Rechercher : la maison sous les paupières
Quid du jardin de Michel Nivon?
Tiens, je suis retombé sur un entrefilet que m'avait envoyé l'ami André Bernard en 1992. J'ai plusieurs fois rêvé d'aller vérifier l'information auprès de l'homme dont il cause, un certain Michel Nivon qui, à Montchenu (c'est dans la Drôme juste à côté d'Hauterives où se trouve le célèbre site du facteur Cheval qui a probablement eu une influence sur M.Nivon), en 1991, venait de commencer de décorer son jardin de "pierres bizarroïdes". Je m'étais dit, voilà un exemple d'environnement en formation. Laissons-lui un peu de temps et allons voir. Dix-sept ans après, si les petits cochons ne l'ont pas mangé, il pourrait être intéressant d'aller vérifier comment a évolué ce site en herbe. Si le coeur vous en dit, chers lecteurs du Poignard, je vous missionne pour...
En attendant, voici la reproduction de l'article paru dans le journal régional Le Peuple Libre en octobre 1991.
" L'HERITIER DU FACTEUR CHEVAL
En décorant son jardin de pierres aux formes insolites, Michel Nivon ne pensait pas provoquer une telle vague de curiosité. Sans avoir jamais visité le Palais idéal, il est parvenu à être considéré par certains comme le digne successeur du célèbre préposé hauterivois.
C'est avec philosophie et un amusement non dissimulé que Michel Nivon réagit à sa célébrité croissante. La presse écrite visite depuis quelques semaines son domicile et l'on parle de la venue prochaine à Montchenu d'une équipe de FR3. Cela n'entame pas la modestie de celui qui se définit tout juste comme un "artiste des champs".
Les champs, c'est là que Michel Nivon a trouvé la quasi totalité des pierres bizarroïdes qui ornent les alentours de sa maison d'agriculteur, si l'on excepte quelques "spécimens" découverts dans la Limone et les bois de pins de Cabaret-Neuf. Ramenés à l'aide d'une remorque et d'un tracteur (la brouette du facteur Cheval est dépassée!), ces rocs, dont le plus lourd atteint 50 kg, ont la particularité de représenter des formes précises. C'est donc un personnage assis, une tête souriante, un minaret... qui sont ici ou là imaginés par le visiteur.
Aucune des pierres scellées sur d'étranges murettes n'a été retaillée depuis ce jour du 6 septembre 1989 où Michel Nivon s'est lancé dans son aventure décorative. Ce chantier a occupé tous les moments de loisirs de ce célibataire endurci, à l'exception de 4 journées consacrées à un autre travail ayant rapport avec la roche: la restauration d'une croix en pierre détériorée par l'érosion et les vandales.
Après un mois de juillet particulièrement productif, où une murette composée de pierres extraordinaires, ornées de coquillages et de ferronneries, s'est allongée de cinq mètres sous les coups de truelle de M.Nivon, ce dernier envisage de se reposer jusqu'à la fin de l'année, en attendant de nouvelles réalisations issues d'une imagination pour le moins fertile... comme le laissent présager les amas impressionnants de galets au fond du jardin, sorte de "rocs en stock" attendant leur heure!
D.Thiot "
Une petite remarque pour conclure, "artiste des champs", le terme employé par Michel Nivon me fait beaucoup penser à "l'art rustique moderne" de Gaston Chaissac. Sans se connaître, ces deux-là sont sur la même longueur d'onde...
10/05/2008 | Lien permanent
Bohdan Litnianski, le jardin en péril de Viry-Noureuil
Francis David nous a fait découvrir en 1984 Bohdan Litnianski dans son ouvrage Le Guide de l'Art Insolite Nord/Pas-de-Calais, Picardie (Editions Herscher, Paris), puis longtemps après, Agnès Varda, a fait figurer son étrange jardin dans son poétique documentaire Les glaneurs et la glaneuse, ce qui assurera sans doute à la mémoire de Litnianski de ne pas être trop oubliée lorsque son oeuvre aura disparu de la surface de la terre.
Car cette disparition est en bonne voie, hélas... Me rendant récemment à Amiens pour sa Réderie (brocante), j'ai fait un petit détour par le site de Bodhan à Viry-Noureuil dans l'Aisne. La végétation s'y est développée de façon galopante, si l'on se réfère aux photos du livre de Denys Riout et Benjamin Teissèdre, paru chez l'éditeur Vivement Dimanche (basé à Amiens) en 2004, un an avant la mort de Bohdan Litnianski (ce dernier est né en 1913, il avait donc aux environs de 91 ans), ouvrage qui comportait du reste une préface d'Agnès Varda.
Au point de donner l'impression qu'elle a avalé, telle une jungle vorace et vampire, de l'intérieur, les piliers faits d'objets de rebut agglomérés, les passerelles les reliant entre eux avec leurs nombreuses figurines de baby-foot en plastique, forêt de piliers qui suggérait un Alhambra fantasmagorique recomposé à partir des décharges où allait fouiner perpétuellement ce génial récupérateur de matériaux divers qu'était Litnianski ( son principal métier avait été maçon depuis qu'il était arrivé d'Ukraine en 1930; mais je crois me rappeler que lorsque je l'avais visité en 1989, en compagnie de José Guirao et de Serge Ancelet, il m'avait dit faire alors le chiffonnier). Deux forêts donc, en quelque sorte affrontées...
L'épouse de Bohdan vient à son tour de décéder, à ce que nous a confié un des voisins de la propriété, désormais bien abandonnée. Seuls les piliers du pourtour du jardin apparaissent aujourd'hui, à se demander si Bohdan, ou quelqu'un d'autre n'avait pas déjà fait table rase des piliers de l'intérieur. L'ensemble ressemblant assez aux pyramides maya du Yucatan enfouies sous la jungle d'Amérique Centrale...
J'ai consciencieusement fait le tour, photographiant en détail ce qui se laissait encore voir. Des piliers, nouveaux par rapport à ma visite de 1989, avaient été ajoutés derrière la maison d'habitation, comme réminiscents de fragments du Palais Idéal du facteur Cheval (mais ce n'est qu'un parallélisme de hasard, rendu possible par l'idée, commune aux deux autodidactes, d'ériger des colonnades fantomatiques). Bohdan Litnianski disait qu'il pouvait réaliser une colonne en une journée seulement, empilant ce qu'il trouvait sous la main parmi les matériaux ou objets (beaucoup de poupées) qu'il avait préalablement triés (c'était ce collectage et ce tri qui lui causaient le plus de travail). Mais les rencontres, les voisinages des objets et des formes agglomérés au hasard possèdent à les regarder de prés (et la photographie est un précieux auxiliaire révélateur de ce point de vue) une grande force poétique, comme s'ils avaient été réanimés d'avoir été ainsi incrustés, absorbés dans le grand magma de ce torrent figé charrié par le puissant égoût de la société de consommation-consumation...
Réanimés parce qu'abîmés aussi, regardons ces têtes aux boîtes crâniennes ouvertes, ces têtes échevelées penchées mélancoliquement, cet homme-lion gesticulant, ces poupées aux peaux brûlées couvertes de cloques et semblables à des poupées d'exorcisme...
Quelle étrange unité à travers le disparate et l'apparente incohérence des assemblages... Tout cela ne mériterait-il pas qu'on essaye de le sauver et de le préserver? Les couleurs déjà s'évaporent (les arborescences coralliennes sur les tuyaux par exemple), la grisaille s'installe, le grand mur pignon à droite de la propriété, entièrement fait d'objets et de matériaux hétéroclites maçonnés rigoureusement et solidement devient plus que jamais un Mur des Lamentations érigé au départ face à la société de consommation avec peut-être un peu de malice inconsciente mais prenant un autre sens maintenant que ce jardin est entré dans l'agonie...
04/05/2008 | Lien permanent | Commentaires (13)
Le tailleur, les escargots (suite)... et les boucs?, un texte de Marc Grodwohl
08/10/2007 | Lien permanent
Marges à la sauce parisienne
On a déjà remarqué qu'il n'y avait guère d'environnements bruts sur le territoire des grandes agglomérations. Il faut aller le plus souvent en banlieue pour en trouver (du moins autrefois, car aujourd'hui, il semblerait que même les banlieues deviennent stériles de ce point de vue, surtout la banlieue parisienne). Je l'ai déjà dit dans ma note du 7 mars à propos du géant Isoré. La pression sociale, la promiscuité des grandes villes, l'embourgeoisement aussi (tellement patent à Paris en particulier) en sont cause. Sans compter les réglements liés au bâti, les contraintes des copropriétés...
Dès qu'un individu exerce une action sur son décor à Paris, ce n'est généralement que dans le secret de son intérieur, et lorsqu'il se trouve en place publique cela découle souvent d'un comportement à la limite du pathologique triste. Un environnement naïf sur lequel je reviendrai plus tard fait exception à la règle sur la rive gauche, bâti dans une zone pavillonnaire préservée par chance ou miracle... Pour satisfaire à un besoin très nettement individualiste dans son essence, il faut en effet jouir d'un espace individuel, sans contrainte collective marquée. Les maisons individuelles sont devenues rares à Paris, et donc les environnements qui pourraient s'y développer le sont devenus aussi.
Je suis récemment tombé sur un habitat tenant à la fois du jardin, de la remise et un peu aussi, il faut bien le dire de la décharge, en lisière d'un bâtiment prestigieux, le contraste entre les deux étant assez remarquable. Je ne peux pas trop indiquer son emplacement histoire de ne pas nuire à son habitant. Ce dernier ne paraît du reste pas trop accommodant, lorsqu'on découvre la proclamation plutôt agressive qu'il a apposée à l'entrée de son jardin, situé en contrebas d'un escalier public. Il a dressé un drapeau français, ainsi qu'un européen, bien en évidence au-dessus du jardin, et cela paraît cause de conflit avec le voisinage.
Le lieu est insolite, non pas en raison de l'esthétique du décor créé, fait d'accumulations de débris divers -et comme cela arrive souvent dans nombre de sites de type accumulatif, orné de poupées démantibulées, de fragments de figurines, de mannequin vaguement attifé - il est atypique à cause de sa situation extrêmement marginale dans le tissu urbain, sous un escalier, coincé le long d'un bâtiment imposant où se prépare la relève du cinéma français, légèrement proliférant, sans excès non plus, son auteur prenant soin aussi de laisser la végétation s'y développer, ce qui est toujours bien vu à Paris où l'on manque de verdure...
Il est assez cousin des habitats précaires de SDF qui se rencontrent ici ou là, jouissant de tolérances éphémères de la part de la force publique, comme l'homme en cabane à roulettes ci-dessous,
ou cet habitat de clochard passage Hébrard dans le Xe arrondissement où pendant un moment son auteur accumula en pleine rue l'ameublement d'un véritable studio en plein air, avec salle de bain, salon, salle à manger à ciel ouvert, au vu et au su de tous, plus transparente demeure que celle-ci, tu meurs (littéralement d'ailleurs...)...
On l'associera aussi aux créations ambulantes de diverses figures de la rue, tel que celles sur quatre roues de "Monsieuye X", révélées par Marc Décimo dans son livre "Les Jardins de l'Art Brut", ou la tenue vestimentaire toute de fils brodés de multiples couleurs que portait un vieil Arabe dans les rues du centre de Paris voici quelques années (individu que je n'ai jamais réussi à identifier, ni à photographier, si quelqu'un avait des photos ou des informations supplémentaires à son sujet, il est le bienvenu ici).
13/04/2008 | Lien permanent | Commentaires (2)
Refus d'alignement, le site de Jean-Michel Chesné en péril
Le 30 octobre, Jean-Michel Chesné, auteur d'un jardin décoré en mosaïque et autres matériaux à Malakoff, relevant à mon avis davantage de l'art ou de l'environnement "singulier" que de l'environnement populaire au sens strict (il est né comme le dit l'auteur d'une rencontre initiatrice avec le Palais Idéal du Facteur Cheval), a lancé un appel à l'aide concernant sa création actuellement menacé par les funestes projets de la commune où il vit. Je le relaye bien volontiers sur ce blog :
" Chers amis,
Comme la plupart d'entre vous le savent, surtout ceux qui me connaissent un peu, ma visite au Palais Idéal du Facteur Cheval en 1992 a été un véritable choc et révélatrice à tout point de vue. De là vient mon intérêt pour les constructions insolites, les jardins inspirés et autres architectures marginales ou autodidactes. Une forte passion qui m'a amené un jour de 1997 à la décision de bâtir à mon tour. Depuis j'ai pu édifier la Grotte-Chapelle et réaliser un jardin de mosaïques que certains d'entre vous on déjà vu et que je continue à développer.
Or ces jours-ci, j'apprends que la petite copropriété que j'habite depuis 26 ans et qui abrite mes travaux est en grave danger. En effet la commune de Malakoff a mis en place de nouveaux plans d'urbanisme (PLU). Je ne vais pas rentrer dans les détails mais en gros, notre rue est frappée d'alignement. Si je ne me bats pas, si rien n'est fait, notre maison, le jardin et tout ce qu'il abrite seront démolis pour faire place à un vaste projet de réaménagement de l'immobilier et de la voirie. Une mutation foncière comme ils disent... Je suis encore sous le coup d'une forte émotion mais je sens déjà que les coudes vont se serrer.
J'ai déjà pris quelques rdv avec élus, commissaires d'enquête publique etc... Visiblement le conseil municipal connait l'existence de la Grotte et j'ai cru comprendre que ça leur pose problème...
En attendant je suis en train de constituer un dossier qui explique ce que sont les environnements dits singuliers, leur fragilité, leur survivance, leur avenir etc... Je vais également rassembler les articles de presse et la littérature qui parlent ou évoquent ce jardin ainsi que sa portée (même modeste) culturelle et sociale. Il m'arrive en effet de recevoir des classes, des centres aérés, des groupes ou des patients d'hôpital psychiatrique.
Pour étayer tout ça, je souhaite aussi adjoindre une liste de noms de personnalités impliquées de près ou de loin dans l'art brut, outsider, singulier etc...
Artistes, critiques d'art, responsables d'institutions et d'associations, journalistes, directeurs de galerie, collectionneurs, passionnés etc.. sont les bienvenus.
Je demande donc l'autorisation à ceux qui le veulent bien, de mentionner leur nom sur la liste de soutien que je vais produire.
Ça ne vous engage pas mais c'est une petite pierre supplémentaire et importante pour moi.
Si cela vous pose problème, vous me le faites savoir, je le comprendrai évidemment.
Voilà ce que je peux dire pour l'instant.
Merci à tous
Jean-Michel Chesné "
(Voir aussi le blog de ce dernier, qui demande par ailleurs de faire circuler le mail ci-dessus, http://jmchesne.blogspot.fr/2015/11/la-grotte-et-le-jardi...)
Un détail du jardin de Jean-Michel Chesné à Malakoff, un travail d'esthète épris de naïveté
La commune de Malakoff a mis en place un nouveau Plan d'urbanisme.... Eh bien, je dois dire que ça fait frémir quand on lit ça. Qu'est-ce qu'ils ont en tête? Les mêmes cubes et autres parallélépipèdes aseptisés qui rentrent par exemple de plus en plus dans Paris (voir les horreurs construites du côté de Pont Cardinet dans le XVIIe ardt), qui frigorifient tous ceux qui passent entre leurs barres sans âme, comme pondues par des culs de robots géants on dirait, et qui détricotent progressivement ce qui fait le charme d'une ville, ses passages secrets, ses jardins secrets (comme celui de Chesné), ses villages bâtis vernaculairement, sans plan préétabli justement. Que veulent donc ces urbanistes? Détruire tout plaisir de se balader, de contempler, de vivre en somme? Eradiquer toute surprise et tout émerveillement dans une grille géométrique froide qui ressemble à un labyrinthe carcéral?
En architecture et en urbanisme, décidément, plus que jamais, refusons les "plans d'alignement". Et débarrassons-nous des architectes et des urbanistes.
06/11/2015 | Lien permanent | Commentaires (4)
Marcel Vinsard déterritorialisé à Lyon
Du 28 septembre (demain lundi) au 16 octobre prochain, quelqu'un a eu l'idée de proposer à Marcel Vinsard, l'ex-coiffeur auteur d'un jardin habité d'un millier de sculptures taillées principalement dans le polystyrène qu'il peint ensuite de couleurs vives, dont j'ai déjà parlé sur ce blog, de présenter plusieurs de ses sculptures à Lyon dans une MJC. Cela s'inscrit probablement dans le cadre de la prochaine Biennale Hors-les-Normes qui régulièrement (tous les deux ans donc) présente dans plusieurs locaux éclatés un peu partout dans la ville des expos, conférences et autres projections ou manifestations diverses sur le thème des arts bruts et apparentés ("outsiders" pour parler comme les Américains). Si j'ai le temps, je tacherai d'y revenir, car d'autres expos cette année là-bas méritent qu'on en parle et peut-être aussi qu'on s'y transporte.
Marcel Vinsard lisant studieusement un ouvrage d'art, ph. Bruno Montpied, 2013
Marcel Vinsard est un cas à part parmi les créateurs d'environnements. Moi qui n'aime pas trop employer le terme d'artistes à tort et à travers en évoquant les auteurs populaires de jardins naïfs et fantastiques, puisqu'ils ne sont pas des professionnels de l'art, n'en vivant pas, ne se situant pas par rapport à ce qui se fait dans le spectacle et l'histoire de l'art, participant d'une culture autre, relevant en fait de la culture de masse (télé, bd, pubs, media) où surnagent parfois des bribes des anciennes traditions rurales, avec Vinsard, je dois reconnaître que ce recordman de la quantité de statues installées dans un jardin entre habitat et route aime à se confronter à certains artistes reconnus. Il l'annonce sur des divers panneaux autour de sa maison, chez lui, on trouvera du Braque, du Picasso (voir ci-dessous une "poupée" d'après Picasso), du Giacometti, des Uriburu (qui est nettement moins connu celui-ci) qu'il expose comme des articles destinés à prouver la dextérité de son insolite artisanat. Il ne fait pas que ça, loin de là, puisqu'il en était en décembre dernier à 1000 pièces, mais il ne dédaigne pas de se laisser photographier en train de feuilleter un livre d'art, l'air de rien...
Le voici donc extrait de son jardin de Pontcharra en Isère, ses œuvres légères du fait de leur matériau à la fois ductile et peu dense le permettant tout à fait, et le suggérant même, même si ce ne fut pas le mobile premier de leur réalisation. Lorsque je l'ai visité en 2013, il avait des difficultés à donner un prix possible devant mon désir d'acquérir une de ses pièces. Qu'en sera-t-il à la MJC de Monplaisir (la bien nommée)?
Cependant, que voici un drôle d'artiste, que j'aimerais bien voir au milieu des cénacles de rapins lyonnais. Il y aurait des chances que, toutes proportions gardées bien entendu (faut pas exagérer en effet), ce genre de réunion risquerait de tourner en eau de boudin, du genre banquet du Bateau-Lavoir avec Picasso (justement) recevant le Douanier Rousseau, avec peut-être quelques malentendus à la clé...
Marcel Vinsard, De Gaulle perdu dans la foule des "modèles" de l'ex-coiffeur, ph. et coll. BM, 2013
Exposition Marcel Vinsard, MJC Monplaisir, 25, ave des Frères Lumières, Lyon 8e ardt, tél: 04 72 78 05 75. Gratuit, ouv tlj de 9h à 21h.
27/09/2015 | Lien permanent | Commentaires (2)
Raymond Reynaud joue les Arlésiens...
A lieu en ce moment (du 24 avril au 20 mai), à Arles, montée apparemment avec l'aide de l'artiste singulier Gérard Nicollet, qui connut l'artiste vers 1991, une exposition Raymond Reynaud (dans les locaux d'une Eglise des Frères Prêcheurs) qui n'est pas seulement consacrée à ses peintures, aux dimensions parfois imposantes, mais aussi aux œuvres de ceux qu'il guida un temps vers une certaine liberté d'expression (qui, en définitive, débouchait sur un style pictural assez proche du sien, mêlé d'automatisme et de goût pour la décoration), et qu'il rassembla de 1977 à 1990 sous le nom de l'Atelier du Quinconce Vert, atelier qui changea par la suite de nom pour s'appeler quelque chose comme "le mouvement d'art singulier Raymond Reynaud". Ces "élèves" en liberté s'appelaient Jeanne Disdero, Martine Bayle, Renée Fontaine, Arlette Watelet, André Gouin...
Affiche de l'expo consacrée à Raymond Reynaud et à ses amis artistes, pour le dixième anniversaire de sa disparition, Arles, 2017.
Une troisième partie de l'exposition paraît s'être bâtie aussi de façon à reconstituer la salle que Reynaud (1920-2007) consacrait dans sa maison de Sénas, où il habitait avec Arlette, son épouse, elle-même peintre, plutôt naïve, à une sorte de petit musée des œuvres de divers amis qui passaient le voir. J'en fis partie suite à la visite que je leur rendis pendant quatre jours en 1989, qui me servit pour réaliser un entretien avec lui pour une émission sur Radio-Libertaire, et également pour rédiger un long article sur lui et son atelier du Quinconce Vert, pour le supplément en français d'un des premiers numéros de la revue internationale Raw Vision (son n°4 de 1991 ; cet article n'est, entre parenthèses, jamais cité dans les catalogues consacrés à Reynaud, alors que je pense avoir été un des tout premiers à écrire sur lui et son mouvement), atelier qui constituait une entreprise didactique qui m'intriguait davantage que sa peinture, je dois l'avouer. Cette dernière, si elle prouvait son incontestable talent de coloriste, ne plaidait pas tellement pour son dessin, que je trouvais un peu flasque, comme on peut s'en rendre compte lorsque l'on voit un de ses dessins réalisés seulement en noir et blanc (Laurent Danchin, plus amateur d'euphémismes diplomatiques, qualifiait son graphisme de "tremblé"... Hum...). Il est vrai que ces traits, parcourus de tressautements, entretenaient peut-être des rapports étroits avec la maladie nerveuse qui le poussait vers les 17h à se cloîtrer tous les jours dans sa pièce intime jusqu'au lendemain.
Raymond Reynaud, n°4 de la série "Pépettes, masques et vieux", 24 x 22 cm, 30 janvier 1991, coll. Bruno Montpied.
Ce qui comptait cependant à mes yeux, avant tout, comme le rappelle Gérard Nicollet dans le dossier de presse de l'expo, c'était sa gentillesse, son ouverture d'esprit, et surtout, plus encore que cela, ou concomitante à cela, son esprit concret de collaboration, de solidarité entre artistes. Il se mettait en quatre pour vous aider à participer à des expos dans sa région. C'est grâce à lui si je participai avec quelques peintures au premier festival d'art singulier qu'il organisait conjointement, au début de l'histoire de ce festival, avec Danielle Jacqui à Roquevaire-en-Provence. Vous en connaissez beaucoup, vous, parmi les artistes actuels, qui vous inviteraient spontanément à exposer avec eux? Reynaud était comme ça, généreux, partageux, altruiste, désireux de propager la création et l'art autour de lui, prosélyte...
Raymond Reynaud au milieu de ses œuvres et du triptyque consacré à Jean de Florette, DR.
11/05/2017 | Lien permanent
Petit trouble
La Halle Saint-Pierre a eu envie de monter une exposition d'art contemporain au sens plein du terme, de l'art produit par des artistes du temps, soi-disant regroupés dans un "mouvement" selon ce que dit le dossier de presse et Frédéric Pajak, dessinateur-écrivain et éditeur de la maison Les Cahiers Dessinés qui avait déjà fait l'objet d'une exposition précédente à la Halle, il ya peu de temps. Pourquoi ne pas explorer ce qui peut se faire de valable dans l'art d'aujourd'hui en effet? Tout n'est pas à jeter dans ce domaine, bien sûr.
Exposition "Grand trouble" du 9 mai au 30 juillet, et après, y aura des travaux pendant le mois d'août...
Mais je me demande si la Halle a misé sur le bon cheval avec ce "mouvement"-là (étrange "mouvement", d'ailleurs, que ce rassemblement hétéroclite d'artistes qui paraissent s'être invités les uns les autres par admirations-relais, sans ligne aucune donc, apparemment). Je n'ai guère éprouvé d'émotion à déambuler sur les deux niveaux d'exposition. Il y a des moyens mis en œuvre, comme par exemple dans le cas des espèces de loups en béton d'Oliver Etoffey, exposés au rez-de-chaussée, qui doivent peser des tonnes (j'en tremble rien que d'imaginer le camion, les élévateurs, les forces déployées pour déplacer ces statues un peu effrayantes qui plus est). Certaines vidéos, comme celle où l'on voit une Chantalpetit (en un seul mot si je suis le libellé du carton d'invitation) jeter avec force des boules d'argile sur une table, pour essayer de fixer des formes aléatoires je suppose (why not?), sont intriguantes et recueillent l'adhésion du spectateur intéressé aux expériences expressives. L'œil s'arrête sur des photographies de Marc Garanger (ses portraits magnifiques de femmes algériennes – des Kabyles? – des années 1960), sur les dessins profonds et austères du Suisse Edmond Quinche (voir ci-contre un dessin de lui qui fut montré dans une expo intitulée "Surgis de l'ombre" à la Galerie Alain Paire en 2013), sur les dessins démoralisés quoique captant l'attention d'Anna Sommer, sur les grandes compositions (un poil compliquées et cérébrales) de Marcel Katuchevski, les encres d'un certain Noyau (de cerise sur le gâteau?), ou les "halos" colorés d'un Al Martin (qui est exposé en permanence à la Galerie L'Espace du Dedans à Lille, qui est une galerie qui me rappelle quelque chose... ou quelqu'un... Darnish n'y a-t-il pas exposé des collages?), mais au final, au bout du bout, que reste-t-il? L'impression de figures de style, d'exercices de virtuosité cultivée, pour nous prouver qu'on n'est pas passé par les écoles pour rien. Mais pourquoi me reste-t-il dans la mémoire comme l'image d'une vitre sur laquelle glissent des larmes de pluie? Redevenant peu à peu translucide, une fois celles-ci évaporées... (Je préfère dire cela plutôt que reprendre à mon compte les qualificatifs injurieux d'un visiteur derrière moi qui grommelait, visiblement furieux de voir de telles œuvres présentées à la Halle, parlant de pures et simples "croûtes"...!).
12/05/2017 | Lien permanent | Commentaires (1)
Guy Brunet réalisateur expose à la Collection de l'Art Brut
Ils n'ont pas pour habitude à Lausanne d'exposer quelque créateur sans avoir de ses œuvres en magasin. Il faut donc, à l'annonce de l'exposition qui se tient actuellement à la Collection de l'Art Brut (du 5 juin au 4 octobre 2015), en déduire que certaines des œuvres de l'ineffable Guy Brunet font désormais partie des collections du célèbre Château de Beaulieu, même si on peut se demander si ces œuvres relèvent absolument de l'art brut, et si le fait de les intégrer ne va pas mener à la longue la Collection vers une abolition des frontières entre collection annexe et collection d'art brut au sens strict.
Extraits d'un film de Bastien Genoux et Mario Del Curto sur Guy Brunet, inséré sur Vimeo
Rien n'est dit d'ailleurs dans le laïus de présentation de l'expo Brunet du fait qu'il a peut-être été intégré dans la section Neuve Invention plutôt que dans la collection princeps. Ce genre de précision, on ne l'avait déjà plus du temps de Lucienne Peiry, or maintenant que c'est Sarah Lombardi qui préside aux destinées de la Collection, on aurait pu croire que la précision allait être donnée. Eh bien, non... Du coup, où s'arrête l'art brut désormais? Le flou s'installe...
Dracula vu par Guy Brunet, ph. Bruno Montpied, 2005
Guy Brunet, j'en ai souvent causé sur ce blog. Il réalise des films en les bricolant à la maison dans le cadre d'une carcasse de télévision, en utilisant des silhouettes de comédiens américains ou français, de producteurs, de réalisateurs en guise d'acteurs qu'il manipule devant sa petite caméra. Cela raconte l'histoire du cinéma, notamment de l'Age d'Or du cinéma hollywoodien. Il fait des affiches depuis son adolescence (j'en possède deux qui datent de ces débuts "héroïques"), au départ présentant des films imaginaires, puis par la suite démarquant des affiches existantes, celles que ses parents recevaient dans le cinéma où il a grandi à Cagnac-les-Mines dans le Tarn entre 1949 et 1961 – et d'où, mentalement parlant, il n'est jamais ressorti...
Un emboîtage conçu par Guy Brunet vers 2005 pour le titre "L'Age d'Or du Policier"
Guy Brunet, pharaon du 7e art revisité par l'art naïf, ph. BM, 2012
Il a été passablement exposé déjà, au Musée d'Art Naïf de Nice dans le cadre des Rencontres autour du cinéma des art singuliers montées par l'Association Hors-Champ, où d'aucuns se souviennent l'avoir vu dérouler ses affiches à vendre sur l'estrade entre deux films ; au Musée International d'Art Modeste de Sète ; et plus récemment une rétrospective lui a été consacrée à Villefranche-sur-Saône, organisée par Alain Moreau. Un catalogue sort à l'occasion de cette incursion à Lausanne, dont les textes sont dus à Charles Soubeyran, Sarah Lombardi et Till Schaap. On y retrouve des photos de Mario Del Curto, le photographe désormais officiel de l'art brut...
Une exposition itinérante, coproduite par la Collection de l’Art Brut (Lausanne), ira ensuite au Lieu Unique (Nantes, du 13 avril au 29 mai 2016) et dans les musées du Grand Rodez (automne 2016).
Guy Brunet devant ses vedettes en carton peint, ph. BM, 2012
05/07/2015 | Lien permanent
Gabriel Papel (Frère Théodose Lucien) et sa ”Blanche Nef”
Il y a quelque temps (faut pas que j'écrive "des lustres" parce que la mère Corvisart va encore me tomber sur le râble, d'autant que c'était seulement l'année dernière), j'ai évoqué du bout du clavier les pages d'un manuscrit aux splendides illustrations naïves qui passait en vente à Marseille en provenance de la collection Marc Billioud.
Gabriel Papel, La Blanche Nef, Recueil d'Histoires, de Contes, de Vues, de Voyages imaginaires dans les plaines éthérées, prix 880 000 francs...
Cela m'a valu une correspondance avec le bienheureux acheteur de ce manuscrit (qui préfère rester anonyme), dans laquelle, outre quelques-unes de ses illustrations, il me donne quelques précisions sur le récit empreint d'un joyeuse imagination débridée pour ne pas dire délirante. Il semble que l'auteur soit un moine puisque l'on trouve mentionnée sur une page du manuscrit la signature imprimée "Gabriel Papel, Frère Théodose Lucien" (je ne sais dans quel ordre on doit lire ce deuxième nom). Le manuscrit date de 1912 et évoque des événements liés à cette époque qu'il remixe au sein d'un nouvel ordre personnel. On reliera ce manuscrit, œuvre peut-être unique d'un autodidacte isolé, aux autres manuscrits enluminés par des écrivains-illustrateurs naïfs déjà évoqués sur ce blog, ceux de Marguerite Bonnevay (début XXe siècle) ou de Joseph Laporte, ancien tambour de l'armée de Bonaparte (début XIXe siècle).
Ci-dessous je mets en regard des aquarelles rehaussées à la gouache et leurs descriptifs tels que rédigés par mon honorable correspondant.
"Michel Louis, porte-drapeau revenu de Pékin"
(Ci-dessus sont évoqués...) "Une "Blanche Nef construite en Rubidix" dont les hélices "mues par l'Ethérixité" parcourent le monde : un conflit italo-turc, une sombre forêt du Congo, un "palais dans le Tibet", le Vésuve, le Canada, Marseille, le Japon ... Autant de lieux où ce vaisseau spatial s'en va sauver les corps et les âmes, une mission divine, tout un programme..."
L'image ci-dessous "raconte l'histoire de Léonie Lacas passagère en 3ème classe du Titanic. "La nuit du terrible choc Léonie ne put trouver place dans aucune barque"... "Elle nagea longtemps dans l'eau glacée". Mais la Blanche Nef la ramènera dans sa maison."
La page suivante "raconte l'histoire d'un prisonnier qui reçoit une orange de l'Eden dont "la deuxième tranche renfermait ce palais merveilleux que vous voyez"."
"C'est le récit du petit Léon qui fabrique une maquette de bateau que la Blanche Nef va transformer en un navire extraordinaire l'Australian."(Ci-dessous)
Ensuite "l'auteur nous parle d'une famille qui grâce à la Blanche Nef va faire "une promenade dans l'étoile Altaïr"."
Puis, "c'est l'histoire de la petite Angelou Duplan qui habitait au pied de Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille et qui parce qu'elle était très pieuse verra ses vœux exaucés par la Blanche Nef."
"Dans ce récit un vieil homme pauvre, monsieur Laramè qui va être récompensé, sa cabane se transforme en château parce qu'il avait partagé son "frugal souper" avec 3 enfants orphelins." (Voir ci-dessous)
Enfin, "c'est l'histoire d'un tyran qui s'appelle Barberousse et qu'un certain Achille aidé par la magie de la Blanche Nef va punir pour tous ses méfaits."
02/03/2014 | Lien permanent | Commentaires (4)