06/03/2015
Graffiti selon Gregory Haleux
Gregory Haleux dirige le CAPUT dont j'ai déjà parlé il y a longtemps (il y a un lien en colonne de droite), ainsi qu'une maison d'édition appelée Cynthia 3000. Le blog qui lui est consacré est en pause et devrait se réveiller bientôt paraît-il. En attendant, M. Haleux, que la 'pataphysique paraît grandement requérir par ailleurs, anime un autre blog appelé Soli Loci où il vient de publier tout un recueil de photographies consacrées à des graffiti vus sur des églises de la Marne, région où il paraît vivre. Voici le lien, en espérant que Mame Molitor, entre autres, pourra le voir du fond de sa myopie... Y a tout plein de graffiti gravés, cadrés de façon à faire ressortir l'aspect esthétique des matières, des inscriptions, des trous, des griffures... La lisibilité des inscriptions n'étant pas toujours au rendez-vous, et pourquoi pas (c'est assez dur à mettre en évidence, il faut des lumières rasantes qu'on n'a pas forcément à sa disposition)... Je me suis permis d'emprunter à ce blog trois graffitis qui m'ont plus particulièrement frappé.
00:41 Publié dans Déviations autorisées vers d'autres blogs, Graffiti | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : graffiti gravés, églises de la haute-marne, c.a.p.u.t., gregory haleux, 'pataphysique, inscriptions | Imprimer
17/05/2013
"Le Plancher" de Perrine Le Querrec
Est-ce un roman? Est-ce un poème de voyante? Je pencherai pour la deuxième hypothèse.
Edité par une petite maison d'édition, Les Doigts dans la Prose (1, rue du Port, 72000 Le Mans), Le Plancher de Perrine Le Querrec s'essaie à restituer en une centaine de pages le cheminement du fameux Béarnais "Jeannot" qui, s'enfermant sans cesse plus étroitement dans le nœud inextricable d'une famille elle-même sans cesse plus retranchée du monde, en arriva à se laisser périr d'inanition près de la tombe de sa mère, sur un plancher qu'il grava, en 1971, d'une kyrielle d'imprécations contre l'Eglise. "L'EGLISE A FAIT LES CRIMES ET ABUSANT DE NOUS PAR ELECTRONIQUE NOUS FAISANT CROIRE DES HISTOIRES ET PAR CE TRUQUAGE ABUSER DE NOS IDEES INNOCENTES...". Ce n'est qu'un extrait de ce texte qu'on ne retrouva incisé sur le plancher qu'une fois le dernier habitant de la ferme familiale mort à son tour et que la maison fut mise en vente ; ce fut le Dr. Guy Roux qui s'en fit le propagateur dès lors, publiant divers témoignages¹ auxquels le livre de Le Querrec emprunte sans doute ses éléments biographiques - du moins est-on conduit à le deviner, car le livre n'indique (malheureusement?) pas de sources, se contentant de reproduire deux photos du plancher exposé à la Collection de l'Art Brut à Lausanne en 2004.
Je me suis fait déjà l'écho dans le passé de ce blog de l'exposition en plein air, dans un sarcophage de verre et métal assez atroce, toujours en place aujourd'hui rue Cabanis le long de l'Hôpital Sainte-Anne dans le XIVe arrondissement à Paris, du fameux plancher gravé par "Jeannot". Les lecteurs qui voudraient voir cet immense graffito horizontal (présenté du coup rue Cabanis à la verticale ce qui fausse la perception du phénomène) sont invités à s'y reporter.
Détail du plancher vu à travers la vitre qui le recouvre rue Cabanis, photo Bruno Montpied, 2007
Perrine Le Querrec met ses pas et sa plume, son âme même dirait-on, dans une sorte d'empathie terrible avec l'esprit de cette famille refermée sur elle-même comme une huître, progressivement enfoncée de plus en plus profondément dans le déni des autres, de la haine du voisinage, de la terre entière, de tout ce qui n'est pas la famille, entraînée en cela par un père du genre fou furieux, qui commit probablement un inceste sur la personne de sa fille. Ceci est assez fortement suggéré dans le texte de Le Querrec, comme ne l'est pas par contre l'inceste qui a pu également être commis par le fils Jeannot avec sa soeur Paule, mais que l'on se demande s'il n'a pas été lui aussi commis tant cette famille paraît la proie d'un tourbillon de confusion des rôles, victime de l'autarcie dans laquelle elle s'enfermait, et dominée en même temps par le double jeu du fils - ce que met bien en lumière Le Querrec (et aussi le Dr. Roux avant elle) - fils qui joua à remplacer le père, une fois celui-ci suicidé en se pendant dans sa grange, tout en montrant qu'il ne voulait pas de ce rôle, puisqu'il laissa péricliter totalement l'entreprise familiale, laissant le bétail périr sur pieds, ne travaillant plus, laissant la végétation envahir les bâtiments et plus généralement tout pourrir autour de lui, y compris le cadavre de sa mère qu'il se refusa dans un premier temps à enterrer...
Le mot "MAQUIS", l'étrange gravure trouée de Jeannot, photo BM, 2007
L'inceste, sur lequel on n'insiste pas outre mesure, car bien entendu il y a quelque chose de profondément voyeur à se pencher sur les secrets de cette famille déballés au grand jour (mais aussi, il y a là quelque chose d'instructif, d'édifiant à nous mettre ainsi sous le nez l'exemple de cette famille s'auto-reproduisant - il semble que la fille avorta d'un foetus de père "inconnu"...), l'inceste peut avoir comme conséquence de verrouiller totalement les enfants au sein de la famille, ne leur offrant plus d'autre horizon que cette dernière, les anéantissant qui plus est, ce qui dans ce cas mena ses membres à la lente dégringolade dans la dégénérescence et la déchéance, d'autant plus que personne dans les autorités constituées autour du village n'osa intervenir, laissant même le fils enterrer sa mère sous le plancher de l'escalier de la ferme, laissant cette famille folle imploser lentement.
Perrine Le Querrec émet cependant l'hypothèse dans son texte, à la tonalité plus poétique qu'analytique, que le fils Jeannot en gravant son plancher de son imprécation contre l'Eglise s'élevait en réalité contre ce père dictatorial et violent, dans un testament au ton certes paranoïaque mais révolté en même temps, car en ravageant le bois de la ferme, Jeannot s'attaquait à la matière même de l'entreprise qu'avait fait prospérer son père. Et tentait de s'évader enfin de cette famille asphyxiante, hélas, par la mort seule.
Elle publie à cette occasion un texte puissant qui par sa dimension visionnarisée², quoique certainement étayée en sous-main par une documentation de première main, permet au lecteur d'approcher au plus près la réalité des trois membres de la tragédie familiale finale, la mère Joséphine, le fils Jeannot et la fille Paule. La réalité de cette destinée en impasse apparaît d'autant plus fortement qu'elle est restituée par le détour d'une empathie visionnaire.
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¹ Je possède quant à moi deux sources principales, une brochure éditée par Bristol-Myers Squibb avec un texte du Dr.Roux, suivi d'un livre de ce dernier, Histoire du plancher de Jeannot (sous-titré Drame de la terre ou puzzle de la tragédie), photographies de Françoise Stijepovic, éditions Encre et Lumière (avec une préface d'Alain Bouillet). Dans la première brochure comme dans le livre, on trouve le texte intégral de Jeannot, alors qu'il n'est pas reproduit dans le livre de Perrine Le Querrec, qui vise sans doute un autre but qu'établir une édition "scientifique".
² N'est-ce pas à cette dimension visionnaire qu'appartient l'évocation, p.56, du frère et de la soeur se livrant à un étrange rituel s'apparentant à une forme de magie noire personnelle, proche d'un vaudou pyrénéen, une sote de procès magique dans les bois d'où ils seraient revenus, passant devant leur mère "deux corps empalés sur une fourche posée sur l'épaule"? On se demande dans quel témoignage a puisé ici l'auteur, si témoignage il y a, ou si ceci n'est pas plutôt le résultat d'un processus de voyance...?
00:34 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Fantastique social, Graffiti, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le plancher de jeannot, perrine le querrec, les doigts dans la prose, écrits bruts, graffiti gravés, docteur guy roux | Imprimer
15/05/2011
Les murs de Brassaï à Dubuffet
Grande première salle de la galerie Karsten Greve
Plus que quelques jours pour aller jeter un coup d'oeil sur l'exposition "Brassaï et Dubuffet" à la Galerie Karsten Greve (5, rue Debelleyme dans le IIIe ardt parisien) puisqu'elle se termine le 21 mai. Cela dit, on y trouve surtout de nombreuses photos des magnifiques graffiti que Brassaï captura depuis les années 1930, et un peu moins d'oeuvres de Dubuffet mises en regard, ce qui au départ paraissait pourtant promis par le prospectus de la galerie. Car c'est bien ce rapport très présent dans les années 40, où Dubuffet suivait de prés les relevés photographiques de Brassaï , qui est le sujet de cette exposition.
Brassaï, Graffiti de la Série V, Animaux: chimère, 1933-1956, tirage argentique, 50,8 x 40cm
On y trouve ainsi les planches du poème de Guillevic sur "les Murs" (1945) illustré des lithographies de Dubuffet qui pointent très noires des murs lépreux où se lisent des graffiti recopiés avec application par l'inventeur de l'art brut, à côté des pisseurs ci-contre par exemple. Le prospectus de la galerie avec raison rappelle en hélléniste conséquent que lithographie veut dire gravure sur pierre. Ce qui était pour Dubuffet un moyen parmi d'autres de s'affronter lui aussi avec le mur dont les incisions expressives populaires allaient le ravir à la suite de Brassaï. Il démarque à l'époque les bonshommes aperçus au hasard de ses promenades dans un Paris où les galeries et les musées ne montraient plus grand chose sous l'Occupation (les murs des rues devenaient par contraste une galerie alternative à ciel ouvert ; ci-contre un "Personnage" de Dubuffet datant de 1944, fait à "l'encre d'Inde sur papier, 26 x 21 cm", exposé à la galerie). Le mur l'inspira de plus non seulement pour ses graffiti mais aussi pour ses textures, comme le montre un tableau placé à l'entrée de la très belle première salle de la galerie (quel espace!).
Jean Dubuffet, Langage des caves XI, 1958, Huile sur toile, 90 x 116 cm, (exposé à la galerie Karsten Greve)
Si on n'a pas le temps de passer à la galerie, faute à mon retard à vous en parler, on se rattrapera en allant dénicher en librairie ou bibliothèque les Graffiti de Brassaï parus naguère chez Flammarion (en 1993 déjà), ou bien encore le catalogue Brassaï, la maison que j'habite de la très bonne exposition qui a tourné entre Nantes et Nancy de septembre 2009 à mai 2010, et qui parlait des maints aspects de la création chez Brassaï qui nous ravissent (poésie naturelle, objets, "transmutations", collages, graffiti, photos insolites d'atelier, nus, etc.).
Bruno Montpied, graffiti sur un platane à Bordeaux, 2010
19:41 Publié dans Art moderne méconnu, Graffiti, Photographie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : brassaï, dubuffet, graffiti historiques, graffiti gravés, inscriptions sur les murs, écrits populaires, art enfantin, galerie kirsten grave | Imprimer