25/02/2023
Après le Gazouillis des éléphants (8): Histoire d'un militaire que l'on prenait pour un gendarme
Dans mon livre (épuisé, en attente de réédition), Le Gazouillis des éléphants (2017), entre autres sites en plein air évoqués, dus à divers autodidactes populaires, à la région Bourgogne, j'ai indiqué deux sites, tous deux relevant de la commune de Rogny-les-Sept-Écluses, dans l'Yonne. Dans l'un, en particulier, j'ai signalé une grosse statue, à l'effigie de ce qui m'apparut sur le moment comme un officier, du fait de son grand couvre-chef, semblable à un shako, qui se tenait – et se tient encore, car elle a été restaurée depuis mon passage en 2014 – sur un mur de clôture en bordure d'un jardin et d'une maison, paraissant surveiller le monde alentour, de manière débonnaire, pourrait-on dire, à l'entrée du village de Rogny, en direction de Chatillon-Coligny.
Deux photos de "l'officier de Rogny"; ph. Bruno Montpied, 2014.
J'en ai appris tout récemment un peu plus sur cette curieuse effigie d'allure truculente (elle ressemble bizarrement à un portrait de Groucho Marx, mais bien sûr de façon toute fortuite). Dans la région, M. Jean-Marie Vernhes, qui prépare une publication érudite sur Rogny, m'a alerté sur une association TMOP (Tradition, Métiers, et Outils en Puisaye), sensible au patrimoine de la localité. Cette dernière a fait des recherches en effet, qu'elle a synthétisées dans un document interne que sa responsable de communication, Mme Claire Targa, m'a aimablement fait suivre. En particulier, on a retrouvé le nom de l'auteur de cette insolite statue (d'à peu près 1,50 m, rien que pour son buste et sa tête coiffée du haut képi qui me fait penser à un shako). En la restaurant récemment, Mme Lise Paquis et un collègue à elle ont mis au jour, en enlevant la saleté et les mousses, une signature : "L. Chauvat", et une date apposée à côté sur l'épaule de l'effigie: "1938". Cette restauration a été commanditée par l'actuelle propriétaire de la propriété où se trouve la statue, l'arrière-petite-nièce d'un certain Paul Guyot, anciennement marchand de peaux de lapins, puis brocanteur, puis menuisier, quand il restaurait des meubles qu'il allait vendre à Paris. C'est lui qui, après avoir acheté la maison en 1946, rapporta un jour la statue qu'il aurait trouvée en salle des ventes à Paris. Légende? Peut-être... La pièce est assez conséquente, et probablement pesante. La trimballa-t-il de la capitale à l'Yonne si facilement que cela? Dans les souvenirs de certains anciens, on pense que la statue fut installée à son emplacement actuel au début des années 1960.
Une hypothèse a couru sur place : la statue représenterait le général Faidherbe (1818-1889), connu dans les conquêtes coloniales en Algérie et surtout au Sénégal (de ce fait, il est aujourd'hui une figure controversée). On se référera pour en savoir plus sur ce personnage à la fiche Wikipédia qui me paraît assez objectivement rédigée. Si les portraits de Faidherbe nous montrent un visage chaussé de lunettes et pourvu d'une belle moustache, comme sur la statue de l'officier de Rogny, son képi en revanche n'a pas la même taille imposante. Mais ce dernier a pu être une exagération de la part d'un sculpteur prenant visiblement beaucoup de libertés avec la figuration, certains diraient même, exerçant son art de dilettante avec une franche maladresse ? D'autre part, la date de mort de Faidherbe, 1889, reste très éloignée de celle de la confection de cette statue, 1938. Pourquoi ce monsieur L. Chauvat se serait senti dans l'obligation de commémorer ce général (à moins qu'il n'ait été un fieffé colonialiste fasciné par les militaires responsables de la conquête des pays d'Afrique de l'ouest)?
L'enquête se poursuit donc.
Petit supplément photographique (du 28 février) à destination de Régis Gayraud, (cliché de BM, de 2014):
08:33 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : officier ou gendarme, officier de rogny-les-sept-écluses, association tmop, l. chauvat, grocho marx, le gazouillis des éléphants, général faidherbe, shako, képi | Imprimer
Commentaires
Il semble que le mirlitaire de Rogny porte un képi "normal" sur lequel on a ajouté une espèce de pot pour lui donner de la hauteur.
Meilleur souvenir, cher Bruno.
Écrit par : Pierre Ziegelmeyer | 25/02/2023
Répondre à ce commentaireJ'ai quand même l'impression que le bonhomme est plus moderne que le père Faidherbe. Et d'un rang plus modeste aussi. Pensez-vous qu'un sculpteur aurait résisté à la tentation de le représenter avec sa médaille de Grand-Croix grand chancelier de la Légion d'horreur? Et où sont les pattes d'épaules du général? La moustache n'est pas probante! Et les lunettes comme seul attribut commun, c'est un peu maigre. On dirait plutôt un brave poilu de 1914-1918 en costume bleu horizon. Et ce que vous prenez pour une espèce de pot, je pense que c'est le cache-képi adopté pendant la Grande Guerre quand on s'est rendu compte que le képi rouge servait de cible aux adversaires. Il serait bien de savoir s'il n'y avait pas des restes de peinture rouge en bas de ce képi, derrière, là où le le képi disparaît sous le cache-képi.
Écrit par : Régis Gayraud | 28/02/2023
Réflexion faite, en y regardant de près, il y a un pompon en haut du couvre-chef. ce pourrait être donc le shako des officiers de chasseur à cheval modèle 1874...
Alors, Faidherbe ou pas Faidherbe? Fait de ciment, à coup sûr...
Écrit par : Régis Gayraud | 28/02/2023
Je rajoute une troisième photo, toujours prise en 2014, qui montre davantage la partie arrière du képi, dont Pierre Ziegelmeyer a eu raison de faire remarquer que ce képi était surmonté de ce cache-képi ou de ce shako, en tout cas d'une sorte de seau à l'envers... Je ne vois pas sur la photo de reste de peinture rouge...
Écrit par : Le sciapode | 28/02/2023
Que la moustache ne soit pas identique à celle que l'on voit sur le portrait peint que j'ai mis en illustration ne prouve pas, dans le cas d'un créateur autodidacte et naïf qui ne peut atteindre à une représentation scrupuleusement ressemblante (c'est le moins qu'on puisse dire!), qu'il ne s'agit pas de la moustache du général Faidherbe.
Écrit par : Le sciapode | 28/02/2023
L'ancien propriétaire de la maison, celui qui a installé cet "officier de Rogny" sur son mur, n'en est pas l'auteur...C'est peu commun non?
Écrit par : Darnish | 27/02/2023
Répondre à ce commentaireEn effet.
Écrit par : Le sciapode | 27/02/2023
Ah! je me souviens bien de ce bonhomme qui dépassait au-dessus du mur dans les feuillages. Vous avez voulu vérifier qu'il y était toujours et nous y sommes allés voir après la grande brochante d'Aillant-sur-Tholon en 2017. Si l'auteur était un local, je ne verrais que Louis Alphonse Chauvat, né à Mailly-le-Château, tout près de Rogny, le 13 novembre 1856, mais peut-on imaginer qu'un homme qui aurait eu 83 ans en 1938 puisse être l'auteur de cette statue? En même temps, vouloir perpétuer le souvenir du général Faidherbe, si c'est bien de lui qu'il s'agit, est plus plausible pour quelqu'un de cette génération, qui avait trente ans quand Faidherbe, député républicain qui - notons-le quand même - siégeait à gauche dans l'Assemblée, jouissait d'une aura d'opposant résolu au boulangisme. Mais si on prête oreille à la "légende" - et pourquoi pas? - je verrais bien comme auteur de cette oeuvre l'un des trois Léon Chauvat, nés en 1876, l'un à Paris Xe, un autre dans le Doubs, et surtout l'un né dans le Maine-et-Loire, qui devint briquetier dans la Marne en 1911 où l'on peut suivre ses traces pendant trente ans entre 1901 et 1931, ou bine encore un quatrième Léon né à Paris XIIe en 1880. C'est à peu près tout, car j'exclus un Laurent et un Léonard morts en bas âge. Je suis parti de l'hypothèse que ce L. Chauvat est un homme, mais si c'est une femme, il y a aussi plusieurs Louise et au moins une Léonie.
Écrit par : Le Cuistre | 27/02/2023
Répondre à ce commentaireN'oubliez pas que, comme je le répète dans ma note ci-dessus, ce L. Chauvat n'était pas forcément de la région. Puisqu'il semble que la statue provienne d'ailleurs (la maison de ventes parisienne, avancée comme source de l'acquisition, me paraît, intuition de ma part, peu plausible).
Écrit par : Le sciapode | 28/02/2023
Ce qui me gène davantage, c'est que Faidherbe soit représenté sans son fidèle Chaligny.
Écrit par : Isabelle Molitor | 28/02/2023
Répondre à ce commentaireEt dire que pendant ce temps Réaumur s'ébat au pôle tandis que Marc a des poissons niés !
Écrit par : Félicie Corvisart | 01/03/2023
Répondre à ce commentaireÉcrire un commentaire