25/12/2019
Ni Tanjung à la galerie Patricia Dorfmann?
Annoncé pour janvier, j'ai vu passer, un peu éberlué je l'avoue, un projet d'exposition de Ni Tanjung (du 30 janvier au 22 février 2020), dans une galerie d'art plastique contemporain – qui elle aussi donc se tourne vers l'art brut: par opportunisme? – la galerie Patricia Dorfmann... Les premiers mots qui m'ont fait tiquer, c'est dans le sous-titre qui suit sur le site web de la galerie le nom de Ni Tanjung : "la reine du volcan Agung", sous-titre passablement tape-à-l'œil, et quelque peu grotesque par son côté sensationnel, n'ayant que peu de choses à voir¹ avec Mme Tanjung, pauvre des pauvres, vivant sans bouger sur son grabat, non loin du volcan en question certes, n'ayant en commun avec ce dernier qu'une certaine force éruptive canalisée dans l'expression sans frein de buissons de figures en papier crayonnées en couleur, inspirées du théâtre d'ombres balinais (et plus relativement, je trouve, des formes de danse traditionnelle). C'est typiquement le genre de titre publicitaire – probablement à base de bons sentiments (magnifier une gueuse par renversement des hiérarchies habituelles) – qui vise à se mettre le public dans la poche, quitte à paraître ronflant et difforme aux yeux des connaisseurs.
Le volcan Agung menaçant, décembre 2017, © photo Petra Simkova.
Site web de la galerie Patrica Dorfmann, page expo.
Et puis, autre motif de surprise gênée, on nous signale aussi dans l'annonce en tête de gondole du site web que l'expo est sur "proposition de Lucas Djaou", sans citer, d'emblée, personne d'autre (il faut lire le communiqué de presse en lien pour entendre parler des antécédents, et encore, de manière succincte)... Alors, là, ça sonne un peu comme un détournement pas très correct, correct. A ne lire que cette annonce, il semble que la galerie – à moins que cela n'émane du seul monsieur Djaou – a complètement oublié que c'est d'abord à M. Georges Bréguet essentiellement que l'on doit la connaissance, sur Paris (je m'en suis ouvert sur ce blog dès 2016), de l'œuvre de Ni Tanjung. C'est encore lui qui a prêté très récemment (du 6 avril au 18 mai de cette année 2019), à la Fabuloserie-Paris, rue Jacob dans le VIe ardt (sur ma suggestion, entre parenthèses), des œuvres de la même Ni Tanjung, créatrice brute qu'il protège, soutient matériellement, et fait connaître depuis des années, initialement par le biais de la collection d'Art Brut de Lausanne (voir l'exposition essentielle "L'Art Brut dans le monde", montée par Lucienne Peiry)? La Fabuloserie a été la première galerie parisienne à avoir l'audace d'exposer ces buissons de figures (dessins aux crayons ou aux pastels montés sur architecture de fibres de bambou) si étonnants.
Vue partielle de l'exposition Ni Tanjung à la Fabuloserie-Paris, salle du rez-de-chaussée (printemps 2019), photo Bruno Montpied.
A la Fabuloserie, le jour du vernissage, je me souviens avoir croisé ce M. Lucas Djaou. Qui maintenant s'est accaparé la "proposition" Ni Tanjung, sans grand mérite. Cela prend l'allure d'un détournement intéressé... Pourquoi n'avoir pas tout simplement laissé Georges Bréguet présenter sa protégée dans cette nouvelle galerie? Il reste toujours le plus habilité à expliciter son travail. Le communiqué de presse publié récemment sur le site de la galerie Dorfmann n'apporte en effet rien de mieux, paraphrasant plutôt qu'autre chose ce que nous avait déjà appris M. Bréguet.
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¹ On pourrait me rétorquer la note consacrée, sur ce blog même, au témoignage de Petra Simkova, habitante de Bali, qui avait rendu visite sur ma demande à Ni Tanjung. Dans son texte (de 2016), elle use de ce terme de "reine" parce qu'au moment de sa visite madame Tanjung confectionnait des couronnes en papier multicolore et brillant dont elle se coiffait, ou dont elle couvrait ses visiteurs (une forme d'anoblissement généralisé en somme). On pourrait se demander si Lucas Djaou, ou les responsables de la galerie Dorfmann, n'auraient pas lu ce témoignage paru sur mon blog, du reste (ils ne le citent pas en tout cas ; mais qui a l'honnêteté de citer les blogs de toute façon?). Je pourrais répondre qu'en extrayant ce terme de son contexte, en le propulsant en sous-titre de leur expo, ils lui donnent un autre sens, publicitaire, qui n'a rien à voir, et devient même idiot.
01:17 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Questionnements | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : galerie patricia dorfmann, ni tanjung, georges breguet, théâtre d'ombres balinais, art brut indonésien, petra simkova | Imprimer
Commentaires
Cher Sciapode, je comprends bien votre "surprise gênée" - expression que je trouve en fait fort modérée par rapport à l'agacement que ce genre de découverte suscite en moi lorsqu'il m'arrive de vivre le même genre d'expérience. On pourrait composer une typologie de l'indélicatesse, avec exemples à l'appui, et vous me donnez maintenant l'occasion de faire le point sur mes observations en la matière. Il y aurait notamment : 1°, les "voleurs", que j'appelle aussi les gros bourrins, avec deux variantes : a) ceux qui vous ignorent superbement, qui vous pillent sans jamais révéler leurs sources; b) ceux qui collectent une œuvre commune, réalisée à plusieurs, mais voilà - lorsque le résultat est réalisé, on découvre que seul leur nom est mentionné, par exemple sur la couverture du recueil. Il n'est pas bien difficile de les démasquer et, de ce fait, cette catégorie-là est aujourd'hui, en tout cas dans les milieux des gloseurs de l'art, moins directement active que la suivante; 2°, les "camoufleurs", que j'appelle aussi les petits tordus, avec encore deux variantes : a) ceux qui ne remercient pas la principale personne qui leur a fait connaître le sujet sur lequel ils font leur tambouille et à qui ils doivent l'essentiel de leur savoir en la matière, mais n'oublient pas, en revanche, de mentionner le moindre sous-fifre qui serait intervenu techniquement à un moment de leur parcours; b) plus tordus encore : ceux qui, pour opérer leur camouflage, n'hésitent pas à vous citer, certes, mais en tant que source de quelques détails secondaires, et vous "oublient" pour l'essentiel de leur travail, lequel est totalement pompé sur le vôtre. Les uns et les autres de ces camoufleurs, et surtout les seconds, sont de redoutables manipulateurs, car le public, bien sûr, leur fait confiance puisqu'ils paraissent honnêtes, et leur fourberie est assez subtile car ils s'arrangent en effet pour qu'il ne soit pas facile pour celui qui a été pillé de faire valoir son bon droit sans paraître jaloux ou paranoïaque; 3°. les "indélicats par procuration", que j'appelle aussi les dilettantes crédules, lesquels, pour exister, nécessitent d'être engagés dans une relation symbiotique avec un autre compère, que j'appellerai le "pervers de l'ombre", autrement dit ceux qui ne prennent pas la peine de vérifier auprès de leur source immédiate, qui se trouve être une source secondaire, l'origine de l'information sur laquelle ils fondent leur propre documentation, et n'oublient pas de citer leur source comme s'il s'agissait d'une source première alors que celui qui les a mis au courant (le fameux "pervers de l'ombre") n'a fait que relayer cette source sans bien sûr la mentionner lui-même, généralement pour se hausser du col. A mesure que la masse des recherches et des gloses s'accroît, comme il est de plus en plus compliqué pour un chercheur, en quelque domaine que ce soit, de se tenir au courant de l'ensemble des sources existantes, cette catégorie nécessitant l'assemblage de deux individus est en train de prospérer avec d'autant plus de bonheur que le spectacle (au sens debordien du terme) favorise l'éclosion du type psychologique du "pervers de l'ombre", qui, émergeant à la lumière quand ils est cité par un dilettante crédule, trouve ainsi son petit quart d'heure de gloire. De chacun de ces types auxquels j'ai été, comme tant d'autres, confronté, je tiens à votre disposition maints exemples, et vous laisse le loisir de choisir à quelle catégorie pourrait plus ou moins exactement se rattacher le cas dont vous faites état aujourd'hui.
Écrit par : Régis Gayraud | 25/12/2019
Répondre à ce commentaireC'est vrai que ce titre racoleur, "La reine du volcan Agung", pour en faire une star glamour et monter les prix est plus qu'indécent quand on connaît la réalité de la vie misérable de ladite "reine". Tout ce mépris par bêtise est bien dans notre époque macronienne, au fond.
Écrit par : Isabelle Molitor | 29/12/2019
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