25/05/2014
Après Nedjar, Saban aussi est habillée en art brut
"Bonjour,
J'ai le plaisir de vous inviter mercredi 4 juin au Vernissage de l'exposition CIVILISATIONS DE LA FORÊT INONDÉE présentant les peintures et dessins inédits de l'artiste ART BRUT de renommée internationale Ody SABAN.
Claire Corcia"
Tel est le message que la galeriste (www.galeriecorcia.com)qui va bientôt exposer Ody Saban (du 4 juin au 19 juillet) a rédigé pour annoncer la dite expo. Après le "moment d'art brut" que Christian Berst a imaginé pour Michel Nedjar, voici donc l'artiste-art-brut-de-renommée-internationale-Ody-Saban (à prononcer d'un seul souffle). Décidément l'art brut est une étiquette qui attire les marchands, garantie de ventes juteuses peut-être, ou à tout à le moins garantie de faire venir un peu de monde.
Les mots sont d'ailleurs utilisés dans la suite de la présentation de cet artiste (car Ody Saban en est une, pas de doute là-dessus, et pas totalement nulle ; par contre, elle, comme Nedjar, n'a rien à voir avec l'art brut, tout juste avec les collections périphériques d'artistes venus dans son orbe, et pour lesquels il existe une autre étiquette, "art singulier", malheureusement galvaudée par des festivals qui n'ont de singulier que le nom) les mots sont utilisés ici tels des stimuli pavloviens, on vous bombarde de mots en gras, 'luxuriant', "dévorant", "métamorphose", "flamboyant", "psychédéliques", "forêts oniriques" (miam-miam), "étreinte amoureuse"... et puis par-dessus tout ça, bien sûr comme d'hab', on rajoute une pincée de poudre de perlimpinpin, un peu de transcendance, on se fend de "quête spirituelle", de "recueillement", n'en jetez plus...
Ce n'est pas la qualité de l'artiste présentée qui est en cause ici, mais cette tendance qui se répète dans les milieux marchands (Corcia après Berst) à vouloir se servir de l'étiquette art brut, bourrée de valeur et de prestige (alors que ce qui se cache en dessous est la négation du monde marchand et du monde médiatique, et c'est d'ailleurs pour ça que l'art brut a trouvé un public qui s'y intéresse -malheureusement ça attire aussi les mouches...). On se sert de cette étiquette pour faire passer autre chose que l'on craint, à tort ou à raison, de ne pas assez faire connaître. Au passage, on remarquera que c'est cette étiquette du "brut" qui a pris la tête sur d'autres. Car Ody Saban exposant aussi de temps à autre avec des surréalistes contemporains qu'elle a réussi à séduire par une folie de pacotille, elle se présente aussi sous cette bannière, de manière tout aussi discutable à mon avis.
Certaines œuvres de Saban, rares, mais réelles, n'ont vraiment pas besoin de ces tours de passe-passe qui prennent au final les amateurs pour des poires. Qu'on en juge avec l’œuvre ci-dessous qui était proposée par la galerie Claire Corcia pour illustrer le message ci-dessus, et qui est une belle toile je trouve, une belle toile d'art singulier. Alors, stop à l'imposture....
Ody Saban, Soleillant malgré nos morts, acrylique sur toile, 114x19 cm, 2013
20:53 Publié dans Art singulier | Lien permanent | Commentaires (6) | Imprimer
Commentaires
Il faut se rendre à l'évidence : les mots s'usent. On dit du résultat de l'héritière Le Pen aux élections qu'il est "surréaliste", une petite conne qui suçote une glace au clair de lune en se tortillant à côté d'un gommeux croisé au club de tunning local trouve cette nuit-là "vachement romantique", l'idéologie revancharde pour pipelettes frustrées qui domine aujourd'hui le discours intellectuel se donne pour "féministe" etc. , etc. L'art brut est un must commercial, et ces galeristes - sans même s'en rendre compte pour les moins faisandés - participent à la vulgarisation.
Écrit par : Régis Gayraud | 26/05/2014
Répondre à ce commentaireCertes, mais il ne faut pas s'avouer vaincu pour autant. Les mots ne s'usent que parce qu'on en mésuse. Stigmatiser impitoyablement et sans relâche le mésusage des mots auxquels on tient n'est pas l'expression d'un combat d'arrière-garde mené pour une cause déjà perdue. C'est une nécessité vitale pour ceux qui ont souci de parler juste. Et la parole juste a quelques chances de sonner plus claire et plus distincte au milieu de la cacophonie des mots creux et des discours mensongers.
Écrit par : L'aigre de mots | 26/05/2014
Répondre à ce commentaireNous sommes d'accord, cher Aigre. Il n'y avait pas la moindre once de renoncement ni de résignation dans mes propos. "Se rendre à l'évidence" ne signifiait pas "se rendre", mais reconnaître, simplement, le procédé inamovible de l'ennemi. Et le vieux singe que je suis ne peut qu'approuver des quatre mains aux protestations du grand Monopode. Pour tout vous dire, il y a quelques mois, est apparue dans mon quartier une boutique qui se veut "galerie d'art singulier et populaire", et présente de vagues assemblages de matériaux divers repeints de couleurs criardes sans le moindre génie, proposés à la vente par de petits artistes locaux, sortis de l'école d'art, dont le seul talent va à leur auto-promotion. Et je n'ai pu m'empêcher, bien sûr, d'aller protester avec véhémence et de dénoncer cette petite imposture de province, sans grande conséquence, certes, mais dont la présence corrobore l'étendue du mésusage, comme vous dites bien.
Écrit par : Régis Gayraud | 26/05/2014
Répondre à ce commentairePeut-on savoir mon cher Régis Gayraud, quelle forme a pris la véhémence de votre protestation ? Par ailleurs, sachant que celle-ci ne visait qu'à dénoncer une "petite imposture de province, sans grande importance" (c'est vrai, ça ne concerne que des bouseux incultes sans influence notable), quelle forme de protestation suggérez-vous pour dénoncer une imposture qui est parisienne, quand même, et risque à ce titre de duper d'éminents acteurs du monde culturel international ? Que penseriez-vous de monter en tracteurs à Paris et de déverser du purin devant la galerie, par exemple, ça ce serait de la véhémence, non ?
Écrit par : Ali Gaut | 27/05/2014
Ody Saban expose une toile "on peut pas vivre sans sirène" dans une exposition collective à Paris, dans la Halle St-Pierre dans le quartier de Montmartre. C'est une exposition qui retrace 25 ans d'art brut à travers la revue RAW VISION. C'est vrai, l y a un mélange des genres, mais je ne suis pas un fin connaisseur pour distinguer l'ivraie,
C'est l’œuvre de Robert Tatin à Cossé le Vivien qui m'a permis de découvrir la magie de cet univers. Un grand merci pour vos articles. Denis Gaume.
Et vive la vie.
Écrit par : gaume | 27/05/2014
Répondre à ce commentaireIl n'était pas question de dénoncer de l'ivraie, comme vous dites, dans la note ci-dessus, à moins que vous ne visiez la présentation de la galerie Claire Corcia.
Pour Ody Saban, on peut juste s'accorder à dire qu'elle expose un peu partout depuis 1978, et qu'elle ne manque donc pas de médiatisation de son travail, ce qui peut justifier que j'en parle assez peu sur ce blog qui se consacre de préférence à des nouvelles découvertes.
Écrit par : Le Sciapode | 27/05/2014
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