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Entrée des médiums, spiritisme et art de Victor Hugo à André Breton
Débutera le 18 octobre prochain l'exposition susdite à la Maison de Victor Hugo, place des Vosges à Paris, prévue pour durer jusqu'au 20 janvier 2013. On y découvrira du nouveau sur l'art médiumnique, notamment des dessins, gravures et documents jamais vus de Victorien Sardou.
Victorien Sardou, La maison du prophète Elie, vers 1857, encre sur papier, 47 x 60 cm, collection M. et Mme Claude de Flers, Paris, ©Studio Sébert
Ce dernier, comme le comte Le Goarant de Tromelin, Léon Petitjean, Augustin Lesage, fait partie des créateurs médiuniques évoqués par André Breton dans Le Message Automatique, texte de 1933 publié dans la revue Minotaure. Ils furent ensuite avidement recherchés par les thuriféraires de l'Art Brut.
Le Comte de Tromelin, sans titre (femmes et monstres), entre 1902 et 1907 (si l'on se base sur le catalogue d'une précédente exposition à la Halle Saint-Pierre à Paris en 1999, Art spirite, médiumnique, visionnaire, messages d'outre-monde), crayon sur papier, 38 x 51 cm, Collection de l'Art Brut, Lausanne, ©Claude Bornand
Léon Petitjean, sans titre, 1922, mine de plomb, encre et aquarelle sur papier, 32 x 17,4 cm, collection ABCD, Montreuil, © collection ABCD/ photo Patrick Goatelen
En fait, on va assister semble-t-il à une revue des principaux créateurs se revendiquant d'esprits désincarnés leur ayant intimé d'écrire ou de dessiner, voire parfois comme dans le cas de la médium Marthe Béraud de se servir d'eux comme truchement pour ectoplasmes (on l'avait déjà vu dans l'expo Le Troisième oeil. La photographie et l'occulte montée à la Maison Européenne de la Photographie à Paris en 2004-2005).
Hélène Smith, plante d'ornement martienne, [fin 1896-été 1899], aquarelle sur papier, 18,5 x 11 cm, Bibliothèque de Genève © Bibliothèque de Genève
Hélène Smith, la célèbre patiente du Dr Flournoy qui parlait le Martien et représentait à l'occasion des paysages de Mars, viendra refaire un tour également, ainsi que Madge Gill, bien connue dans l'art brut, et Fernand Desmoulin dont on a déjà vu au moins deux expositions à la galerie de Messine autrefois, puis à la galerie Christian Berst, sans compter les oeuvres plus post-impressionnistes visionnaires toujours visibles je pense au musée de Brantôme dans le Périgord où je les photographiai vers 1992 (voir ci-contre). Là, dans cette expo, plus axée sur le médiumnique, ce seront des dessins de Desmoulin plus "automatiques", venus de l'Institut de Métapsychique International ou de la collection ABCD, bien représentée une fois de plus dès que l'on parle de médiums.
Peut-être que la surprise sera à chercher plutôt du côté d'Hugo d'Alesi (semble-t-il une découverte de la collection ABCD) et d'un(e?) certain(e?) "SV" dont l'un des dessins faits de motifs floraux, qui ne sont pas sans faire songer à l'art spirite tchèque (tel qu'à Paris on avait pu également le découvrir à la Halle Saint-Pierre grâce à l'entremise d'Alena Nadvornikova), sert pour le carton d'invitation à l'expo.
On nous présente aussi un médium contemporain, Philippe Deloison, dont je ne trouve pas, si je ne me base que sur une reproduction insérée dans le dossier de presse de l'expo, que son esprit soit aussi bien inspiré que ceux de ses collègues médiums plus anciens...
Enfin, on a mêlé à ces productions d'autodidactes en matière de dessin des expériences automatiques de divers surréalistes, comme Man Ray, André Masson ou encore Robert Desnos (on sait qu'aujourd'hui encore des créateurs se revendiquant surréalistes, tel Jan Svankmajer en République tchèque, pratiquent des expériences dites médiumniques de création automatique).
Robert Desnos, Mort d'André Breton (peinture médiumnique), vers 1922-1923, huile sur toile, 46 x 55 cm, collection particulière © Gérard Leyris/Ville de Paris
13/10/2012 | Lien permanent
Dans une foule d'hidalgos
Dans cette armée de figuratifs espagnols du fonds du Musée de Navarre à Pamplona (en français, je crois que ça donne Pampelune?), je me fais tout petit au milieu d'un minuscule bloc de Français venus de la mouvance singulière et de la création franche, Adam Nidzgorski, Claude Massé, Pierre Silvin ("pseudonyme de Gérard Sendrey", est-il dit dans le catalogue? Ah oui? A l'évidence, les auteurs de ce catalogue se sont plantés en beauté, Pierre Silvin n'est pas Gérard Sendrey, mais le fils de Gérard), et c'est tout (pourquoi n'avoir pas sélectionné Gérard Sendrey en particulier, dont les productions sont emblématiques de tout un courant de la création franche? Parce qu'on l'aurait confondu avec son fils?). On ne trouve pas non plus Gilles Manero dont le patronyme lui aurait pourtant permis de se fondre sans coup férir dans cette foule d'hidalgos.
Et voici l'unique oeuvre de mézigue que l'on a extraite de ma donation d'une vingtaine de dessins pour cette expo collective, expo qui est l'occasion de montrer le fonds du musée de Pampelune contenant quelques rares "Singuliers" (mais je suis dans l'impossibilité, étant donné ma méconnaissance de la langue espagnole, de dénombrer dans la bande les Espagnols qui relèveraient de cette épithète ; il me semble dans l'état actuel de mes informations qu'il n'y en a aucun). J'y ajoute en dessous, par delà la légende, le texte d'interprétation que le commissaire de cette exposition, signor Francisco Javier Zubiaur Carreño, m'avait proposé de faire sur cette image vieille de quatorze ans déjà.
Bruno Montpied, Négresse, canard, poisson, oiseau commettant un larcin, etc., env. 15x21 cm, 1997, Musée de Navarre, Espagne ; j'ai fait don à ce musée d'une vingtaine d'oeuvres datant d'avant les années 2000
Interprétation 2011 de "Négresse, canard, poisson...":
"Certainement ai-je voulu représenter une scène contrastée et absurde, jouée par des personnages n’ayant que peu à voir les uns avec les autres, nés du souci, pour le peintre, de tracer des figures, des formes qui puissent avant tout le surprendre (les caractérisations sont venues ensuite). Qu’ont à faire ensemble ce volatile, mi-homme, mi-oiseau qui tient fébrilement un jouet en forme de cheval, cette silhouette de femme rouge étonnée, cette femme noire levant les bras au ciel (dans son costume de négresse de lieu commun, seins nus de nourrice et jupette de paille), ce canard un peu trop fier au bec recourbé vers le ciel, cette silhouette d’homme rouge lui aussi retourné, montrant son derrière et s’effilochant, ce poisson volant insouciant devant un nuage jaune ? Le tout sur un fond verdâtre (qui aujourd’hui me dégoûte) ? Une forme centrale qui tient de la jambe articulée à une sorte de gigantesque pince-scie pourvue d’un visage et d’une patte donne à la composition un caractère inquiétant. Une menace paraît lisible dans le geste d’empoignement, répété deux fois dans ce dessin. La femme noire aux gros seins lève les bras au ciel comme scandalisée." (BM)
22/11/2011 | Lien permanent | Commentaires (7)
Brises de Nice, un nouveau festival hors-champ
Le chiffre 13 va sûrement leur porter bonheur à ce festival Hors-Champ, treizième du nom. Treize rencontres de cinéma autour de l'art singulier, pour un festival qui devait s'arrêter au bout de dix éditions, il semble que le pli ait été pris et qu'à Nice on ait décidément pris goût à réunir son monde au printemps. Cela aura lieu cette fois sur deux jours, le vendredi 4 juin tout d'abord, dans l'auditorium de la Bibliothèque municipale de Nice, quelques films (déjà montrés dans les éditions précédentes) à l'usage des nouveaux spectateurs (sur Gilbert Peyre: que devient ce dernier au fait? ; sur Petit-Pierre et sur les châteaux de sable de Peter Wiersma, les deux films par le légendaire documentariste mort trop jeune Emmanuel Clot ; sur Yvonne Robert...). Et le samedi 5 juin surtout, dans l'auditorium du MAMAC de Nice, où là les films et autres documents présentés auront une toute autre importance, au point de vue de leur rareté.
Le gros morceau (probablement, mais surtout pour un amateur "d'archive") sera sans doute la reprojection des photographies de Gilles Ehrmann, intitulées "Les inspirés et leurs demeures", à savoir sans doute des images (en couleur?) des sites évoqués par Ehrmann dans son livre au titre éponyme de 1962, ceux de Frédéric Séron, Malaquier, Chaissac, Fouré, Picassiette, etc., qui avaient été présentées à la fameuse exposition des "Singuliers de l'Art" au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris en 1978 (on se référera au catalogue de l'expo trouvable encore ici ou là, ou en bibliothèque). Mais bien entendu, la présentation du film de Michel Zimbacca et Jean-Louis Bédouin, L'invention du monde, avec des commentaires de Benjamin Péret, permettra aussi à d'autres amateurs, plus tournés vers les arts dits premiers, de découvrir là aussi un film mythique que l'on attend depuis bien trop longtemps en réédition sous forme de DVD (c'est pour aujourd'hui ou pour demain en effet?).
Les organisateurs de ce festival, qui se voue comme on le voit à un éclectique programme de documentaires d'art sur la créativité vivante, pas seulement borné à l'art brut ou singulier, se sont aussi tournés cette année vers la rediffusion du film de Jean Painlevé consacré à Calder qui fut tourné en 1955 et qui avait été un peu occulté par l'autre film tourné sur le cirque de semi-automates fait par Calder en fil de fer et autres bouts de chiffon, à savoir "le cirque de Calder" de Carlos Vilardebo en 1961. Le documentaire de Painlevé s'intitule "Le grand cirque Calder 1927" et il est disponible en DVD (édité par le Centre Pompidou et les documents cinématographiques dirigés par Brigitte Berg qui viendra à Nice présenter le film). Avec ses figures en matériaux précaires, il devance de plusieurs décennies des créations populaires comme celle de Petit-Pierre Avezard, aujourd'hui conservée à la Fabuloserie.
Egalement présents, on pourra voir à Nice Alain Bouillet et Adam Nidzgorski présenter des images relatives à l'art brut et l'art populaire polonais (pour une confontation? Le programme ne le précise pas). On retrouvera aussi un film de Philippe Lespinasse et Andress Alvarez sur les reliquaires du Suisse Marc Moret, et un autre film consacré à la "grotte" de Maurice Dumoulin (autre créateur présenté à l'expo sur l'art brut fribourgeois naguère à la Collection de l'art brut à Lausanne). Bref, comme on le voit, du beau, du bon, rien que du bonheur.
21/05/2010 | Lien permanent | Commentaires (1)
Un bateau dans la ville, le ”Museo del Mar”
Comme me l'écrit Philippe Lespinasse en me signalant le site dont je veux vous parler, autrefois les bateaux partaient vers les terres inconnues, maintenant, c'est l'inconnu qui part vers les bateaux. Merci également à Pierre Vidal qui a "passé" l'information auparavant à Philippe.
A Sanlucar de Barrameda (entre Cadix et Séville en Espagne, au bord de la mer) habite un monsieur, ancien pêcheur semble-t-il, José-Maria Garrido, sur lequel existent quelques informations en espagnol sur le blog d'Hector Garrido (son fils? En tout cas, un excellent photographe et naturaliste, voir son autre site ici), avec des photos extrêmement évocatrices. On y voit en pleine ville un bâtiment transformé en navire. Qui m'évoque immédiatement, quoique en plus âpre cependant, la maison au sommet transformé en pont de bateau que l'on voit un moment dans Mary Poppins (si l'on se souvient, y habite un ancien capitaine qui tire le canon pour marquer les heures).
La maison de Garrido (âgé de 80 ans, si l'on en croit une information venue du "Petit Fûté"), qui s'est élaborée sur une durée de 35 ans, a été baptisée par lui "Musée de la Mer". Elle contient sur ses murs 80000 escargots de mer (l'escargot, de mer ou plus terrestre, est un symbole emblématique des créateurs centrés sur eux-mêmes, créateurs d'environnements qui sont leurs coquilles, avec lesquelles ils fusionnent et dont il paraît impensable de vouloir les séparer), coquilles mosaïquées sur les parois du musée, émaillées également de sentences nées de "la conscience populaire" (comme dit Hector Garrido) ou de phrases d'auteurs connus, de maquettes de bateaux et autres vues marines. On voit le créateur à un moment couché dans une niche semblable à celles que l'on trouve sur les bateaux. Pierre Vidal signale que José Maria Garrido aime aussi écrire des poèmes sur des caisses à poissons.
Je trouve cette entreprise géniale. Et dire que la mairie, aux fins d'opération immobilière dans le quartier envisagerait de faire disparaître ce monument... On pense à l'immeuble des Monty Python, dans leur film Le Sens de la Vie, qui arrache ses amarres fichées dans les trottoirs de Londres, emporté par les bâches des peintres en bâtiment qui le recouvrent, se métamorphosant en voiles. On se prend à songer aussi à ce que pourraient devenir les villes si chacun de ses habitants se mettait à construire une maison dans la forme de l'objet qui le hante, chaussure, fleur, locomotive, ballon, chope de bière, etc. Le projet de José-Maria Garrido est tout à fait voisin - sauf que cela se passe cette fois dans la vie - des projets ghanéens funéraires qui consistent à enterrer les défunts dans des cercueils dont les formes symbolisent leur existence. Que la présence du Museo Del Mar m'ait été signalée par Philippe Lespinasse, par ailleurs auteur de film et de texte sur les cercueils à images du Ghana (voir note du 3 mars 2010), me paraît tout à fait en harmonie.
08/05/2010 | Lien permanent
12èmes Rencontres autour de l'Art Singulier à Nice
Et c'est reparti pour le 12ème festival Hors-Champ animé par Pierre-Jean Würtz toujours dans l'auditorium du musée d'art moderne de Nice... Voici le programme en espérant que vous pourrez le détailler. Cela se passe samedi prochain 6 juin (un jour pour débarquer...), de 10h à 17h30. L'entrée y est libre, il est bon de le souligner (c'est pas tous les jours gratuit ces temps-ci, n'est-ce pas?).
Deux films de Philippe Lespinasse et Andress Alvarez extraits de sa série éditée en DVD "Diamants bruts du Japon" (trouvable entre autres au comptoir de vente de la collection de l'Art Brut à Lausanne), consacrés à Eijiro Miyama (le matin) et Masao Obata (l'après-midi), sont notamment au programme.
Une découverte sera certainement au rendez-vous, le film de 9 minutes de Michelangelo Antonioni, "la villa dei mostri" (Le Jardin de Bomarzo), qui sera projeté "en présence de Charles Soubeyran". C'est un peu le dada de Pierre-Jean que de retrouver ainsi des petits films curieux oubliés dans les filmographies et se rapportant aux "arts singuliers".
Les spectateurs présents pourront certainement se délecter du court-métrage sur le Suisse Eugenio Santoro et ses sculptures anguleuses si expressives. On retrouvera aussi Guy Brunet qui annonce sur ce festival une "Télévision de demain". A noter que des rumeurs insistantes font état d'un projet d'exposition de ce dernier prévue pour dans un an au futur musée d'art brut de Villeneuve-d'Ascq. Info ou intox, on verra bien... J'aime à croire à l'info, moi qui l'avais signalé naguère à Madeleine Lommel dans un courriel, aprés l'avoir découvert dans une précédente édition du festival Hors-Champ.
Pour le reste des films présents, je renvoie mes lecteurs au programme ci-dessus, en me contentant de relever que la présentation du film (d'Alan Govenar) sur le maquettiste Lucien Mouchet ne fera pas oublier qu'existe en France un autre ensemble de cirque miniature géant (oui, un paradoxe...), le Cirque Valdi (bien plus intéressant à mon humble avis que celui de Mouchet), dû à Maurice Masvignier à La Souterraine dans la Creuse. J'insère ci-dessous une vue de cette oeuvre, en partie automatisée (à signaler que Lucien Mouchet connaît bien l'oeuvre de Masvignier puisqu'il est parent avec lui).
Rapelons enfin que sera en supplément présenté le livre que l'association Hors-Champ a publié à la fin de l'année dernière, Petit Dictionnaire de l'Art Brut au Cinéma, dont j'ai déjà parlé sur Le Poignard Subtil.
04/06/2009 | Lien permanent
Robert Giraud, le copain qui sort de l'ombre de Doisneau
Olivier Bailly annonce la parution de son ouvrage sur Robert Giraud pour le mercredi 22 avril chez Stock, collection Ecrivins (oui, je sais, le calembour vaut ce qu'il vaut...). Monsieur Bob, tel est son titre. Une biographie, une évocation que tous les lecteurs du blog que tient Olivier Bailly, Le Copain de Doisneau, devineront fort bien documentée. Son blog distille en effet, depuis au moins deux ans je crois, toutes sortes de témoignages, photos, documents divers sur Robert Giraud.
Ce dernier est un écrivain, dont on réédite du reste par la même occasion Le Vin des rues chez le même Stock (l'année dernière avait déjà vu la parution au Dilettante d'un excellent recueil de ses reportages, Paris, mon pote), mais plus encore un amoureux du Paris populaire et de son "fantastique social" comme le nommait paraît-il Mac Orlan. Fantastique social, monde des figures de la rue que Paris, en dépit du vandalisme institutionnel des bourgeois, n'a jamais cessé de produire (il aurait peut-être même en ces temps de misère et de folie sociale tendance à s'épanouir...).
Giraud connaît bien le monde de la nuit parisienne, les petits malfrats, les clochards, et se situe comme écrivain en successeur d'une tradition littéraire et artistique qui remonte à Fargue, Francis Carco ou Brassaï, et peut-être au delà à Lorédan Larchey, et aux chroniqueurs du Paris excentrique du XIXe siècle (Yriarte, Champfleury, etc.). Il connaît les rades où l'on boît du bon vin, il les chronique dans L'Auvergnat de Paris. Sa route (mauve) croise celle de l'art brut à un moment (il devient un temps le "secrétaire" de Dubuffet pour la collection de l'art brut en train de se monter). Son frère Pierre Giraud est un moment exposé dans le cadre des premières manifestations de l'art brut au moment où Dubuffet cherche la définition de sa notion (juste après la seconde guerre). Giraud et lui se quitteront en mauvais termes, semble-t-il, puisque dans la suite des années Giraud parlera de Dubuffet comme d'un "cave"... Il écrit diverses chroniques sur des autodidactes inspirés (comme Raymond Isidore, dit Picassiette, à Chartres, sur qui il sera le premier à écrire, et qu'il interviewera). Surtout, il fait paraître, avec son complice de toujours, Robert Doisneau, ainsi qu'avec Jacques Delarue, un fort bon livre sur les tatouages populaires, Les Tatouages du "Milieu" (réédité en 1999 aux éditions L'Oiseau de Minerve). Mais d'autres livres, sur l'argot d'Eros ou celui des bistrots, des romans aussi, sont à mettre à son crédit.
Je ne m'étends pas davantage. Rendez-vous avec ce flâneur des deux rives (d'un fleuve qui ne charriait pas que de l'eau) en lisant le bouquin d'Olivier Bailly qui nous promet d'entrer dans l'intimité de ce monsieur Bob comme si on y était.
Ci-dessous, un échantillon du style de M.Bailly, ça donne envie d'en lire davantage, non?
"Tracer le portrait de Bob Giraud, c'est facile. Bien que sécot, il est choucard. Il plaît aux frangines à cause qu'il a un petit air voyou. Ses crins drus et droits tombent en gouttes de pluie. Ca lui donne l'air d'un hérisson. Son nez: un bec d'oiseau. Au marigot fédérateur que l'on appelait jadis le comptoir, on nomme cet animal le pic-verre. Maigre comme un chat. Tel est le faune. Au mental, un brin solitaire. Il a ses têtes. Celles qui lui reviennent, il leur paye un canon. Les autres, c'est des cons." (Olivier Bailly, Giraud, mon pote, présentation de Paris, mon pote, éd. le Dilettante, 2008)
23/04/2009 | Lien permanent | Commentaires (7)
Un endroit où vivre
Vient de commencer à la Cinémathèque Française à Paris un hommage au peintre surréaliste et poète-reporter (documentariste) anglais Humphrey Jennings (séance inaugurale le 7 novembre, je l'ai déjà manquée, il y avait au programme Spare time que l'on pourrait traduire par Temps libre, film sur les loisirs des ouvriers britanniques de la sidérurgie, du textile et des mines de charbon au début de la Seconde Guerre Mondiale (1939, même date que le film Violons d'Ingres de son ami Brunius), réalisé dans l'esprit du groupe Mass observation qui militait pour une observation anthropologique des occupations du peuple anglais). C'est une réalisation assez brute, très différente du projet de Brunius qui envisageait de préférence les loisirs individualistes de la population française, affichant un certain dédain vis-à-vis des loisirs moins créatifs (comme les jeux de cartes, le sport, la cuisine, la picole...). Jennings se livre à une sorte de revue des loisirs en fonction des métiers, comme une sorte d'état des lieux, sans jugement de valeur, et sans visée apparente ethnologique. Seule une petite phrase placée à la toute fin, du genre "le temps libre est le seul temps qui nous permette d'être nous", donne quelque indice sur la perspective secrète de l'auteur.
Image tirée de Spare time d'Humphrey Jennings, fanfare carnavalesque étonnante...
Ce Spare time repasse samedi 10 à 17h, ce sera la seule autre occasion de le voir, et c'est embêtant car ce jour-là il y a aussi Marc Décimo à la Halle Saint-Pierre à 15h... Il faut également signaler dans le cadre de cette mini rétrospective un autre film, rarement montré, de l'ami Jacques Brunius justement.
Ca s'intitule Somewhere to live. Ce documentaire de 1951 fut réalisé par le créateur de Violons d'Ingres durant la deuxième partie de sa vie qu'il passa en Angleterre où, pendant la guerre, il travaillait à la BBC comme speaker, faisant reconnaître sa voix à travers les ondes aux vieux amis de l'Affaire est dans le sac, ceux de la bande aux frères Prévert qui n'avaient pas oublié l'acteur qui réclamait un bérai-ai-ait, un bééééret français...!
Ce film de Brunius est-il passionnant? Je n'en sais trop rien, son sujet renvoie aux problèmes énormes de logement auxquels devait faire face l'Europe dévastée par la guerre, et la cité prise en exemple dans ce court-métrage de vingt minutes est la bonne ville de Caen. Mais tout Bruniusophile qui se respecte se devrait d'aller y faire un tour, en attendant qu'on accepte de nous passer un autre film encore plus rare du même Brunius, datant lui aussi de sa période angalise, To the rescue (A la rescousse), film pour la jeunesse qui reçut un prix du film de jeunesse (pour les 12-15 ans, c'était très précis...!) au festival de Venise 1953, court-métrage qui doit être, lui, nettement plus joyeux. Qu'attend-on, plus généralement, pour nous concocter un festival des pionniers du cinéma pour la jeunesse comme il y a eu il y a quelques semaines, toujours à la Cinémathèque, une programmation sur les pionniers du cinéma d'animation d'Emile Cohl à Paul Grimault (avec un instructif catalogue à la clé)...?
Somewhere to live, c'est dimanche 11 novembre à 19h30 et samedi 17 novembre à 17h00. Au même programme, il y aura d'autres films d'Humphrey Jennings et un d'Alberto Cavalcanti, cinéastes que respectait beaucoup le protéiforme Jacques Cottance, alias Jacques Brunius.
08/11/2007 | Lien permanent
Sortie prochaine de mon livre sur Andrée Acézat dans la collection La Petite Brute et exposition d'hommage à Lino Sartor
Concordance des temps non concertée, il se trouve qu'a débuté (le 8 septembre) au Forum des Arts et de la Culture de Talence une exposition d'hommage à Lino Sartori (semble-t-il vu à travers l'œuvre de la peintre et dessinatrice Cyrille-Marie Brachet), intitulée "Arbres" et prévue pour se terminer le 8 octobre, alors qu'à la mi novembre (en librairie) devrait être prêt chez l'imprimeur le deuxième titre¹ d'une nouvelle collection consacrée aux arts de l'immédiat, La Petite Brute, que dirige votre serviteur, ouvrage qui est consacré à celle qui fut l'épouse de Lino Sartori, j'ai nommé Andrée Acézat (1922-2009).
Acézat, peintre de genre, un nu, coll. Christophe Vermis
Et puis tout à coup, tout bascule... la même Acézat, Le Dépit, 80 x 60 cm, 2000, coll. privée région bordelaise, une toute autre manière de peindre... ph Bruno Montpied
Le livre, intitulé Andrée Acézat, oublier le passé, édité par l'Insomniaque (même éditeur que pour mon précédent livre Eloge des Jardins Anarchiques), au sein d'une étude retraçant ce que j'ai pu glaner et rassembler autour de la vie et de l'œuvre atypique de cette artiste bordelaise, ayant rompu avec sa formation académique autour de ses 70 ans pour se lancer dans un long cortège de caricatures tendant à métamorphoser ses modèles pris dans la réalité en enfants grotesques et pathétiques, ce livre évoque aussi de ci de là la figure de son mari Lino, qui sous l'influence de sa femme, se mit à son tour à pratiquer peinture en deux dimensions, et surtout en trois car il affectionnait particulièrement la peinture sur souches de bois.
A consulter ci-dessous le papillon annonçant officiellement la sortie du livre et l'adresse où on peut dès maintenant le commander. Pour ceux qui préfèrent voir le bébé tangiblement, il sera chez le diffuseur les Belles Lettres aux alentours du 15 novembre, de même qu'est prévue d'ores et déjà une signature par les deux auteurs des deux premiers titres (BM et Remy Ricordeau) s'insérant dans une nouvelle collection de monographies sur les arts de l'immédiat, intitulée La Petite Brute. Ce sera sur le stand de la Halle Saint-Pierre, le 24 octobre en milieu d'après-midi, au salon d'art outsider (Outsider Art Fair) de l'Hôtel du Duc, rue de la Michodière dans le IXe ardt. La diffusion en librairie se mettra alors en place à partir de ces dates. Deux autres titres sont d'ores et déjà écrits, programmés pour le semestre suivant de l'année 2016 (respectivement sur les épouvantails de Denise et Pierre-Maurice Chalvet-Gladine, en Aubrac, et le site "aux mille modèles" de Marcel Vinsard en Isère).
Logo de la collection La Petite Brute, chez L'Insomniaque, dessiné par BM (d'après un dessin original de 2012, de 24 x 18 cm, intitulé Cuisse de nymphe part en vadrouille)
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¹ Le premier titre de cette nouvelle collection de petites monographies, écrit par Remy Ricordeau, Visionnaires de Taïwan, est consacré aux environnements naïfs, bruts ou simplement visionnaires, que Remy a découverts dans l'île de Formose. J'y reviendrai.
16/09/2015 | Lien permanent
”Outsiders” indonésiens à Bègles
Endru Sil, encre sur papier, 19,5 x 28,4 cm, 2014
Noviadi Angkasapura, encre sur papier, 15,7 x 20,9 cm, 2014
Tri Oktafiyani, encre sur papier, 32,8 x 21,5 cm, 2014
Muhammad Nasir, encre et crayon sur papier, 17,9 x 25 cm, 2014
Shony Wijaya, stylo à bille et crayons de couleur sur papier, 14,8 x 21 cm, 2014
Erna KD, encre et stylo bille sur papier, 21 x 29,7 cm, 2014
Il reste un mois pour aller voir l'expo originale montée au Musée de la Création Franche à Bègles (26 juin - 6 septembre 2015) sur des "Outsiders d'Indonésie".
Ce n'est en effet pas banal comme manifestation. Les amateurs d'art brut ou singulier indonésien n'avaient eu que peu de créateurs à se mettre sous la dent, si j'ose dire. L'un d'entre eux étant cette créatrice génialement inspirée du nom de Ni Tanjung, révélée par les expositions et les publications de la Collection de l'Art Brut à Lausanne (notamment récemment au moment de l'exposition "L'Art Brut dans le Monde"). Si ses peintures sur pierres (des représentations d'esprits je crois) ont disparu petit à petit dans le site en plein air où elles étaient installées (à Bali), elle a continué à s'exprimer sur papier de fort poétique façon.
Ce qu'il restait des pierres peintes de Ni Tanjung en août 2008 à Bali, ph. Petra Simkova
Un autre créateur indonésien fut également montré à Vitré au sein du Centre Français du Patrimoine Culturel Immatériel. Cet auteur javanais a pour nom Dani Iswardana. Sans avoir vu son exposition à Vitré, j'avais trouvé les reproductions de certaines de ses œuvres tout à fait intrigantes. Est-ce l'effet des croisements entre différentes cultures sur ces territoires variés d'Indonésie entre échos de l'art ancien des Papous, influences culturelles musulmanes et bouddhisme, toujours est-il qu'il semble bien que dans ces contrées si éloignées de l'Europe on ait affaire à un riche creuset d'expressions artistiques. Rappelons (source Wikipédia) que cette république d'Indonésie est composée de plus de 17 000 îles, que sa population est la 4e du monde (à majorité musulmane) et qu'elle se situe géographiquement au carrefour d'influences venues à la fois du Moyen-Orient, de l'Inde, des pays asiatiques et de l'Océanie. Parmi ses îles les plus connues, on peut citer Sumatra, Java (où se trouve la capitale Djakarta), les îles Célèbes, les îles Moluques, la Papouasie, une partie de Bornéo, Bali... On a dénombré 1100 ethnies différentes, plus de 700 langues...
Une œuvre de Dani Iswardana montrée à Vitré en 2010 ; Ce plasticien accompagnait ses toiles de récits (art du wayang beber) de façon analogue aux rouleaux narratifs peints des patuas indiens ou au kamishibai japonais (images supports de contes rangées dans des petites armoires ambulantes)
A Bègles, les œuvres présentées paraissent avant tout d'ordre graphique comme on peut en avoir un échantillon en tête de cette note. Elles émanent de créateurs tous autodidactes qui ont pour point commun d'être tous plus ou moins liés au plus productif d'entre eux, le nommé Noviadi Angkasapura, qui ambitionne d'atteindre bientôt le million de dessins afin de fonder un musée à lui seul consacré, musée qui serait un moyen de rendre grâces à ses ancêtres, comme il est dit dans le dossier de presse de l'exposition béglaise (malheureusement non signé : qui est l'instigateur de cette exposition, on ne le sait pas ; cela donne l'impression que l'expo tombe du ciel...). Il paraît stimuler sans cesse autour de lui les potentialités créatives des différents individus qu'ils repèrent autour de lui comme porteurs de pratiques expressives en herbe.
Noviadi Angkasapura, sans titre, 30 x 20 cm, sans date repérée, coll. privée Paris, ph. Bruno Montpied
06/08/2015 | Lien permanent | Commentaires (4)
Jeanne Giraud, brodeuse d'îles de songe
Jean-Luc Giraud et Laurent Danchin ont créé l'année dernière une petite collection de titres jusque là consacrée à certains de leurs écrits ou à Chomo, artiste singulier auquel Danchin aura été fidèle toute sa vie (on sait qu'il vient de disparaître en janvier dernier). Cela s'appelle "les bonbons de Mycélium", du nom du site web de l'association basée à Nantes. Jusqu'ici je n'ai pas été très sensible aux sujets traités dans cette collection, mais j'attendais avec une certaine impatience la parution du quatrième titre consacré aux broderies de Jeanne Giraud, la mère de Jean-Luc Giraud.
Doigts de fée, les broderies de Jeanne Giraud, collection Les bonbons de Mycélium, éditions Lelivredart, novembre 2016 ; le livre est disponible en particulier à la librairie de la Halle Saint-Pierre à Paris.
"Ce qui est sûr, c'est que ma mère ne se prenait pas du tout pour une artiste. Il ne pouvait y avoir qu'un artiste dans la famille et c'était évidemment son fils, dont elle était si fière.
Ses broderies n'étaient d'ailleurs pas de l'art, mais un support à la méditation."
(Jean-Luc Giraud ; on sait que ce dernier est peintre, entre autres, car je crois qu'il fait aussi du cinéma d'animation).
Jeanne Giraud, œuvre reproduite dans le livre Doigts de fée.
J'aime infiniment ce genre de travail dit "méditatif" (faute de terme plus adéquat peut-être?). On avait déjà remarqué avec la publication d'un article de Jean-Luc Giraud dans le fascicule n°20 de l'Art Brut¹ (1997) cette œuvre si fortement empreinte d'intimisme, réalisée avec les matériaux les plus simples et les moins coûteux (dans le texte liminaire de ce petit livre, repris du texte déjà édité dans le fascicule n°20 de 97 – l'autre texte du livre étant constitué de ses réponses à un questionnaire de Laurent Danchin – Giraud rappelle que sa mère "n'avait jamais acheté une bobine de fil ailleurs qu'au marché aux puces (la modicité du prix guidant le choix de la couleur), ni brodé sur un autre support que des chiffons provenant des chemises usagées de mon père"). M'avait frappé dans ce fascicule l'aspect insulaire des mondes représentés, carrés d'herbes folles d'où surgissait un arbre, un étang, avec un être humain campant à côté, exerçant une activité bénigne, peu importait, ce qui comptait étant de restituer avant tout le caractère de merveilleux de l'évocation (cette insularité, nous la rencontrons aussi dans les dessins tirés de l'observation visionnaire de pommes de terre par Serge Paillard). Parfois, la composition aux modestes fils de couleur se concentrait toute entière à magnifier un mot cousu : "confiance"... Il y entrait donc un peu de magie blanche dans cette occupation. Décidément, oui, Jean-Luc Giraud a raison, sa mère n'était pas une "artiste", au sens où elle exerçait ses talents dans un rapport fusionnel avec ses productions brodées. C'est comme si elle avait fait une œuvre avec la sève même de sa mémoire.
Jeanne Giraud, œuvre brodée reproduite dans Doigts de fée.
Car la broderie apparaît parfaitement adaptée à cette mission de remémoration enchantée, qui s'accompagne semble-t-il inévitablement d'un aspect vaporeux et flou, comme le cinéma Super 8 également peut nous le procurer. Les traits sont comme tremblants, et rendent les images assez analogues à des mirages objectifs qui surnagent, comme des îles séparées de toute continuité, tels que nous apparaissent nos souvenirs au fond, proches de morceaux de banquise brisée, dérivant sans souci d'une quelconque chronologie...
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¹ Les œuvres de Jeanne Giraud sont entrées dans la Collection de l'Art Brut de Lausanne en 1986, grâce à Laurent Danchin qui les avait présentées à Michel Thévoz. Avec Germain Tessier, Marcel Storr, Petit-Pierre, ou encore Youen Durand, elle fait partie des quelques créateurs naïfs ou bruts dont Laurent Danchin aura su se faire le passeur émérite (j'en excepte Chomo qui n'est pas à mes yeux un créateur brut ou naïf, mais plutôt un artiste de la mouvance "singulière").
09/03/2017 | Lien permanent | Commentaires (25)