16/11/2021
Un livre magnifique sur Pierre Albasser, le "retraité qui dessine"
Cette note a fait l'objet d'une mise à jour et d'un remaniement le 2 décembre 2021.
Les Emballements de Pierre Albasser, ça s'intitule. Que voilà une très belle réussite des éditions Le Temps Qu'il Fait, qui nous a habitués à sortir de très beaux ouvrages, rien qu'au niveau formel déjà. Et aussi du point de vue du contenu, par exemple ce Sentiment des rues de cet écrivain secret et délectable qui a pour nom Joël Cornuault, paru en 2017.
Il s'agit ici d'une monographie consacrée à un de nos Singuliers, lointain surgeon de Gaston Chaissac dont il se distingue bien entendu, ne serait-ce déjà que par le choix exclusif et particulier de ses supports et de ses outils (supports: cartons d'emballage de toutes sortes, loin d'être seulement d'origine alimentaire, puisque "TOUT emballage en carton compact du ménage est exploité, avec des cartons de mouchoirs, de pâte dentifrice, de collyres, de chaussettes, de ruban adhésif" (GEHA), cartons qui sont déployés soigneusement à plat ; outils: feutres, marqueurs usagés, encre d'imprimante, fournitures d'occasion diverses...), mais aussi dont il participe par un graphisme ultra stylisé, par son goût des traits cerneurs et des formes emboîtées, et aussi par son goût d'expérimenter et de son refus de se répéter.
C'est pourquoi j'ai choisi de donner un texte à ce beau projet de monographie, Pierre Albasser, un enfant caché de Chaissac, un texte qui en recombine deux autres, parus respectivement, en 1999 dans la revue Création Franche (un des tout premiers textes, si ce n'est le premier, qui parut sur Albasser, suite à sa participation à l'expo automnale du Musée de la Création franche), et en 2021, dans le magazine Artension, textes que j'ai remaniés pour l'occasion.
Pierre Albasser emballé par ses Emballements, photo GEHA, octobre 2021.
Alors, bien sûr, on va me dire "vous en dites du bien du livre sur Albasser, parce que vous avez écrit dedans..." Mais n'est-ce pas naturel? Si j 'y ai participé c'est que j'y croyais... De plus, je ne me sens pas toujours obligé de parler de tout ce à quoi je participe (quelquefois même, je serais tenté de critiquer certains "contenants" si la courtoisie de ne me retenait pas). Si j'écris sur tel ou tel sujet c'est par passion et engouement. Il est normal d'en répercuter partout la manifestation, surtout lorsque la publication ne bénéficiera à l'évidence pas de "publicité". A force d'y penser, du reste, je crois que je mettrai bientôt en ligne ma bibliographie de textes récents, pour embêter tous ceux qui pourront me traiter de narcissique.
Je ne suis pas seul dans cet ouvrage à donner des textes, il en est d'autres : en premier, GEHA, l'épouse impresario-archiviste-artiste postal, mais aussi Denis Montebello, Pascal Rigeade, Anna Rozen (très bien son texte, très-très bien), Isabelle Lollivier (responsable de la revue Santé mentale, où Albasser a donné plusieurs illustrations, une vingtaine par numéro ; comme il a participé à huit de leurs numéros, calculez combien ça fait d'illustrations...), Bernard Ruhaud, Dino Menozzi, Peter Bolliger... Et Georges Monti, l'éditeur, qui nous livre un bel entretien avec Pierre et Gudrun Albasser, à la fin, qui m'a bien amusé, en constatant l'assurance de Pierre pour répondre à Monti (et à Gudrun qui cherche "traîtreusement" à l'entraîner sur cette pente de l'AAAArt) que décidément, non, ce n'est pas une coquetterie s'il ne se présente pas comme "artiste", mais simplement comme un "retraité qui dessine".
Pierre Albasser est souvent en vente sur e-bay ou dans les ventes aux enchères d'art contemporain (que je trouve personnellement calamiteuses) organisées régulièrement à Drouot, et je trouve depuis longtemps que cela nuit à la correcte appréciation de ses expérimentations et autres travaux, car les œuvrettes qu'il y dépose sont loin d'être ses meilleures. J'ai même parfois l'impression qu'il y distille un peu ses "fonds de tiroir". Et cela donne à la longue une image un peu pâle, réductrice, et finalement mensongère de sa production (j'en connais même qui, ne connaissant que ces images visibles sur tous les écrans du Net, mésestiment grandement Albasser). Or, la magnifique monographie des éditions Le temps qu'il fait constitue un éclatant démenti face à ce genre de fausse impression. On y trouvera des reproductions (de très belle qualité d'impression : décidément, bravo à l'éditeur) de ses travaux les plus aboutis, d'une grande variété, et, en même temps, d'une grande unité de signature. Je donne deux exemples ci-dessous de double-page.
Pp 72-73 et pp108-109 des Emballements de Pierre Albasser au Temps Qu'il Fait.
A parcourir ce bel album d'images, j'en retire la conviction que l'impresario (impresaria?) de Pierre, la nommée Gudrun, avait mis de côté depuis longtemps les meilleurs crus de son cher et tendre "elfe" (moi, je disais lutin, mais d'autres le qualifient d'elfe ; va falloir qu'il se fasse tailler les oreilles en pointe pour être à la hauteur du qualificatif), comme lorsqu'on garde des millésimes pour les grandes occasions.
Le livre (144 p., 100 illustrations couleur) sera disponible dans toutes les bonnes librairies à partir du 22 novembre prochain. Voir le site de l'éditeur.
00:57 Publié dans Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : pierre albasser, les emballements de pierre albasser, geha, le temps qu'il fait, georges monti, art singulier, bruno montpied, retraité qui dessine, gaston chaissac, création franche, pascal rigeade, denis montebello, anna rozen | Imprimer
Commentaires
Y a-t-il un article qui traite de la poésie inattendue des formes que dessinent les cartons d'emballage une fois dépliés et de l'influence de cette forme sur les compositions des oeuvres qu'Albasser produit sur ces cartons ensuite ?
Écrit par : Régis Gayraud | 16/11/2021
Répondre à ce commentaireVous voulez dire un article de ce genre dans le livre, ou bien ailleurs?
Dans la monographie, on ne peut pas le dire. Ce serait très pointu à faire comme analyse. On aurait dû vous contacter.
Écrit par : Le sciapode | 16/11/2021
Répondre à ce commentaireCher Sciapode. Oui, je voulais dire : dans ce livre. Mais ailleurs aussi, puisque vous le suggérez. En effet, c’est quand même quelque chose qui saute aux yeux, cette importance des découpes parfois étranges, inattendues la plupart du temps, des cartons un dois mis à plat. Ça paraît banal, un carton, mais chaque emballage a ses découpes différentes, c’est évident que c’est important pour celui qui s’en sert comme support de dessins. Je pensais qu il y avait peut être un article sur ce sujet ou alors qu’Albasser aurait été interrogé dessus.
Écrit par : Régis Gayraud | 17/11/2021
Elle est très belle la page 72! On dirait qu'il y a du relief.
Écrit par : Darnish | 16/11/2021
Répondre à ce commentaireMes dessins ne sont jamais préparés à l'avance - Je tiens à rester aussi spontané que possible - Mais quand même, c'est la forme du carton qui guide mes premiers traits - Il en résulte une certaine répétition des sujets puisque je n'utilise que les cartons compacts (pas ondulés!!) de notre propre consommation (répétitive par nos préférences) et d'une manière exclusive et exhaustive - Mais "consommation" ne veut pas dire que bouffe!
Écrit par : Pierre Albasser | 19/11/2021
Répondre à ce commentaireMerci de votre précision, cher Pierre Albasser. Bien sûr, la forme de ces cartons dépliés guide en partie les formes que vous dessinez (dans certaines reproductions vues sur l'Internet, j'ai remarqué des lèvres dessinées au coin des angles rentrants, et je me suis demandé si vous n'aviez pas commencé vos dessins, dans ces cas-là, justement en posant ces lèvres. Beaucoup de ces cartons d'emballages, une fois dépliés, ont la silhouette de petits bonshommes, ou plutôt de robots (étant donné les arêtes droites des découpes) et j'ai remarqué aussi que vous ne vous contentez pas forcément de cette suggestion offerte par la forme : loin de tracer un bonhomme bébêtement frontal, vous faites entrer dans cet espace plutôt des êtres vus de profil, avec bien plus d'astuce qu'il n'en paraît au premier coup d'œil.
Par ailleurs, je suis d'accord avec M. Darnish : la page 72 est impressionnante. Elle me rappelle les gravures-sculptures de Michel Guino pour "Un soupçon" d'Eluard publié en leur temps aux éditions du Degré 41, même si cela peut sembler curieux de comparer des cartons d'emballage avec le papier de Chine ou de Japon pur fil (mais l'édition comportait aussi, ne l'oublions pas, des scansions de papiers de boucher). Et je conçois bien que M. Darnish, qui pratique le contrerelief polychrome, soit séduit par cet ensemble qui procède à la fois de la sculpture et de la peinture.
Écrit par : Régis Gayraud | 20/11/2021
Si on s'amusait au jeu qui constituerait à retrouver de quels emballages il s'agit d'abord? P. 72 et 73, avec cette fente vaguement ovale qui suggère la bouche, je reconstitue mentalement deux grandes boîtes de mouchoirs en papier.
Écrit par : Isabelle Molitor | 20/11/2021
Répondre à ce commentaireJ'ai regardé Michel Guino...ça ressemble un peu, mais de loin quand même...vous y voyez des ressemblances, je le conçois, mais c'est loin d'être évident Mr Gayraud...c'est un peu comme quand on trouve que telle personne ressemble à tel acteur ou telle célébrité... c'est pas toujours évident. J'ai appris récemment que ma mère par exemple, trouvait qu'un de ses voisin qui est chauve, petit, le visage un tantinet "rougeot" ressemblait selon elle à Dominique de Villepin...même après un examen approfondi, je ne vois pas du tout!
Quant à la page 73 de Pierre Albasser, je la rapprocherais plus volontiers des peintres d'Essaouira, Ali Maimoun en tête. Mais ça c'est chacun qui voit, en fonction de ses expériences, de son histoire etc...les images font penser à d'autres images, rappellent des souvenirs etc...
Pour le jeu des devinettes, je dirais des paquets de biscuits, des gauffrettes aux framboises plus précisément...
Écrit par : Darnish | 20/11/2021
Répondre à ce commentaireAh oui, c'est bizarre, tout le monde sait que Villepin était un petit brun trapu et moustachu qui boitait bas et qui se prenait pour Rimbaud à la veille de l'amputation.
Écrit par : Atarte | 23/11/2021
Vu le bouquin de Pierre Albasser ainsi que les éditions du Sandre dans la librairie -bouquinerie Elisabeth Brunet à Rouen...Un très chouette endroit où on trouve aussi les éditions Plein Chant.
Écrit par : Darnish | 05/12/2021
Répondre à ce commentaireUne librairie de neuf, et d'occasion aussi? Je dis ça par rapport aux éditions Plein Chant qui, hélas, ne paraissent plus trop publier de nouveaux titres... A moins que vous ayez vu les derniers parus (généralement des ouvrages repris d'après des auteurs du XIXe siècle)? Il y avait bien, à la librairie Quilombo, dans le XIe à Paris, récemment, une sélection de livres de Plein Chant...
Écrit par : Le sciapode | 07/12/2021
Les éditions Plein Chant semblent toujours sortir des livres...avec parcimonie sans doute, je ne sais pas. J'ai découvert ces éditions à la librairie-bouquinerie "la lecture pour tous" à Brest. Celle (la librairie) de Rouen fonctionnant de la même manière: une majorité de livres d'occasions et quelques uns neufs, de maisons d'éditions choisies, la plupart du temps relativement confidentielles...
Écrit par : Darnish | 08/12/2021
Répondre à ce commentaireNé la même année que Michel Thévoz qui nous revient avec une mise à jour de son livre sur les "écrits bruts", hé, hé, 36.
Écrit par : Jean | 12/12/2021
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