24/03/2013
"Drauliany narod" ("Le peuple de bois") , un film de Victor Asliuk sur Mikalaj, créateur d'un petit monde menacé
Si vous êtes à Paris cette semaine, je vous invite à aller découvrir un petit documentaire cinématographique inconnu des amateurs d'environnements spontanés (je gage), notamment du grand manitou des rencontres autour des arts singuliers qui se tiennent annuellement à Nice, j'ai nommé Pierre-Jean Wurst... Je dois son signalement à Remy Ricordeau qui l'a répéré dans la programmation du Cinéma du Réel, festival de cinéma documentaire qui se tient actuellement à Paris dans différents lieux pour peu de jours.
Drauliany narod, (Le peuple de bois, merci Régis), cela s'appelle, et c'est d'un certain Victor Asliuk, cinéaste en Biélorussie. En 28 minutes, ce dernier présente "Mikalaj" (il paraît que c'est le prénom Nicolas), "vieil homme solitaire [qui est] le seul habitant d'un village au sein de la plus grande forêt d'Europe, Belovezhskaya Pushcha. Il fait revivre son monde [probablement le monde rural auquel il reste attaché] à travers des centaines de figurines en bois qu'il confectionne. Les personnages se transforment en une société où l'on naît, travaille, divorce, et où une bombe nucléaire menacerait l'existence même de ce petit peuple" (notice du programme du Cinéma du Réel). Cela passera au cinéma le Nouveau Latina (20, rue du Temple dans le IVe ardt) en deux séances, une à 21h le jeudi 28 mars, et une autre le dimanche 31 mars à 15h. En seconde partie, sera projeté un long-métrage, "Mitote" d'Eugène Polgovsky, à propos de rites populaires sur la place principale de Mexico. "Drauliany narod" est projeté en version originale sous-titrée en français et en anglais.
Je n'avais jusqu'à très récemment que l'image ci-dessous, récupérée du programme du Cinéma du Réel, à vous soumettre pour que vous vous fassiez une petite idée... Voici à présent, insérée un peu plus bas une petite vidéo déposée sur YouTube, signalée par Mister Gayraud, où l'on voit l'intérieur de la maison de "Mikalaj", et ce dernier en train de chanter, danser avec une de ses créatures (ce qui fait penser à Eugène Santoro, à qui du reste Mikalaj ressemble assez physiquement, et qui chevauche une de ses sculptures en forme de cheval comme s'il était vrai dans un autre film).
Mikalaj Tarassiuk (voir commentaire de Régis Gayraud à la suite de cette note) au milieu de son village miniaturisé ; on distingue -je sais, fort mal...- des personnages en petites statuettes restituant peut-être les saynètes habituelles de la campagne en Biélorussie
"Postaci" d'Inga Sakuta,2010
Enfin, voici le film de Victor Asliuk qui fut projeté au Nouveau Latina le 28 et le 31 mars à Paris (merci à Henk Van Es de son aimable signalement, on se reportera d'ailleurs à son propre blog où il a mis d'autres vidéos en ligne au sujet de Nicolas Tarassiuk):
Le peuple de bois, film de Victor Asliuk
19:21 Publié dans Art populaire insolite, Cinéma et arts (notamment populaires) | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : drauliany narod, victor asliuk, cinéma et arts populaires, mikalaj, biélorussie, art populaire en plein air, miniaturisation, environnements spontanés, cinéma du réel, pierre-jean wurst | Imprimer
Commentaires
"Drauliany narod", en biélorusse, ça veut dire "le peuple de bois". La Biélorussie, c'est 70 000 kilomètres carrés de forêt dense. Et les trois quarts des allumettes en bois fabriquées en Europe. Miniaturiser les arbres, on connaît.
Écrit par : Régis Gayraud | 27/03/2013
Répondre à ce commentaireOn peut trouver le film de Victor Asliuk comme video sur Youtube http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=-VVtDEYaXrY
Écrit par : Henk van Es | 03/04/2013
Répondre à ce commentaireEmouvant, ce vieil homme seul dans cette immense forêt qui sent le drame, dans son village abandonné, qui parle à ses sujets de bois, qui les fait vivre, les marie, les fait boire, se battre, s'aimer, et nous raconte que tel ou tel de ces personnages vient de mourir, qu'il va falloir l'enterrer, et qui finit par vivre sa passion jusqu'aux larmes. Moi, il me fait beaucoup d'effet, ce Monsieur là, qui règne gentiment sur son coin de planète.
"Aleksandr Rygariavitch Loukachenko règne sur un peuple de chair, moi je règne sur un peuple de bois."
Sur la même page Youtube, il y a un autre film, "Postaci" d'Inga Sakuta, datant de 2010, lui aussi consacré à Mikalaj Vasilievitch Tarassiuk, puisque tel est son nom complet. Voici le lien : http://www.youtube.com/watch?v=kktKvt0WikA
Dans ce film là, on voit l'intérieur de sa maison-atelier, avec d'autres personnages, notamment quelques mannequins plus grands, et on découvre aussi des petits papiers avec mentionnés dessus les dialogues que se disent les personnages.
Écrit par : Régis Gayraud | 03/04/2013
Répondre à ce commentaireNotre Sciapode serait-il mort? Il n'y a plus de nouvelle notice depuis maintenant 12 jours et aucun commentaire aux commentaires. Nous savons par une note antérieure qu'il devait discourir à Masgot (Creuse) la semaine dernière, mais y est-il allé? En est-il revenu? Nous commençons à nous inquiéter. Il faudrait que quelqu'un aille renifler derrière sa porte, flairer une éventuelle odeur de cadavre. C'est louche.
Écrit par : Isabelle Molitor | 05/04/2013
Répondre à ce commentaireNon, le sciapode n'est pas mort chère Mme Molitor. Merci cependant de vous en inquiéter, même si c'est dans des termes quelque peu... crus.
Écrit par : Le sciapode | 05/04/2013
Répondre à ce commentaireAh! J'ai eu peur. On a cru que vous étiez allé vous faire faire une microgreffe de cheveux à la clinique pour riches chauves du bon docteur Cahuzac, et que celui-ci vous avait pris en otage : :"Je vous rendrai Montpied si vous me rendez mon coffre!"
Écrit par : Isa Molitor | 05/04/2013
Répondre à ce commentaireIl y a aussi sur Mikalaï Tarassiouk ce documentaire de la télévision biélorusse, "Gaspadar" (qui doit signifier "Un Seigneur", si j'en juge par le russe, ou "Un grand Monsieur", peut-être).
http://www.youtube.com/watch?v=SbfSnBGSd5o
Au passage, un générique bien connoté patriotard post-stalinien, et le fond sonore folklorique. On insiste à fond sur le côté génie national... L'enseigne au-dessus de la porte signifie, de toute façon "Mémoire de la patrie", et il y a aussi foultitude de signes chrétiens. A côté de cela, il remercie tous les étrangers, Polonais notamment, et aussi Américains, qui viennent le voir et l'apprécient. L'avantage est qu'il parle beaucoup et fort, et que j'arrive un peu plus à le comprendre (avec un soupçon de polonais et le russe, on se débrouille). Il raconte ses souvenirs, et finalement, comme dans l'autre film, il termine presque en pleurant quand ses souvenirs le submergent.
Écrit par : Régis Gayraud | 05/04/2013
Répondre à ce commentaireAh oui, j'oubliais de préciser, ce troisième film est plus ancien, de 2008, et effectivement, Mikalaï a l'air plus en forme. le réalisateur est un certain Rymvid Błachtchak. Au passage, on apprend que Mikalaï sculpte ses figures depuis 40 ans. On le voit réaliser un petit bonhomme, le tailler, lui clouer des membres, le peindre. J'aime bien sa manière de parler, hachée, exaltée. Les chants folkloriques biélorusses, derrière, sont sans doute jolis, certes, et on imagine pas mal les mignonnes paysannes à tresses blondes et joues rouges qui s'égosillent dans la forêt, mais bon, à force, c'est assez crispant.
Écrit par : Régis Gayraud | 05/04/2013
Répondre à ce commentaireEt encore, sur ce lien :
http://www.youtube.com/watch?v=kIfhyVrP7sM
on apprend qu'il y a eu une expo Tarasjuk au Musée d'Art moderne de Minsk en 2012.
Écrit par : Régis Gayraud | 05/04/2013
Répondre à ce commentairePlus je regarde ces films et plus quelque chose me trouble. C'est que notre cher Mikalaï est quand même hyper instrumentalisé par la propagande du néo-fasciste au pouvoir (pour ceux que ce terme étonnerait, je vous rappelle l'éloge de l'hitlérisme comme modèle d'état fort auquel doit aspirer la Biélorussie, et les petites moustaches du petit grand homme biélorusse actuel, et d'ailleurs, dans le générique dont je parlais plus haut, vous pourrez voir une photo de manifestation paro hitlérienne des années de guerre avec la pancarte "Hitler asvabadzitelj Bielarusi" c'est à dire "Hitler libérateur de la Biélorussie" sans le moindre commentaire). Génie national, amour de la patrie, éloge des traditions et du folklore, sabre et goupillon. Ce n'est sans aucun doute pas la faute de Mikalaï lui même, mais il est drôlement bien récupéré par l'idéologie, il me donne même vaguement la triste impression d'être un peu pris en otage. Je soupçonne fort que le panneau "Mémoire de la patrie" sur sa cabane n'est pas de lui, il aurait été ajouté par des gens de Minsk que ça ne m'étonnerait pas, c'est l'inverse qui me surprendrait. Quant aux petits papiers à relents patriotiques qui expliquent ce que disent ses personnages, j'ai compris qu'il proviennent d'une exposition. D'ailleurs, ils sont imprimés, et de plus écrits en russe. C'est pas du Mikalaï. On se trouve bien ici à la limite du flanc droit du contenu idéologique dont les arts populaires, naïfs, bruts, singuliers e tutti quanti peuvent être farcis par des manipulateurs. Desolé de briser la magie, mais il me fallait le dire.
Écrit par : Régis Gayraud | 06/04/2013
Répondre à ce commentaireOui, ce que tu nous apprends de cette très probable manipulation-instrumentalisation par les instances culturelles fascisantes biélorusses doit nous rappeler les manipulations de l'époque pétainiste en France qui cherchait à enrôler les collectionneurs d'art populaire rural sous la bannière du terroir qui-ne-ment-pas, dépositaire des valeurs de la France éternelle, travail-famille-patrie.
La paysannerie elle-même pas toujours très futée peut parfois se laisser enrôler dans ce genre de vision nationaliste. Elle peut aussi tout au contraire être revendiquée comme dépositaire des valeurs de liberté et d'indépendance qui prédisposent les anarchistes envers elle. Ce qui explique l’ambiguïté des regards qu'on porte sur elle.
L'art populaire rustique a fait l'objet de tentatives de récupération par les nationalistes en France. L'art brut avec ses souffrants parfois internés est plus dur à récupérer. Et même, c'est le contraire qui s'est produit dans l'histoire, on s'en est débarrassé dans les années 40. Les créateurs de l'art brut ont payé un lourd tribut à l'avènement du nazisme (les anciens "maîtres fous" de Prinzhorn furent tués dans les asiles allemands) et du fascisme à la française (Séraphine morte de faim à l'asile de Clermont de l'Oise, Fusco au Vinatier à Lyon).
Sur l'art populaire, ça peut continuer aujourd'hui ce genre de tentative de récupération. On n'entend pas parler de l'ouverture du musée des civilisations méditerranéennes et européennes à Marseille (MUCEM, ex-collection des ATP transférée de Paris à Marseille) dont le chantier paraissait terminé pour cette année.
Il paraît que le FN il y a quelques année a été le seul à discuter de ce transfert. Au nom de quelle interprétation? Probablement nationaliste et crétine... Qui s'est élevé contre cela? Il ne faut pas laisser l'art populaire aux fascistes. A gauche, beaucoup de critiques délaissent ce terrain de peur d'être assimilés à eux, du coup le terrain leur est laissé libre.
Écrit par : Le sciapode | 06/04/2013
Répondre à ce commentairePour votre Info, le MUCEM, dont l'inauguration des bâtiments a eu lieu en janvier, doit ouvrir au public le 7 juin prochain. Il ne renferme pas que les collections du Musée des ATP, mais d'autres collections réunies depuis dix ans spécialement pour le projet MUCEM.
Écrit par : Atarte | 07/04/2013
Répondre à ce commentaireLa question que je me pose est la suivante: que deviendront les anciennes collections des ATP annexées à ce nouveau projet méditerranéen et européen? Au risque sans doute qu'elles y restent bien enfouies et oubliées. Que vont devenir les lits clos bretons, les pichets anthropomorphes des Talbot de La Borne, les ouvrages en cheveux, les quilles de conscrits, les bannières commémoratives, les épis de maïs-poupées tchèques, les pièges bricolés de chasseurs, les cannes sculptées, les masques et costumes de carnaval du Nord, l'imagerie populaire alsacienne, les ouvrages de patience des marins, tout un artisanat insolite qui surgissait en douce dans l'ancien musée des ATP dans le Bois de Boulogne (certes aux allures de grand mausolée), etc., etc.?
Marseille paraît être la ville des grandes usines à gaz côté projets muséaux... Je pense au musée de la Vieille Charité où je ne suis jamais arrivé à voir la collection d'art populaire mexicain de François Reichenbach, parce qu'il n'y avait pas assez de personnel, parce qu'il n'y avait pas d'électricité pour éclairer les salles...
Écrit par : Le sciapode | 07/04/2013
Je dois faire un gros pan sur le bec, comme on dit au "Canard enchaîné". Je trouvais un peu bizarre le générique de cette émission où figure le documentaire nommé "Gaspadar". A vrai dire, je trouvais que la pose de Loukachenko à la tribune juste après les images de foules avec des panneaux pro-Hitler (datant de l'envahissement de la Biélorussie en 1941 par les troupes du Reich - je rappelle que la partie où vit Mikalaj se trouvait jusqu'en 1939 en Pologne, disputée par la Russie dès 1920 lors de la guerre russo-polonaise, et fut annexée par l'URSS sur la vase [la base?] de la ligne Curzon à la suite du pacte germano-soviétique de 1939, confirmé après Yalta - la partie orientale, vers Minsk, se trouvant déjà en URSS antérieurement - vous suivez encore?. Après des années de dévastation, de famine, de terreur stalinienne particulièrement féroce dans cette région limitrophe de la Pologne, en 1941, les Allemands furent reçus au tout début comme des libérateurs par une partie des populations paysannes) aurait été, dans une logique de propagande pro-Loukachenko, assez contreproductive, un clin d'oeil trop évident pour être involontaire et ne pas contenir quelque chose de subversif: j'imaginais déjà un signe de résistance intérieure. Mais je n'avais pas remarqué non plus, à la fin du générique, les photos de manifestations d'opposants. En fait, j'ai appris que Belsat, la télé qui a diffusé ce documentaire, est une télévision indépendante d'opposition sise en Pologne, ce qui doit me faire fortement nuancer mon propos, et nous rassurer un peu : quand le régime Loukachenko tombera, on peut espérer que les opposants actuels n'iront pas mettre au rancard l'oeuvre de Mikalaï au prétexte qu'il avait été exposé à Minsk et apprécié aussi du temps du régime déchu. Rien de pire en effet que la pensée binaire qui assimile à l'ennemi les signes que celui-ci a endossé, même si ces signes n'ont, par eux mêmes, rien de significatif. Voyez les crétins qui continuent à associer Wagner aux nazis. Mais cela n'empêche pas que Mikalaï vive aussi une récupération de ce côté là: l'enjeu national est également fort du côté d'une part de l'opposition, qui reproche aussi à Loukachenko une certaine allégeance (fluctuante) à la Russie, et notamment d'avoir restauré le russe comme deuxième langue officielle. Ouf! C'est bien lourdaud, tout ça...
Écrit par : Régis Gayraud | 07/04/2013
Répondre à ce commentaireJe dois avouer que je m'y perds passablement dans tes revirements au sujet de l'interprétation à faire des commentaires sur ce créateur Tarassiuk. On décroche un peu, surtout quand on n'est pas un connaisseur aussi pointu que toi de l'actualité biélorusse. Je pense n'être pas le seul à penser cela. Il serait souhaitable de ne pas laisser de multiples commentaires, variant chaque fois en fonction de nouvelles informations, de nouveaux aperçus, mais plutôt d'étudier à fond (en silence) la question, puis après mûre réflexion,de nous livrer ou non le résultat de tes cogitations au sein d'une brillante synthèse qui resterait indulgente envers l'ignorance des lecteurs les moins avertis de la réalité biélorusse...
Non?
Écrit par : Le sciapode | 07/04/2013
Il est des lapsus aussi savoureux que pleins de sens : « sur la vase de la ligne Curzon » en fait partie désormais, tant il est vrai que le tracé de cette ligne de démarcation était vaseux...
Écrit par : L'aigre de mots | 07/04/2013
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