03/04/2017
Du maquettisme à Saint-Nazaire
Cette note a été remaniée par rapport à de précédentes versions que j'estime désormais caduques, tels des brouillons.
Depuis quelques temps, un correspondant ne cesse de vouloir me convaincre que des maquettes de paquebots que fabrique un passionné à St-Nazaire – en s'inspirant de ces bateaux de croisière qui ont des formes hésitant entre le tiroir-caisse et l'empilement de containers, que l'on fabrique aux chantiers de Saint-Nazaire, ce qui bien sûr donne du boulot aux ouvriers de la ville mais n'en fait pas pour autant des merveilles esthétiques – sont des chefs-d'œuvre d'art brut ou apparentés. Je ne l'entends pas de cette oreille (ni de cet œil), et j'ai répondu plusieurs fois que je ne voyais pas l'intérêt de faire en plus petit ce qui est déjà moche en plus grand (car je pense avant tout – que l'on me comprenne bien! – aux reproductions de paquebots actuels), mais ce correspondant insiste, car il lui apparaît sans doute que tous ceux qui s'intéressent aux arts populaires devraient penser comme lui... Ce monsieur ne voit que le travail minutieux du maquettiste (et il faut l'avouer, ce dernier a beaucoup travaillé sur ses bâtiments reconstitués, on ne peut le contester), et ma réponse le révulse. Il faut admirer à toute force les chefs d'œuvre qu'il m'indique...
PHOTO RETIRÉE À LA DEMANDE DE SON AUTEUR
Un des paquebots en maquette construit par M. Vince (St-Nazaire).
PHOTO RETIRÉE À LA DEMANDE DE SON AUTEUR
Autres maquettes de M. Vince à St-Nazaire.
Il faut que je l'avoue, le maquettisme, envisagé du seul point de vue de la réduction minutieuse de ce qui existe, sans le moindre recours à une poésie quelconque, un maquettisme qui cherche à faire exact (même si, pour ce faire, l'auteur utilise des matériaux de récupération), ne m'intéresse en effet pas. Et en outre, il faut également le répéter, malgré l'évidence pour ceux qui sont déjà au courant, cela ne relève en rien de l'art brut, ni de l'art singulier. Ni même d'une poésie que l'on peut rencontrer dans d'autres types de maquettes, plus proches d'ailleurs des jouets – je pense en particulier aux maquettes de bateaux sculptés naïvement par des marins, objets de patience confectionnés pour leurs enfants en attendant de pouvoir les revoir au retour de leurs longues campagnes de pêche, ou aux bateaux naïvement logés au fond de leurs bouteilles, comme dans un rêve d'ivresse marine.
Bateau confectionné en guise de patience, collection Humbert, musée rural des arts populaires de Laduz (Yonne), ph. Bruno Montpied.
Paquebot en bouteille, voici de la poésie pure, cet énorme bâtiment étant dessiné et sculpté ingénument à l'intérieur de sa prison de verre, comme fixé pour l'éternité d'un songe... Coll. L. Jacquy, photo B.M.
Le maquettisme visant à la copie, on en voit dans tous les musées de la marine, cela peut avoir un intérêt didactique, pédagogique, mais ce n'est pas sous cet angle que se place le correspondant dont j'ai parlé au début de cette note. Non, lui, veut voir de "l'art brut" dans ces maquettes, emporté qu'il est par l'usage de plus en galvaudé et confus du terme, par la faute de tant de commentateurs insuffisamment informés.... Eh bien, c'est une erreur...
Une salle du musée de la Marine à Paris...
...ou du musée maritime de Hambourg, où c'est bourré de maquettes, à des fins historiques, etc., mais sont-ce pour autant des musées d'art brut?
Le maquettisme qui consiste à reproduire le plus exactement possible des véhicules, bateaux, trains électriques, maisons..., pourrait plutôt appartenir, à la rigueur, à ce que l'on appelle du côté de Sète, "l'art modeste", qui rassemble toutes sortes d'expressions populaires, du collectionneur d'étiquettes de boîtes de camembert ou de petits soldats au peintre décorateur de flippers... Il y a des salons pour ce genre de hobby, avec leurs lots de "bénédictins" se consacrant entièrement à leur passion de la miniaturisation.
La copie miniaturisée de la réalité ne me cause aucune émotion. Ce que nous recherchons avant tout, en effet, et au contraire, c'est de contribuer à dévoiler l'autre réalité sous-jacente qui se cache dans le dialogue permanent entre l'homme et le monde, que l'imagination de l'homme sert à révéler. Ce sont les travaux où cette imagination est à l'œuvre qui nous interpellent. Je préférerai toujours les nefs de Jean Branciard (assimilable à l'art singulier), par exemple, aux maquettes réalistes qui ne nous apportent pas ce surplus d'imagination et de poésie dont nous sommes plusieurs à être affamés. Ou bien les maquettes incroyablement bricolées que l'on rencontre dans le véritable art brut, comme les deux exemples que je donne ci-dessous (après les nefs de Branciard) en donneront une suffisante illustration. Voilà la véritable marine brute en réduction!
Jean Branciard, La péniche
Jean Branciard, catamaran, vers 2008.
Un bateau, le Myra, par le sculpteur brut Auguste Forestier qui séjournait dans les années 1940 à l'hôpital psychiatrique de St-Alban-du-Limagnole, anc. collection du Dr. Ferdière, ph. B.M.
Un bateau extraordinaire créé "en os de cuisine" par un Poilu "dans la zone des armées entre 1916 et 1917. Carte postale situant l'objet à St-Vigor-d'Ymonville (à l'époque en Seine Inférieure).
16:31 Publié dans Art Brut, Art naïf, Art populaire contemporain, Art singulier, Marine populaire et singulière | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : chantiers de saint-nazaire, art modeste, maquettisme, paquebots de croisière, modèles réduits, miniaturisation du réel, jean branciard, monsieur vince, art brut, marine poulaire, brute et singulière, auguste forestier | Imprimer