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La Passerelle et les Bricoleurs à la Maison Rouge
Voici donc que s'annonce une exposition des créatifs du foyer d'art plastique de la Passerelle à Cherbourg (Nicolas, Pascal, Christine, Patrice, etc.) dont j'ai maintes fois eu l'occasion de parler dans cette colonne sans fin (ou presque). Et pas n'importe où puisqu'il s'agit cette fois des locaux de la Maison Rouge-Fondation Antoine de Galbert, et plus exactement de son "Vestibule", qui est en fait la dernière salle du parcours d'exposition...
Plusieurs productions de l'atelier seront présentées, et en parallèle, ceux qui ne le connaîtraient pas auront aussi l'occasion de voir le documentaire, désormais "célèbre" sur ce blog, de Remy Ricordeau, coécrit par votre serviteur, Bricoleurs de paradis, consacré à des créateurs populaires d'environnements, et diffusé dans le cinéma de poche du bout de ce "vestibule". Le tout devant se tenir du 21 décembre 2011 jusqu'au 15 janvier 2012 (vernissage le jeudi 22 à partir de 17h). A noter que cette manifestation est à l'initiative d'un membre du personnel, Sophie Gaucher, selon une politique de l'établissement qui souhaite donner aux différents membres de son équipe le droit de proposer telle ou telle exposition de leur choix.
Kévin, Dinosaures, 50x70cm, 2010, ph La Passerelle ; et au-dessus, successivement, Nicolas, Les Romains, 2006, puis Pascal, chaise décorée, ph. Bruno Montpied
Comme on le constatera, ce petit événement ne cloisonne pas les créateurs autodidactes entre eux, et surtout pas ceux qui proviennent des ateliers d'art pour handicapés, n'est-ce pas, Mme Dubarry, de la Mairie de Paris? (Voir note précédente du 11 décembre)
20/12/2011 | Lien permanent
Une réaction d'Antoine de Galbert à la publication récente de ”L'art brut” chez Citadelles et Mazenod
L'Outsider Art Fair est dans trois jours, grande foire d'art brut, comme on sait, et voici qu'une volée de bois vert paraît précisément maintenant, sous la forme d'un mail circulaire, à l'encontre du livre récemment paru sous la direction de Martine Lusardy, L'art brut, aux éditions Citadelles et Mazenod. Il est signé d'Antoine de Galbert. Je le reproduis ci-dessous par souci d'information, au cas où divers amateurs ne seraient pas sur le mailing de l'auteur.
A propos de la parution de « L’art brut » dans la collection Citadelles/Mazenod.
Je viens de recevoir ce beau livre dont l’ambition est de donner à l’art brut la place qu’il mérite dans l’histoire de l’art mais il ne correspond malheureusement pas aux exigences scientifiques qui ont fait la réputation de cette collection.
Le fait que la maison rouge n’apparaisse à aucun moment dans cet ouvrage n’est pas un oubli, mais une volonté délibérée d’en ignorer le travail. Bien plus incroyable encore est l’absence systématique dans ces pages de l’incontournable collection de Bruno Decharme et du travail remarquable de l’association ABCD. Et ne parlons pas de la bibliographie plus qu’incomplète. Je m’étonne que les Editions Mazenod aient pu confier la direction éditoriale de ce livre à une personne animée par tant de ressentiments inexplicables.
En vérité, cet art n’appartient à personne, et les nouveaux regards qui se tournent vers lui depuis peu exaspèrent ceux qui en avaient abusivement la garde. Il y avait une part d’aigreur dans les positions défendues par Jean Dubuffet qui a théorisé sa pensée contre le milieu officiel dont il se sentait exclu ; une part de jalousie, dont certains de ses héritiers ont peine à se défaire. Mieux vaut défendre ce que l’on aime que l’inverse, et rien ne sert d’opposer un art à un autre.
La maison rouge, inaugurée en 2004, m’a sans cesse donné l’occasion de décloisonner les mouvements ou les époques, dans un pays où il existait peu de passerelles entre les arts. J’ai souvent pâti de cette dichotomie absurde et idiote, qui générait mépris et intolérance, d’un côté comme de l’autre, alors qu’il suffisait de contextualiser chaque forme d’art pour lui trouver un intérêt. Il ne m’a jamais semblé que le dramatique enfermement mental et social des artistes de l’art brut, soit une bonne raison pour maintenir leurs créations dans la pénombre d’un ghetto culturel. Bien au contraire, c’était leur faire honneur de les présenter à un public plus large.
Nous avons organisé un grand nombre d’expositions d’art brut : Henry Darger, La collection Arnuf Rainer, Augustin Lesage et Elmar Trenkwalder, Louis Soutter, Eugen Gabritchevsky, la Collection ABCD/Bruno Decharme… De nombreuses expositions thématiques comme Inextricabilia (proposée par Lucienne Peiry) ou plus récemment L’envol, ont accueilli de ces œuvres, empruntées au musée de Villeneuve d’Ascq, à la Collection de l’art brut de Lausanne, à la collection Prinzhorn, et à bien d’autres… et nous avons régulièrement commandé des textes à des éminents spécialistes appartenant au sérail.
Antoine de Galbert,
président de La maison rouge.
Personnellement, si je trouve normal qu'Antoine de Galbert vienne protester contre le fait que le livre paru chez Citadelles et Mazenod oublierait de citer les nombreuses expositions montées par lui et son équipe à la Maison rouge, de même que le livre passerait sous silence la collection ABCD, effectivement une des plus belles et plus riches collections d'art brut en France, je ne comprends absolument pas qu'il puisse parler, par ailleurs, de "ceux qui avaient abusivement la garde" de l'art brut et qui seraient exaspérés par les "nouveaux regards" (décloisonnant) qui se portent sur l'art brut depuis quelque temps, parmi lesquels il faut compter donc ceux de la Maison rouge.
Il n'y a jamais eu d'autres gardiens du temple brut que Dubuffet et Thévoz pendant longtemps (et après tout, cela permit d'imposer dans le monde de l'art, qui l'avait largement ignoré jusque là, malgré les efforts des avant-gardes de la première moitié du XXe siècle, ce champ particulier de création où tous deux trouvaient de l'unité). C'est seulement à partir de 1995-1996, à l'occasion de l'exposition "Art brut et compagnie", montée à la Halle St-Pierre par Laurent Danchin et – tiens! – justement la Martine Lusardy interpellée aujourd'hui par Antoine de Galbert (car c'est elle, "la personne animée par des ressentiments"), que la Collection de l'Art Brut de Lausanne a accepté de prêter à l'extérieur de leur institution des œuvres de leur collection, dans un projet qui confrontait diverses collections à celle de Lausanne pour la première fois (l'Aracine, le petit musée du Bizarre, le Site de la Création franche, la Fabuloserie et la collection Cérès Franco). Ce projet d'il y a plus de vingt ans devançait ceux que la Maison rouge fit de son côté par la suite, à partir de 2004 donc (et qui furent, effectivement de fort instructives manifestations). On ne peut donc reprocher à Mme Lusardy d'avoir été une gardienne du temple de l'art brut, car elle aussi avait "décloisonné", bien avant M. de Galbert. Il se trouve seulement que tous ceux qui se passionnent pour l'art brut n'ont pas forcément les mêmes manières de comprendre l'art brut.
Mais peut-être, cela dit, faudrait-il regarder plus attentivement ce que l'on envisage aussi parfois derrière tous ces "décloisonnements" (que les surréalistes, pour leur part, avaient initiés, bien avant qu'un Dubuffet ne vienne faire main basse sur l'art qu'il étiqueta "brut"). S'il s'agit de rendre l'art brut soluble dans l'art contemporain le plus cérébral – afin d'élargir la clientèle des galeries d'art brut – comme a tendance à vouloir le faire un galeriste comme Christian Berst, personnellement, je trouverais normal d'émettre quelque avis opposé, sans pouvoir être taxé pour autant de "gardien abusif de l'art brut", terme au fond qui ne veut pas dire grand-chose (et désigne peut-être, de la part de celui qui l'utilise, un désir secret de s'emparer, à son tour et à son seul profit, de l'art brut en question?).
Il est plus que normal de défendre ce que l'on aime. Ce qui n'entraîne pas qu'on veuille l'enfermer dans un ghetto non plus...
15/10/2018 | Lien permanent | Commentaires (8)
Cinéma documentaire autour des arts singuliers: le Festival Hors-Champ à Nice
Comme tous les ans à pareille époque revient le festival du Film d'Art Singulier organisé par l'association Hors-Champ en plusieurs points de la ville de Nice, dans l'auditorium de la bibliothèque Louis Nucéra, dans celui du MAMAC et apparemment aussi, et cela c'est une première, à l'Hôtel Impérial, le charmant hôtel d'un autre temps où se retrouvent d'année en année tel ou tel invité de l'association. Je me souviens en particulier d'y avoir pris le petit déjeuner en compagnie à la fois de Claude Massé, de Caroline Bourbonnais et de Francis David, réunion improbable, sous les dorures, les grands miroirs aux cadres richement ornés, les tentures, le plafond peint de la salle à manger des baies de laquelle l'œil se laissait caresser par le spectacle des palmiers défendant l'entrée de l'hôtel. Quel magnifique endroit si bien à l'écart...
Vidéo ultra-courte prise dans la salle d'attente due l'Hôtel Impérial, à Nice,
Un dessin de Friedrich Schröder-Sonnenstern représentant semble-t-il Napoléon, récupéré via internet sur le blog True Outsider
Comme on le voit sur le programme inséré ci-avant, hommage sera de nouveau rendu au cours de ce festival à Caroline Bourbonnais par l'association qui l'invita à plusieurs reprises pour les films faits par Alain Bourbonnais par exemple. Le 6 juin, personnellement j'aurais bien vu le film sur Schröder-Sonnenstern (25 min.) ainsi que celui de Bruno Decharme, probablement un des derniers que ce réalisateur par ailleurs collectionneur de l'association ABCD a dû réaliser, sur Hans-Jorg Georgi (12 min), ce créateur d'une escadrille de coucous déglingués qui avait beaucoup impressionné les visiteurs lors de l'exposition de la collection à La Maison Rouge récemment (en tout cas bien plus que les œuvres en diagrammes et autres numérologies prétendument "art brut" de la section "Hétérotopies").
Hans-Jorg Georgi, l'escadrille de la Maison Rouge, expo ABCD, ph (sur mobile pas terrible) Bruno Montpied, 2014 ; la scénographie était pour beaucoup dans le choc ressenti à la vue de ces maquettes faites de bric et de broc ; elle avait été réalisée paraît-il avec l'assentiment de l'auteur
01/06/2015 | Lien permanent | Commentaires (9)
Louis Soutter moins souterrain
"Il a appris à regarder en dedans. Par lui, nous pouvons regarder dedans un homme. Un homme racé, cultivé, ayant passé par tous les luxes de l'argent et une vie intelligente. Et qui aujourd'hui, remontant du réfectoire triste, couvre chaque jour, à soixante-cinq ans, un papier blanc de ces âpres, fortes et admirables compositions."
Le Corbusier, "Louis Sutter, L'inconnu de la soixantaine", dans Minotaure n°9, 1936 (Le nom de Soutter est orthographié par Le Corbusier sans le "o" à la manière du nom de l'aïeul de l'artiste, "celui qui fonda la Californie")
Louis Soutter à Ballaigues dont il fuguait à l'occasion, semant ses dessins auprès de ses amis
C'est un été Soutter à Paris et à Rodez. L'occasion d'en découvrir plus sur cet artiste qui dessina, peignit, expérimenta, après avoir été casé contre son gré dans un asile de vieillards dans le Jura suisse, à 52 ans tout de même, sous prétexte qu'il dépensait trop, et que sa famille, dont il dépendit matériellement (il ne faut jamais dépendre des familles matériellement), ne pouvait plus le souffrir (il fut une vingtaine d'années à leurs crochets cela dit, après avoir divorcé et être revenu des Etats-Unis où il avait quitté une carrière qui paraissait prometteuse). Le Corbusier qui était son cousin, "issu de germain", précise Benoît Decron le conservateur du Patrimoine au musée Soulages de Rodez, prit fait et cause pour lui, en écrivant en 1936, six ans avant sa mort, dans Minotaure un article qui eut un certain retentissement. Il ne fit pas que cela puisqu'il essaya aussi de placer ses dessins chez des collectionneurs et dans des galeries, lui permettant d'exposer aux USA à Hartford en 1935 (j'emprunte mes renseignements biographiques à la chronologie de Marion Bonnet parue dans le catalogue de l'exposition "Les primitifs sont petits - Cahiers de 1923-1930 de Louis Soutter" au Musée Fenaille de Rodez). Cela dit, l'intérêt de Le Corbusier paraît s'être singulièrement rafraîchi lorsqu'il découvrit les peintures au doigt que Soutter se mit à produire à partir de 1937 (peut-être faute à l'arthrose), production qui il faut bien le dire a beaucoup fait pour sa gloire aujourd'hui en raison de sa force et son modernisme précurseur.
Louis Soutter, Le héros, (recto d'une feuille dessinée aussi au verso), exposé à La Maison Rouge, provient de la galerie Karsten Greve
S'il eut une période de dessin plutôt académique dans sa jeunesse, pratiquant un réalisme imitant la perception rétinienne – il exerça en outre le métier de professeur de dessin ; il jouait parallèlement du violon dans des orchestres après avoir été l'émule et l'ami du compositeur Ysaye – c'est à partir de 1923, date à laquelle sa famille le relégua à l'hospice, qu'il commença véritablement à dessiner d'une façon qui retient aujourd'hui l'attention des esthètes, et notamment de ceux qui s'intéressent aux marginaux de l'histoire de l'art moderne.
Je crois que le titre de ce dessin est "Les premières primevères à Ballaigues"
Après sa période académique, on distingue trois périodes dans sa production plus originale, les dessins de 1923 à 1930 exécutés sur des cahiers à papier quadrillé, seuls supports qu'il pouvait se procurer, les dessins dits "maniéristes "de 1930 à 1937, et enfin les peintures aux doigts des années 1937-1942. Il disparut cette dernière année, et sans doute pressentait-il sa fin, et depuis longtemps, tant son œuvre paraît en être obsédée. Plusieurs photos de lui le montrent tel un squelette vivant, le visage incroyablement émacié, portant beau, toujours élégant, masquant peut-être sous un dandysme provoquant sa hantise du néant (voir photo en ouverture de cette note).
Louis Soutter, Voie latine et corps de fer, Prêtresses druides, expo La Maison Rouge, provient de la Galerie Karsten Greve
Voir l'exposition de La Maison Rouge est une épreuve à dire vrai. On n'en sort pas rasséréné, si le besoin s'en faisait sentir. Le parcours aux œuvres fort bien choisies laisse un étrange souvenir de cabrioles et d'agitation contractée exécutées en contrejour sur un fond taché d'empreintes digitales, comme une danse macabre ombreuse. L'homme y est dépouillé jusqu'à l'os, on ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec l'époque (je suppose que cela a été déjà remarqué), où la "solution finale" de sinistre mémoire commençait d'être mise en action par les Nazis dans leurs camps de la mort. Il y a peu de chances que Soutter entre 37 et 42 en ait été averti. Mais le parallélisme est troublant, comme s'il s'agissait d'une anticipation visionnaire.
Louis Soutter, Quatre femmes nues, période maniériste (entre 1930 et 1937), Musée Cantonal des Beaux-Arts, Lausanne
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"Les primitifs sont petits – Les Cahiers de 1923-1930 Louis Soutter", exposition au Musée Fenaille du 16 juin au 14 octobre 2012. Un catalogue est paru à cette occasion avec des textes de Michel Thévoz, Louis Pons et Benoît Decron.
"Louis Soutter, Le tremblement de la modernité", exposition à La Maison Rouge dans le XIIe ardt de Paris, commissariat Julie Borgeaud, du 21 juin au 23 septembre.
Egalement : Fondation Le Corbusier, Paris, "Louis Soutter, dessins", du 15 juin au 15 septembre ; Fondation suisse (14e ardt de Paris) "Le Corbusier, Louis Soutter–croisements", Exposition + conférence, du 28 juin au 30 septembre 2012 ; Centre culturel suisse (Paris 4e ardt), "Météorologies mentales, œuvres et livres de la collection Andreas Züst", Exposition + conférence, jusqu'au 15 juillet 2012 (là, c'est trop tard...).
15/07/2012 | Lien permanent
Eugen Gabritschevsky, dans le silence de l'été parisien
Importante nouvelle d'exposition à Paris, mais curieusement, selon moi, assez discrètement surgie, la Maison Rouge du boulevard de la Bastille dans le XIIe arrondissement parisien propose du 8 juillet au 18 septembre une rétrospective en 250 œuvres de cet extraordinaire visionnaire, et peintre autarcique, rangé dans l'art brut, nommé Eugen Gabritschevsky. Nom qui dérouta peut-être le public français et l'empêcha de se pencher plus avant sur cette œuvre, pourtant exceptionnelle (m'est avis que la même chose est arrivée au peintre danois de Cobra et du mouvement situationniste, Asger Jorn, au nom trop exotique pour être adoubé dans la mémoire du Français moyen). C'est une exposition prévue pour voyager ailleurs qu'à Paris, ce qui explique peut-être son installation initiale durant cet été dans la capitale (il doit être difficile de trouver des dates qui satisfassent chaque institution...). Elle devrait ensuite faire halte à Lausanne à la Collection de l'art brut, partenaire de l'exposition, du 11 novembre 2016 au 19 février 2017, pour enfin atterrir à l'American Folk Art Museum de New-York du 13 mars au 13 août 2017 (la conservatrice du département art brut du musée, Valérie Rousseau, signe du reste un texte dans le catalogue de l'expo).
Eugen Gabritschevsky, collection ABCD
E.G., extrait du blog Graffink
On trouve beaucoup d'information de type biographique sur Gabritschevsky, son métier de chercheur en génétique, son origine russe, une femme mystérieuse nommé "la muse" qui apparut et disparut au même moment où il commençait de sombrer dans la maladie mentale qui devait le conduire dans un hôpital allemand du côté de Munich en 1930 (il fut mis à l'abri dans un lieu privé de 39 à 45, ce qui lui évita de subir le même sort que tant d'aliénés allemands "euthanasiés"), son talent d'artiste depuis l'enfance (qui ne l'amena pas pour autant vers une activité professionnelle). Ce qui me séduit avant tout, c'est son œuvre, parfaitement visionnaire, surréaliste sans l'étiquette, quoiqu'elle ait pu attirer vers elle plusieurs personnalités de ce mouvement (Max Ernst acheta des œuvres de lui à la galerie d'Alphonse Chave, l'homme qui fit beaucoup pour classer, répertorier et montrer Gabritschevsky depuis 1960, date à laquelle elle lui avait été révélée par Jean Dubuffet; Georges Limbour écrivit à son sujet un texte en 1965, centré sur les techniques qu'il employait ; et depuis 1967 également, on trouve Annie Le Brun qui se passionne pour lui et sa recherche d'un "déferlement de la vie").
E.G., sans titre, 14x18 cm, (n°1268 de l'inventaire de la galerie Chave), coll. privée, Paris, ph. Bruno Montpied ; on remarque sur cette petite peinture les étranges arbres en train de contempler l'étrave d'un bateau flottant sur un fleuve ou un bras de mer, on les croirait comme chevelus (avec pour tous une frange bien taillée sur la nuque), et l'on repère aussi avec perplexité les rubans rouges noués autour de leurs cous-troncs...
E.G. sans titre, œuvre reproduite dans le catalogue de la galerie Alphonse Chave pour leur exposition de 1998 ; on retrouve là aussi des rubans noués autour des troncs de ces arbres qui ressemblent furieusement à des asperges géantes... ; ce paysage me fascine essentiellement en raison de ces fûts énigmatiques.
L'entrée dans la période de maladie (de celle-ci, malheureusement, une fois de plus, rien ne nous est dit qui permette de comprendre exactement ce qu'elle était ; on nous parle d'angoisses qui empêchèrent Gabritschevsky de continuer son métier de biologiste) coïncide avec une extension sans précédent de ses travaux graphiques (dans les années 1920, il pratiquait avec prédilection le fusain, plusieurs dessins de cette veine sont montrés dans l'exposition de la Maison Rouge). Une extension qui ressemble fortement à un lâchez-tout de l'imagination picturale et graphique, tant les champs explorés, les expérimentations pratiquées, l'amènent à produire des images variées et toutes plus surprenantes les unes que les autres. Un "lâchez-tout" qui fait personnellement de lui (que l'on me pardonne cet aparté) mon maître, tant son exemple correspond à ce vers quoi je me dirige en matière de peinture, me limitant comme lui aux petits formats (en majorité), parce que c'est dans ces espaces réduits qu'on a le plus de chances de capturer l'éventuelle poésie du hasard.
E. G., sans titre, gouache et aquarelle sur papier calque, 1942, coll. privée, New-York (exposé à la Maison Rouge)
L'œuvre de Gabritschevsky est protéiforme, parfois abstraite avec recherche de composition de motifs ornementaux proches de cellules vues au microscope et dansant une sarabande, parfois paysagère visionnaire, parfois aussi visant à un réalisme poétique comme lorsqu'il s'adonne à la peinture de bestiaire, avec des animaux aux étranges tatouages de petits points, des dinosaures aux corps se résolvant en flammèches. Des taches ressemblant à des tests de Rorschach (qu'on a pu lui proposer dans le cadre de son asile, comme dit Annie Le Brun) sont montrées à la Maison Rouge, visiblement précisées par le peintre dans un sens plus figuratif et moins informe, représentant des insectes pourvus d'une grande présence (celui que je reproduis ci-contre est emprunté au site web de la Collection de l'art brut de Lausanne).
E.G., sans titre, n°5247 de l'inventaire de la galerie Chave, 21x22,5 cm, gouache sur papier calque, 1942, Galerie Alphonse Chave.
On n'en finit pas de voyager de fenêtres sur des paysages enchantés (pas toujours gais, parfois séjours enténébrés) en fenêtres vers d'autres landes à figures improbables. Comme si vous sautiez d'un caillou magique à un autre caillou magique pour traverser une rivière périlleuse.
A signaler que la Galerie Alphonse Chave à Vence, de son côté, organise aussi une exposition Eugène Gabritschevsky du 27 juillet au 30 novembre 2016. A cette occasion, elle édite un nouveau livre (qui était en gestation depuis plusieurs années, confie-t-elle dans son carton d'invitation) qui fera 190 pages et comportera 300 illustrations. Il contiendra des textes originaux de Daniel Cordier, Florence Chave-Mahir, et Pierre Wat. On devrait aussi y retrouver divers documents d'archives de Georges Limbour, Dubuffet et Elie-Charles Flamand (encore un surréaliste celui-ci), des lettres d'Eugène et Georges Gabritschevsky (ces lettres, si elles sont de la même qualité et clarté que celles dont on peut trouver des extraits au gré des différents catalogues, seront fort éclairantes). Un film, joint en DVD aux 50 premiers exemplaires de cette édition, est également annoncé : Eugène Gabritschevsky, le vestige de l'ombre, de Luc Ponette et produit par Zeugma films (2013).
24/07/2016 | Lien permanent | Commentaires (8)
Art brut, les florilèges des Yeux Fertiles
La galerie Les Yeux Fertiles, connue pour ses expositions rue de Seine à Paris dans le 6e arrondissement (voir ce lien) qui sont généralement tournées du côté du surréalisme et des domaines avoisinants, présente une exposition d'art brut, intitulée "Florilèges de l'art brut" du 9 octobre au 28 novembre 2009.
ACM, Anselme Boix-Vives, Joseph-Fleury Crépin, Philippe Dereux, Domsic, Fischer, Eugène Gabritschevsky, Madge Gill, Chris Hipkiss, Emile Josome Hodinos, Horacek, Jakic, Kôczy, Simone Le Carré-Gallimard, Leonardini, Augustin Lesage, Sluiter, Schröder-Sonnenstern, Scottie Wilson, Gironella, Slavko Kopac, Michel Nedjar... Tels sont les noms des créateurs dont les oeuvres seront accrochées aux cimaises de cette petite galerie, qui déjà par le passé a organisé des expos sur cette catégorie d'art, à juste titre, si l'on constate la proximité d'inspiration entre l'art brut, sorte de surréalisme inconscient, et le mouvement historique qui revendique l'action et l'art surréalistes.
On notera que sont mêlés aux créateurs d'art brut au sens strict, des artistes plus délibérément "artistes", conscients de se confronter à l'histoire de l'art, comme Philippe Dereux, Slavko Kopac (immense artiste, collaborateur de Dubuffet dans la deuxième Compagnie de l'Art Brut, et simultanément ami des surréalistes: exploit qu'il fallait mener quand on sait la solide rivalité qui oposait Dubuffet au groupe surréaliste dans les années 50-60 de l'autre siècle), Chris Hipkiss, Michel Nedjar... Sans doute par souci de faire figurer dans cette présentation des oeuvres aux contenus en harmonie avec une inspiration qui fait la part belle à l'imagination par les sujets et le graphisme.
04/10/2009 | Lien permanent
Ceija Stojka, le coup de poing de la mémoire
La Maison Rouge à Paris va bientôt fermer, on le sait bien, hélas. Ce sera un haut lieu de la culture alternative, avec des propositions très souvent illuminantes, qui disparaîtra sans que rien d'équivalent ne naisse pour la remplacer, du moins à l'instant où j'écris ces lignes (ce sera un grand trou dans le paysage culturel parisien). Et les dernières expositions qu'elle organise, comme celle consacrée à la créatrice et témoin rom autrichienne, "Ceija Stojka" (1933-2013), "une artiste rom dans le siècle", ou celle présentant la collection de Mme Déborah Neff, consacrée à des poupées noires américaines, "Black dolls", expo tout à fait étourdissante, excellemment muséographiée, posant plein de questions sur la place des Afro-américains aux USA sous le regard des Blancs, ou bien encore l'exposition finale à venir en juin, "L'Envol", sur le thème des artistes qui ont rêvé d'envol (du 16 juin au 28 octobre 2018), organisée conjointement par Aline Vidal, Barbara Safarova, Antoine de Galbert et Bruno Decharme, toutes ces manifestations sont comme un feu d'artifice où le bouquet final ne pourrait cesser. Hélas (bis repetita)...
Vue parcellaire de l'exposition "Black Dolls, collection Déborah Neff" à la Maison Rouge, ph. Bruno Montpied.
L'expo Ceija Stojka, qui comme celle consacrée aux "Black dolls", se terminera bientôt, le 20 mai prochain, je l'ai vue dès le deuxième jour d'exposition, et quel coup de poing ce fut... On y revit la tragédie de la persécution et de l'extermination des Roms (100 000 morts en Autriche et en Allemagne ; on estime à 90% du total de leur population la disparition des Roms et Sintis en Autriche) par les Nazis à travers les yeux d'une enfant de 12 ans, qui peignit, et écrivit cela, à l'âge adulte (55 ans) en 1988, 45 ans après les faits, tout en ayant gardé sa fraîcheur d'enfant : sa déportation avec sa mère et des membres de sa famille dans les camps d'Auschwitz-Birkenau, Ravensbrück et Bergen-Belsen, d'où elle réchappa par miracle et grâce à des sacrifices terribles. Elle raconte comment elle et sa famille s'y prirent pour survivre (en mangeant des feuilles d'arbre par exemple, ou des lacets de cuir, du tissu... ou en se réchauffant sous des cadavres) dans quelques livres que l'on trouve en traduction française, comme Je rêve que je vis, libérée de Bergen-Belsen, ou Nous vivons cachés, récits d'une Romni à travers le siècle, tous deux aux éditions Isabelle Sauvage.
Ceija Stojka, Ravensbrück 1944, tableau de 1994, 70x99,5cm, coll. privée, Montreuil.
Ceija Stojka a voulu parler, premier témoin parmi les siens, qui eurent longtemps le secret en héritage vis-à-vis des assassins nazis (les raisons en paraissent multiples – mais c'est aussi qu'il y eut peu de rescapés des massacres et des camps, rien qu'en Autriche à peine 1200 à 1500 individus, d'après Gerhard Baumgartner dans le catalogue de l'exposition – et que les Roms se méfiaient des non Roms, vu le racisme ambiant, toujours prêt à reprendre flamme). Le souvenir la hantait, et déborda d'elle certainement. Il lui fallut se mettre à peindre, et à raconter (dans ce dernier cas grâce à Karin Berger qui cherchait des témoignages), dans les deux cas avec des moyens qu'elle s'inventa au fur et à mesure, dans un même mouvement les persécutions et les morts mais aussi la vie d'autrefois ou d'après dans la beauté de la campagne d'été (jamais d'hiver...). Un torrent d'images torturées, colorées, âpres, se déversa durant vingt ans. Elle n'eut aucun doute semble-t-il quant à la forme, aucun complexe vis-à-vis de la qualité esthétique de son témoignage, et c'est ce qui fait aussi une grande part de la force de cette œuvre au message violent, à l'expression immédiatement branchée sur le vécu atroce. Dans le film qui est diffusé sur le site de la Maison Rouge, Antoine de Galbert souligne que lorsqu'elle raconte, Ceija Stojka a toujours douze ans. Dans ses peintures aussi. Les angles de vue sont adaptés à la taille d'un enfant de cet âge. Et la facture des tableaux, si rude et fruste, est plus efficace et plus évocateur qu'une description réaliste, elle touche davantage en transmettant directement par ses lignes et ses couleurs bouleversées, et bouleversantes, le tourment de la vision et du souvenir de la peintre, à la fois psychologiquement enfantine et immergée dans l'enfance de l'art¹...
Cette exposition est si forte, qu'elle entraîne presque le spectateur à revivre le traumatisme de Ceija Stojka, et à travers elle, l'horreur de ce que durent subir tant de ses semblables. C'est pourquoi on a du mal à en parler après, parce que l'on touche un peu du bout de l'âme les raisons du silence des rescapés, l'immense silence de mort et d'horreur qui saisit celui ou celle qui voit tout à coup ce qu'un homme peut infliger comme supplice à un autre homme, au nom de mythes, de mensonges, d'idéologie, de lubies funestes.
Ce qui a contribué Ceija Stojka à parler s'explique derrière un de ses tableaux par cette inscription laconique qui murmure, comme dans un souffle, qu'il lui semble toujours qu'Auschwitz n'est pas complètement mort et qu'il dort seulement... Et donc que jamais il ne faudra baisser la garde.
Ceija Stojka
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¹ L'enfance est peut-être le trait d'union des deux expositions, davantage que le racisme. Cette enfance qui porte en elle l'espoir d'abolition de la haine raciste. Car le racisme, tant qu'il ne lui a pas été inculqué par les adultes, n'existe pas chez l'enfant.
01/05/2018 | Lien permanent
Kevin R., jungle, mariage et catch (les distractions à la Passerelle)
A Cherbourg, je l'ai dit et redit, il ya un atelier d'art plastiques animé par Romuald Reutimann chargé de laisser toutes sortes d'individus dits handicapés tracer diverses sortes de rêveries graphiques sur Canson avec des crayons spéciaux, des marqueurs et autres outils laissant comme l'escargot un sillage derrière soi... Voici un exemple de ce que je leur ai récemment acheté auprès d'un de leurs "artistes", Kevin R., que j'ai tendance à priser un brin.
Kevin R., Tarzan et Jane, 50x70 cm, produit à l'atelier La Passerelle, 2013, coll BM
On pourrait croire étant donné le titre que Tarzan est à gauche et Jane à droite. Si c'est correct pour cette dernière (qui fait très dessin d'enfant), ça ne l'est pas pour le personnage de gauche qui n'est autre qu'un gorille. Tarzan est plutôt au centre de la composition, au-dessus de la bande bleue dans laquelle Jane et le gorille se baignent les pieds (ils ne paraissent pas le voir, mais un crocodile nage sournoisement entre deux eaux juste en dessous de l'emplacement de Tarzan qui, les bras écartés, cherche à les ameuter justement, ayant peut-être perçu le danger). Tarzan, qui se fond dans le décor de jungle qu'a voulu planter Kevin R. en arrière-plan, les lignes qui le dessinent se mélangeant avec la toile quasi arachnéenne des lianes tombant ou sinuant depuis les frondaisons qu'on devine plus qu'on ne les perçoit exactement. C'est d'ailleurs cet enchevêtrement de jungle qui fait tout le charme de cette composition colorée, dessinant un assemblage de formes géométriques quasi abstraites et dégringolantes tout en étant chargées simultanément de figurer une réelle sylve tropicale. Le regard hésite et balance entre les deux registres, résolvant son problème finalement dans une sorte de douce hébétude...
Ce Kevin-là est décidément un sacré bon dessinateur, qu'on en juge avec cet autre dessin que je lui avais également acheté au moment de l'expo de La Passerelle dans le "vestibule" de la Maison Rouge.
Kevin R., Les 40 ans de mariage, 70x50 cm, produit à l'atelier La Passerelle, 2011, coll. BM
Et encore celui-ci, un dernier pour la route, lui aussi fort séduisant...
Kevin R., Catch, 45x65 cm, produit à l'atelier La Passerelle, 2013, coll.BM
22/06/2013 | Lien permanent
Infos-Miettes (31)
Briantais et Estaque chez LFLF2015 à St-Malo-de-Guersac
Du 1er au 31 juillet prochain, ces deux artistes, dont j'ai plus d'une fois mentionné l'existence et les œuvres, rapprochent ces dernières pour une espèce de dialogue... Dans le cadre d'un de ces lieux comme il en apparaît régulièrement dans les mailles serrées du patchwork des petites communes françaises. Le vernissage est prévu pour le 7 juillet à partir de 16h. LFLF2015 (oui je sais, c'est plutôt cabalistique, et il faut trouver le coin où aura lieu l'expo : 56 ile d'Errand, Loire-Atlantique St-Malo-de-Guersac, tél: 06 18 97 13 63).
Créations populaires en Mayenne
Et revoici une production de l'association CSN (Création Singulière et Naïve) – qui semble avoir laissé tomber le numéro de département qui flanquait son acronyme précédemment (53, le département de la Mayenne).
Cénéré Hubert, un moulin illustré, photo Michel Leroux.
Elle propose une exposition de quatre autodidactes singuliers , aux lisières de l'art naïf et de l'art brut, Gustave Cahoreau (dessinateur et sculpteur, bof...; voir ci-contre la tête chapeautée), Patrick Chapelière (passablement inégal, et souvent "décoratif" depuis quelque temps semble-t-il ; voir ci-contre œuvre de 2018), Raymond Lemée (ce dernier paraît recycler les crucifix : moi, je dis beurk!) et Céneré Hubert, à mon avis le plus intéressant des quatre (Michel Leroux et Jean-Louis Cerisier, qui interviennent dans cette association, ont souvent défendu ce dernier qui est un peu leur découverte ; ils m'ont du reste aidé à illustrer la notice que j'ai consacrée dans mon livre Le Gazouillis des éléphants à ce créateur, également l'auteur d'un environnement naïvo-brut à St-Ouën-des-Toits). L'expo se tiendra du 13 juillet au 26 août, à la Bergerie du château de Sainte-Suzanne, fort joli village mayennais, paraît-il.
(Ce sera ouvert tous les jours, de 10h00 à 19h00. Entrée libre. Un catalogue accompagne la manifestation. Il sera disponible (offert par le CIAP) à la librairie du château, face au lieu d’exposition).
"L'envol ou le rêve de voler" à la Maison Rouge
Du 16 juin au 28 octobre prochain, aura lieu à Paris une expo conjointement organisée par Antoine de Galbert et la collection ABCD sur le thème du rêve de voler. Ce sera la dernière de la Maison Rouge... Il y sera question sans doute, et entre autres, de Gustav Mesmer, cet aviateur en herbe, renouvelant le rêve des pionniers de l'aviation avec leurs drôles de machines volantes dont ont déjà parlé diverses autres publications et expositions fournies autrefois par la Collection de l'Art Brut. On se rappelle en particulier l'expo et le catalogue de "L'Art Brut dans le monde" qui contenait six petits courts-métrages dont un sur ce Mesmer. Mais ce ne sera pas le seul "Icare" de représenté dans cette expo puisque le dossier de presse annonce 130 artistes et créateurs, dont les œuvres (on en annonce 200) relèvent tantôt de l’art moderne, tantôt de l'art contemporain, tantôt de l'art brut, voire de l'art ethnographique ou populaire. Un peu du méli-mélo en somme, comme l'aime Antoine de Galbert...
Carlés-Tolra, et l'amour, au Musée de la Création Franche cet été
Deux expos en effet, distinctes, quoique dans un même lieu cet été à Bègles. "Le monde selon Carlés-Tolrá" d'une part, véritable rétrospective de cet artiste, grand ancien de l'art singulier (terme que l'on peut présenter comme synonyme de "neuve invention", voire de "création franche" – même si cette dernière expression cherche à intégrer également l'art brut, l'art naïf, même certaines expressions surréalisantes), du 15 juin au 2 septembre 2018, et "All I need is love" pour l'autre part, du 15 juin au 19 mai 2019. Sur l'expo Carlés-Tolrá, voici ce que précise le musée: "Pour la 90e année de cet auteur majeur de la collection Création Franche, le Musée lui consacre 6 salles où seront présentés, outre des œuvres du fonds de collection, des prêts exceptionnels du créateur comme ses premières peintures, des lettres échangées avec Jean Dubuffet dont il était proche et des œuvres de sa collection personnelle." On notera cette mention d'œuvres venues de la collection de l'artiste, chose qui reste peu connue chez Carlés-Tolra.
Ignacio Carles-Tolrá.
Dans le cadre de "All I need is love", qui est une sélection, un ré-accrochage des collections permanentes du musée sur le thème de l'amour (votre serviteur y a des œuvres présentées, je ne sais lesquelles, je rappelle que le musée conserve une donation de 129 (à peu de choses près...) de mes peintures et collages), une playlist a été proposée, en réalisation collaborative, à tous les internautes que cela stimulait. A signaler que l'animateur de ce blog y est allé également de ses propositions. Un petit jeu peut donc s'esquisser (mais il n'y a pas de prix à gagner cette fois...). A vous de deviner au moins un morceau proposé par le Poignard... Cependant il me semble qu'il faut posséder un abonnement à Deezer, ou alors il faut écouter au musée toute la playlist (au moins 177 morceaux...).
Collection de l'Art Brut à Lausanne, nouvelle expo : "Acquisitions 2012-2018"
Du 8 juin au 2 décembre 2018, vient de commencer la présentation d'une sélection d'œuvres acquises par la Collection depuis que Sarah Lombardi en est devenue la directrice. Cela donne plus de 150 œuvres en exposition. En même temps, paraît le fascicule de l'Art Brut n°26, avec des mini monographies sur certains créateurs récemment entrés dans la Collection, Charles Boussion, Gaël Dufrène, Dunya Hirschter, Mehrdad Rashidi, Bernadette Touilleux, Royal Robertson, Michel Nedjar (pour la deuxième fois ; car il avait déjà fait l'objet d'une notice dans le fascicule n°16 en 1990, décidément Lausanne lui voue un véritable culte), etc.
Charles "Cako" Boussion, "Tzar de jadis... Icône revisitée d'après un tableau sur bois, de Charles Cako Boussion, Montpellier, novembre 2011 à l'âge de 86 ans", peinture sur papier, 42x29,7cm ; ph. et coll. Bruno Montpied.
11/06/2018 | Lien permanent | Commentaires (15)
Miroslav Tichy, océan pacifique
J'avais été intrigué à l'exposition de la collection d'art brut d'Arnulf Rainer, à la fondation Antoine de Galbert-La Maison Rouge (en 2005, Paris), par quelques photos qui paraissaient comme volontairement abîmées, plutôt floues, représentant des femmes comme s'il s'agissait de clichés voyeuristes. Un photographe brut? Tiens, tiens...
Il existait bien aux USA le cas d'Eugène Von Bruenchenhein, cet homme qui adorait sa femme et la photographiait sans cesse parée de bijoux, parfois dans le plus simple appareil (quoique sans trop d'érotisme). De la photographie amateur existe aussi bien entendu (aujourd'hui le domaine doit exploser avec tous ces petits appareils numériques pas plus grands que des cartes à jouer). Des livres ont été souvent consacrés à la question, plus précisément à la photo anonyme. Sur ce blog, j'ai également évoqué les cartes postales à plusieurs reprises, notamment le 30 mars. La photo a prolongé bien évidemment l'imagerie populaire gravée. Roger Cardinal, interrogé sur la photo "brute", m'a indiqué avoir écrit sur la question. J'espère avoir communication ultérieure de cet article. Or, voici une importante exposition au Centre Georges Pompidou consacrée à Miroslav Tichy, qui nous renseigne davantage (que l'expo de la Maison Rouge), en une centaine de clichés au moins, sur les recherches de cet homme hors du commun.
Il n'y aurait pas de Miroslav Tichy sans le rôle central, quoique discret, joué par un médiateur capital, Roman Buxbaum. Cet attelage à deux individus, le créateur et son médiateur auprès du public, nous rappelle déjà un trait commun aux créateurs de l'art brut. Ces derniers viennent rarement jusqu'à nous sans un truchement extérieur, qui assure la communication. En l'occurrence, il semble que l'activité photographique de Tichy n'ait pas été destinée à être montrée. Roman Buxbaum (voir Un Tarzan en retraite, souvenirs de Miroslav Tichy, publié dans le catalogue de l'expo du Centre Pompidou) restitue l'aspect relativement contradictoire de la position de Tichy vis-à-vis de la communication de ses photos: "Il aime les montrer à ses visiteurs. Mais admet rarement avoir donné son accord pour que ses oeuvres soient exposées. Et lorsqu'il est de mauvaise humeur, il accuse et insulte quiconque ose les montrer au public. Pourtant, lorsque je lui ai apporté le catalogue de l'exposition de Séville [première exposition de ses photos en 2004 à l'initiative de Harald Szeemann], il n'a pas caché son émotion".
L'activité photographique de Tichy, toujours selon Buxbaum, paraît une activité très intime qui se serait développée après une crise psychotique survenue dans les années 50, suite au vernissage d'une expo à Prague dans un lieu réputé où ses peintures avaient été sélectionnées mais que Tichy décida brusquement de retirer à la dernière minute (Tichy est aussi un peintre et un illustrateur, ayant eu au départ une formation à l'école des Beaux-Arts de Prague). Il a été sujet à de nombreuses dépressions depuis l'adolescence, nous dit-on, qui sont des périodes où paraît s'anéantir une créativité qui ne se développe au contraire que lorsqu'il est en bonne santé.
Ses photos, que Buxbaum va parfois repêcher dans le magma océanique du logis où Tichy laisse aller ses affaires à vau-l'eau, parlent très souvent des femmes, des corps de femmes inconnues, croisées, entraperçues, semble-t-il à leur insu. Ces clichés volés montrent des instants de grâce, de beauté érotique qui surgissent inopinément, dans un paradoxe seulement apparent, au travers d'une technique bricolée. Tichy a réinventé le sténopé, la boîte à chaussures munie d'un trou et d'un papier photographique, il a fabricoté des appareils à partir d'objets de récupération (dans le film que lui a consacré Roman Buxbaum -Miroslav Tichy, Tarzan à la retraite, édité en DVD, disponible à la librairie de l'expo au Centre Pompidou- il montre le bouton de rembobinage d'un de ses appareils faits à partir d'une capsule dentelée de bouteille de bière). Idem pour son agrandisseur confectionné à partir de planches et de lattes arrachées à une clôture. C'est comme si nous avions affaire au cousin de l'André Robillard qui fabrique des objets symboliques (ces fusils qui ne font feu qu'imaginairement), sauf que les appareils photo assemblés vaille que vaille avec des boîtes de conserve par ce "cousin", ici, peuvent prendre aussi des photos!
Les organisateurs de l'expo, en raison de ces bricolages, l'associent aux outsiders et à l'art brut. Mais la parenté avec cette dernière conception est également à rechercher ailleurs, comme je l'ai souligné au début de cette note. L'oeuvre photographique (cela finit par être une oeuvre, en dépit du fait, en outre, que Tichy "n'aurait jamais accepté d'être considéré comme un photographe", dixit Buxbaum) est avant tout une action qui cherche à se rapprocher au plus près de la vérité de ses sujets. Il s'agit pour Tichy de capter au plus immédiat la grâce de la vie, le mystère des formes et des incarnations qu'il a tendance à concevoir comme des apparences illusoires (dans son film, Tichy évoque le mythe de la Caverne de Platon, mythe destiné à prouver que l'homme est condammné à n'entrevoir de la vérité que son ombre).
"Quand quelque chose attirait son attention, il attrapait son appareil, soulevait de sa main gauche le bord de son pull et, de sa main droite, ouvrait l'étui et appuyait sur le déclencheur sans même regarder dans le viseur. Son mouvement était si fluide et rapide qu'il était presque impossible à remarquer. En riant, il dit qu'en procédant ainsi, il pouvait attraper une hirondelle en plein vol" (Roman Buxbaum, les derniers mots soulignés par l'auteur sont de Tichy). L'hirondelle de ses désirs...
Signe supplémentaire de son indifférence à l'égard des conventions esthétiques de présentation, Tichy a confectionné des cadres bricolés avec des pauvres matériaux de hasard, décorés parfois de dessins ou de motifs griffonnés, pratique qui rappelle celle du poète Boris Bojnev (un Slave là aussi) qui en Provence s'était adonné à la mise en cadre d'oeuvres naïves trouvées en brocante. Ces deux formes de création réalisées autour d'un sujet empreint de poésie vitale sont du reste apparues dans les mêmes décennies d'après-guerre (Tichy, qui est toujours vivant, paraît avoir cessé ses activités artistiques dans les années 90, période qui précéde curieusement sa reconnaissance publique, comme si cette dernière ne pouvait avoir lieu qu'après la création et pas pendant). Certes Tichy a eu une formation artistique, et cela le distingue des autodidactes de l'art brut. Il serait à mettre en rapport avec ces grands inclassables de l'art que sont Soutter, Charles Meryon, Louis Wain (dont je parlais dans une note précédente), Ernst Josephson, etc, autant de créateurs artistes au départ qui à la faveur d'un basculement dans un état psychotique ultérieur ont orienté leurs travaux dans un sens profondément intériorisé. Ce qui est bien en rapport avec l'enjeu de l'art brut en définitive.
L'expo Miroslav Tichy se tient au MNAM du Centre Pompidou, à la Galerie d'art graphique, du 25 juin au 21 septembre 2008. Les photographies exposées proviennent sauf quelques-unes de la fondation Tichy Ocean basée à Zürich. "Tichy" en tchèque se traduit par paisible, pacifique. L'univers de chaos et de hasard dans lequel vit Tichy ressemble à un océan. L'océan Tichy. Ce qui donne par jeu de mots l'océan pacifique... D'où le nom de la fondation de Zürich.
02/08/2008 | Lien permanent | Commentaires (2)
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