08/11/2020
L'art abandonné, l'art des trottoirs, à réanimer : une autre exposition
Il n'y a pas que les galeries, il n'y a pas que les musées pour montrer l'art actuel ou d'hier. A se promener le long des rues, ou sur les trottoirs des Puces et autres brocantes, on s'en convainc aisément pour peu que ses yeux soient convenablement ouverts et dessillés. Certains tableaux, certaines sculptures ou assemblages s'y trouvent rejetés comme les épaves sur les grèves, attendant qu'un regard compatissant ou intrigué vienne les ranimer.
Youssef Ait Tarazin, sans titre, peinture industrielle sur panneau d'Isorel, 35 x 44,5 cm, 1993. Ph. et coll. Bruno Montpied ; Tableau trouvé aux Puces de Vanves ; l'artiste doit être toujours actif du côté d'Essaouira où il fut autrefois présenté, alors qu'il n'avait que 19 ans, à la galerie Frédéric Damgaard.
C'est un jeu qui me mobilise régulièrement depuis quelques années maintenant. Dans certains cas, après les avoir acquis, la plupart du temps à moindres frais, j'essaye de partager mes découvertes, tentant d'y intéresser un public un peu plus large... J'ai eu l'occasion par exemple de parler plusieurs fois des bouteilles décorées des époux Beynet, encore récemment dans la revue Trakt n°11 (juillet 2020), après en avoir parlé naguère dans la revue L'Or aux 13 îles (n°3, 2014). Leur découverte avait commencé par une bouteille en forme de ballon de rugby repérée sur un stand de vide-grenier banal en dessous de Besse-en-Chandesse (Puy-de-Dôme). Auparavant, dans la revue Création franche (n°29, avril 2008) et puis encore dans 303, Arts recherches, créations (n°119, janvier 2012) et sur ce blog aussi bien sûr, j'avais également eu l'occasion d'évoquer les peintures intimes de l'ancien instituteur sarthois Armand Goupil, dont la production, restée longtemps au secret d'un cabinet oublié, avait été mise à l'encan dans un déballage marchand du côté du Mans. J'ai toujours en tête de lui consacrer une petite monographie si je trouve un éditeur suffisamment passionné pour ce faire...
Couverture de la revue Trakt n°11.
Je parlerai prochainement, toujours dans la revue Trakt (dans leur n°12 à paraître), si les petits cochons ne la mangent pas, des sept toiles sans châssis que j'ai trouvées en brocante le 15 août dernier alors que c'était le jour le plus creux de l'année à Paris, dues à une peintre argentine, Dominique Dalozo, et peut-être aussi à sa compagne, Yvonne Bilis-Régnier, qui après avoir participé à au moins deux expositions – en elles-mêmes déjà assez confidentielles –, dans les années 1960 et 1970, paraissent avoir renfermé leur art dans un cercle intime où elles développèrent une peinture d'allure symboliste aux limites de l'art naïf, complètement hors du temps, déconnectée des modes et des tendances de notre époque, et qu'elles ne montrèrent apparemment jamais, hormis, brièvement, à l'autrice d'un livre sur les mouvements féministes en art à la fin des années 1990.
Toile signée au verso Dalozo, huile, 80 x 65cm, sd ; ph et coll. B.M ; on aperçoit en bas à droite une femme assise en train de jouer d'une flûte, ce qui semble avoir pour effet de convoquer le cortège de fantômes aux bures vermiculaires par delà la mer autour d'un immense rocher...
R. Raha (ou Rosy Russo?), sans titre, crayon sur papier, 29,7 x 21 cm, sd. ; ph. et coll. B.M.
Cependant, ce peut être aussi en galerie que l'on peut trouver des œuvres orphelines de l'identité de leur géniteur ou leur génitrice. J'ai opté récemment pour un dessin signé en bas à droite "R.Raha". Le galeriste (Polysémie), François Vertadier, ne sait pas grand-chose de cet auteur ou cette autrice. Simplement, il délivrait cette information qu'il avait acquis ce dessin parmi une demi douzaine d'autres auprès de la collection de feu Henri Sotta qui lui-même les avait trouvés chez une artiste marseillaise, elle-même aujourd'hui décédée, nommée Rosy Russo (née à Tunis). Pourquoi avoir deux noms d'artiste, si c'est la même dessinatrice?
J'ai de mon côté eu l'occasion de tomber récemment sur internet sur une autre artiste dont le nom pourrait coller avec la signature "R. Raha": une certaine Raha Raissnia, iranienne, née en 1968, vivant aujourd'hui à Brooklin dont un commissaire d'exposition (Brett Littman), dans un salon en 2019 voué au dessin sous toutes ses formes (genre D Drawing), décrivait ainsi l'œuvre : "Les dessins de Raha Raissnia se basent sur des images provenant de ses archives personnelles de photographies et de films qu’elle a soit faits elle-même ou trouvés. Intuitivement, plutôt que d’en faire des copies directes, Raissnia rend ces images abstraites en s’appliquant à les photographier et à les dessiner de nombreuses fois jusqu’à ce qu’elles deviennent méconnaissables et que leur signification première en devienne incertaine." Or, les dessins de cette R. Raha exécutés sur des feuilles très fines, avec un crayon ayant profondément métamorphosé, semble-t-il, une image préalable par un besoin d'en extraire une nouvelle image (de la même manière que cette Raissnia), plus visionnaire à vrai dire qu'"abstraite", semblent correspondre à l'évocation de Brett Littman... Simplement, si les dessins de la galerie Polysémie proviennent de cette artiste iranienne, comment sont-ils arrivés chez cette Rosy Russo? Le mystère reste donc entier.
C'est souvent ce qui arrive, à musarder ainsi du côté des laissés pour compte, des partis sans laisser d'adresse évidente... Pas toujours, cela dit encore, comme dans le cas ci-dessous, une peinture sur papier journal qui m'a, ma foi, aussi tapé dans l'œil encore aux Puces de Vanves.
Alain Péanne, pigments non identifiés sur fragments déchirés de papier journal, 29,7 x 21 cm, sd ; ph. et coll. B.M.
Cette fois, cet Alain Péanne paraît associable à un artiste actif du côté de Chartres, pratiquant plutôt l'estampe, et ayant fréquenté Chomo et Jean-Luc Parant.
Même chose, voici un autre cas d'artiste contemporain, Pascal Vochelet, dont une œuvre se présenta un jour devant mes yeux encore aux Puces où elle avait atterri sans explication, m'intriguant. Là aussi, on a affaire à un artiste actuel s'entêtant à faire dans les arts plastiques, ou plutôt en l'occurrence, graphiques, non encore contaminé par les arts conceptuels. C'est gentillet, mais curieux, un peu étrange. Cet homme à tête de zèbre (sûrement un drôle de) me faisait de l'œil lui aussi et je l'ai emporté chez moi.
Pascal Vochelet, sans titre, 32 x 25 cm, vers 2018 ; ph. et coll. B.M.
Mais le clou de mes découvertes, en terme de laissés pour compte, c'est le tableau ci-dessous, trouvé paraît-il dans la rue, par celui qui me l'a généreusement échangé contre un de mes dessins, M. Callu-Mérite. Une peinture véritablement visionnaire, une ville dans une plaine, confectionnée avec de la matière en léger relief grenu, qui n'est pas sans faire songer à ces autres tableaux visionnaires de l'autodidacte brut Marcel Storr, en raison de ses dominantes rousses, une teinte onirique.
Thierry Sainsaulieu, sans titre, huile sur toile, 32 x 62 cm, sd (fin XXe siècle?); ph et coll.B.M.
19:41 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art Brut, Art des jardins secrets, Art immédiat, Art moderne méconnu, Art naïf, Erotisme populaire | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : brocantes, art oublié, art d'inconnus, armand goupil, louis et céline beynet, galerie polysémie, r. raha, youssef ait tarazin, revue trakt, puces de vanves, puces de st-ouen, rosy russo, alain péanne, pascal vochelet, thierry sainsaulieu, françois callu-mérite | Imprimer
Commentaires
Cher Sciapode, vous souvenez-vous de cette étrange toile aperçue depuis la fenêtre de la voiture, abandonnée contre une poubelle du coté de notre Dame du Bon Secours à Dieppe? Représentant une femme nue, plutôt réaliste, le haut du visage et les avant-bras inachevés, l'accent mis sur son rouge à lèvres, semblant évoluer dans une sorte de marécage, de l'eau jusqu'aux cuisses et sur laquelle une main volontaire avait, sans tenir compte de l'image peinte, inscrit au marqueur sur l'ensemble de la toile des remèdes qu'on pourrait qualifier de "remèdes de grand-mère":
"1-mal au crane?
prendre une tase de laït chaud avec une cuiller à soupe de goute de ferme!
2-mal au dent?
prendre une boule de conton maitre de l'alcole à 70 puis maitre dans l'oreille!
3-mal à la gaurge?
prendre une tase de laït chaud puis maitre une cuille de miel!
4-mal au cout?
prendre un torchon puis maitre des glason!
5-mal au dos?
prendre une verine puis la chaufé est la pauser sur le dos!
6-mal au vantre?
pauser la main sur le vantre puis pouser vers le bas."
Il est bien entendu impossible de retracer l'histoire de cet étrange objet...
Écrit par : Darnish | 09/11/2020
Répondre à ce commentaireSouvenir très vague de ma part... J'étais là, moi? Y a-t-il eu prise de photo? Je ne retrouve rien dans mes archives...
Écrit par : Le sciapode | 09/11/2020
Ah, j'oubliais, la toile est signée "Toupa"...
Écrit par : Darnish | 09/11/2020
Répondre à ce commentaireOui oui, nous étions ensemble...je peux vous envoyer une photo, de la toile je veux dire.
Écrit par : Darnish | 09/11/2020
Répondre à ce commentaireLa "goute de ferme", c'est quoi, de la gnôle faite maison?
Écrit par : Le sciapode | 09/11/2020
Répondre à ce commentaireBien sûr! Vous ne connaissez pas l'expression, cher Sciapode? Fichu Auvergnat!
Écrit par : Isabelle Molitor | 09/11/2020
Ohé, la mère Molitor, allez vous en siffler une, ça vous calmera...
Écrit par : Le sciapode | 09/11/2020
hiPs!
Écrit par : Papy Guinot | 10/11/2020
Répondre à ce commentaireBonjour,
Je découvre votre article.
Vous savez que mon "art gentillet" est bien vivant... et moi aussi... Achetez donc aux artistes vivants et laissez les puces aux chiens.
Cordialement.
Écrit par : Vochelet | 17/01/2023
Répondre à ce commentaireEffectivement, vous ne paraissez pas si gentillet que ça. Plutôt bébête. Votre rejet des Puces... Et que savez-vous de mon rapport aux artistes vivants? Il m'arrive d'en défendre régulièrement et pas seulement sur ce blog. Au lieu de râler, vous devriez d'abord vous féliciter qu'on parle de vos oeuvres, même si celui qui en parle y met une (légère) réticence.
Écrit par : Le sciapode | 17/01/2023
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