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23/12/2014

Jean Galeani

     Ah, formidable initiative que celle de Régis Gayraud que d'être allé surfer sur internet en tapant le nom de Galeani, ce peintre dont j'avais mis en ligne il y a quelques années une toile retrouvée chez deux collectionneurs (ayant préféré rester anonymes). Brillant effort, que je suis toujours réticent à pratiquer personnellement, préférant la découverte de hasard, et peut-être sans doute, parfois trop vieux (et trop paresseux surtout) pour ce genre de recours...

     En cherchant à ce nom de Galeani, Régis a donc déniché l'interview de Pierre Dumayet mis en ligne sur le site de l'INA. Incroyable... On voit Dumayet, dont mes lecteurs fidèles se rappelleront que j'avais déjà signalé (en 2009) une autre interview, consacrée celle-ci au créateur d'environnement Frédéric Séron (toujours sur ce même site de l'INA), on voit Dumayet s'entretenir avec le peintre Jean Galeani, en 1955, alors octogénaire, sur le seuil, de son appartement puis dans son atelier, où il habitait depuis le début du XXe siècle en haut d'une cage d'escalier où faute de place et sans doute de meilleures conditions d'exposition il exposait certains de ses tableaux (l'Aigre de Meaux de son côté, toujours en commentaire de ma note sur le tableau Victoire, défaite de 1919, et après les révélations de Régis, a retrouvé l'adresse exacte où habita Jean Galeani, au 74, rue de Turenne dans le Marais à Paris, adresse qui est donnée dans un compte-rendu par le journal Le Petit Parisien en 1913 de l'affaire d'un autre tableau refusé de Galeani, intitulé La Justice ; on y apprend par ailleurs que le peintre était originaire de Montpellier). Il faut croire que Pierre Dumayet développait dans ces années 50 de l'autre siècle une sympathie récurrente pour les Naïfs et les créateurs autodidactes. Question à creuser...

Interview de Jean Galeani par Pierre Dumayet, 8 avril 1955, site de l'INA

 

    Comme en ont débattu les divers commentateurs qui se sont succédés après la révélation de Régis (voir donc ma note du 10-06-2011), les propos de Galeani dans cette interview paraissent refléter la position qui devait être celle des tenants de la révolution parmi beaucoup d'hommes du peuple à l'époque (avant la fin des années 30, avant les procès de Moscou), à savoir une indifférenciation entre communistes à la Lénine, que Galeani dit avoir "rencontré" (il montre dans le sujet une sculpture où l'on voit Lénine en forgeron) et anarchisme (certains des tableaux présente un christ "vivant" dont Galeani retient surtout l'injonction pacifiste "aimez-vous les uns les autres", tandis qu'un autre plus allégorique présente l'Autorité comme un pied géant venant écraser la foule ; cette critique de l'autoritarisme est au fondement même de l'anarchisme). Cela dit, il semble que Galeani, homme simple, ait gardé de l'affection même à Staline dont l'interview indique à un moment qu'il lui consacra un tableau, sans doute parce qu'il ne s'encombrait guère d'information, ou bien qu'il avait évolué au fil du temps de l'anarchisme au communisme, préférant se concentrer avant tout sur l'attitude anti-capitaliste (il paraissait détester l'argent, dont il se moquait, en lui consacrant un billet  encadré sous-verre telle une icône). A noter aussi la mention que Galeani avait été "parrainé" par Louise Michel qu'il avait également rencontrée lorsqu'il était plus jeune.

 

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Jean Galeani traînant sur une charrette son tableau La Justice du côté du Grand Palais où avait lieu le Salon d'Automne où le tableau avait été refusé ; photo 1913, agence Rol, source Gallica.bnf.fr

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Le même Galeani, alors bien plus jeune qu'à l'époque de l'interview de Pierre Dumayet, en 1913, posant à côté de la charrette chargée de son tableau ; on devine les vers de La Fontaine en bas à droite du tableau ; photo Agence Rol, site Gallica.bnf.fr 

 

     Avec ce film, Régis a pu nous donner d'autres liens également vers un reportage et des photos présentes sur le site Gallica de la BNF, photos faisant partie du domaine public, donc reproductibles à la seule condition d'en indiquer les références et la source, relatant l'affaire d'un autre tableau de Galeani refusé en 1913 par le jury du Salon d'Automne, tableau allégorique inspiré de La Fontaine, et intitulé la Justice, un juge sur le tableau étant campé par un loup brandissant la tête décapitée d'un âne, le coupable  qu'il avait condamné. Les vers de conclusion de La Fontaine (extrait de la fable "Les animaux malades de la peste") étaient reproduits en exergue sur le tableau (visibles à demi sur la photo ci-dessous): "Selon que vous serez puissant ou misérable,/Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir".

     On aimerait savoir bien entendu ce que sont devenus les tableaux de Jean Galéani. ils étaient nombreux, si l'on s'en réfère au mur que détaille à un moment de l'interview le vieux peintre pour Pierre Dumayet. Qu'est devenu ce grand tableau de 1913 La Justice, refusé comme la version plus grande de Victoire-défaite de 1919, lui l'ayant été au Salon de la Nationale (Galeani, naïvement, croyait qu'il aurait des chances dans de tels salons académiques, à moins qu'il n'ait été sûr de s'en faire jeter et que cela lui donnerait l'occasion de le faire savoir, là aussi naïvement ; c'est plutôt dans ces tentatives de communication, charrette à bras défilant dans Paris, inscription pour mémoire au verso de sa mouture réduite de Victoire, défaite, que l'on doit en effet remarquer qu'il se faisait pas mal d'illusions sur ses chances d'être entendu)? Qu'est devenu en particulier aussi le tableau montrant la roulotte où Galeani à une époque de sa vie (après les années 20?) décida de trimballer ses œuvres "de Cherbourg à la Bretagne"? Il y organisait paraît-il des "loteries" où l'on pouvait gagner ses œuvres... Ce qui nous indique que sans doute ses œuvres de l'époque partirent entre les mains de collectionneurs peut-être moins fortunés qu'à l'accoutumée. D'où elles purent continuer secrètement leur chemin vers les brocantes. Je n'ai pour l'instant pas retrouvé dans ma documentation imprimée de mention de ce Jean Galeani. C'est du reste à cause de cette absence de référence dans les ouvrages consacrés à l'art naïf que je n'avais pas cru bon de chercher sur internet. Erreur...! Il faut se rendre à l'évidence, beaucoup de peintres et de créateurs ont été oubliés des ouvrages d'Anatole Jakovsky, Albert Dasnoy et autres Bihalji-Merin. A nous aujourd'hui de les réhabiliter en clamant haut et fort, peut-être tout aussi "naïvement", que ces peintures et ces messages picturaux alliant naïveté (immédiateté) et anarchisme nous concernent. 

 

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Jean Galeani rigolard, photo Agence Rol, éditée en 1914 (mais datant probablement du même jour que la balade en charrette du tableau La Justice)

 

 

 

 

25/10/2009

Frédéric Séron

     Retour vers le passé, ce sera l'incipit pour aujourd'hui.

     J'espère que l'INA ne m'en voudra pas de leur faire un peu de publicité en les mettant en lien avec mon modeste blog. Ainsi que de la mise en ligne de quelques photos capturées grâce à l'obligeance du camarade Jean-Jacques que je remercie hautement ici, et d'abord pour le renseignement précieux qu'il m'a fourni: sur le site de l'INA, on trouve depuis quelque temps, dans la rubrique "le journal de votre naissance", à la date du 25 octobre 1961, un reportage intitulé "Poésie pas morte" où l'on nous parle d'une exposition sur des oeuvres d'autodidactes (on reconnaît bien vite des photos de Gilles Ehrmann, qui était à cette date sur le point de publier son livre Les Inspirés et leurs demeures aux éditions du Temps, publié au 4e trimestre 1962 ).

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Image d'ouverture du reportage, 1961, ina.fr

    L'exposition n'est pas autrement décrite, ni située. Nous sommes dans un fragment de journal d'actualités (on le trouve à la 5e minute - à peu prés - du journal  qui parle aussi d'inondations au Japon, d'affrontements entre Wallons et Flamands, de refoulements par avions de manifestants "musulmans algériens" de la France vers l'Algérie, de Kroutchev et d'autres sujets de l'actualité de l'époque). Je n'ai pour l'instant pas trouvé d'ouvrages - notamment ceux qui ont été faits sur Gilles Ehrmann qui ne situent ses premières expositions qu'à partir de 1965... - qui puissent renseigner sur l'exposition en question. Qui est l'auteur du reportage? On ne nous le dit pas non plus.

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Frédéric Séron peignant l'effigie de Clémenceau, "le Père la Victoire", 1961, ina.fr
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Sirène au premier plan et Clémenceau au bout de l'allée, chez Frédéric Séron dans les années 50, photo extraite du livre de Gilles Ehrmann, Les inspirés et leurs demeures

      Toujours est-il qu'on voit tout à coup, après l'introduction d'usage qui est consacrée à des images de l'exposition, d'autres vues prises cette fois directement sur les sites des divers inspirés évoqués dans l'expo. Autant dire que sur ces créateurs-là les films ne courent pas les rues, et ce dernier reportage pourrait bien être l'un des seuls (1): on découvre ainsi, revenus du passé en pleine forme, leurs oeuvres encore toutes fraîches, Frédéric Séron et ses statues du Pressoir-Prompt (aujourd'hui  son jardin et sa maison ont semble-t-il disparu pour cause d'élargissement de la Nationale 7 qui les longeait dans l'Essonne), Raymond Isidore, dit Picassiette, en train de composer une mosaïque sur le sol devant sa petite maison, la paume de la main remplie de fragments d'assiettes, sa femme en train de coudre sur la machine que son mari avait également couverte de mosaïque, ou encore M. Marmin, le pépiniériste des Essarts en Vendée, qui avait taillé des animaux dans des arbustes sur une prairie prés de sa maison (le jeune homme qu'on voit tailler les arbustes est probablement un acteur, car Marmin photographié par Ehrmann n'a pas du tout la même apparence, ni le même âge...).

PicassietteJPEG, scène du Nouveau Testament en silhouettes blanches, Les J de l'AI, 1981.jpg
Picassiette, scène biblique, photogramme extraite des Jardins de l'art immédiat, Bruno Montpied, 1982

     Frédéric Séron est montré en train de  confectionner ses statues, disposant son ciment sur des armatures de fil de fer, badigeonnant une de ses statues dont le commentaire nous apprend fortuitement le nom (Un "Père la victoire" évoquant Georges Clémenceau, à qui l'on attribue la victoire de la Guerre 14-18), enfermant dans ses statues nous dit-on "sa carte de visite et le journal du jour".

      On peut continuer à fouiller dans les archives de cette INA ouverte (depuis peu, semble-t-il) à l'art brut du passé, et notamment prolonger la recherche sur Frédéric Séron, sur lequel il existe de rares documents écrits (2), surtout accessibles du grand public. On trouve sur leur site un autre document rare, nettement inconnu  des chercheurs jusqu'à présent à ce que je subodore... Une interview de Frédéric Séron par Pierre Dumayet dans Lectures pour tous du 25/03/1954 (production RTF). Après des vues sur les statues du jardin (c'est muet, pas la peine de vous exciter sur votre ordinateur!), au bout d'une minute et des poussières, tous deux causent familièrement assis au jardin en toute cordialité du travail de Séron et de son contenu ("Dites donc M. Séron c'est pas par hasard si on trouve une Porteuse de pain dans votre maison...", "Ben oui, j'ai été trente ans boulanger..."), tandis qu'en fond sonore dialoguent des poules fort glousseuses. Il y révèle qu'il enfermait dans ses statues toutes sortes de journaux, pas seulement dans la perspective comme le signale de son côté Ehrmann, de fabriquer des sortes d'âmes dans des boîtes, mais plutôt avec l'arrière-pensée de mêler sa propre identité à celles des hommes qui faisaient l'Histoire de son temps. Il y avait certainement dans cette démarche un peu d'un rituel magique naïf, écho de rituels païens plus anciens et oubliés. Certains de ses sujets y sont évoqués pour les modèles qui les ont inspirés (la patineuse, la danseuse, "L'Etoile polaire"...). Séron avoue dessiner ses sujets au préalable, il parle un peu de sa technique (des balles de la guerre de 14-18 servaient de crocs au lion de 100 kilos qu'enserrait un serpent et que l'on voyait en premier lorsqu'on découvrait le jardin dans les années 80).

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Frédéric Séron, le lion sur le toit du garage au Pressoir-Prompt, photo extraite du n° spécial "Art naïf" de la revue Phantômas (1956)

    On y voit aussi, chose rarissime, des images des tableaux naïfs que confectionnait Séron. Du reste, Ehrmann a photographié Séron dans son intérieur devant une magnifique fresque naïve peinte sur un des murs de son logis (c'est sans doute par ces tableaux naïfs que le critique de l'art naïf Anatole Jakovsky est venu lui aussi visiter Séron dans les années 50). Dans l'interview de Dumayet, Séron commente en direct deux de ses tableaux, dont une chasse à courre, qui est le support de souvenirs, de récits, notamment liés à la guerre de 14 dont on comprend que Séron, ancien combattant, avait été copieusement marqué. Le second, intitulé "La paix chez les animaux", paraît remarquable.

     Rien de mieux pour se faire une idée vivante et réelle du genre de personnage et du type de créateur que ce petit documentaire de 8 minutes... Allez... Tous à l'INA...!

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(1). J'ai fait quelques images en Super 8 sur ce qu'il restait du site de Frédéric Séron au Pressoir-Prompt en 1987, des statues verdâtres, d'autres enfouies sous les ifs qui en croissant les avait recouvertes, la maison fermée et inhabitée ; j'avais rencontré à l'époque un voisin qui nous avait confié, à moi et à Jean-Claude Pinel, qu'il avait conservé quelques sujets, peu importants semblait-il, et qu'il surveillait le devenir de la maison : peut-on espérer qu'au Pressoir-Prompt, on ait songé dès lors à sauvegarder à part quelques oeuvres de Séron? Mon petit film a été incorporé dans l'ensemble plus important qui s'intitule Les Jardins de l'art immédiat.

(2). On peut lire sur Séron outre le livre de Gilles Ehrmann déjà cité, le très bon livre de Charles Soubeyran, Les Révoltés du merveilleux, aux éditions Le Temps qu'il fait (2004), consacré à Ehrmann et à Robert Doisneau. Ces derniers ont tous les deux photographié Séron. Soubeyran donne des pistes bibliographiques par la même occasion, il rappelle l'article que Robert Giraud publia en 1950 (soit dix ans avant Ehrmann), "Etoiles noires de Paris: Frédéric Séron est le bon Dieu du paradis des animaux" dans Paris Presse-L'Intransigeant, article qu'illustraient deux photos de Doisneau. Ce dernier évoque lui-même Séron dans son livre de souvenirs, A l'Imparfait de l'objectif (p. 131, - et non pas p.73, M. Soubeyran... - éd. Belfond, 1989). Anatole Jakovsky a évoqué, quoique vraiment entre les lignes, la figure de Séron dans Les Peintres Naïfs (éd. La Bibliothèque des Arts, 1956). J'ajoute à cette bibliographie deux références que peu de gens ont dû repérer, je gage... Dans un n° spécial de la revue Phantômas, consacré à l'Art naïf (n°7/8, hiver 1956), revue dirigée par Marcel Havrenne, Théodore Koenig et Joseph Noiret à Bruxelles, on trouve quelques photos (voir ci-dessus, ci-dessous, et ci-contre) du site de Frédéric Séron, et notamment une photo du créateur en compagnie du mystérieux pataphysicien J-H. Sainmont que l'on aperçoit - anonymat, et peut-être supercherie, obligent - de dos seulement... Les commentaires des photos sont de Sainmont.Phantômasnuméro1504,1956.jpg Une autre référence encore par rapport à Séron: l'article de Ralph Messac, "Un ancien boulanger a fabriqué un paradis en ciment" dans L'Information n°1504 du 7 septembre 1955 qui dénombre à l'époque (Séron, né en 1878, disparaît en 1959) 90 statues. A Dumayet, passé en 1954, il en signalait 88, dont une en cours... Ces chiffres paraissent donc authentiques. En 1987, lors de mon passage j'en vis nettement moins...   

Phantômas2pagesArtNaïfSéron.jpg
Deux pages sur Séron (et Camille Renault) dans Phantômas n°1504, 1956