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Antonio Ligabue, proposé par le museum Im Lagerhaus à St-Gall comme un ”Van Gogh suisse”

      Antonio Ligabue, ce peintre autodidacte, présenté depuis belle lurette comme un Naïf ou un Expressionniste spontané italien par divers commentateurs (Zavattini en Italie, José Pierre ou Jakovsky en France), qui vécut entre 1899 et 1965, est né, on le sait peu, à Zürich, et a passé sa jeunesse en Suisse dans différentes régions, dont l'Appenzell, jusqu'à ses 19 ans, âge auquel il fut expulsé de Suisse vers l'Italie – où il dut se résoudre à vivre, en dépit d'une nostalgie de son pays de jeunesse qui le poussa quelquefois à des velléités de retour, bien vite réprimées par les carabiniers...

 

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Ligabue, c'est le Douanier Rousseau qui aurait lâché les fauves dans ses jungles.

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"Antonio Ligabue, le Van Gogh suisse"...

 

    Ayant vécu la majeure partie de sa vie en Italie, et ayant des parents tous deux originaires de ce pays, l'attribution de la nationalité italienne est généralement conférée au peintre... Le musée Im Lagerhaus ("L'entrepôt"), à St-Gall, spécialisé dans l'art brut et naïf de Suisse orientale, lui consacre une exposition du 2 avril au 8 septembre 2019 pour souligner qu'en fait on pourrait tout autant attribuer une imprégnation culturelle suisse à Ligabue,  histoire en quelque sorte de réparer ce que le musée considère comme une injustice commise par le pays à l'égard de cet artiste sauvage étonnant, à la vie terrible... Pour comprendre les tenants et aboutissants de cette tentative de réparation, il faut plonger quelque peu dans la biographie d'Antonio Ligabue...

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Violence des luttes prédatrices... Un des nombreux tableaux de luttes ou de menaces bestiales de Ligabue.

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Antonio Ligabue, renard fuyant avec son butin...

 

   Sa mère, Elisabetta Costa était une émigrante, donc, originaire d'Italie (précisément la province de Belluno) ainsi que, semble-t-il, son père, sur lequel sa biographie ne peut donner de renseignement bien précis. Il y a beaucoup de mystère autour de celui-ci... On sait seulement que sa mère épousa deux ans après la naissance d'Antonio, et un an après que ce dernier avait été confié à des parents adoptifs d'origine allemande (Ligabue gardera du coup toute sa vie l'allemand comme langue maternelle...), un Italien, Bonfiglio Laccabue, qui légitima l'enfant, sans que l'on sache s'il était son vrai père biologique ou seulement un beau-père. Ce Laccabue était originaire de Gualtieri, ville proche de Reggio-Emilia. C'est à partir de ce patronyme qu'Antonio changera son nom, au départ celui de sa mère, Costa,  en adoptant Ligabue, dérivatif de Laccabue. Le musée Im Lagerhaus souligne que le petit Antonio ne rencontra cependant jamais ce père (il fut remis à ses parents adoptifs après ses neuf premiers mois), qu'il n'avait pas reçu la nationalité suisse et que donc il était officiellement domicilié à Gualtieri, la ville de l'homme qui l'avait reconnu...

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Un des nombreux autoportraits d'Antonio Ligabue.

 

     Comme si ces rapports troublés avec ses parents biologiques ne suffisaient pas, le jeune Antonio entama avec sa mère adoptive, Elise Hanselmann, une relation d'amour/haine particulièrement étrange (à se demander s'il n'y eut pas une relation "symboliquement incestueuse" sous-jacente ?). Il semble, de plus, qu'Antonio ait développé des difficultés relationnelles avec ses semblables assez tôt, puisque, à son adolescence, il est admis dans un institut pour handicapés dont il sera expulsé trois à quatre ans plus tard, en raison de "mauvais comportements" (sa biographie précise qu'on lui avait reconnu parallèlement une certaine habileté dans le dessin). A la suite d'une crise violente contre sa mère adoptive (crise passionnelle?), il est interné quatre mois. De façon intermittente, il tente d'exercer le métier d'agriculteur, et mène une vie errante. Durant ces vagabondages, on pense qu'il fut peut-être amené à rencontrer certains peintres naïfs ambulants de l'Appenzell. Sa biographie n'est pas diserte là-dessus, mais on peut penser qu'il est fait allusion ici à cette "école" de peinture spécialisée dans les "poyas", ces peintures d'alpage montrant des cortèges de bovins serpentant dans la montagne au moment de l'estive (dont j'ai parlé dans le passé sur ce blog).

     En 1919, une nouvelle crise de violence à l'égard de sa mère adoptive pousse cette dernière à porter plainte contre lui. Il semble qu'elle n'ait pas mesuré la portée de cet acte. La Suisse l'expulse du pays en estimant qu'il n'a qu'à revenir au fameux bourg de Gualtieri. Il va tenter d'y vivre malgré son désir de retourner en Suisse vers sa mère adoptive (il a 20 ans), avec un statut d'étranger parmi les autochtones, de même souche que lui pourtant. Toute sa vie, il gardera l'accent allemand, et conservera la langue du reste (ce qui l'amènera pendant la guerre à servir d'interprète à l'armée allemande ; cela ne lui portera pas bonheur puisqu'il aura une altercation avec un soldat qui le mènera à se faire interner un moment, une fois de plus). Cela ne l'aide pas à trouver du travail. La municipalité lui apporte un peu de secours, certains habitants lui font la charité, sa mère lui envoie quelques subsides. Il vit de petits boulots occasionnels, et continue à errer le long du Pô, et dans les bois. Il reste un "Autre" partout où il va, étranger en Suisse comme en Italie. Il se met à peindre avec plus d'assiduité à la fin des années 1920, à sculpter l'argile aussi. Certains artistes s'intéressent à lui et le soutiennent. Des périodes d'internement psychiatrique à Reggio-Emilia se suivent régulièrement. Entre temps, sa notoriété en tant que peintre a grandi. Il reçoit des prix, on tourne des documentaires sur lui (voir ci-dessous) il gagne de l'argent, il peut donner libre cours à sa passion des motos, il  a un chauffeur et une voiture... Il expose à Rome, il devient une gloire nationale, et s'éteint en 1965.

Film de Raffaele Andreassi, 1962 (23 min.).

 

    Sa peinture représente souvent des bêtes tous crocs dehors, la gueule ouverte exagérément soulignée, leurs yeux dilatés, comme s'il fallait faire peur aux spectateurs, souligner la peur que ces spectacles inspirent, souligner la force bestiale de prédateur de ces animaux si terriblement concentrés dans leurs actes de prédation... Ligabue s'est fait photographier et filmer en train de se mesurer à ces gueules ouvertes, en imitant leurs postures, comme s'il fallait qu'en les singeant il puisse s'incorporer la signification, le sens de leurs actes, et un peu de leur "âme". La violence et la force brute des animaux devait puissamment faire écho en lui, étant donné qu'il avait lui-même éprouvé à plusieurs reprises dans sa vie des élans d'agressivité.

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Antonio Ligabue, photographe non identifié.

 

     Dans le film d'Andreassi ci-dessus, on le voit errer, un miroir autour du cou (on pense au miroir de l'Indonésienne Ni Tanjung), sur les rives marécageuses du Pô, poussant des cris d'oiseaux sauvages, regardant son visage dans le miroir pour voir s'il se rapproche de l'aspect des gueules ouvertes des bêtes qu'il tente d'imiter, pour ensuite peut-être mieux les représenter. Il y avait du chaman en lui...

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Antonio Ligabue, Le grand jaguar.

 

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Benjamin Péret à la Halle Saint-Pierre, quelques événements pour un riche retour sous la lumière

      Du 8 au 28 janvier, la Halle Saint-Pierre accueille une évocation de Benjamin Péret dans sa "galerie" du rez-de-chaussée, centrée sur les voyages qu'il fit entre 1955  et 1956, fasciné par les arts des Indiens et l'art populaire du Brésil. En effet, les éditions du Sandre, au même moment où elles publiaient mon Gazouillis des Eléphants – qui traite aussi d'art populaire – a sorti en novembre 2017 un beau livre consacré à Benjamin Péret et intitulé Les arts primitifs et populaires du Brésil, photographies inédites, qui illustre une fois de plus le profond intérêt qu'éprouvait le poète surréaliste pour l'art primesautier où qu'il se manifeste dans le monde. Si la galerie de la Halle présente sept vitrines d'exposition de différents documents et objets relatifs à cette période de la quête pérétienne, le tout sous le titre "Du merveilleux, partout, de tous les temps, de tous les instants", il convient de signaler – outre le vernissage (en entrée libre, comme tout ce qui concerne ces événements) autour de Péret qui aura lieu le jeudi 11 janvier prochain de 18h à 21h – également une après-midi consacrée à la présentation du livre, ainsi qu'à celle du dernier numéro  (le n°6) des Cahiers Benjamin Péret dans l'auditorium de la Halle, au sous-sol, le dimanche suivant 14 janvier, à 15h. Cela se fera en présence de Leonor de Abreu et de Jérôme Duwa, co-responsables du livre des éditions du Sandre, ainsi que de Gérard Roche (président de l'Association des amis de BP), celui-là même qui vient de signer la magnifique et vivante édition de la correspondance André Breton-Benjamin Péret chez Gallimard (2017).

Benjamin Péret les arts primitifs et populaires du Brésil.jpg

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Une correspondance fascinante, pleine de vie, qui restitue les deux poètes avec une spontanéité et une chair que l'on ne rencontre pas de la même manière dans leurs autres écrits (même si Péret écrivait comme il respirait) ; certainement un des meilleurs volumes de la correspondance jusqu'ici parue concernant Breton. A n'en pas douter, ce furent eux les piliers du château étoilé...

 

     Il faut dire que l'actualité éditoriale est richement consacrée au retour de Benjamin Péret dans nos esprits et dans notre mémoire en ce moment. Il ne faut pas oublier de mentionner en effet la très bonne biographie de Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret, l'astre noir du surréalisme, parue en 2016 chez Libertalia¹, qui permettra à tous ceux qui apprécient cet enfant terrible de la poésie, de l'amour sublime et de la révolte, s'ils ne savent pas de qui il s'agit exactement, de faire un copieux tour du personnage, documenté de faits, d'analyses et d'anecdotes savoureuses comme celle qui campe Péret, sortant de chez André Masson, et qui, chaque fois qu'il passait devant la loge où les concierges laissaient voir leur repas en famille, lançait : "Alors? Elle est bonne la merde?", ou encore cette autre, racontée par Marcel Duhamel, où, déambulant en voiture avec Tanguy, Prévert et Duhamel, il tirait au revolver en l'air au long des routes, comme un fêtard mexicain...

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Photo de Benjamin Péret extraite du livre aux éditions du Sandre ; Lampião et Maria Bonita, céramique polychrome, Mestre Vitalino, Caruaru, État du Pernambouc, coll. Museu de Arte Popular, Recife.

 

    Benjamin Péret, comme le souligne pertinemment Schwartz dans sa biographie, était un des rares autodidactes du mouvement surréaliste, avec Yves Tanguy, par ailleurs d'origine bretonne comme lui (Péret était nantais). Cela est à mettre en liaison directe avec son goût jamais démenti pour les techniques automatiques surréalistes, lui servant à lâcher les rênes d'une inspiration qui ne mettait jamais longtemps à traîner dans la boue les autorités, le clergé, l'armée, les juges, tout ce qui s'opposait à l'exercice de la liberté et de l'amour. Et cela explique aussi, outre le fait qu'il était de par ses origines prolétaires anti élitiste et anti bourgeois, sa compréhension profonde pour les arts populaires, les mythes et légendes dont il prisait essentiellement l'esprit magique, le merveilleux sous toutes ses formes (voir par exemple cet article qu'il consacra dans Minotaure aux armures délirantes de la Renaissance, ou aux automates) et vers la dernière partie de sa vie, pour deux figures importantes de l'art singulier (aux limites de l'art brut), Robert Tatin et Gaston Chaissac.

Benjamin Péret l'astre noir du surréalisme.jpg

    En effet, si l'on connaît le texte qu'il consacra à Chaissac, daté de 1958, dans l'édition de luxe des Inspirés et leurs demeures de Gilles Ehrmann, L'homme du point du jour, tel qu'édité dans le livre d'Henri-Claude Cousseau sur l'œuvre graphique de Chaissac chez l'éditeur Jacques Damase en 1982, texte différent (on découvre en effet des paragraphes alternatifs d'une version  à l'autre...) de la version intitulée Sur Chaissac dans Benjamin Péret, Œuvres complètes Tome VI (Association des amis de Benjamin Péret/libraire José Corti, 1992), on connaît bien moins le texte étonnant qu'il écrivit pour présenter Robert Tatin en 1948 (il venait de rentrer du Mexique en France), découvert par hasard semble-t-il, dans une galerie rue du Petit-Musc à Paris. Ce texte – inédit dans ses Œuvres Complètes – avait été proposé à Jean Dubuffet pour le projet d'Almanach de l'Art brut que ce dernier décida finalement de ne pas publier, en raison probablement de son désaccord ultérieur avec Breton. Il vient d'être (enfin) publié (en 2017, là aussi), en reprint d'après les tapuscrits, par la Collection de l'Art Brut, l'Institut Suisse d'Etude de l'Art et 5 Continents. Il nous montre que Péret n'eut de cesse de veiller aux irruptions de poésie sauvage qu'elles proviennent des jungles amazonienne ou mexicaine, ou de zones marginales de la créativité populaire en France. Voici un passage qu'il écrit au sujet de Tatin, alors seulement céramiste et peintre, et n'ayant donc pas commencé son environnement ébouriffant et syncrétique de la Frénouse à Cossé-le-Vivien en Mayenne (il recroisera la route des surréalistes au début des années 1960, ce que Péret n'aura  pas su puisqu'il décédera en 1959) : "Sa peinture a en effet  la force primitive de tous les arts archaïques (...) Robert Tatin revient donc aux origines mêmes de l'art, au point d'intersection qui contient en puissance l'infini des possibilités."  (L'Almanach de l'Art Brut, p. 473). Dans ce même Almanach, on trouve un autre texte sur les peintures populaires des cafés mexicains où l'on buvait de la pulque (alcool d'agave), Enseignes de pulquerias. Il me semble qu'il a été édité dans ses Œuvres complètes, dans le tome VII (à vérifier). A propos de ces Œuvres complètes (sept jusqu'à présent), on notera aussi un texte qu'il consacra à l'architecture délirante de Gaudi à Barcelone.

     Péret aurait vécu plus longtemps, nul doute qu'il aurait fait un tour plus appuyé du côté de tous les inclassables de l'art et autres poètes plastiques de la spontanéité apparus après les années 1960, du côté de l'art brut et dans ses marges. De l'art brut, je n'ai relevé jusqu'à présent qu'une  mention par Péret. Elle figure dans son texte contre l'art abstrait, La soupe déshydratée, paru dans l'almanach surréaliste du demi siècle (réédité par Plasma en 1978). Et il est dit quelque part (un texte d'exégète dans la récente édition de l'Almanach de l'art brut ? J'avoue avoir la flemme d'aller retrouver la source...) qu'il accompagna Breton et Dubuffet aux Puces lorsqu'il s'agit d'aller acquérir des masques en coquillage de Pascal-Désir Maisonneuve vers 1948, à l'époque où tout allait encore bien entre le pape de l'art brut naissant et le chef de file du mouvement surréaliste...

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¹ On rappellera aussi le film de Remy Ricordeau, déjà signalé sur ce blog, Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret poète c'est-à-dire révolutionnaire, sorti en DVD, production Seven Doc, sorti en 2015. La première partie de son titre est repris du titre d'un des recueils de Péret, tandis que la deuxième récupère un autre titre, celui  d'une émission de radio de Guy Prévan de 1999, elle-même, comme il est précisé dans les commentaires ci-après par R.R.., reprenant un fragment du Déshonneur des poètes, ce livre de Péret contre la poésie de circonstance qui fit scandale chez les Aragonéluards en 1945, puisqu' y étaient visés les poètes stalino-nationalistes qui à la Libération confisquaient la vie culturelle à Paris.

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Association des amis de Benjamin Péret 
50, rue de la Charité
60009 Lyon

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Cartes postales exhumées du pays des éternelles vacances

    Je joue, entre autres casquettes, au collectionneur voué aux seules cartes postales qui traitent des créations environnementales populaires. Collectionneur n'est pas le terme exact. J'amasse de la documentation variée sur le sujet depuis bientôt vingt-huit ans. Dans cette documentation, les cartes postales montrant des créations populaires insolites ont un charme et une place à part dans mon coeur.

Le-Facteur Cheval-et-sa-brouette carte postale d'époque.jpg

     Ces dernières ont commencé à m'intriguer du jour, je crois bien, où je me suis intéressé à l'abbé Fouré et ses rochers sculptés à Rothéneuf en Bretagne (vers 1981). Le facteur Cheval et lui avaient fait éditer de copieux lots de cartes qu'ils vendaient sur leurs sites. Ce petit bout de carton était familier et réputé dans les milieux populaires au début du XXe siècle. Pas cher, facile à employer, à faire circuler, il véhiculait sans peine l'image qu'on souhaitait transmettre de son travail ou de ses moments passés loin de ses proches ou de ses amis. Une forme d'art modeste, dirait-on du côté de Sète. C'était une forme de publicité très populaire, de médiatisation immédiate si l'on peut dire, que les deux créateurs d'environnement, dans la Drôme et en Ille-et-Vilaine, surveillaient jalousement (tous deux eurent maille à partir avec des indélicats qui voulurent vendre leurs clichés sans autorisation des créateurs, est-ce la raison pour laquelle du reste, on trouvait sur le site des rochers à Rothéneuf un buste titré "L'avocat des rochers"? Inscription effacée avec le temps...). Notons au passage que ce genre de publicité modeste organisée autour de leurs environnements contribue à distinguer les créateurs d'environnements, tels Cheval et Fouré (Charles Billy aussi par exemple a édité des cartes sur ses réalisations) des autres auteurs d'art brut, beaucoup moins (si ce n'est pas du tout) préoccupés de faire connaître leurs travaux à l'extérieur de leur cercle intime (ceci pour répondre à une discussion initiée avec Régis Gayraud, par commentaires interposés...). Les environnementalistes spontanés me paraissent les extravertis de l'art brut, si l'on peut dire...

Abbé Fouré, la sculpture représentant l'Ermite et au-dessus à droite l'Avocat des rochers.jpg
Abbé Fouré, sculptures de rochers et maçonnerie au bord de la mer à Rothéneuf (Ille-et-Vilaine), entre 1894 et 1910 ; l'abbé s'est représenté les bras écartés, protégeant les pauvres, l'inscription au-desus de sa tête désignant "l'ermite" qu'il était ; "L'avocat des Rochers" est en haut à droite ; actuellement, certaines de ces sculptures ont disparu, ainsi que les inscriptions et les couleurs, l'ensemble des sculptures encore en place étant très érodées par les embruns; carte postale début XXe siècle, coll.B.M. 

 

     Les cartes postales, en outre, sont un conservatoire minuscule mais paradoxalement efficace (il y a un charme) des sites d'art brut disparus, ou modifiés dans la suite des temps. Grâce à elles, nous disposons de la nouvelle objective (effacée souvent partout ailleurs...) de leur passage effectif dans une certaine durée du temps. Pour les plus anciennes, elles sont en noir et blanc. Cela ajoute à leur mystère. Elles ont tout des mirages, illusions pourtant fixées.

    Ceux qui ont vu parmi les premiers l'intérêt qu'il y avait à conserver ces cartes qui témoignaient d'oeuvres bien oubliées dans la cascade du temps sont les géniaux animateurs du Musée rural des Arts Populaires de Laduz (dans l'Yonne), Raymond et Jacqueline Humbert et leur collaboratrice, Marie-José Drogou. Dans leur département consacré à la Sculpture Populaire, on pouvait voir, dès le début du musée (à la fin des années 1980), accrochées aux cimaises certaines de ces cartes postales anciennes concernant par exemple Claude Poullaouec, étonnant créateur qui avait peint des lits clos de façon ultra-naïve à Plougonvelin (voir ma note du 7 juillet 2007), ou bien l'étrange maison sans fenêtres de Pierre Dange, à Rogny-les-Sept-Ecluses dans l'Yonne, ou encore les bois et les pierres sculptés de l'abbé Fouré sur les falaises de Rothéneuf.

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Pierre Dange posant devant son étrange maison à Rogny-les-Sept-Ecluses (Yonne) ; un de ses tableaux (paraissant représenter des chevaux) est posé contre un mur à côté de lui; carte postale coll.B.M.

    J'ai donc ramassé des cartes de manière intermittente, au hasard des brocantes et des magasins spécialisés destinés aux monomaniaques adorant tripoter ces petits bouts de papier jauni. Car ça n'est pas très ragoûtant, et ça ne donne pas une grande idée de la dignité humaine que de voir ces obsessionnels traquer la perle rare en triant sempiternellement leurs piles de cartes poussiéreuses classées par département, villes et "sélections". J'y allais un peu à reculons à chaque fois, à dose homéopathique... Ma collection a crû du coup très lentement... J'en utilisais à l'occasion pour illustrer des articles, par exemple sur François Michaud (La "Villa des Fleurs" curieuse villa décorée de sculptures à Montbard), en 1991, ou dans mon fanzine L'Art Immédiat...

Villa-des-Fleurs.jpg
La Villa des Fleurs à Montbard (Côte-d'Or) avec son auteur (le Docteur Chevreux, selon Gazogène) probablement présent, sur la droite montrant à un visiteur la maison curieusement décorée ; coll.B.M.
Page du livre sur FMichaud, la villa des fleurs à Montbard.jpg
Une autre carte sur La Villa des Fleurs fut reproduite dans le livre Masgot, L'Oeuvre Enigmatique de François Michaud, à l'intérieur du texte de B.Montpied, Formes pures de l'émerveillement ; Ed. Lucien Souny, 1991 

      Pendant ce temps, les scientifiques, les systématiques, les méthodiques arrivaient... Les marchands qui ne comprenaient jusque là pas trop bien le genre de cartes que je cherchais, puisque ces cartes n'avaient jamais fait l'objet d'aucune collection, commencèrent tout à coup à mieux situer le champ... Une terminologie s'esquissait: "Monsieur cherche des jardins fantastiques populaires sans doute?", ça c'était le marchand pointu, mais j'entendais surtout: "Vous cherchez des facteurs Cheval ?"...

      Tout à coup Jean-Michel Chesné fut là! Ayant de plus rencontré la célèbre concierge de l'art brut qui éditait la revue Gazogène du côté de Cahors, cette dernière n'ayant pas souvent d'idées grandioses pour nourrir son teuf-teuf, on se mit à assister à une véritable "déferlante" de numéros consacrés à la collection proprement faramineuse de l'ami Chesné. En tout, on arrive aujourd'hui avec le dernier numéro hors-série de la revue, intitulé "N'oubliez pas l'artiste", paru en avril 2008, à trois numéros entièrement consacrés aux environnements vus à travers la carte postale. Des expositions ont également montré les cartes de la collection Chesné, au musée de la Création Franche à Bègles et à la Halle Saint-Pierre (dans l'espace près de la caféteria) avec l'appoint des animateurs du bulletin Zon'Art. Les XIe Rencontres autour de l'Art singulier, organisées par Hors-Champ à Nice le 7 juin (hier...Voir ma note récente sur le sujet), ont aussi eu la riche idée de faire venir la concierge et le collectionneur pour présenter au public des amateurs le résultat de la pêche miraculeuse.

Gazogène hors-série N'oubliez pas l'artiste.jpg

      Je raille la concierge mais je mets mon chapeau bas devant le collectionneur Chesné qui a fait de bien belles découvertes. Plusieurs cartes étaient en effet inconnues dans sa moisson (et je ne parle ici que des cartes en rapport avec des environnements en France, champ de recherche auquel je me limite personnellement, non par chauvinisme mais par besoin de circonscrire): le cul-de-jatte des "petits châteaux" de Sévérac en Loire-Inférieure,Gazogène-cp-Séverac.jpg le musée en plein air du Castel Maraîchin de l'ancien St-Gilles-Croix-de-Vie en Vendée, le mur d'A.Bouvant à Montreuil, le bateau sculpté dans l'os par un Poilu à St-Vigor-d'Ymonville en Loire-Inférieure (c'est la Loire-Atlantique), le Carrousel Savoyard de bois trouvés dans la nature de Sixt (en Haute-Savoie), ces dernières cartes étant reproduites dans le récent numéro hors-série précédemment cité.Bateau en os sculpté par un Poilu, carte de la coll.Chesné reproduite dans Gazogène 2008.jpg Dans les autres numéros de Gazogène, les n°24 et 27 (respectivement Les rocailleurs du rêve -sans date- et L'Internationale des rocailleurs -sans date toujours-), si le deuxième est consacré dans sa totalité à des sites situés hors de France, le n°24 quant à lui révélait des cartes étonnantes comme celles de la "Maison artistique" de Jargeau (dans le Loiret), les "rocailles d'art de la Maison Marais aux Haies" à Laigle, diverses fantaisies médiévales en ciment, les meubles couverts de mosaïque d'un certain Duval à Lisieux, les fausses grottes du Luc près d'Espiet dans la Gironde, oeuvre aujourd'hui encore intacte, mais gardée secrète par son propriétaire, due à un certain Alcide Teynac (très belle découverte de Chesné et de J-F.Maurice, il faut le souligner)...

        Les auteurs de ces compilations mêlent avec raison aux cartes montrant des environnements créatifs des cartes présentant aussi des habitats précaires bricolés à partir d'ingénieux recyclages comme ces cabanes faites à partir de bateaux retournés.Cayeux-le-pauvre-Toto.jpg Ils ont lu les livres de Michel Racine sur les rocailleurs du XIXe siècle.  Tous les habitats imaginatifs, tels qu'on peut en voir dans d'autres ouvrages comme Les Bâtisseurs du rêve de  Michaël Schuyt, Joost Elffers et George R. Collins (éd. Chêne/Hachette, 1980), maisons dans les arbres ou insolites édifices publicitaires, les requièrent pour établir des passerelles avec l'art brut environnemental. Pourquoi pas? 

      Signalons que des cartes de la collection Chesné ont également été récemment publiées par lui dans la revue Raw Vision n°61, hiver 2007 (article Lost in time).

     Je reviendrai bien sûr dans les notes à venir sur certains de ces sites connus grâce aux cartes postales.

Pour trouver la revue Gazogène, on peut toujours la demander à la librairie de la Halle St-Pierre à Paris. Autrement, voici son adresse: Gazogène, Le Bourg, 46140 Belaye. Tél: 05 65 35 61 68. (Comme quoi mon honnêteté l'emporte sur la rancune à l'égard de la malhonnêteté intellectuelle de son auteur...).

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