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L'Iran naïf? Un texte de Marc Grodwohl et un prolongement du Sciapode en direction de MOKARRAMEH GHANBARI
Cet art populaire et l'art des réalisations publiques sont de la même veine surtout dans les périodes les plus récentes, fin XIXe, début XXe siècle, et il serait ethnocentrique de qualifier de "naïf " ce qui peut relever en réalité des conventions régissant la représentation des personnes. A titre de comparaison avec l'art public urbain, les faïences d'un hammam fin XIXe, début XXe s. à Rasht, la capitale du Guilan avec la représentation du héros Rostam (photos 4-5-6).
Sa première exposition date de 1995 (soit environ quatre ans après qu'elle eut commencé à 63 ans à peindre) et eut lieu bien entendu en Iran à la galerie Seyhun (par la suite, elle a exposé en Suède et aux USA ; en France, comme d'hab, on n'a encore rien vu venir, malgré la diffusion du film dans des festivals...). Il semble que ce soit son fils artiste qui la voyant en train de barbouiller spontanément dans le décor de sa vie quotidienne eut l'idée de lui fournir du matériel de peinture et qui l'encouragea (ça fait songer à d'autres cas similaires, Boix-Vives, ou Joseph Barbiero, aussi me semble-t-il en France furent poussés par leur progéniture vers la création). Elle a peint des toiles mais aussi les murs de son logement. Parmi ses thèmes de prédilection, on retrouve entre autres le héros Rostam dont parle Marc Grodwohl dans son texte.
Elle fut mariée contre son gré à une sorte de cacique de son village (Dankandeh dans la province de Mazandaran, au nord de l'Iran) qui obligea par la torture son père à lui donner sa fille. Elle eut plusieurs enfants de ce mariage pour le moins houleux (émaillé de brutalités).
On annonce un film en préparation aux USA avec Meryl Streep dans le rôle de Mokarrameh, et un metteur en scène iranien résidant en Californie, Essy Niknejad... Ah, ces Yankees, ils ne manquent jamais de prendre le train en marche...
18/08/2007 | Lien permanent | Commentaires (2)
Recoins n°2, Des fous de Tolbiac à Aubert d'Antignac
Vient de paraître juste avant la grande migration estivale le n°2 de la revue Recoins qui se consacre, comme il est dit dans son sous-titre, aux arts, belles lettres et rock'n roll. Enfin, pas tout à fait seulement à cela. Cette revue, éditée à Clermont-Ferrand, et qui se qualifie aussi de "revue moderne d'arrière-garde", outre de nombreux articles sur le rock, la publication d'une bande dessinée, quelque détour vers la boxe pratiquée dans les rues du New-York du XIXe siècle, publie cette fois-ci (voir la recension succincte que j'avais déjà faite du n°1 dans mon Billet du Sciapode dans Création Franche n°26) plus d'articles concernant les sujets qui nous sont chers, à savoir le surréalisme, les environnements spontanés de bord des routes, et la littérature tournée vers les moeurs populaires qu'elle soit liée aux plus fous ou aux plus champêtres des figures du peuple.
Au chapitre du surréalisme, Anna Pravdova nous donne une présentation instructive de Tita, jeune surréaliste tchèque qui a fait partie du groupe surréaliste de La Main à Plume, groupe de jeunes gens qui eurent à coeur de poursuivre vaille que vaille l'activité surréaliste dans la France occupée, pendant que leurs aînés, plus connus, avaient fui ou se cachaient, poursuivis ou menacés qu'ils étaient par le régime vichyste. Ces jeunes gens commencent désormais à mieux émerger de l'ombre où on les a longtemps tenus. A noter qu'un n° spécial de la revue Supérieur Inconnu, dirigée par Sarane Alexandrian et Marc Kober, et publiée tout récemment (printemps-été 2008, n° consacré à "la vie rêvée"), évoque elle aussi un autre membre de La Main à Plume, Marc Patin, en publiant deux récits de rêve avec leur analyse par l'auteur. Marc Patin, dont Tita illustra de dessins deux plaquettes de poèmes. Anna Pravdova nous révèle dans cet article la fin exacte de la jeune peintre juive qui fut arrêtée durant la tristement célèbre rafle du Vél d'Hiv, et déportée à Auschwitz via le camp de transit de Drancy.
"Quatre fous de Tolbiac", tel est le titre d'un texte absolument remarquable (et je vous prie de croire que ce n'est pas parce qu'il s'agit là d'un vieil ami que je dis cela) de Régis Gayraud sur des souvenirs (en réalité, plus que cela) relatifs à des figures de la rue parfaitement saisissantes, et angoissantes pour certaines d'entre elles. Il s'agit là, pour reprendre un terme cher à Mac Orlan et à Robert Giraud de pur fantastique social. Ecrit dans un style dépouillé (bien éloigné du style des années 80, que l'auteur qualifie lui-même de "maniéré", tout en phrases longues, et bourré d'excès divers, que je connais bien pour en avoir publié dans ma revuette La Chambre Rouge, vers 1984, quelques morceaux choisis, comme Faire chou blanc, plaquette tirée à part...), nous faisons connaissance avec quatre figures inoubliablement campées par Régis. Elles entrent de plein droit dans une longue tradition d'évocation littéraire des figures de la rue, qui nous est personnellement très chère. Cela faisait fort longtemps que Régis Gayraud n'avait pas repris la plume de façon plus directement créative et surtout de façon publique. On le connaît en effet davantage comme traducteur de russe et essayiste, spécialiste du poète-éditeur Iliazd (comme le commentaire qu'il nous a laissé récemment le laisse deviner). On ignore -et c'est très dommageable- qu'il est un écrivain de première force, à la personnalité hors-norme et baroque, pourvue d'un humour parfois féroce... Ce texte à lui seul vaut l'achat de ce n°2 de Recoins.
Un autre texte vaut cependant également le détour, l'évocation documentée et fouillée par Emmanuel Boussuge (par ailleurs directeur de la publication) de la vie et de l'oeuvre du maçon créateur d'environnement spontané François Aubert à Antignac, dans le Cantal (agrémentée de quelques-unes de nos photos faites en accompagnant Emmanuel sur les lieux). Cette mini monographie, s'appuyant sur des souvenirs et des documents confiés par la fille de François Aubert, ainsi que des témoignages d'une érudite locale, Odette Lapeyre, restitue assez bien le cas Aubert. Ce dernier a laissé derrière lui une maison décorée de bric et de broc, avec des animaux en ciment armé de style naïf, un musée minéralogique (point commun avec le facteur Cheval qui comme on sait avait donné pour vocation à son Palais Idéal, dans les débuts, d'abriter un musée de pierres trouvées), une architecture employant des matériaux jurant les uns avec les autres, mariant l'intention farceuse au goût du désordre provocateur. Maison à vendre aujourd'hui et en péril (les statues ont été aujourd'hui cependant mises en lieu sûr, suivant la solution du "déplacement" -chère à Patricia Allio, voir le cas de Jean Grard- et sage décision si l'on se réfère à d'autres sites, comme ceux de Gabriel Albert en Charente, de Raymond Guitet en Gironde ou encore d'Emile Taugourdeau dans la Sarthe). Nous reviendrons personnellement, avec notre propre vision, sur le site de François Aubert à une autre occasion. Je renvoie pour l'heur les lecteurs à ce n°2 de Recoins décidément fort riche.
Coordonnées pour acquérir la revue:
Sur Paris, on est sûr d'en trouver quelques exemplaires à la librairie incontournable de la Halle Saint-Pierre, rue Ronsard, 18e arrondissement. Sinon on la commande à Recoins, 13, rue Bergier, 63000, Clermont-Ferrand. (Contact e-mail: revuerecoins@yahoo.fr). Prix au numéro: 6€, abonnement 4 numéros: 20€ (+ toujours le "formidable cadeau"...).
24/06/2008 | Lien permanent | Commentaires (3)
D'étonnants jardins en Nord-Pas-de-Calais
On avait eu naguère (2011) un cahier de l'Inventaire du Patrimoine de la région Poitou-Charentes entièrement consacré à un créateur autodidacte, Gabriel Albert à Nantillé (Charente-Maritime), qui avait décoré son jardin d'environ 400 statues en ciment polychrome des années 60 aux années 90 de l'autre siècle. C'était le premier cahier de l'Inventaire entièrement dévolu à un autodidacte d'extraction populaire (plus naïf que brut dans ce cas). Je m'en étais fait l'écho sur ce blog.
Voici que les collaborateurs de l'Inventaire du Patrimoine récidivent, cette fois dans la région Nord-Pas-de-Calais, avec un cahier, le n°293, entièrement axé sur une enquête explorant les sites encore en place et dont les auteurs dans plusieurs cas ont pu être interrogés. Quelques sites plus anciens, dont les auteurs sont disparus, sont également évoqués, comme celui de Remy Callot, sur qui nombre d'informations sont apportées dans le livre par Tiphaine Kempka, ou encore celui de René Pecqueur (à ne pas confondre avec Charles Pecqueur), dont les réalisations, des grands candélabres-arbres (on pourrait créer tout spécialement pour lui le mot-valise "candélarbre"), ont malheureusement été détruites, hormis quelques bricoles conservées ici ou là, notamment au LaM à Villeneuve-d'Ascq). Ce site est chroniqué avec sensibilité et intelligence dans l'ouvrage de l'Inventaire par Michel Cabal.
Site ancien de René Pecqueur (1933-2003) à Louches (Pas-de-Calais), photos Marguerite Tartart et Michel Cabal
Ce dernier Pecqueur était connu des chercheurs depuis déjà quelque temps, s'ils avaient comme moi découvert son existence au hasard d'internet en tombant sur lui alors qu'ils cherchaient de l'information sur l'autre Pecqueur, prénommé Charles. Un site web, animé par le même Michel Cabal était en effet dédié à René. La revue Pays du Nord lui avait également consacré un entrefilet.
Photo parue dans La Voix du Nord (voir notre lien ci-dessous au mot "Turenne"), probablement tirée des archives de la famille Pecqueur ; Charles pose devant la tête de Blanche-Neige
D'étonnants jardins apporte aussi une information actualisée sur son homonyme, Charles Pecqueur, créateur d'un site important à Ruitz, constitué de fresques et de statues et qui fut photographié et décrit à de nombreuses reprises dans les ouvrages centrés sur les environnements créatifs populaires, comme ceux de Bernard Lassus (1977), Jacques Verroust (1978) ou encore Francis David (1984). Dans ce livre de l'Inventaire, on trouve du reste un texte de Lassus qui revient sur sa propre enquête des années 60, époque à laquelle il découvrit le site de Pecqueur et lança le terme d'"habitant-paysagiste". Nathalie Van Bost, dans la partie du livre plus spécifiquement attachée à montrer des images des sites (fort belles), ajoute quelques informations, notamment sur l'état dégradé des réalisations de Charles Pecqueur, même si sa fresque consacrée à Blanche-Neige paraît tout de même étonnamment bien conservée, cinquante ans après sa confection. N'entendant plus parler de cet environnement, pourtant remarquable (Pecqueur, profitant de sa position de maire de la commune de 1946 à 1965 avait décoré au départ un rond-point de la petite ville avec Blanche-Neige et ses sept nains ; lorsqu'il n'exerça plus ce mandat, il rapatria comme il put des fragments de ce décor dans son propre jardin, une photo dans le livre nous montrant au passage qu'existe toujours la Blanche-Neige du rond-point), n'entendant plus parler de ce site donc, je m'étais figuré qu'il ne devait rien en rester. Dans les explorations que je fis, en 1989 d'abord, puis par la suite pour les besoins du film Bricoleurs de paradis, je ne poussai pas jusqu'à Ruitz. Or, il faut toujours aller vérifier sur place les sites, même s'ils furent indiqués à des époques éloignées. C'est grâce à son fils, aujourd'hui sexagénaire et prénommé joliment Turenne, que la maison de son père a pu être préservée, même si on peut se demander jusqu'à quand... L'endroit pourrait constituer un jour -rêvons un peu- un de ces centres de documentation et de ressources qui serait spécialisé sur la question des environnements populaires et singuliers. La municipalité de Ruitz ne se sentirait-elle pas concernée?
Un détail des mosaïques de Remy Callot à Carvin (Pas-de-Calais), ph. Bruno Montpied, 2008
L'ouvrage de l'Inventaire contient beaucoup d'informations donc, et des études historiques sur la fonction des jardins de mineurs qui étaient destinés à leur assurer un complément alimentaire de qualité pour leur santé. Le temps passant, les mines fermant les unes après les autres, la notion de jardin évolua pour certains héritiers ou nouveaux arrivants vers une utilisation plus créative ou commémorative (plusieurs habitants aimant à préserver la mémoire des mines).
Le jardin de mineur de Concetta et Michele Sassano à Wingles ; lui aussi se retrouve dans l'ouvrage D'étonnants jardins ; ph. BM, 2008
Des sites de qualité naïve affirmée, comme celui de Jean Cathelain par exemple, à Billy-Montigny, ou celui du "Jardin au titan" d'Alain Lefranc à Waziers, sont par ailleurs dévoilés, à ma connaissance, pour la première fois dans ce livre, tandis que d'autres, du genre accumulatif et sans grande mise en scène (tendance hélas de plus en plus fréquemment rencontrée, comme si tous savoir-faire et techniques avaient été perdus dans les milieux ouvriers), ou du genre miniaturistes et faiseurs de maquettes, peuvent laisser assez indifférents (sites de Jean-Philippe Carlier, ou de François Golebiowski par exemple)... On rencontre aussi ici et là dans ce mini-inventaire des sites actuels du Nord-Pas-de-Calais des environnements qui paraissent davantage relever d'une création cultivée, et donc plus d'un environnement d'artistes, ce que j'appelle personnellement un "environnement singulier" (exemple de Philippe Hermez, et du sculpteur anonyme de Marchiennes, ou encore de "la maison du pirate" repérée par les enquêteurs dans la région de Dunkerque).
Cependant, on trouvera là, au final, un ouvrage que tous les mordus des environnements populaires spontanés auront à cœur de se procurer pour compléter leur documentation sur le sujet. Entre autres librairies où on peut le trouver, à Paris, à la librairie de la Halle Saint-Pierre bien sûr, mais aussi à la librairie de la Caisse des Monuments Historiques dans l'Hôtel de Sully, rue Saint-Antoine dans le Marais.
30/11/2015 | Lien permanent | Commentaires (2)
Grandeur et décadence du jardin zoologique de Raymond Guitet
De tous les sites et environnements imaginés par des autodidactes d'origine populaire, j'ai un faible pour le "jardin zoologique" de Raymond Guitet qui agonise à Sauveterre-de-Guyenne dans ce que l'on appelle l'Entre-Deux-Mers, les "mers" en question étant la Dordogne et la Garonne. Je l'ai visité trois fois. Une première en 1988, une seconde en 1991 et la troisième tout récemment en mai 2008 (je fêtais l'anniversaire de ma première visite faut croire, mais ce fut une triste fête, le jardin est en voie de complet anéantissement).
En 1988, avec Christine et Jean-Louis Cerisier, aux portes de la bastide de Sauveterre, en demandant à des personnes assises sur un banc si on était encore loin du jardin, on s'était vu rétorquer que non, mais "c'est qu'il n'y avait plus rien là-bas"... Celle qui nous renseigna s'avèra une proche parente de Guitet (ce dernier étant décédé depuis un petit bout de temps, au moins trente ans). Une fois sur place -le site était à une centaine de mètres-, nous nous avisâmes qu'il y avait encore beaucoup de statues, certes en mauvais état (beaucoup étaient fissurées, avaient perdu leur ciment, montrant les infrastructures en tôle rouillée sur lesquelles l'auteur avait coulé le ciment, certaines statues avaient été enlevées...). Ainsi, il y avait encore quelque chose, et simultanément aux yeux des proches "il n'y avait plus rien". Cela me fit réfléchir. Les créations de Raymond Guitet avaient été associées par cette femme de façon tellement étroite à Guitet de son vivant que celui-ci une fois mort, sa création avait disparu aussi à ses yeux...
Ces statues avaient un aspect rugueux, surtout parce qu'à cette époque elles avaient perdu leurs couleurs. Car elles étaient peintes, comme on peut s'en convaincre en regardant les photos, vraisemblablement du début des années 70, de Jacques Verroust, publiées dans son livre de 1978 (écrit avec Jacques Lacarrière) Les Inspirés du Bord des Routes (Le Seuil éditeur). Je fais comme ces auteurs au fait, j'orthographie Guitet avec un "t", comme le créateur lui-même l'orthographiait, il n'est que de lire les panneaux en ciment où il a apposé plusieurs fois son nom (l'orthographe avec deux "t" se trouve notamment dans les livres de Claude Arz sur la "France insolite" par exemple, et dans des ouvrages anglo-saxons qui ont recopié cette graphie à partir de Arz).
Les statues étaient disposées leur face tournée vers la route, à l'intention des passants sans l'ombre d'un doute, derrière un portique décoré de statuettes où un médaillon en ciment proclamait fièrement "L'an 1950 jardin zoologique de Sauveterre créé par R.Guitet". Au revers, une autre inscription ajoutait cette précision: "à l'âge de 75 ans". Ce portique existe encore aujourd'hui, mais la première inscription a été maladroitement badigeonnée de ciment, et il ne reste plus qu'une statuette pendouillant lamentablement (une sorte de lutin avec un bonnet). 75 ans en 1950, je m'étais dit que Guitet avait donc dû naître vers 1875, ce qui faisait de lui un créateur avec un pied culturel dans le XIXe siècle. On a donné la date de 1956 pour sa disparition (Jean-Louis Lanoux, voir bibliographie à la fin de cette note) , qui a donc suivi de près la réalisation de son jardin, elle-même étalée, finalement, sur un assez court laps de temps. Pour le reste, on ne sait pas grand-chose sur Raymond Guitet. J'ai retrouvé dans mes notes de 1988 qu'il aurait exercé le métier de charron, puis de marchand de fruits. Patrick Riou le signale quant à lui comme "cantonnier", ce qui a été répété ensuite sans confirmation de la véracité du fait...
Le jardin zoologique, plus très zoo, plus très logique... ; il reste trois grandes statues lézardées, un ou deux animaux, le portique, mais c'est bien tout... ph.B.Montpied, mai 2008
Pour faire un peu progresser la bio de ce créateur magnifique mais peu prolixe (on ne connaît de lui que cet unique jardin paysagé de quelques dizaines de mètres carré), je suis allé demander à J-L. Lanoux où il avait trouvé la date de la mort de Guitet. Il a eu la grande amabilité de me communiquer les dates exactes de naissance et de mort: 18 juin 1876-13 janvier 1956, ainsi qu'une copie d'un document intéressant. Il a été en contact avec une habitante de Sauveterre s'intéressant au "cas Guitet". Cette dame avait également ajouté les précisions suivantes: "(...) marié à 22 ans à Marie Barthélémy (27 ans). Profession jardinier. (...) Homme vaillant, a élevé quatre enfants. Il fut adjoint au maire en 1929 et en 1940. Il faisait les marchés, notamment volailles, oies, oeufs. Il avait créé également une petite scierie. Une de ses filles mariée au Maroc l'avait mis en contact avec un exportateur d'agrumes et avec toutes ces activités il avait à ses moments de détente élaboré ce jardin "zoologique" que le temps inexorable a griffé bien sérieusement..." (Extrait d'une lettre de Mme G. à J-L.Lanoux, 17 avril 1990). La mairie actuelle, comme on le voit, aurait pu prendre davantage soin de l'oeuvre d'un des anciens responsables, petite remarque en passant...
"Zoologique", pour qualifier ce "jardin" m'a toujours paru curieux... Guitet avait campé des animaux certes, un singe avec un boulet (disparu), un serpent, un lièvre debout (disparu), un chien (encore en place aujourd'hui), plusieurs oiseaux, des oies, des dindons, des vautours avec leurs nichées (dont un oeuf en train d'éclore dans un des nids ; ces vautours perchés sur des aquariums sans eau où étaient suspendus des poissons sont actuellement absorbés dans les buissons et les arbres qui ont envahi l'arrière du jardin), un ou deux lions (dans la saynète représentant un dompteur de "cirque", saynète elle aussi disparue)... Mais ce que l'on remarquait avant tout, c'était les statues représentant des êtres humains, personnages célèbres de l'histoire de France, comme le général Leclerc (statue toujours en place), Jeanne d'Arc (en place), le général (sic) De Lattre de Tassigny (en place), des autoportraits (il y en avait deux à deux tailles différentes, statues aujourd'hui toutes les deux disparues...) et des saynètes de type caricatural ("T'en fais pas, la Poste marche si mal", groupe de deux petites statues qui avait déjà disparu avant 1988 ; on connaît leur existence par les photos de Jacques Verroust et de Patrick Riou, elle se situaient aux pieds du singe sur son arbre ) ou illustrant un dicton ("Crédit est mort, les mauvais payeurs l'ont tué", groupe abîmé en 1988, disparu en 2008). Il est probable que Guitet n'avait pas trop fait attention à cette petite contradiction. Mais du coup les braves généraux et la célèbre pucelle se retrouvaient embringués dans une drôle d'Arche de Noé...
Plusieurs statues pouvaient être identifiées grâce à des inscriptions gravées dans le ciment de socles ou de médaillons placés au sol devant les statues. Une de ces inscriptions que j'ai photographiée déjà bien abîmée en 1988, et qui était alors installée à même le sol au risque d'être recouverte par la végétation, avait été à l'époque des photos de Jacques Verroust dressée contre les jambes de la grande statue représentant Guitet. Voici ce qu'elle disait:
Inscription sur une galette de ciment posée à même le sol (et rehaussée par moi) ; disparue aujourd'hui... Photo B. Montpied, 1988
La statue comportait elle-même une inscription à ses pieds qui identifiait Guitet sous les traits de cet homme à gilet et casquette, en sabots, tenant un oiseau sur le poignet: M.Guitet créateur du jardin zoologique de Sauveterre [...]. Ce terme de "créateur" est à souligner. Il est assez rare qu'un de ces créateurs d'environnement spontané qualifie lui-même de façon aussi nette son activité. Le terme d'"artiste", on le voit en tout cas, n'a pas été retenu par l'auteur lui-même (à nos yeux de façon tout à fait pertinente).
L'autre statue autoportraiturant Guitet le représentait, dans des dimensions nettement plus réduites par rapport aux quatre autres statues placées sur la même ligne au fond du jardin, avec un immense chapeau (peut-être traditionnel?) et des accessoires qui paraissent comme les attributs d'une profession (une corde autour de la taille?). Est-ce une petite roue qu'il porte sur l'épaule gauche (où sur ma photo de 1991, se tient un morceau écroulé du chapeau)? Toutes ces précisions auraient pu être apportées par la moindre recherche d'un érudit régional qui serait allé enquêter auprès de la famille. Il n'est pas dit que cette enquête n'ait pas été menée (comme on le sent dans les recherches de Lanoux qui datent de 1990). Mais pour le moment, nous n'en avons pas entendu parler.
Ce jardin était une merveille. Ses statues, son ordonnancement, l'idée de placer en son centre un bassin (quadrilobé, joli mot précis, n'est-ce pas Jean-Louis?) qui était rempli d'eau autrefois (on en voit sur les photos de Jacques Verroust), d'où émergeait l'étrave d'une barque avec un marin juché dessus brandissant une pagaie, et qui comportait, semble-t-il lui aussi une inscription que cite Patrick Riou dans son livre ("15 juin date mémorative") -peut-être un souvenir de combats auxquels Guitet aurait pu participer? Hypothèse que j'aventure... La naïveté de sa conception, de sa facture, naïveté rugueuse et non mièvre... comme je les regrette à présent que tout est parti à vau-l'eau. Son Leclerc qui ressemble encore un peu à un Golem, sa Jeanne d'Arc à quelque solide guerrier africain, et l'air quelque peu éberlué de son De Lattre ne donnent plus qu'un faible écho de ce que l'on ressentait en découvrant ce petit théâtre de verdure avec ses simulacres en plein vent.
Je l'ai déjà égrenée la liste des statues anéanties, ou volées (ce qui est un des espoirs qui nous restent, que ces statues ressortent un jour sur quelque brocante, et c'est parfois la dernière solution qui reste lorsque toutes les bonnes volontés ont été épuisées pour sauver légalement un site dont les successeurs ne veulent rien faire), mais il faut la redire, en une litanie résignée: plus de singe au boulet et de serpent autour de l'arbre, "Crédit est mort" et bien mort..., plus de marin sur son esquif, où sont passés "les trois sages" qui "voyaient, entendaient tout, mais ne disaient rien" (et dont les conseils auront finalement été bien trop entendus)? Envolés... Plus de cirque miniature, plus de lièvre, plus aucun autoportrait de Raymond Guitet, plus d'animaux, dindons cocasses, vaguement ubuesques. Le terrain bâille à la mort, tout est déséquilbré, infirme, il ne reste plus que l'attente d'un coup de grâce...
Bibliographie sur Raymond Guitet:
Jacques Verroust et Jacques Lacarrière, Les Inspirés du Bord des Routes, Le Seuil éditeur, Paris, 1978.
Patrick Riou, Les Jardiniers du Quotidien, ou l'art populaire dans le grand Sud-Ouest, Patrick Riou, Toulouse, 1984 (vraisemblablement).
Bruno Montpied, Le Ciment des Rêves, une promenade chez quatre créateurs de sites naïfs ou bruts du Sud-Ouest [François Michaud, Gilis, Raymond Guitet et Gabriel Albert], in Plein Chant n°44, Bassac, printemps 1989. Ce texte est émaillé de petites erreurs que j'ai plaisir à corriger aujourd'hui (attributions de noms erronés aux statues de Guitet, erreur sur le nom de Gabriel Albert, coquilles de l'imprimeur, n'en jetez plus)... Ce texte n'en reste pas moins le premier à parler de Guitet, les deux ouvrages précédents ne montrant que des photos sans apporter beacoupde commentaires. La briéveté de ma visite, ses conditions de clandestinité (nous avions tout de même sauté sans autorisation la petite clôture...), le fait que j'ai surtout photographié à tour de bras et filmé aussi en Super 8 ce jour-là (avec la crainte d'être embêté par les voisins), tout cela est grandement responsable des erreurs d'interprétation. Mes successeurs eurent beau jeu de les rectifier, à partir de ce premier jet. Mais il est vrai aussi que la vérité se construit à plus d'un.
Jean-Louis Lanoux, L'autre vie de Raymond Guitet, Bulletin de l'Association les Amis d'Ozenda n°44, septembre 1991. Dans cet article Jean-Louis concluait en demandant, optimiste comme on le connaît: "Alors, pour Raymond Guitet, une autre vie demain?". On a vu la réponse, hélas.... Cette autre vie risque fort de ne plus exister que dans nos mémoires, photographiques ou autres. Merci en tout cas à J2L qui s'est gentiment fendu pour notre blog de ses informations inédites sur Guitet.
(Il y eut d'autres personnes par la suite qui parlèrent un peu de Guitet, mais rien de fondamentalement nouveau ne fut apporté, semble-t-il (mais nos lecteurs peuvent très bien nous communiquer d'autres références que nous n'aurions pas vues) ; on se contenta de publier des photos et de recopier platement ce qui avait déjà été écrit (sans citer ses sources bien entendu), je pense notamment au plumitif peu inspiré qui livra un texte sans relief dans Zon'Art n°5, au printemps 2001, "La curieuse zoologie de Raymond Guittet" (sic) )
31/05/2008 | Lien permanent | Commentaires (7)
Dessins de José Guirao
Il y a quelque temps j'avais publié une photo au "couteau subtil" de José Guirao, datant d'une époque déjà ancienne. Et le voici qui dessine à présent. J'en profite pour inaugurer une catégorie nouvelle (voir colonne de droite), sans commentaires, que j'intitule "Tel quel" (je sais, ça existe déjà, mais là je l'emploie dans le sens ordinaire).
Le dernier a un petit côté Albert Louden, je trouve (ah, zut, j'avais dit, pas de commentaire...)
07/06/2014 | Lien permanent | Commentaires (5)
Causerie pour situer François Michaud parmi les autres environnements spontanés
"François Michaud, première trace des environnements spontanés populaires. Sa proximité avec les autres créateurs autodidactes de son temps, et ses successeurs au XXe siècle. L'environnement spontané, un art de l'immédiat à part entière, illustré par de nombreux exemples choisis en France", tels sont le titre et les sous-titres de la causerie que je vais être amené à faire à la Maison de la Pierre, à Masgot même, dans la Creuse, berceau de l'oeuvre de ce tailleur de pierre, créateur du plus ancien des environnements spontanés qui nous aient été conservés en France, puisque commencé dans les années 1850-1860 et achevé sans doute avec la mort de son auteur en 1890 (il était né en 1810, ce qui en fait un phénomène de longévité en ce XIXe siècle impitoyable pour les gens de peu). Cela aura lieu le samedi 9 mai prochain à 20h30.
Je donne à la suite le plan que j'ai rédigé pour l'association des Maçons de la Creuse, animée notamment par Roland Nicoux, afin qu'on se fasse une petite idée de la tournure de cette conférence (que devraient accompagner pas moins de 190 photos... Mais j'ai sans doute compté trop large!):
François Michaud
Premier d'une tradition de créateurs autodidactes d'environnements en plein air
Il s'agit de resituer le décor du village de Masgot du tailleur de pierre François Michaud dans le contexte général des environnements populaires spontanés qui ont fleuri en France depuis deux siècles au moins. Ces créateurs d'environnements sont parfois aussi appelés « Inspirés du bord des routes », « bâtisseurs de l'imaginaire », ou encore « habitants-paysagistes ». L'environnement de Michaud, avec ses statues exposées sur les clôtures autour de ses maisons, est actuellement le plus ancien de ce type à avoir été conservé en France.
La causerie, constamment illustrée d'images numérisées (190 au total) s'attachera d'abord à présenter les environnements ou les sculptures populaires qui ont été repérés avant la période où fut décoré Masgot, grottes sculptées, croix de chemin, chapelle naïve d'un sculpteur solitaire prés de Gap, linteaux rustiques, bas-relief, sculptures par d'autres tailleurs de pierre et hommes du peuple, etc...
Nous glisserons ensuite vers la présentation de quelques œuvres de Michaud histoire de se les remettre dans l'œil avant de montrer un ensemble aussi vaste et varié que possible d'autres pièces créées dans des jardins d'inspirés et d'originaux en tous genres. Dans un premier temps, la causerie se focalisera sur des thématiques, les « Barbus Müller », ou le thème de la sirène par exemple, présente dans l'œuvre de Michaud et souvent traitée dans plusieurs autres environnements apparus au XXe siècle (chez Fernand Châtelain dans la Sarthe, Hippolyte Massé aux Sables d'Olonne, René Escaffre dans le Lauragais, Martial Besse dans le Tarn-et-Garonne, René Jenthon dans l'Allier, Alfonso Calleja sur le bassin d'Arcachon, ou Remy Callot dans le Nord).
Napoléon est un autre thème très présent à Masgot, il rejoint la légende napoléonienne telle que l'ont illustrée de nombreux sculpteurs populaires, anonymes ou non, au XIXe siècle (comme le sabotier Jean Molette dans le Rhône par exemple). Cette façon d'afficher ses admirations pour des personnalités célèbres en sculptant leurs effigies dans le décor de sa vie quotidienne se rencontre chez nombre de créateurs d'environnements, et ce de tous temps (voir les environnements de Gabriel Albert en Charente, Emile Taugourdeau dans la Sarthe, Raymond Guitet dans l'Entre-Deux-Mers). Il est à noter que de nombreux sculpteurs autodidactes ont aussi taillé des monuments aux morts, de façon naïve, comme Michaud lorsqu'on lui passa commande d'un buste de Marianne pour la mairie de Fransèches. Une sélection de quelques monuments aux morts naïfs sera ainsi présentée.
Une petite parenthèse sera ouverte pour présenter également les sites naïfs ou bruts réalisés par des ecclésiastiques excentriques, contemporains de François Michaud, comme l'abbé Fouré dans l'Ille-et-Vilaine, ou l'abbé Paysant dans l'Orne. On les rapprochera de l'humble mystique que fut Raymond Isidore, dit Picassiette, au siècle suivant.
Le Palais Idéal de Ferdinand Cheval dans la Drôme sera l'occasion de montrer que les autodidactes inspirés ont su aussi s'attaquer à des projets plus nettement architecturaux. S'inspirant parfois les uns des autres, comme dans le cas de Charles Billy dans le Rhône qui, inspiré par le facteur Cheval, dressa autour de sa villa un vaste collage de maquettes en pierre imitant des bâtiments célèbres du monde entier. L'architecture excentrique populaire peut parfois revêtir des aspects tour à tour muséaux (exemple du Castel Maraîchin à Croix-de-Vie en Vendée avec ses moulages à vocation pédagogique et encyclopédique, ou la maison de François Aubert dans le Cantal avec son musée minéralogique), ludiques (Camille Jamain en Touraine, ou Ludovic Montégudet dans la Creuse, créateurs de parcs de loisirs bricolés naïvement avec attractions faites main), parfois farceurs (Alphonse Gurlhie en Ardèche).
Parmi les créateurs d'environnements, la causerie a choisi de se concentrer sur les créateurs de statues puisque Michaud en a lui-même réalisé un certain nombre. Ces hommes simples rassemblent sur des terrains plantés d'arbres et de fleurs, dans une scénographie étudiée, pêle-mêle, hommes célèbres ou personnifications de métiers, comme chez André Hardy dans l'Orne, Charles Pecqueur ou Léon Evangélaire dans le Nord, Marcel Debord dans le Périgord.
Puis la causerie se déplacera insensiblement vers des environnements aux styles plus caractérisables dans le sens de ce que l'on appelle l'art brut, permettant au public de se faire une idée des distinctions possibles entre ces catégories aux limites poreuses que sont l'art naïf, l'art populaire et l'art brut. On verra ainsi des pièces venues des sites d'André Morvan dans le Morbihan (souches d'arbres et branches assemblées de manière anthropomorphe dans un style arcimboldesque), Jean Grard et ses manèges, statues et maquettes colorées et enfantines en Bretagne, Arthur Vanabelle dans le Nord avec ses canons et ses chars construits avec des matériaux recyclés afin semble-t-il d'exorciser le souvenir de la guerre vécue lorsqu'il était enfant, les statues de silex collés de Marcel Landreau à Mantes dans les Yvelines, le jardin de déchets accumulés de Bohdan Litnianski dans l'Aisne, le jardin aux girouettes et vire-vents de Monsieur P. en Vendée, le jardin du forgeron Maurice Guillet faisant de l'art moderne en autodidacte, ambition originale, ou encore le jardin de bidules emberlificotés d'Yves Floch en Normandie. Pour finir, seront présentées quelques sculptures d'Auguste Forestier qui en dépit du fait qu'elles sont rangées usuellement dans le corpus de l'art brut présentent de forts rapports de cousinage avec l'art populaire.
28/04/2009 | Lien permanent
Le jardin d'Emile Taugourdeau danse encore dans les ronces
Qu'est-ce que ça devient chez Emile Taugourdeau, le maçon disparu en 1989, qui avait laissé derrière lui dans son jardin des dizaines et des dizaines de statues naïves, brutes, immédiates, ce qui constituait un des environnements de statues naïves ou brutes parmi les plus importants de France? Vingt ans qu'il est décédé, et pas de commémoration pour lui (il n'aura pas eu la chance d'un Chomo par exemple, plus artiste sans doute et reconnu comme tel par ses pairs).
Il était en concurrence, au point de vue strictement quantitatif bien entendu, avec le jardin de Gabriel Albert à Nantillé en Charente-Maritime (on y a dénombré environ 400 statues, chez Taugourdeau, cela devait être approchant), lui aussi désormais en grand péril. On a parlé de lui autrefois (et abondamment, ce qui me justifie de venir en reparler aujourd'hui: Francis David le tout premier dans Les Bricoleurs de l'imaginaire, Jean-Louis Lanoux dans Plein Chant n°45, Taugourdeau étant alors encore de ce monde, puis après sa mort, dans ce fatras qu'était le Guide de la France Insolite de Claude Arz, etc.).
Un article dans un journal spécialisé dans la brocante, longtemps aprés la mort de l'auteur, eut paraît-il une influence néfaste, car à la suite de cette publication qui aurait fait trop de bruit, on vola certaines statues qui étaient sans surveillance (les statues que M. Taugourdeau exposait de l'autre côté de la route, en face de sa maison, les laissant avec confiance pour la récréation de tout un chacun qui passait sur ces petites routes charmantes de la Sarthe).
Le silence retomba. Certains familiers du site, continuant de lui rendre visite secrètement (à noter un article du modeste Zon'Art, vers 2003, si je me rappelle bien), familiers qui récupéraient au passage certaines pièces qui étaient à vendre (et ils faisaient bien, faute de mieux)... Personnellement, j'y étais passé en 1991, en compagnie de la photographe et artiste Marie-José Drogou, afin de fixer sur pellicule le plus possible d'oeuvres. J'y suis revenu longtemps après, en 2003, puis récemment donc en juillet 2009.
Chez Taugourdeau, il y a (il y avait) beaucoup d'animaux, des cervidés, mais aussi des crocodiles, des dinosaures, des serpents, des chiens, des chevaux, et énormément de volatiles. Et aussi des footballeurs lilliputiens (les équipes, les buts, rien n'était oublié, ça grouillait, il fallait faire attention de ne pas buter sur eux). Un Bernard Hinault (il est tombé par terre, c'est pas la faute à Voltaire, mais plutôt la tempête dernière). Une voiture ancienne avec passager et chauffeur (plus de poussière soulevée par ses roues, mais du lierre à la place qui grimpe vaillamment à l'assaut).
Des carrioles conduites par des hommes paraissant porter sombreros (la forêt, les ronces les ont-elles mangés? Je ne les ai pas revues à mon dernier passage en juillet dernier).
Taugourdeau paraissait aimer les personnages, principalement couverts de chapeaux. Les sombreros revenaient souvent, semblant indiquer une fascination du créateur pour les Mexicains (il avait représenté deux Mariachis, les guitares absentes de leurs mains à mon passage en 1991). Il y avait aussi, récurrents, des petits couples gentils, des couples de danseurs certes immobiles mais paraissant tourner sur eux-mêmes simultanément, des grenouilles cachées comme des larves dans des jardinières carrées montées sur pieds.
Des arbres de ciment - toujours le ciment - aux branches couvertes d'oiseaux. Des pêcheurs à la ligne, oui aussi en ciment, qui cherchaient à prendre des poissons eux-mêmes en ciment (c'était les premiers sujets que commença Taugourdeau après s'être essayé à un canard). Des mariés qui dansaient galamment sous les arbres. Des cigognes aux longs cous. Un phacochère. Une déesse Kali (du moins l'ai-je identifiée ainsi, on l'a appelée aussi "la magicienne") plutôt du genre souriante, des serpents sur les bras (elle est toujours là, à mon passage en juillet dernier, je lui ai remis sur les bras les serpents qu'un antiquaire indélicat avait jetés par terre, à ce que me confia Mme Taugourdeau). Un moulin avec son petit meunier (il avait le bras fendu, on l'a acheté, puis emmené à l'abri ailleurs, loin de cette jungle). Il y avait (oui, toujours l'imparfait) deux cavaliers sur deux chevaux qui avaient l'air de fendre les airs pour aller où? On en a vu filer un récemment encore, du côté de L'Isle-sur-la-Sorgue sur une brocante, à l'évidence échappé du jardin de M. Taugourdeau (voir ci-dessous le cavalier encore en place en 2003). Il est resté le second, une variante, avec de subtiles différences, de l'ordre de quelques centimètres de plus ou de moins (j'ai vérifié, il a les jambes plus longues, des étriers plus dégagés de la masse de ciment...)
Il y avait, surtout, plus oubliés encore que les statues, d'étonnants tableaux de ciment teint dans la masse, d'une très belle facture naïve. Dans le jardin, exposés à la merci des intempéries, leurs couleurs ravivées à chaque pluie.
Qu'ils étaient beaux, ces tableaux... Et que le coeur me fend de les imaginer perdus, brisés, cassés? Ici ou là, tassés parfois à plusieurs contre un mur de parpaings, petit à petit couverts de terres, de mousses, enserrés par des racines accrocheuses, on en redécouvre, en les feuilletant d'un bras qui les retient de tomber pendant que l'autre prend la photo.
D'autres disparaissent sous la couleur uniformément verdâtre qui glace l'ensemble de l'oeuvre encore en place (les statues ne sont pas fendues, résistant encore bien malgré vingt ans sans entretien à l'air libre depuis la mort de leur créateur).
Peut-être que certains ont été tout simplement vendus? Car c'est ce qui arrive, la famille laisse partir par petits bouts les oeuvres du jardin, tantôt chez des amateurs désireux de sauvegarder ces chefs-d'oeuvre naïfs, tantôt à des brocanteurs peu scrupuleux qui acquièrent à bon compte des jardinières en mosaïque, en renversant au passage les statues qui ne les intéressent pas, et qu'ils ne songent pas une minute à relever, l'affaire étant faite. C'est ainsi, il ne semble pas qu'aucune autre possibilité de sauver ce qui resterait encore à sauver puisse se mettre en place désormais. Il reste des écrits, des photos, peut-être des films, et quelques statues échappées chez les uns et les autres pour garder la mémoire de cette magnifique création.
Le jardin, encore visible un peu il y a cinq ans, un jour que nous le visitions après un nettoyage saisonnier, se couvre à d'autres moments d'une végétation qui semble partie pour le dévorer complètement. Le redécouvrira-t-on un jour comme on a découvert les temples mayas dans la jungle du Yucatan?
03/12/2009 | Lien permanent | Commentaires (2)
Pour servir à l'histoire de Marie-Louise et Fernand Chatelain, à Fyé dans la Sarthe (1)
Des photos qu'un camarade m'a transmises récemment m'ont ces jours-ci poussé à me préoccuper à nouveau des Chatelain, Fernand et Marie-Louise, qui vivaient à Fyé dans la Sarthe.
Fernand, boulanger, puis agriculteur à la retraite, auteur de dizaines de sculptures qu'il avait placées le long de leur terrain en bordure de la route du Mans à Alençon, était le maître d’œuvres, mais sa femme le secondait de ses conseils et surtout le soutenait dans sa marotte, ce qui n'a pas toujours été le cas chez d'autres créateurs de leur acabit (je songerai toujours à la femme de Virgili qui m'engueula, moi et un copain, en me traitant de "bougnoul" et autres noms d'oiseau, en m'engageant sans plus de manières à quitter le jardin où Virgili pourtant nous avait reçus avec amabilité - au Kremlin-Bicêtre - et continuait d'ailleurs de nous parler, en chuchotant: "ne faites pas attention, elle n'a pas toute sa tête, vous savez...").
Les Chatelain ont été connus d'abord bien sûr grâce à des articles dans la presse régionale, puis grâce aux ouvrages de Claude et Clovis Prévost, notamment le catalogue des "Singuliers de l'Art", l'exposition du musée d'art moderne de la ville de Paris, organisée en 1978. A cette époque, Chatelain avait confié aux Prévost qu'il avait commencé son environnement une douzaine d'années auparavant, donc au milieu des années 60. Né en 1899, il est mort en 1988. Les photos de Clovis Prévost semblent dater des années 70 (les dates sont importantes à propos des environnements!), et donc, paraissent pouvoir être prises comme base d'appréciation pour juger des couleurs, des techniques qu'employait Châtelain pour ses statues étonnantes.
Car cette œuvre (oui, n'en déplaise aux esthètes, on peut parler d'une œuvre) et cet environnement surprenaient par sa facture et son inspiration. Ils sont très différents des autres sites où se dressent des statues, plus naïves, ou relevant davantage d'un réalisme poétique (comme chez Gabriel Albert en Charente-Maritime, par exemple, ou chez Emile Taugourdeau dans la Sarthe lui aussi). Parmi les statufieurs, Chatelain était à part. Ses centaures, ses anges, ses bêtes fantastiques, parfois sans tête et siamoises (voir les deux animaux placés en 1983 sous les centaures dans notre photo en noir et blanc), ses diables, ses animaux et personnages toujours invariablement drolatiques, ses saynètes cocasses et infantiles, je n'en ai guère vu de pareils dans le corpus des environnements populaires.
Donc, oui, ce site était pour cette raison attachant, et nombreux étaient les amateurs qui ne se résignaient pas à le voir disparaître. On sait que depuis deux ou trois ans deux associations, en partenariat avec la mairie de Fyé, se sont occupées de restaurer le site gravement endommagé avec l'aide financière de la communauté de communes (on a parlé de 150 000 € débloqués...). J'étais personnellement passé en 2002, et j'avais enregistré ces dégâts sur les statues, qui, je dois aussi le dire, gardaient malgré la mort inscrite partout sur ces ciments fissurés, parfois éclatés, un certain charme, le charme qui s'attache aux ruines, comme on le sait depuis les romantiques et les folies du XVIIIe siècle (pensons au Désert de Retz). Ces restaurateurs, selon le plan de campagne des travaux, devaient normalement achever le chantier de remise en état de la quarantaine de statues répertoriées (mais il a dû y en avoir beaucoup plus, car certaines avaient été cassées, volées, ou données par l'auteur) cette année 2008.
Ces restaurateurs étaient armés de la meilleure bonne volonté, en apparence, à l'égard de l’œuvre de Fernand Chaâtelain. Effectivement, l'état dégradé de celle-ci faisait mal au cœur. Ils se sont documentés, notamment en regardant les photos de Clovis Prévost (leurs Centaures restaurés se basent à l'évidence sur les Centaures photographiés par Prévost dans les années 70, par exemple, or ces Centaures en 1983, possédaient d'autres sujets à leurs pieds, qui complexifiaient davantage la composition). Il semble qu'on se soit aussi basé sur des clichés de différentes périodes (et les images ne doivent pas manquer sur ces sites, abondamment photographiés par d'innombrables visiteurs et voyageurs). A quelle date doit-on s'arrêter pour choisir ce que l'on va décider de fixer par la restauration? Au début, au milieu, à la fin de l’œuvre? Chez Chatelain, les statues se métamorphosaient, soit du fait de la volonté ou des caprices des auteurs, soit à la suite des actes indélicats et du vandalisme (le sabot géant où est juchée à son sommet une étrange bête qui tient des animaux en laisse comme au bout de cannes à pêche n'eut pas toujours ces occupants ; il fut un temps où un énorme personnage assez grotesque et carnavalesque remplissait ce sabot de sa présence disproportionnée).
Il semble que les restaurateurs aient choisi sans trop faire attention à la question de l'époque. Les centaures sont restaurés d'après les années 70, et l'homme qui salue ("Bonjour aux promeneurs") au bord de la nationale est restauré tel qu'il était à la fin de l'existence de Chatelain (car le "salueur" lui aussi a eu des variantes). Cela donne donc un jardin avec des statues fixées à des stades correspondant à des époques distinctes. On a désormais affaire en 2008 à un nouvel avatar de ce jardin qui n'appartient plus à Fernand Chatelain à tous les sens du terme (les statues étaient liées à l'habitant, l'habitant n'est plus là, les statues disparaissent aussi, le musée et son inéluctable ossification prennent la place... Seulement, dans le cas de l'art brut, art de l'immédiat par excellence, le contraste est particulièrement choquant - enfin, pour ceux qui perçoivent cette caractéristique de l'art brut...).
Mais il y a d'autres raisons pour ne plus lui attribuer le jardin actuel. Le potager n'existe plus avec sa joyeuse sarabande de statues bizarroïdes, or il mettait une importante touche d'activité productrice à côté de ces œuvres (l'"artiste" avait été aussi agriculteur...), et cela rejaillissait sur ces dernières (voir ci-dessus la photo du sabot et son masque par Prévost). De plus, les statues ont été refaites pour la plupart, l'une des restauratrices, très "interventionniste", a même reconnu qu'elle avait changé les infrastructures, considérant que celles qu'avait mises Chatelain (il n'avait pas 150 OOO euros, certes...) étaient vraiment trop précaires. On n'a pas voulu de ce précaire-là, et on a donc refait les statues en se passant de cette fragilité (en changeant les armatures internes). Pourtant, tout était là, dans cette fragilité. L'esprit de Chatelain résidait là, dans cette légèreté. Ce que l'on a mis à la place n'est donc plus du Chatelain. Il y a eu captation d'héritage... On a tiré Chatelain du côté du cartoon (Laure Chavanne, qui dirigeait la restauration, comme l'avait relevé Pascale Herman sur son blog Les Inspirés du bord des routes, citant un interview de Mme Chavanne publié dans le bulletin Entré Visité Merci n°2, a insisté sur cette référence constitutive à ses yeux du caractère "vivant" de l’œuvre de Chatelain ; elle avoue ainsi l'orientation qu'elle a préféré mettre en avant, sans doute parce que plus en accord avec sa culture personnelle). D'autre part, les statues paraissent vouées à des positionnements dans l'espace qui ne correspondent plus aux emplacements (changeants cela dit) voulus par Chatelain. Enfin, les statues ne sont pas identiques en surface aux statues d'origine: par leur peinture, trop unie et violente, par le lissé des matières, par leur modelé (infiniment moins adroit, bien plus raide, que celui du créateur d'origine), et par toutes sortes de détails que nous signalerons plus en détail dans deux ou trois exemples à venir. Je le répète, Chatelain n'est plus là, on a voulu le continuer en réalité (et pourquoi pas, si rien d'autre ne paraît se présenter? Je m'insurge seulement contre le fait qu'on continue de parler du jardin humoristique de "Fernand Chatelain" alors qu'on devrait plutôt l'appeler de "Laure Chavanne et consorts", ou de "Ferlaure Chatevanne"...), en le cuisinant avec une nouvelle sauce (et on l'a bien "assaisonné"...).
OK, OK, on va dire, c'est facile de critiquer... Qu'auriez-vous fait, vous, à la place? Ce que je sais faire, informer, et fournir des éléments au débat. Ceux qui ricaneront sont des malhonnêtes. Ce sont généralement les mêmes qui, sous prétexte de haine à l'égard de toute réflexion, jugée invariablement comme une perte de temps, imposent leurs vues ou leurs actes, la plupart du temps brutaux et réducteurs, de façon dictatoriale. C'est vrai aussi que l'on peut être abusé par l'aspect flambant neuf de ces statues fraîchement repeintes. Laissons passer quelques années, me dit-on, ça redeviendra comme vous l'aviez connu... C'est oublier le maître d’œuvre qui cette fois n'est plus le même. C'est une collectivité cette fois, et plus seulement un petit pépé isolé travaillant à partir d'un vieux dictionnaire, avec les moyens du bord (mais qui avait la flamme poétique, lui...). Cependant, on pourra aussi se référer à la restauration exemplaire qui a été faite sur le Palais Idéal du facteur Cheval à Hauterives...
J'ai dans mes dossiers des tas de coupures de presse bien obsessionnellement entassées au fil des années. Histoire de laisser un peu la parole aux Chatelain cette fois, je ferai la prochaine note en reproduisant les propos qui leur sont attribués dans un ancien numéro de Libé des années 70. Tirés d'un article publié avant l'exposition des Singuliers de l'Art de 1978. Suspense...
06/10/2008 | Lien permanent | Commentaires (7)
Nuage Vert sauvegarde un sculpteur naïf de la Corrèze
Gabriel Audebert, tel était son nom. Né en 1924, disparu en 2007... C'est une nouvelle découverte dans le champ des créateurs populaires naïfs (plus que bruts, puisque sa production, de bustes de personnalités, d'animaux, se réfère à des sujets pris dans le spectacle de la réalité extérieure). Elle est racontée par Laurent Gervereau, le tonique animateur de l'association et du musée Nuage Vert, basé à Argentat (Corrèze), sur son site web. "Outre une série historique sur les croix de Xaintrie [voir une remarque que je formule plus loin à ce sujet], l’essentiel de son oeuvre consiste en des bustes sculptés de personnages : issus de peintures (Modigliani, van Gogh, Picasso…), du monde politique français (de Gaulle, Chirac, Mitterrand, Giscard d’Estaing…), de la faune (hiboux, bélier, taureau…) ou des anonymes au style art déco."
L'atelier de Gabriel Audebert avec ses sculptures stockées, ph. Nuage Vert, 2021.
Apparemment ce monsieur Audebert, ancien coiffeur, installé un temps à Paris, rue de la Huchette, puis boulevard Saint-Germain, dans le Quartier Latin donc, revenu dans sa patrie d'origine, la Xaintrie (région située à cheval sur les départements du Cantal, de la Corrèze et du Lot), exposait ses sculptures, à base de bois et papier mâché, dans une boutique sur une place du village de Pleaux.
Parmi ses bustes et têtes, on note la présence de Modigliani. Ce n'est pas par hasard à mon avis, tant une certaine propension à faire onduler, allonger ses figures, parfois emmanchées d'un long cou (Modigliani empruntait cela à la statuaire africaine) est partout présente.
On aperçoit à gauche de Gaulle, et parmi les autres sculptures, on reconnaît Giscard, ou van Gogh, ph. Nuage Vert.
Photo Nuage Vert.
Une exposition aura lieu sur le site du musée Nuage Vert, du 2 juillet au 25 septembre, accompagnant la parution annoncée d'un livre sur ce créateur amateur par Marc Décimo, intitulé, paraît-il, Gabriel Audebert. Le carnaval de la comédie humaine et autres masques et bergamasques.
Van Gogh (un peu flippant), ph. Nuage Vert.
Dernière question, il est dit plus haut que ce monsieur Audebert a consacré une partie de son oeuvre aux croix de Xaintrie... Il serait étonnant qu'il n'ait pas alors croisé ce petit calvaire restauré (en 1981) par un autodidacte, nommé apparemment Alrivi (d'après ce que nous avait dit, à moi et à Thierry Coudert, sur place, un voisin), à Rioubazet, que j'avais autrefois noté en lisant un article dans Massif Central magazine. Voir ci-dessous... (Et avis à Nuage Vert, s'ils pouvaient me le confirmer?):
Calvaire de Rioubazet, en Xaintrie (1911-1981), ph. Bruno Montpied, 2020 ; restauré en gardant – naturellement? – le style naïf.
10/01/2022 | Lien permanent | Commentaires (9)
Les constructeurs de Babel, bienvenue à un nouveau site sur les environnements ”visionnaires” italiens
Je reçois de Gabriele Mina, anthropologue italien, la référence de son site, intitulé costruttori di babele et consacré aux environnements visionnaires de son beau pays. L'insertion de ma note ancienne sur Marcello Cammi m'avait fait croiser sa route. Je ne parle guère l'italien, mais j'arrive à peu prés à déchiffrer entre les lignes ce dont il est question, tant nos langues sont proches.
Le terme de land-art s'applique bien en l'occurrence, plus que le terme d'art paysagiste dont il est un proche parent. Je vois une distinction entre ces deux formes d'intervention artistique, car le land-art est davantage la création d'un tableau prenant pour support un territoire donné, alors que l'art du paysage serait plutôt un territoire qui fait recours à des conceptions artistiques dans la réalisation de son dessin. Les deux vont à peu prés à rebours l'un de l'autre... Et c'est vrai qu'un terme en langue étrangère s'est imposé là parce qu'il n'y avait pas de terme équivalent en français.
21/07/2010 | Lien permanent