 

         L’essentiel, en l’occurrence, est constitué d’un incroyable jardin ou des éléments végétaux, arbustes et plantes tropicales, côtoient de très étranges sculptures en ciment de facture très grossière représentant divers spécimens du monde animal.

 

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Le jardin arrière vu de la ruelle, ph. RR, 2014

 

 

       Sans certitude, j’ai cru en effet reconnaître des bovins, des éléphants, des girafes, des oiseaux, ainsi que d’autres animaux plus difficilement identifiables disposés au milieu de pierres ou de galets peints des couleurs les plus éclatantes. Quelques représentations humaines aux allures de footballeurs, ce qui est fort étrange dans un pays où ce sport n’est pas particulièrement populaire, figurent également dans ce jardin extraordinaire.

 

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Le jardin arrière, vue générale, ph. RR, 2014

      La première chose qui m’a frappé, outre le choix de couleurs identiques au site de M. Huang à Taizhong, est le fait que le sol des allées de ce petit jardin y était également décoré dans une forme et dans une esthétique très proches. J’apprendrai par la suite que son créateur, M. Chen Kunpiao, ainsi que sa famille avec laquelle il vit, ignorent absolument l’existence de l’œuvre de leur compatriote de Taizhong.

 

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L'entrée du jardin, ph. RR, 2014

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Une partie du jardin sous tonnelle avec personnages, ph. RR, 2014

 

        Je commençais de la rue à prendre quelques photos lorsque je vis une femme sortir de la maison pour mettre du linge à sécher. Après m’être présenté, elle sembla étonnée que l’on puisse porter de l’intérêt à son jardin, d’autant plus peut-être que celui qui s’y intéressait était occidental. (Les occidentaux sont très peu nombreux dans cette partie de l’île). Elle m’expliqua qu’en vérité ce n’était pas son jardin mais celui de son père avec lequel elle vit et dont elle s’occupe avec sa famille. (Il n’est pas rare à Taiwan de voir trois générations vivre sous le même toit). Celui-ci, garde-barrière à la retraite et aujourd’hui âgé de 94 ans (une autre similitude avec Huang Yongfu) s’est mis à récolter des pierres et des galets depuis une vingtaine d’années et consacre son temps à les agencer de la sorte. Il s’est également mis à sculpter le ciment et tous les matins de l’année il passe son temps à peindre et repeindre inlassablement le jardin.

 

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Un détail, ph. RR, 2014

 

          Son activité créatrice est devenue si obsessionnelle, m’a expliqué sa fille, que celle-ci a dû lui interdire de s’attaquer aux murs de la maison qu’il semble un temps avoir convoités. J’ai senti aux explications de celle-ci un certain désarroi ou une certaine honte à l’égard de l’activité créatrice de son père qu’elle ne comprend et ne goûte visiblement pas. Par égard pour lui, elle le laisse faire et accepte sa création comme expression de sa sénilité au prix sans doute de quelques moqueries de la part du voisinage. Sur mon insistance, elle est allée chercher son père qui finissait son repas à l’intérieur de la maison. Celui-ci a écouté mes louanges d’un air amusé. Je lui ai montré des photos de sites français créés dans un esprit similaire. J’ignore s’il a vraiment compris ce que je lui disais car il semblait un peu ailleurs et répondait à mes questions d’une manière plutôt incohérente. Il manifestait en tous cas peu de soucis de complaire à quelque public que ce soit. Pour l’essentiel je suis resté sur ma faim quant aux motivations de sa démarche créatrice. J’aurais aimé avoir avec lui un échange un peu plus approfondi mais de toute évidence, au crépuscule de sa vie, le temps des explications était déjà passé.

 

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Chen Kunpiao, le créateur, ph. RR, 2014