02/05/2019
Je parie que vous ne connaissez pas Vivi Fortin
Yves Fortin, dit VIVI Fortin, signe aussi de temps à autre 6+6. Moins mystérieux que ça en a l'air de prime abord, c'est en fait – comme les plus déchiffreurs de mes lecteurs l'auront tout de suite déduit! – une traduction numérique de son diminutif (présenté en majuscules) où il voit le chiffre 6 en caractères latins répété deux fois. Monsieur 12 donc... Comme les douze apôtres, ou les douze salopards au choix (ou les deux ensembles fusionnés...)? Il habite en Vendée, non loin de chez Pierre Sourisseau, le sculpteur de la Croix-Bara, avec qui il travailla du reste comme plâtrier-carreleur, son ancien métier (suite à des problèmes de santé, il a été obligé de s'arrêter, mais ne pouvant rester inactif, il s'est lancé dans "l'art"). Tous deux se sont fait sculpteurs, plutôt naïfs – à la limite, surtout en ce qui concerne Vivi Fortin, du fabricant de santons. Donc, un peu à la limite du naïf basculant dans le kitsch (peut-être par excès d'amour pour la réalité photographique et la ressemblance)... Sourisseau a en effet, pour sa part, dans son œuvre sculptée multiforme et multi-styles de ces tendances au moulage plus vrai que nature. Ce n'est pas de cette manière qu'il fait preuve de talent et d'originalité d'après moi, mais plutôt quand il dévie dans le visionnaire et la "naïveté". De même, Fortin peut s'éloigner du réalisme kitsch, mais lui, c'est plus par goût de la fantaisie et de la blague.
Vivi Fortin (6+6), Bière + Viagra = effet, 30 cm de haut env., entre 2011 et 2019. Ph. Bruno Montpied, 2019.
Vivi Fortin, Branchés pour la vie, 25 cm de haut environ, entre 2011 et 2019, ph. B.M, 2019.
Vivi Fortin, Humains pris dans la toile du Net!, 40 x 40 cm env., entre 2011 et 2019, ph.B.M., 2019.
Le santon, c'est un peu la décadence de la naïveté populaire. Vivi Fortin est au bord de ce précipice. Il veut aller vers le vérisme, mais quelque chose en lui le retient d'y basculer complètement : sa fantaisie foncière, sa truculence peut-être, ses impulsions, comme celles qui le poussent à flanquer un écureuil sur la façade de la maison où le propriétaire commanditaire des travaux lui avait demandé simplement de refaire le crépi, tout simplement parce que l'idée lui en a été "imposée", dit-il, et qu'il n'a pu faire autrement que se libérer de cette idée en l'exécutant...
Vivi Fortin a dispersé dans son jardin nombre d'animaux, 40 cm de haut env., entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019
Il utilise un matériau très ductile apparemment, le MAB (rien à voir avec la reine du même nom...), acronyme de Matériau Adhésif du Bâtiment, d'après ses dires, une sorte de ciment-colle qui permet de former des personnages bien lisses – de taille plutôt réduite dans leur majorité (30 cm en moyenne?) – presque aussi lisses que s'ils avaient été modelés. C'est cela qui les fait ressembler à des santons.
Vivi Fortin aime les sirènes de toutes couleurs, entre 2011 et 2019, ph.B.M., 2019
Vivi Fortin aime aussi les libellules, à qui il confère des visages à l'expression benoîte, entre 2011 et 2019, ph.B.M., 2019.
Vivi Fortin, d'autres libellules installées dans la cour de la maison, entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
Il a commencé sa série de sculptures (qu'il estime aux environs de 700 sujets) en 2011. Il ne les laisse pas beaucoup dehors dans le jardin, parce que cela l'ennuie d'avoir à repeindre tout le temps ses statuettes (plutôt que "statues", car elles ne mesurent pas plus de 30 à 40 cm de haut). Son garage s'est aménagé à la longue comme une sorte de galerie avec des rayonnages présentant pêle-mêle ses réalisations comme des articles d'un magasin qui hésiterait à prendre le qualificatif de petit musée... Il lui arrive d'en céder, mais ce n'est pas le but de l'opération au départ.
Vivi Fortin, exemple de rayonnages à saynètes sculptées en MAB, entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
Ses sujets sont fort divers, la plupart du temps inspirés de ce qu'il voit à la télévision. Si certaines saynètes servent à illustrer un jeu de mots, comme dans le cas des "branchés" ci-dessus, d'autres sont des allusions nettes à l'actualité politique ("Arrêtez les Réseaux sociaux, passez au Rosé social"). Je trouve même Fortin assez représentatif d'une composante sociologique à l'œuvre ces temps-ci en France, celle qui irrigue en grande partie (du moins au début du mouvement?) ceux qui se rangent sous l'étiquette de ces "gilets jaunes" qui ne se revendiquent d'aucun parti politique, et répudient tout porte-parole qui tenterait de la leur confisquer, justement, la parole. Il y a, non pas une forme de "populisme"chez Fortin, mais plutôt un rappel républicaniste populaire marqué, avec des saynètes rappelant des thèmes révolutionnaires de l'histoire de France (comme le soulèvement de 1830 avec sa copie du tableau de Delacroix, "La Liberté guidant le peuple", qui fut popularisé par sa reproduction sur les billets de 100 frs avant 2002). Ce rappel de la Révolution ne va pas sans contradiction, car Vivi Fortin paraît révérer également les Vendéens des guerres contre le pouvoir républicain, comme un bas-relief récemment installé à l'arrière de sa maison paraît le prouver... Et si la référence au "peuple" est marquée ici et là dans certaines de ses oeuvres, on n'oubliera pas de pointer aussi une référence à Napoléon (plutôt dans son époque de Bonaparte que dans son époque impériale, ce qui constitue ici, chez Fortin, une résurgence contemporaine d'une tendance bonapartiste qui fut, aux alentours de 1850-1860, dans les campagnes françaises, très vive dans les milieux ruraux, avec l'arrivée au pouvoir de Napoléon III). Bonaparte est représenté à cheval dans un coin du jardin, non loin de Henri IV et de sa poule au pot du reste, souvenir scolaire d'un roi cher au peuple. Donc, Fortin est-il un républicaniste avec vague réminiscence bonapartiste? On sait que, sous Bonaparte, pointait l'empereur, le dictateur qui engloutit le peuple des campagnes dans l'enfer des guerres européennes...
Vivi Fortin, La liberté guidant le peuple, saynète inspirée du tableau de Delacroix, entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
Vivi Fortin, au-dessus d'un coq, symbole des Gaulois, qui symbolise aussi le peuple, a inscrit un texte nettement anti Macron ; à noter la présence du billet de 100 frs qui reproduisait le même tableau de Delacroix que celui évoqué par la saynète ci-avant, où "les casseurs et les Femen", selon ce qui est écrit, étaient déjà "dessus"... ; à noter encore la statuette à gauche représentant Jean-Marie Le Pen caricaturée en molosse avec la légende: "Calmos"... ; entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
Vivi Fortin, Travail, Famille, Pâtes-riz, Pour les invisibles, saynète clairement en référence aux Gilets jaunes (la première à ma connaissance dans l'art naïf contemporain à les représenter), avec devise pétainiste détournée et moquée, 2018-2019, ph. B.M., 2019.
Vivi Fortin, Napoléon Bonaparte à cheval, entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
Vivi Fortin, bas-relief compartimenté, avec Vendéen, cœur vendéen, Van Gogh, transposition de l'Angélus de Millet, glaneuses..., 2019 ; © photo Vivi Fortin, 2019.
A noter que Fortin, si son goût voulait le porter davantage vers la peinture en deux dimensions, sans nécessairement ajouter du relief, pourrait très bien nous donner de belles œuvres naïves, comme le prouve un tableau en ciment peint, servant de plateforme dans sa cour et montrant divers paysages.
Vivi Fortin, entre 2011 et 2019, ph. B.M., 2019.
16:31 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Environnements populaires spontanés, Napoléon et l'art populaire, Sirènes | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : environnements populaires spontanés, art naïf, mab, vendéens, delacroix, républicanisme, gilets jaunes, santons, fantaisie, truculence, libellules, vivi fortin, napoléon | Imprimer
30/10/2011
Info-miettes (13): merveilles et singuliers ici et là
(Cette note comporte deux mises à jour)
MIRABILIA, le sommaire annoncé, et un bulletin d'abonnement
Fondée par Anne Guglielmetti, romancière, et Vincent Gille, ancien chargé de mission au Pavillon des Arts, commissaire d'exposition sur des manifestations aussi réussies que Trajectoire du Rêve, ABCD, A corps perdu, Les Bidules de Maître Molina, ayant aussi travaillé sur l'expo consacrée aux Jungles du Douanier Rousseau (Grand Palais) et sur celle récente de la Tate Gallery à Londres sur Gauguin, la revue Mirabilia paraît prête à sortir des starting blocks.
Léon Spilliaert, La Digue, 1909
Léon Spilliaert, L'élévation, 1910
En témoigne le sommaire de son n°1 (annoncé sous réserve), prévu pour cet automne. J'attends avec intérêt pour ma part la contribution sur Léon Spilliaert, peintre post-impressionniste si je me rappelle, dont on avait vu une rétrospective au Grand-Palais il y a déjà un bon moment. Michaël Kenna, pour sa part, est un photographe qui paraît travailler dans l'épure.
Michaël Kenna, Torii, Etude 2, Takaishima, Lac Biwa, Japon, 2007, ph extraite du site web consacré aux travaux de Michaël Kenna
Si l'on veut s'abonner, veuillez cliquer sur ce lien. Le bulletin d'abonnement, et le sommaire complet s'y trouvent.
GUY GIRARD à SAINT-OUEN, Galerie Amarrage
On se souviendra peut-être de mes notes plus anciennes sur ce peintre "d'histoire" du genre désinvolte qui s'amuse à subvertir les icônes de l'histoire de France et d'ailleurs, dans l'espoir peut-être de contribuer à l'apparition de nouveaux mythes plus libérateurs surgissant des ruines de ces déboulonnages.
Guy Girard, Napoléon et le passage du Nord-Ouest, 116x89cm, exposé à la galerie Amarrage
A la galerie Amarrage, gérée par une association du même nom à St-Ouen, aux frontières des Puces, il présente actuellement quelques tableaux à l'huile où pullulent des clones d'un Napoléon cuisiné à toutes les sauces.: de ses rencontres avec Salvador Dali, en passant par ses tribulations avec une autruche, ses coïts en public, son goût de l'haltérophilie, son éléphant domestique, ses métamorphoses en grand méchant loup, chameau ou bonhomme de neige. Guy Girard s'inscrit là à n'en pas douter dans une tendance très contemporaine qui joue à jongler avec les codes et les normes de la représentation, télescopant joyeusement les époques, usant de l'anachronisme assumé comme une arme de démystification massive.
Exposition "Napoléon et quelques autres" du 21 octobre au 7 novembre (probablement prolongeable jusqu'au 14 novembre), à la galerie Amarrage, 88, rue des Rosiers, 93400 St-Ouen, www.amarrage.org. Ouverture Samedi, dimanche et lundi, de 14h à 19h Renseignements: 01 40 10 05 46 ou 06 15 63 93 11.
GILLES MANERO à Carquefou
Je suis toujours avec intérêt le travail sans cesse expérimentateur de Gilles Manero que l'on a connu peintre sur vieux microsillons récupérés où il racontait une obscure épopée de volatiles échappés d'une basse-cour onirique.
Carton d'invitation expo Manero à Carquefou
Depuis quelques temps, comme on a pu le constater à une récente expo au Musée de la Création Franche à Bègles où de nouvelles pièces sur le thème étaient montrées, il développe une certaine attirance pour les horloges, qu'il travaille directement sur le cadran (ce qui fait le trait d'union avec la circularité de ses anciens microsillons) ou qu'il édifie des petits théâtres de personnages montés comme sur un échafaudage autour de ces mêmes cadrans (voir le carton d'invitation à son actuelle exposition à Carquefou). On le sait moins, Gilles est également un excellent et raffiné dessinateur, que l'on aurait pu ranger sans coup férir dans le surréalisme contemporain s'il existait encore un mouvement suffisamment curieux de ce côté-là.
Gilles Manero, L'Ange du dimanche, coll. privée, Bordeaux
Exposition à l'espace du Manoir des Renaudières, direction la Fleuriaye, du samedi 5 novembre au dimanche 4 décembre, entrée libre, ouvert les mercredis, samedis et dimanches de 14h à 18h, ou sur RDV. Renseignements: Direction de l'Action Culturelle, ville de Carquefou, 02 28 22 24 40, ou culture@mairie-carquefou.fr. Vernissage le 5 novembre à 16h.
Isabelle Jarousse à Paris chez Béatrice Soulié
Nouvelle exposition ici encore d'une artiste que l'on ne rangera pas parmi les Singuliers, mais plutôt du côté de ces artistes contemporains poétiques, tels qu'on peut en découvrir dans des galeries comme celle d'Alain Dettinger à Lyon, place Gailleton (qui fit beaucoup pour lancer la carrière d'Isabelle Jarousse) ou celle de Pierre et Madeleine Chave, héritiers d'Alphonse, à Vence (qui présente régulièrement désormais Jarousse).
La galerie de Béatrice Soulié sur la rive gauche de Paris elle aussi s'intéresse à ces travaux atypiques. Jarousse travaille le papier, qu'elle façonne elle-même, ce qui donne à certaines de ses oeuvres un aspect de dessin sculpté. Elle se caractérise aussi autrement, par l'élaboration d'un univers dense et serré de personnages entrelacés dans une jungle de tiges, lianes ou fils, presque étouffant.
Expo Isabelle Jarousse "Les parfums de l'attente", du 20 octobre au 26 novembre, Galerie Béatrice Soulié, 21, rue Guénégaud, 75006 Paris.
13:50 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guy girard, gilles manero, surréalisme contemporain, art singulier, galerie amarrage, napoléon, carquefou, création franche | Imprimer