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09/12/2019

Václav Beránek, une présentation par Emmanuel Boussuge (1ère partie)

Un naïf de première classe :

 le peintre tchèque Václav Beránek

 

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Portrait de Václav Beránek dans le livre d'Anatole Jakovsky, Les Peintres naïfs, Basilius press, Bâle, 1976.

 

          C’est dans le petit appartement de Pavel Konečný, dans une barre d’immeuble d’Olomouc, que j’ai découvert l’œuvre de Václav Beránek. Sa plus grande toile, son chef-d’œuvre, La Reine des eaux et les naufragés, couvre en effet presque un mur du salon du collectionneur.

      Pavel Konečný a trouvé des créations étonnantes à travers toute l’ancienne Tchécoslovaquie, mais aussi en Italie ou en Croatie, depuis les années soixante-dix. Art brut, art populaire, art naïf, Pavel a eu l’excellente idée de ne pas privilégier un champ unique et de laisser s’étendre sa curiosité dans diverses directions, sans segmenter outre mesure les domaines. L’ensemble qu’il a réuni, de par sa variété, possède une fraîcheur tout à fait particulière.

        Pavel Konečný est un des plus actifs zélateurs des créateurs marginaux sans formation académique (quelle que soit leur étiquette) de toute la République tchèque et sans doute d’Europe centrale. On lui doit notamment un guide, l’Atlas des arts spontanés¹, absolument indispensable quand on voyage en République tchéque. Il a organisé de nombreuses expositions et aussi un petit festival de cinéma qui promeut les films dédiés à l’art brut. C’est à l’occasion de cette manifestation que nous avons visité Pavel avec toute une délégation française aussi peu officielle que possible. Il y avait Rémy Ricordeau qui présentait Bricoleurs de Paradis (bien connu des lecteurs de ce blog), Lilin Chen, ainsi que Katrin Backes et Sylvain Tanquerel.

          Nous avons tous été estomaqués par La Reine des eaux, toile splendide qui défie les lois de la perspective. Les registres s’y entrechoquent de manière parfaitement inattendue. À la surface, le monde des hommes est celui des catastrophes, un naufrage en mer en l’occurrence. Sous les eaux, c’est toute une mythologie personnelle qui se déploie. La reine des mers est entourée de sirènes et de nombreux animaux marins, hiératiques comme sur des gravures de zoologie ou bien en mouvement – les deux cas se présentent. C’est le moment de l’inventaire du monde. L’Eden se ressource grâce aux merveilles de la science illustrée et se caractérise par une dimension érotique lumineuse. Deux femmes nues sont couronnées au fond des eaux : une est blonde et se tient à cheval dans un équilibre bien improbable sur une baleine, l’autre est brune, tient un poisson entre les mains et est dotée du trident de Neptune. Je me demande bien laquelle des deux est la Reine des eaux².

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Václav Beránek, La Reine des Eaux, 1972 (collection et © photo Pavel Konečný).

 

    Les mondes de la surface et celui des profondeurs communiquent puisque les sirènes vont sans hésitation à la rescousse des naufragés³. Cette représentation d’un sauvetage en mer n’est pas sans faire penser à la tradition des ex-voto répandue sur de nombreux continents mais étonne quand même un peu en Tchéquie, où les rivages sont passablement éloignés. Un rocher et une curieuse construction (un palais ?) sur la gauche de la toile dote le tableau d’un point de stabilité graphique qui tranche avec les mouvements de la mer. Mais sommes-nous sur le rivage ou sous la mer ? Il est absolument impossible de trancher. Dans le monde onirique de Beránek, les deux positions ne s’opposent nullement. De même, flotter, nager, voler, tout se déroule sur le même plan.

 

(Fin de la 1ère partie, à suivre...)

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¹. Pavel Konečný, Šimon Kadlčák, Atlas spontánního umění. Textes de Pavel Konečný, Šimon Kadlčák et Roberta Trapani. Composition graphique : Petr Hrůza, Marcela Vorlíčková. Artmap, Praha 2016. Les notices sont toutes bilingues, en tchèque et en anglais. Grand merci à Pierre-Jean Brachet et Delphine Beccaria de m’avoir mis entre les mains cette carte aux trésors.

². Pavel Konečný a répondu à ma question. Dans un premier temps, Beránek avait pensé faire de la reine brune, non pas une reine mais un roi, puis il a changé d’avis. Il y a donc deux reines sur le tableau. [Ou bien deux moments de cette reine ? Note de l’animateur du blog].

³. Cependant, si l’on se tourne vers un autre folklore attaché aux sirènes marines, il serait possible de voir ici, au rebours d’un sauvetage, comme une capture de naufragés, devenus les proies des sirènes. Anatole Le Braz dans son roman Le Sang de la Sirène, l’évoque fort bien, quand il parle des malédictions qui s’attachent aux sirènes d’Ouessant. Note de l’animateur du blog.

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