14/07/2023
Les aventures de Napoléon dans le Tour de France
Je dois confesser mon amour des retransmissions du Tour de France cycliste, n'en déplaise aux mauvais esprits qui ne voient que le cirque médiatico-commercial qui l'accompagne, il est vrai de manière passablement parasite. La popularité du Tour, qui existe depuis plus de cent ans, est cause de cette exploitation éhontée par les marchands de saucisson et autres journalistes de télévision vendant les temps de cervelle des fans de vélo aux publicitaires en tous genres (cf. les flashs de pub ne cessant d'émailler les retransmissions). Tous les chimistes (on ne parle plus de dopage, mais qu'en est-il au juste? Il es toujours là, plus puissant que les contrôles anti-dopage ; il est instructif de suivre le site web d'Antoine Vayer: cyclisme-dopage.com) et journalistes s'en mêlent, et notamment les cultureux de service de France Télévision, les Franck Ferrand et autres Florent Dabadie qui profitent eux aussi de la fascination pour les forçats de la route (pas trop mal payés, cela dit, lesdits forçats ; c'est pas les salaires mirobolants des footballeurs, mais c'est tout de même conséquent, voir les montants sur le site Top Vélo) pour nous bassiner avec leurs églises et leurs châteaux de grands aristos et autres capitaines d'industrie dont visiblement ils adorent lécher les derrières, quand ce n'est pas l'occasion de nous tartiner les oreilles et les yeux avec leurs clichés relevant d'un insolite de pacotille, et des spécialités régionales incontournables (encore le saucisson).
Caricature d'Espé, site cyclisme-dopage.com
Il y a les "à côté du Tour", comme ils disent, et quand on parle de culture, il n'y en a que pour les superstitions et les architectures religieuses, l'art ne pouvant sans doute être que d'essence divine. Ferrand, causant avec sa cuillère d'argent dans la bouche, son style "Marie-Chantal" en extase perpétuelle devant les absidioles et autres arcs-boutants, donne une idée de la culture qui est ultra ringarde et scandaleusement unilatérale. Les "à côté du Tour" ne sont jamais pour l'art populaire, les créations véritablement singulières et inventives que le parcours du Tour pourtant relie bien souvent les unes aux autres. A tel point que je me prends à rêver devant mon poste de TV à d'autres chroniqueurs qui nous rafraîchiraient en nous présentant à chaque étape l'auteur d'art brut ou naïf situé dans un des endroits fréquentés par les coureurs durant l'étape.
Le Palais Idéal du Facteur Cheval,à Hauterives (Drôme), carte postale moderne (années 1980).
Cela viendra peut-être un jour, par le retour d'un nouveau Pierre Bonte (qui l'autre jour fut cité du reste parce que le Tour passait par chez lui), qui régala les auditeurs pendant longtemps de ses émissions sur la France dite "profonde", intitulées "Bonjour Monsieur le Maire", qui sait? Il y a deux ou trois ans, on vit ainsi le Palais Idéal du Facteur Cheval surgir vu d'une caméra embarquée sur un drone (Ô, cet œil dronesque qui court au-dessus de la France et de ses magnifiques paysages – là encore, on retrouve une exploitation, à des fins touristiques cette fois –, personnellement, c'est ce qui me retient le plus durant ces retransmissions, surtout lorsque la compétition se révèle morne). Et l'année dernière, je crois, ce fut au tour du LaM de Villeneuve-d'Ascq d'apparaître à l'écran un bref instant, le Ferrand prout-prout s'écorchant la bouche à prononcer le mot d'"art brut" que visiblement il rencontrait pour la première fois. Cette année, à Brantôme, on vit, l'espace d'un bref instant, le splendide bas-relief du Triomphe de la Mort – œuvre insolite et naïve d'un moine semble-t-il – au fond de la grotte qui se situe en marge de l'abbaye, abbaye qui fut bien entendu la seule à bénéficier de l'extase du Ferrand entré quasi en lévitation à ce moment-là. Tout à côté de cette grotte, en outre, se niche également un musée consacré au dessinateur médiumnique Fernand Desmoulin. Le Ferrand rance ignore bien entendu de telles références qui le dépassent.
Napoléon Ier par Jean Molette fils, "sabottier" (1819-1889), au Col des Echarmeaux, photo Bruno Montpied, 1995.
Pierre Martelanche, un exemple de ses sculptures naïves sauvées de la destruction: "L'exploitation par l'Eglise et les patrons", Musée Déchelette à Roanne.
Chaque fois, que le peloton passe dans telle ou telle ville, j'arrive à citer de mémoire dans mes conversations par sms avec un bon camarade d'exploration des lieux bruts les sites qu'on peut y trouver. Et hier, dans la 13e étape, un autre ami m'avait prévenu: le Tour, parti de Roanne (où l'on aurait pu citer les curieuses sculptures en terre cuite de Pierre Martelanche, récemment entrées dans le Musée Joseph Déchelette de la ville), passait, dans les Monts du Lyonnais, au Col des Echarmeaux, situé sur la commune joliment nommé Poule (-les Echarmeaux), fermant les confins de la vallée de l'Azergues.
Installation "artistique" à base de vélos entassés, dans une composition qui fait penser aux "mâts des élus" ; à gauche dans le fond on voit le Napoléon et sa "jaunisse" ; Col des Echarmeaux, photo Jean Branciard, juillet 2023.
Le Napoléon sous camisole jaune ; ph. J. Branciard, juillet 2023.
Et voilà-t-y pas que le maire (ça doit être lui, le "coupable") avait eu la brillante idée de vêtir le Napoléon Ier, qui trône sur la place centrale du village, dû au sculpteur-sabotier Jean Molette (cf. mon Gazouillis des éléphants où j'ai parlé tant et plus de lui et de ses sculptures sur pierre ou sur bois, ainsi que sur ce blog du reste), d'un... maillot jaune! Cela lui allait aussi bien qu'une camisole. A laquelle cette vêture ressemblait passablement du reste, puisqu'on n'avait pu la lui faire enfiler par les bras, ceux-ci étant solidaires du tronc. Derrière ce travestissement, se lit aussi la désinvolture qui marque les animateurs de l'endroit. Il y a quelques années, existait encore une maison de Jean Molette, où devaient être conservés diverses œuvres et documents relatifs à cet artiste populaire autodidacte, sabotier bonapartiste naïf. Une dispersion eut lieu à une date non précisée, puisqu'il m'advint de découvrir – et d'acquérir –, à Paris, dans une foire à la brocante, un magnifique panneau sculpté en relief qui provenait probablement de cette maison et de ce village (je l'ai reproduit dans diverses publications, notamment dans mon Gazouillis des éléphants) tout à la gloire de l'empereur Napoléon III, écrasant de sa gloire (de looser de la guerre de 1870 sans doute), tous les rois de France, présents sous forme de médaillons, autour de lui en train de caracoler. Molette sculptait la pierre (il existe d'autres statues de lui sur place, notamment une Madone géante et aussi un Napoléon III, cette fois en pierre, voir ci-dessous) et le bois aussi, sans doute en premier ce dernier, logiquement puisque son métier de sabotier le lui avait rendu familier.
Jean Molette, Napoléon III, carte postale XXe siècle (merci à Julien Gonzalez (et non pas Rodriguez) qui me l'a signalée), coll. B.M.
Exploit: la capture d'écran du moment où la télévision française a montré – Ô combien subrepticement! – les coureurs échappés passant devant le carrefour au Napoléon naïf et enjaunifié (voir en arrière-plan la statue à côté des panneaux de signalisation)... ; bien entendu, il n'en fut nulle part question dans les commentaires cultureux du jour... : ph. B.M., 2023.
09:27 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : jean molette, sculpteur-sabotier, col des écharmeaux, napoléon ier, statuaire naïve, art naïf, tour de france, à côté du tour, franck ferrand, culture, art populaire et vélo, art populaire et tour de france, salaires des cyclistes, spectacle et cyclisme, pierre martelanche, camisole de force, maillot jaune, dopage | Imprimer
11/08/2013
Pierre Martelanche, une découverte émouvante dans la région de Roanne
En parcourant récemment le site web de la Collection de l'Art Brut de Lausanne, quelle n'a pas été ma surprise de tomber sur l'entrefilet publié dans leur rubrique 'Recherche sur l'art brut" qui évoquait un site inconnu, un petit musée créé à St-Romain-La-Motte au nord-ouest de Roanne, entre 1900 et 1920 par un certain Pierre Martelanche, vigneron de son état, ayant vécu entre 1849 et 1923.
Dans une cabane de vigne en pierre (ou torchis?), pendant des décennies, ses descendants ont conservé les statuettes en argile qu'il y avait organisées dans un but d'édification humaniste, féministe et pacifiste, désirant propager l'idée d'une éducation pour tous dont lui-même n'avait pu bénéficier. Son but était peut-être humaniste, mais le terme peut paraître un peu pâle car il semble que Martelanche allait aussi vers une critique sociale plutôt radicale, comme le montre l'illustration ci-dessous (empruntée comme les autres dans cette note aux brochures numérisées qu'ont mises en ligne sur internet l'Association des amis du Petit Musée de Pierre Martelanche ainsi que Jean-Yves Loude auteur d'un livre sur ses voyages avec des ânes dans la région roannaise, ouvrage où il relate sa découverte du petit musée ; à signaler que le premier lien ci-dessus ("brochures") mène à un fichier où l'on propose de soutenir l'Association citée).
Pierre Martelanche, Bas-relief montrant l'exploitation du travailleur courbé sous les représentants de l'Eglise et du patronat qui lui assènent leurs principes et leur raison d'être sous la forme de petits panonceaux couverts d'inscriptions (l'Eglise: "Je te berce"...)
C'est un vrai miracle que les sculptures en argile ne se soient pas détériorées au fil des années, malgré le vandalisme enfantin, l'invasion végétale, ou les écarts de température. Si l'écrivain-voyageur Jean-Yves Loude, en résidence dans la région, fut le premier à révéler le lieu et l'oeuvre, divers autres intervenants, ainsi qu'une association des Amis du Petit Musée de Pierre Martelanche, cherchent dès à présent à trouver les moyens de préserver ces petits chefs-d'œuvre de poésie populaire dans l'optique de les présenter au public. On parle déjà (voir la vidéo mise en ligne sur Daily Motion ci-dessous) de réaliser une cabane refaite à l'identique où l'on réinsérerait les statues de Martelanche en respectant son organisation initiale...
Martelanche redécouvert à St Romain la Motte par avp_diffusion ; vidéo provenant de la chaîne de télé RW TV
A moins qu'inspirés par les conseils de "l'expert international" Laurent Danchin, qu'on a automatiquement contacté (de même, on apprend que le cinéaste Philippe Lespinasse travaille déjà sur un film sur Martelanche), on décide sur place de transférer les statuettes dans un autre lieu, au sein du village entre école communale et foyer de retraités dans le but de faire servir le futur musée Martelanche à des visées sociales... Certes, on sait que des musées consacrés à un seul autodidacte, s'ils ne gardent que cette seule finalité, faire découvrir la vie et l'œuvre de l'autodidacte en question, finissent par péricliter à la longue. Mais la visée sociale très à la mode aujourd'hui, débouche aussi parfois, par la sollicitation de publics pas forcément très concernés, sur des résultats bénins voire médiocres, contrastant avec la présentation des oeuvres de grands autodidactes d'autrefois qui sont elles d'une toute autre qualité (comme c'est le cas ici avec les pièces naïves en argile de Pierre Martelanche). Ces visées sociales peuvent alors se révéler contre-productrices. Méfions-nous donc des "expertises".
Détail d'une saynète montrant des femmes en train de fondre des canons
Pourquoi ne pas songer plutôt à associer les sculptures de Martelanche à d'autres œuvres du même type que l'on rassemblera petit à petit dans la même région? En demandant des legs ou des dépôts aux collectionneurs encore inconnus de la région, ou à des créateurs populaires contemporains. Je pense par exemple à ce collectionneur qui conserve non loin, à Toulon-sur-Allier, des dessins formidables d'un autre autodidacte visionnaire, appelé Alphonse Courson, qui était un ancien soldat. Un peu plus loin, dans les Monts du Lyonnais, existait également un sabotier sculpteur naïf, Jean Molette (j'ai parlé de lui dans le récent n°15 du Bulletin des Maçons de la Creuse). Comme le note la brochure de l'Association, non loin également, à Civrieux-d'Azergues, se trouve le Jardin de Nous deux de Charles Billy (à qui j'ai consacré un chapitre entier dans mon Eloge des Jardins anarchiques, version remaniée d'un ancien article paru dans Raw Vision au début des années 90). Récemment, au sud de Roanne, Montbrison a également monté une exposition d'art brut. Cette vallée de la Loire paraît recéler beaucoup d'occurrences où il est question d'art brut ou d'art naïf de qualité. L'idée de monter un musée ou un foyer d'activités centré sur la créativité populaire d'autrefois et d'aujourd'hui aurait donc du sens et ne serait pas de l'ordre utopique. La proximité de la région Auvergne, qui jouxte cette région relevant de Rhône-Alpes, est à considérer également.
00:05 Publié dans Art Brut, Art naïf, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : pierre martelanche, art populaire insolite, petit musée d'autodidacte, association des amis du petit musée de pierre martelanche, jean-yves loude, environnements visionnaires, st-romain-la-motte, alphons ecourson, exploitation des travailleurs, jean molette, charles billy, collection de l'art brut | Imprimer