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Vœux, vaches, cochons

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"Bouano annado!!!"... "Miss Bas-Blancs et Monsieur Nœud Bleu se souhaitant la bonne année le jour de la Saint-Sylvestre....", (Marguerite Bonnevay, image extraite de "Tante chinoise et les autres", éd. La Table Ronde (2009))

   Meilleurs vœux à tous mes lecteurs, ne dérogeons pas à la tradition, ça ne mange pas de pain... Et émettons un soupir de satisfaction ou de satiété, en ce lendemain de réveillon, en égrenant des chiffres qui, pour être toujours douteux (si la rumeur que notre hébergeur gonflerait ses statistiques s'avérait vraie), n'en sont pas moins agréables à lire pour qui, comme moi, a besoin de croire à l'illusion que son blog a construit au fil du temps (quatre ans et demi) un lectorat conséquent.

   Décembre 2011 aura été dans ces statistiques le mois des records: 9075 visiteurs "uniques" (je suppose que ce visiteur désigne "un ordinateur" unique) dans le mois, le plus grand nombre jamais enregistré à l'enseigne du Poignard. 18173 visiteurs en tout (des individus qui reviennent plusieurs fois le même jour). 64659 "pages " également (je n'arrive jamais à bien comprendre ce qu'est une "page" dans le jargon des blogs...) ont été lues dans le mois (record absolu du blog là aussi). A noter enfin une pointe dans la fréquentation, le 21 décembre, en une seule journée, on a enregistré 1390 visites, encore un record (énigmatique, je dois dire). Et le 29 décembre, elles montèrent jusqu'à 907... Alors que d'habitude ça tourne plutôt autour des 500.

     Voilà de quoi se donner du cœur au ventre pour la nouvelle année, n'est-ce pas?

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Tante Chinoise et les autres: ”Elle aurait pu s'appeler Fragile, Cocasse, Maladive ou Malice”

       Sont curieux les chemins qui mènent aux révélations. Je venais d'entrer au vernissage Marcel Storr en décembre dernier, et voilà que pour fuir l'affluence de la première salle j'avise dans la seconde un éventaire de livres sur l'art brut et consorts organisé par la librairie Le Monte-en-l'air. Au moment où je me dis que je ne vais sans doute rien trouver de nouveau, pan, voilà que mes yeux sont attirés magnétiquement par une couverture qui m'appelle.

        Tante chinoise et les autres, c'est le titre de ce reprint à la Table Ronde (2009), d'après un album de croquis légendés d'une plume calligraphique, en 1894, par une enfant apparemment prodige, Marguerite Bonnevay (1882-1903). Un fac-similé qui a tout de même nécessité plus de cent ans pour que cette œuvre passe enfin quelque peu à la postérité! Soixante années s'étaient écoulées avant que l'on en fasse un film, dû à David Perlov, en 1956, qui fut la première occasion de sortir cet étonnant opus de son oubliette familiale (on lira l'éclairante présentation de l'objet par Nathalie Jungerman qui a établi l'édition du livre à la Table Ronde)

 

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         Prodige? Elle avait 12 ans certes, et ne vécut pas longtemps hélas (elle disparut à l'âge de 21 ans des suites d'une tuberculose). Etait élevée à l'époque chez les sœurs que l'on disait "bonnes" et chez qui apparemment elle devait s'ennuyer ferme, de même que pendant ses vacances à Gonfaron dans le Midi, d'après ce qu'en dit sa lointaine parente Nathalie Jungerman.marguerite bonnevay,tante chinoise,art enfantin,art naïf,art brut,art immédiat,caricature,grotesque,david perlov,jacques brunius,jacques prévert,andré heinrich Etait-on prodige lorsqu'on passait ses loisirs à dessiner à une époque où les distractions pour les enfants n'avaient rien de commun avec celles d'aujourd'hui? On devait s'appliquer infiniment plus dans ses travaux de croquis, de même lorsqu'on laissait son imagination gambader dans des récits d'aventures qui avaient un souffle autrement plus épique que ce qu'un enfant d'aujourd'hui peut produire, accaparé qu'il est par d'autres dadas plus électroniques.

 

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"Catastrophe de Thomas et d'Apollonie au retour de leur voyage de noce. Grand effroi du révérend." Page 7 dans le livre Tante Chinoise et les autres

      Ce qui n'empêche pas que ces dessins coloriés à l'aquarelle ou avec des gouaches d'écolière hésitent entre l'art enfantin et ce que l'on n'appelait pas encore, ni art naïf, ni art brut en 1894. Ils entretiennent un rapport de cousinage troublant avec diverses autres expressions populaires naïves, comme ce dessin de la catastrophe du retour de noce des nouveaux épousés "Thomas et Apollonie", qui paraît construit comme un de ces ex-voto que l'on trouvait en abondance à l'époque dans les églises du Midi et que peut-être, très certainement même, Marguerite avait vus.

 

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"Noce de Thomas et d'Apollonie", extrait de la page 5 du livre de Marguerite Bonnevay

 

       La "noce de Thomas et d'Apollonie" de même ne va pas sans me rappeler un tableau que j'ai dans ma collection, dû au peintre naïf Louis Roy,marguerite bonnevay,tante chinoise,art enfantin,art naïf,art brut,art immédiat,caricature,grotesque,david perlov,jacques brunius,jacques prévert,andré heinrich,gonfaron,tuberculose,nathalie jungerman,ex-voto,art populaire insolite déjà évoqué sur ce blog le 12 août 2008, où les personnages sont traités de profil, rapetissés, comme un cortège d'homuncules, tandis que chez Marguerite, la réduction de taille sert plutôt un besoin de traduire la perspective du cortège des mariés.

 

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"La vaillante armée du Salut, N°1: La Tante Chinoise, N°2: Coeur d'artichaut, N°3: la mère Tripotatibus, N°4 la mère au tabac, N°5: Perruche Grise, N°6: Grippe-sous, N°7: Chonchon, N°8: Reniflette, N°9: Toupinette, N°10: Guignolette, N°11: Piperette leur adressant un gracieux bonjour, N°indéfinissable: le général de l'armée du Salut protégeant ses combattants." Page 1 de Tante Chinoise et les autres

       Les croquis de Marguerite, qui ne sont  pas loin de la bande dessinée alors tout juste naissante en France, comme le rappelle Nathalie Jungerman, paraissent aller du côté de la chronique villageoise moquant les aspects des adultes souvent perçus comme grotesques, prétentieux, hypocrites, tels qu'une jeune fille de douze ans, particulièrement lucide (et tendre cependant), était à même de les mettre en évidence, à la distance où elle se trouvait, entre deux âges, avant que les vicissitudes liées à la vie sociale l'aient amenée à plus de concessions (la tuberculose l'en préserva, seul bénéfice de sa sale besogne).

 

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Tous les dessins de l'album de Marguerite Bonnevay font l'objet d'un récapitulatif en fin de première partie avec les légendes transcrites en caractères typographiques pour plus d'intelligibilité comme ci-dessus p.54 du livre

 

       Cet ouvrage en fac-similé est déjà en soi un remarquable plaisir visuel, mais la surprise ne s'arrête pas là. Car, avant que l'album ne soit sorti de l'oubli, un fim de dix-sept minutes fut tourné par David Perlov, jeune cinéaste alors, qui s'était enthousiasmé à la découverte de l'album de Marguerite que lui avait montré la nièce de cette dernière, mère de Nathalie Jungerman. Il put être financé grâce à l'aide d'une nuée d'artistes, de comédiens et de littérateurs, parmi lesquels Prévert (qui signe dans le film un remarquable prologue poétique en prose), Vieira Da Silva et Arpad Szenés, Abrasza Zemsz (ethnologue), Czeslaw Milosz, Jeanne Moreau, Calder, Magnelli, Gabrielle Buffet-Picabia, le docteur Claude Olivenstein, André Heinrich (qui est crédité de "conseiller technique" dans le film), etc... La musique, importante contribution, est composée par Germaine Tailleferre.marguerite bonnevay,tante chinoise,art enfantin,art naïf,art brut,art immédiat,caricature,grotesque,david perlov,jacques brunius,jacques prévert,andré heinrich La production et la réalisation furent chaotiques et ne purent être terminées qu'avec l'aide du British Film Institute, ce qui explique que sa première fut donnée d'abord à Londres en 1956 dans une version anglaise. Cependant, une version en français put être ensuite réalisée pour une projection à la Cinémathèque Française en 1957. Et devinez qui prêta sa voix au commentaire en off? L'inévitable et mythique Jacques-Bernard Brunius, le même homme qui avait réalisé le non moins mythique premier film d'art sur les autodidactes comme le facteur Cheval, l'abbé Fouré, et divers Naïfs, Violons d'Ingres en 1939... (Voir ici les notes que je ne cesse de lui consacrer sur ce blog). Ce film, excellente initiative, est donc joint au livre sous la forme d'un DVD fixé à la troisième page de couverture.

Le film de David Perlov, Tante Chinoise et les autres sera projeté au festival de cinéma organisé par l'Association Hors-Champ autour des Arts Singuliers qui se tiendra à la Bibliothèque Louis Nucéra et au MAMAC de Nice les vendredi 1er, et samedi 2 juin 2012. Mais j'aurai l'occasion d'y revenir.

 

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"Le maire Pompée assisté de Tambour, son premier adjoint, unit les deux novices: Crépin Pistolet Mea et Rigolette Eucalyptus...", page 21 de l'album Tante Chinoise et les autres

*

"Au début du siècle, dans un village de Provence, il y avait une pauvre petite fée.

Elle aurait pu s'appeler Fragile, Cocasse, Maladive ou Malice. Mais elle s'appelait tout bonnement Marguerite et n'avait pour toute baguette magique qu'un crayon à changer les gens..."

(Jacques Prévert, extrait de son Prologue dans le film de David Perlov )

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15e Rencontres du cinéma documentaire et des art singuliers à Nice

     Oyez, oyez, c'est reparti à Nice pour les XVe Rencontres organisées annuellement à Nice autour des arts spontanés ou singuliers (bruts, naïfs et extra dry), pour cette fois en deux jours, le vendredi après-midi à l'Auditorium de la bibliothèque Louis Nucéra et le samedi toute la journée à l'auditorium du MAMAC. Demandez le programme, voir la liste ci-dessous (c'est pour le week-end prochain début juin):

L’ASSOCIATION « HORS-CHAMP »

présente le 15ème Festival du Film d’Art Singulier

VENDREDI 1er JUIN 2012

Auditorium de la Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale Louis Nucera de Nice

Après-midi de 14h30 à 17h :

PierreD-,savache-,sonjardin.jpgBricoleurs de paradis (le gazouillis des éléphants) de Rémy Ricordeau (52’), en présence de son co-auteur Bruno Montpied

 

Présentation-HSP-avril11.jpg

Présentation du Gazouillis à l'auditorium de la Halle Saint-Pierre en avril 2011, photographe non noté (qu'il m'en excuse)

Il pleut jamais dans l’Nord! de Jean-Michel Zazzi (12’), en présence du réalisateur

Roland Roure, constructeur de machines ludiques de Deidi Von Schaewen (26’; 1983... Un travail de jeunesse de cet auteur passée plus tard aux environnements spontanés du monde entier, voir son livre Mondes Imaginaires chez Taschen), en présence de Charles Soubeyran

SAMEDI 2 JUIN 2012

Auditorium du Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice

Samedi matin de 10h30 à 12H :

Hubert, l’homme aux bonbons de Marie Paccou (8’)

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DVD de l'Homme aux bonbons

Guo Fengyi et les rouleaux magiques de Philippe Lespinasse, Andress Alvarez (19’), en présence de Philippe Lespinasse

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DVD Gregory Blackstock, l'Encyclopédiste et Guo Fengyi et les rouleaux magiques de Lespinasse et Alvarez

Tante chinoise et les autres de David Perlov (17’), en présence de Nathalie Jungerman

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DVD inséré dans l'album de Marguerite Bonnevay (1882-1903), présenté par Nathalie Jungerman, Tante Chinoise et les autres, édité à la Table Ronde en 2009

Samedi après-midi de 14h30 à 17h30 :

Objectif : réussir ? de Michel Etter (20’), en présence du réalisateur

Petites actualités « Hors-Champ » de Grégoire Dumas (15’), en présence du « journaliste »

Grégory Blackstock, l’encyclopédiste de Philippe Lespinasse, Andress Alvarez (22’)

La valise de Lobanov de Erika Manoni (12’), en présence de Vincent Monod

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Alexandre Lobanov, un de ses dessins, coll privée, Paris

Les grandes Vacances de Pépé Vignes de Victor Simal (20’ ; où l'on voit ce que peut être une "musique brute"...)

Le monde magique des frères Lumière (extraits) de Guy Brunet (20’), en présence du réalisateur

Contact : 04 93 80 06 39 - http://hors-champ.hautetfort.com

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25/05/2012 | Lien permanent

Gabriel Papel (Frère Théodose Lucien) et sa ”Blanche Nef”

     Il y a quelque temps (faut pas que j'écrive "des lustres" parce que la mère Corvisart va encore me tomber sur le râble, d'autant que c'était seulement l'année dernière), j'ai évoqué du bout du clavier les pages d'un manuscrit aux splendides illustrations naïves qui passait en vente à Marseille en provenance de la collection Marc Billioud.

 

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Gabriel Papel, La Blanche Nef, Recueil d'Histoires, de Contes, de Vues, de Voyages imaginaires dans les plaines éthérées, prix 880 000 francs...

 

    Cela m'a valu une correspondance avec le bienheureux acheteur de ce manuscrit (qui préfère rester anonyme), dans laquelle, outre quelques-unes de ses illustrations, il me donne quelques précisions sur le récit empreint d'un joyeuse imagination débridée pour ne pas dire délirante. Il semble que l'auteur soit un moine puisque l'on trouve mentionnée sur une page du manuscrit la signature imprimée "Gabriel Papel, Frère Théodose Lucien" (je ne sais dans quel ordre on doit lire ce deuxième nom). Le manuscrit date de 1912 et évoque des événements liés à cette époque qu'il remixe au sein d'un nouvel ordre personnel. On reliera ce manuscrit, œuvre peut-être unique d'un autodidacte isolé, aux autres manuscrits enluminés par des écrivains-illustrateurs naïfs déjà évoqués sur ce blog, ceux de Marguerite Bonnevay (début XXe siècle) ou de Joseph Laporte, ancien tambour de l'armée de Bonaparte (début XIXe siècle).

 

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    Ci-dessous je mets en regard des aquarelles rehaussées à la gouache et leurs descriptifs tels que rédigés par mon honorable correspondant.

 

Image 8.png"Michel Louis, porte-drapeau revenu de Pékin"

 

 

 

 

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(Ci-dessus sont évoqués...) "Une "Blanche Nef construite en Rubidix" dont les hélices "mues par l'Ethérixité" parcourent le monde : un conflit italo-turc, une sombre forêt du Congo, un "palais dans le Tibet", le Vésuve, le Canada, Marseille, le Japon ... Autant de lieux où ce vaisseau spatial s'en va sauver les corps et les âmes, une mission divine, tout un programme..."

     L'image ci-dessous "raconte l'histoire de Léonie Lacas passagère en 3ème classe du Titanic. "La nuit du terrible choc Léonie ne put trouver place dans aucune barque"... "Elle nagea longtemps dans l'eau glacée". Mais la Blanche Nef la ramènera dans sa maison."

 

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La page suivante "raconte l'histoire d'un prisonnier qui reçoit une orange de l'Eden dont "la deuxième tranche renfermait ce palais merveilleux que vous voyez"."

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"C'est le récit du petit Léon qui fabrique une maquette de bateau que la Blanche Nef va transformer en un navire extraordinaire l'Australian."(Ci-dessous)

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Ensuite "l'auteur nous parle d'une famille qui grâce à la Blanche Nef va faire "une promenade dans l'étoile Altaïr"."

 

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 Puis, "c'est l'histoire de la petite Angelou Duplan qui habitait au pied de Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille et qui parce qu'elle était très pieuse verra ses vœux exaucés par la Blanche Nef."

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"Dans ce récit un vieil homme pauvre, monsieur Laramè qui va être récompensé, sa cabane se transforme en château parce qu'il avait partagé son "frugal souper" avec 3 enfants orphelins." (Voir ci-dessous) 

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Enfin, "c'est l'histoire d'un tyran qui s'appelle Barberousse et qu'un certain Achille aidé par la magie de la Blanche Nef va punir pour tous ses méfaits."

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Le cahier d'une enfant, Blanche Nicard, pendant la Grande Guerre

     Une ancienne voisine, sculptrice dans le binôme d'artistes Ange et Dam', Blandine Gautier, a mis récemment en ligne sur Youtube un petit film consacré à un cahier de dessins fort naïfs, retrouvé dans les archives de sa grand-mère, Blanche Nicard, mariée Rocchiccioli par la suite (elle vécut de 1905 à 1994). Il date de 1918, à la fin de la Grande Guerre donc. Blanche avait 13 ans.

Film de Blandine Gautier sur le carnet illustré de sa grand-mère Blanche Nicard (13 ans au moment du cahier).

 

        Voici quelques scans extraits du cahier de Blanche, et prêtés par Blandine (que je remercie hautement ici) :

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Pas si "confinée", la Blanche, puisque, apparemment, elle se réfugiait dans les abris souterrains qui protégeaient des tirs allemands du puissant canon appelé "la Grosse Bertha" qui bombardait de loin Paris.

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          Je trouve fort précieux ce type de manuscrit illustré. Non seulement, il touche émotionnellement par la fraîcheur de ses graphismes, mais aussi, il offre un exemple de ce que peut être une écriture graphique naïve dans sa transition de l'enfance à l'âge adulte. Chez la plupart, la naïveté disparaît au cours de cette transition. Chez quelques peintres, dits "Naïfs" (avec pertinence, et sans arrière-plan dénigrant), ou Bruts (pour les plus innovants d'entre eux), le don perdure inexplicablement, "l'écriture" s'approfondissant et se métamorphosant quelque peu. Pour Blanche, il semble qu'il n'y eut pas de prolongement à l'âge adulte de ces velléités graphiques. A peine se souvient-on dans sa famille (témoignage de Blandine Gautier) qu'elle pratiqua la musique par la suite au point de la faire apprendre aux sept enfants qu'elle mit au monde, dont l'un d'entre eux, Claude, tante de Blandine, joue du piano dans le film...

      Ce carnet – intitulé par Blandine, par adaptation à la situation de pandémie actuelle, "Journal de confinement", alors qu'il ne s'agissait que d'un carnet au fond fait pour se distraire, par une adolescente qui dessinait des scènes de son époque, et sans rapport étroit non plus avec la grippe dite espagnole qui sévissait à la même époque (ma propre grand-mère a été fauchée par elle) –, ce carnet est à rapprocher, par la qualité de ses graphismes ingénus, d'autres cahiers ou journaux illustrés dont j'ai parlé sur ce blog dans des notes plus anciennes, par exemple le livre de Marguerite Bonnevay, celui de Joseph Laporte, ancien soldat de la campagne d'Egypte, ou encore le manuscrit de Gabriel Papel.

Gaston Croizé, très prés.jpg

Le cahier de taches pliées de Gaston Croizé

 

      J'avais été, dans cette même série de livres à un exemplaire, fort séduit par un autre cahier, rempli de taches symétrisées type des tests de Rorschach, qui était passé en ventes à Drouot voici plusieurs années. L'auteur s'appelait Gaston Croizé et son recueil datait des environs de 1910 (voir illustration ci-dessus). On peut aussi penser au journal illustré de l'ancien marin aux aquarelles japonisantes semi-naïves, Paul-Emile Pajot, dont la revue 303, consacrée au patrimoine des Pays de la Loire, publia un choix des plus belles pages dans son n°108 en 2008. J'aurais dû également parler des enluminures à la fois naïves et raffinées d'un disciple du Félibrige, réalisées autour de 1900 à St-Remy-de-Provence par Augustin Gonfond, sur qui je possède de la documentation depuis des années, mais dont j'ai négligé de m'occuper lorsque je vis un autre blog parallèle l'évoquer...

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Augustin Gonfond, portrait de sa fille Joséphine, 1895, musée des Alpilles, St-Rémy-de-Provence.

Augustin Gonfond, monstre d'aspect satanique, extrait de l'Ouro de Santo Ano, 1904 (2).jpg

Augustin Gonfond, monstre d'aspect satanique, extrait de l'Ouro de Santo Ano, 1904, musée des Alpilles, St-Rémy-de-Provence.

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Journal du musée des Alpilles de St-Rémy-de-Provence qui servit en 2005 de catalogue à leur exposition sur Gonfond.

 

 

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Du côté de Lausanne (nouvelles de la Collection d'Art Brut, expo James Edward Deeds...)

     Ça bouge à Lausanne. La nouvelle conservatrice est donc Sarah Lombardi... Tandis que Lucienne Peiry continue d'être la "Directrice de la recherche et des relations internationales de la Collection de l'Art Brut". Les expositions du moment sont consacrées, toutes les deux du 15 mars au 30 juin, d'un côté à James Edward Deeds (un temps surnommé "The Electric Pencil", "le Crayon Electrique", surnom qu'on lui donna d'après des inscriptions retrouvées sur ses dessins et avant qu'on ne découvre sa véritable identité) et de l'autre à Daniel Johnston.

 

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James Edward Deeds, Miss Laben (recto), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm. Photo : Atelier de numérisation, Ville de Lausanne. Collection de l’Art Brut, Lausanne ©2010 Electric Pencil Press


          Lucienne Peiry a décidé depuis quelque temps de mettre en ligne à l'usage des amateurs ce qu'elle appelle ses "Notes d'art brut", ensemble d'articles de presse, d'agenda des rencontres et autres conférences nombreuses que donne et organise notre ancienne conservatrice de la collection d'art brut, et également des découvertes les plus récentes qu'elle fait d'auteurs d'art brut (Lucienne Peiry, qui connaît son sujet, maintient en effet, à juste titre, la notion d'auteur d'art brut, qui se distingue, sans qu'elle insiste outre mesure dessus, de la notion "d'artiste" d'art brut que tant de plumitifs approximatifs emploient en ce moment à tire-larigot).

 

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James Edward Deeds, The Black Snake (recto), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation, Ville de Lausanne, Collection de l’Art Brut, Lausanne
©2010 Electric Pencil Press (apparemment le bateau ici représenté n'est pas un navire imaginaire mais existait bel et bien, cf. le film visible sur le site electricpencildrawings.com


         La nouvelle conservatrice, Sarah Lombardi, paraît avoir été en charge du concept de la nouvelle double exposition, Deeds/Johnston. L'expo du deuxième, musicien atypique, chanteur folk passablement excentrique (une sorte de Neil Young cabossé à la voix chevrotante et fragile comme du verre, faisant parfois l'effet d'un ongle griffant une vitre...), était déjà passée à Nantes l'année dernière au Lieu Unique. On devait passer à côté pour aller voir les projections du "Week-end Singulier" de cette année-là. Sarah Lombardi a dû découvrir les dessins de Daniel Johnston à cette occasion. Je me souviens que je lui avais demandé à cette occasion (avril 2012, il y a juste un an) ce que devenait la Collection Neuve Invention qui est comme une poupée russe enclavée au sein de la collection de l'Art Brut, mais dont on n'entendait plus trop parler.

    On sait que selon Dubuffet et Thévoz, ce département devait rassembler tous les cas-limites situés entre art brut et "arts culturels". Or j'apprends dans un encart du site internet de la Collection, que Sarah Lombardi a décidé de redonner un peu de lumière sur cette Collection Neuve Invention... dans laquelle elle range Daniel Johnston. Cela m'a fait l'effet d'une curieuse réponse indirecte et décalée dans le temps. Pour elle donc, la Neuve Invention continue, comme entité à part de la collection princeps sans doute, ce qui à mon humble avis reste une bonne chose et évite les amalgames et les confusions à l'œuvre ces temps derniers. D'autant plus lorsque l'œuvre graphique d'un Johnston qu'on expose à Lausanne reste plutôt de l'ordre du faible et du médiocre (pour moi ce dernier est bien plus surprenant comme musicien que comme graphiste...).

 

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James Edward Deeds à l’âge de 7 ans, 1915, photographe non-identifié


      Rien à voir avec l'extraordinaire oeuvre dessinée de James Edward Deeds (1908-1987), interné depuis 1936 jusqu'à la fin de sa vie, dont on retrouva les dessins exécutés sur des bordereaux de son asile, cousus dans un livre fabriqué à la main, qui a fait l'objet d'un magnifique reprint aux USA (on peut le trouver par ici, par exemple à la Halle Saint-Pierre à Paris), reproduisant il me semble quasi intégralement ces chefs-d'oeuvre d'art naïf (au sens sublime du mot). Quelle suavité, et quelle enfance du regard préservée, se présentent à nous à cette occasion. S'il est un exemple d'art du plus pur immédiat, c'est bien chez James Edward Deeds qu'il faut aller le chercher. Ce livre, cet album de croquis au charme puissant fut sauvé par un enfant qui l'exhuma d'une poubelle où il allait s'anéantir. Que ce soit un enfant qui se chargea de ce sauvetage doit nous convaincre de la mystérieuse complicité qui s'établit par l'esprit entre candides de tous âges.

 

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James Edward Deeds, States Attorney (verso), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation - Ville de Lausanne, Collection de l'Art Brut, Lausanne, ©2010 Electric Pencil Press

 

    Un véritable obsédé des plumes, cet extravagant Mr. Deeds, et pourquoi pas si l'on songe à l'extraordinaire pouvoir métamorphique de cet élément naturel...? Et ces yeux, ces yeux, entièrement baignés de la lumière des voyants, noyés de songes... Deeds tirait le portrait des gens qui l'entouraient, et des animaux aussi, certains peut-être vus à la faveur d'un cirque ayant débarqué dans sa campagne et qu'on avait laissé voir aux pauvres fous pour les distraire un peu. Il dessinait le tout dans une sorte de carnet de bord qui fait un peu penser au livre de croquis de Marguerite Bonnevay que j'ai chroniqué sur ce blog naguère.

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James Edward Deeds, sans titre (verso), entre 1936 et 1966, mine de plomb et crayon de couleur sur papier, 23,5 x 21 cm, photo : Atelier de numérisation - Ville de Lausanne, Collection de l'Art Brut, Lausanne, ©2010 Electric Pencil Press



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”Bricoleurs de paradis” à télécharger désormais en VOD...

    Je crois l'avoir dit, mon livre Eloge des Jardins Anarchiques, est désormais épuisé. Même la Halle saint-Pierre n'en a plus d'exemplaires. On peut le consulter dans toutes les bonnes bibliothèques qui ont eu la sage idée de le commander... Quant au film qui l'accompagnait en DVD, Bricoleurs de Paradis, de Remy Ricordeau, il est maintenant possible de le télécharger en VOD (Video on demand) si le besoin de le visionner se fait sentir. C'est un système de location que propose le site web de la coopérative Les Mutins de Pangée: http://lesmutins.org/bricoleurs-de-paradis. Sur la page d'accueil de ce site, on trouvera en suppléments gratuits les bonus que contenait le DVD du film, notamment les extraits de l'entretien que je fis en 2010 avec Savine Faupin, la conservatrice en charge de la collection d'art brut du LaM de Villeneuve-d'Ascq, mais aussi quelques images du site aujourd'hui démantelé d'André Hardy en Normandie.

 

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Le lion d'André Hardy, qui a été acquis par le LaM avec quatre autres pièces du jardin, photo Bruno Montpied, 2010

   A signaler aussi que le film sera projeté plus traditionnellement à la Médiathèque Marguerite Yourcenar rue d'Alleray dans le XVe arrondissement le 28 juin à 16h. Il vit sa vie désormais...

 

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10/06/2014 | Lien permanent

Samuel Ring?

     Achevant de regarder et de lire un album consacré aux photos de Paris d'un très bon photographe méconnu, dont j'avais repéré depuis pas mal d'années qu'il s'était intéressé à la culture populaire, notamment aux inspirés du bord des routes, Léon Claude Vénézia (1941-2013), je suis tombé sur la photo ci-dessous, dont la légende éoque Claude Brabant, de la galerie associative L'Usine, dont j'ai déjà parlé sur ce blog.

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     La légende est de Vénézia lui-même, commentant ses souvenirs relatifs au cliché. Ce Samuel Ring faisait donc de la peinture, plus naïve-expressionniste apparemment que "brute", en 1982, rue du Buisson Saint-Louis, une rue que j'ai bien connue, de 1978 à 1982, puis à partir de 1998, quand je vins travailler dans une école située juste à côté. Les tableaux que tient ce Ring ne me disent rien. Peut-être que Claude Brabant en possède, puisqu'elle a mis Vénézia sur la voie? Cette défricheuse, également rédactrice en chef d'une revue, Empreintes, qui parle régulièrement d'art du bord des routes qu'elle a parfois photographié, a eu l'occasion d'exposer de temps à autre quelques artistes atypiques, autodidactes populaires, comme une certaine Marguerite Piralian, dont les assemblages et les mosaïques m'avaient séduit dans ces mêmes années 1980.

      Ce quartier du Buisson Saint-Louis, situé dans le bas de Belleville, avait dans les années 2010 - c'est peut-être toujours en place - une autre boutique dont la devanture laissait voir des tableaux trahissant dans certains cas une touche naïve. C'était rue Sambre et Meuse, près du métro Colonel Fabien, et donc très près de la galerie L'Usine de Claude Brabant (102 bd de la Villette). Connaissait-elle ce lieu? Voyez ci-dessous. Je n'ai jamais pu me résoudre à demander à en voir plus. Il n'y avait là, me disais-je, qu'une petite promesse...

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Boutique avec tableaux naïfs signés Ligeon, avec, parfois, sur certains tableaux juste l'initiale L, avec une couronne à son sommet - indice d'un monarchiste? ; ph. Bruno Montpied, Paris Xe ardt, 2012.

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Ph. B.M., 2014.

 

     Ces tableaux étaient dans l'ensemble tellement naïfs que je me demandais si je n'avais pas affaire ici et là à des peintures d'enfants qui seraient venus suivre des activités artistiques auprès de l'artiste de la boutique. Un collège se tenait juste en face. Parmi les tableaux, de factures et de niveaux hétéroclites, il y avait une vue du port de Dieppe, pas naïve, juste appliquée, avec marqué "Fauvisme" (on la voit dans la photo générale de la boutique ci-dessus, je dis ça pour Darnish...). De même, sur une autre étiquette, on apprenait le titre d'un autre tableau, avec un grand mot pour qualifier son style...: " Ship in storm. Surréalisme".

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Ph. B.M., 2014.

 

     Léon Claude Vénézia a beaucoup photographié dans les années 1970 à 1980 le Paris populaire avant d'aller vivre à Aix-en-Provence où il enseigna la photographie. Du temps où il sillonnait Paris, j'aurais pu le croiser (ne serait-ce que dans la galerie L'Usine où je fus exposé en 1987), nous avions beaucoup de thèmes en commun. C'était un émule d'Atget et de Brassaï, reprenant naïvement lui-même les thématiques de ses maîtres. Pour finir, regardons ce portrait de cordonnier qui illustre parfaitement ma catégorie des noms prédestinants.

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L. C. Vénézia, M. Soulié, cordonnier, rue Crozatier, Paris 12e ardt, 1976 ; un monsieur Soulié qui, contrairement à une certaine galeriste de la rue Guénégaud, au nom similaire, a choisi de rester un aptonyme en suivant par son métier le destin tracé par son nom... ; photo conservée à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris.

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”Trait d'union, les chemins de l'art brut (6)” au Château de Saint-Alban-sur-Limagnole: MASSIF EXCENTRAL (6)

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     En Margeride, bien perdue dans une région de la Lozère où les loups manquent vraiment dans le paysage tant ils y seraient bien accordés (sans parler de la Bête du Gévaudan), au milieu de ces massifs d'épineux aux verts ténébreux, à la lumière lugubre, une exposition d'art brut, une de plus au Château de St-Alban. Je me souviens d'une autre en effet il y a quelques années, consacrée à une petite partie de la collection ABCD.

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     C'est qu'ici est née la psychothérapie institutionnelle des psychiatres Bonnafé, Tosquelles, Jean Oury, Roger Gentis, etc... Un mouvement psychiatrique qui voulait soigner aussi bien l'hôpital que les malades qu'il recueillait, en associant, entre autres moyens, ces derniers à la vie de l'hôpital, dans une sorte de participation égale des soignants et des soignés dans l'organisation de la vie quotidienne, ou des fêtes, dans la tenue d'un journal appelé "Trait d'union", d'où le titre de l'exposition ci-dessus nommée, organisée avec la participation du Musée d'Art Moderne de Lille-Métropole, qui a prêté pour l'occasion quelques pièces de la donation de l'Aracine.

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Vue d'une partie de la salle consacrée aux "Chemins de l'art brut (6)", un Barbu Müller à gauche sous vitrine, la robe de Bonneval, des broderies de Marguerite Sirvins et des sculptures et dessins de Forestier au fond, ph. B.Montpied, juillet 2007.

     C'est ici aussi qu'est né l'art brut, d'une certaine manière, non pas parce qu'Auguste Forestier y avait déjà commencé à faire de l'art brut avant que Dubuffet n'en ait inventé le terme (1945, comme on sait), mais parce que c'est précisément avec des créateurs tels qu'Auguste Forestier que Dubuffet commença véritablement à initier sa recherche, et à commencer ses explorations qui allaient devenir par la suite plus méthodiques et systématiques, notamment avec ses voyages en Suisse. Je l'ai déjà signalé dans un assez long article (Bruno Montpied, D'où vient l'art brut? Esquisses pour une généalogie de l'art brut, dans Ligeia, dossiers sur l'art, n°53-54-55-56, Paris, 2004).

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      L'art brut, comme on commence à le savoir, n'a pas été inventé par ceux que l'on classe sous ce nom, Auguste Forestier, Wölfli, Müller ne faisaient pas d'art brut. C'est un concept inventé par Dubuffet, non un mouvement. Lorsque François Tosquelles écrit (du moins c'est Mireille Gauzy, dans le catalogue de l'expo, qui lui prête ces mots): "Lorsque je suis arrivé à Saint-Alban en 1940, Forestier avait déjà inventé l'art brut", cette phrase n'a pas de sens et introduit de la confusion. Beaucoup d'auteurs, ensuite rangés dans l'art brut, créèrent bien avant que Dubuffet ne les découvre, comme par exemple Wölfli, ou Forestier. Tosquelles, s'il a dit cette phrase, voulait peut-être assimiler ces créateurs à des artistes en train d'élaborer un mouvement esthétique ou politique, etc. Mais cela ne correspond pas à la vérité de leur démarche. Ces hommes et ces femmes que l'on a rangés dans l'art brut créaient en état d'urgence, sans se préoccuper le moins du monde de confrontation avec le monde de l'art, dont la plupart du temps, ils ne savaient rien.

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Dessin aux crayons de couleur d'Auguste Forestier sur la couverture du catalogue de l'exposition, "Le Loup et Lagneau"

       C'est donc à Saint-Alban qu'opérait Forestier le sculpteur (qui avait été aussi auparavant un dessinateur, deux beaux dessins sont exposés dans l'expo actuelle de St-Alban ; ces dessins, conservés au départ par le Docteur Maxime Dubuisson, furent ensuite recueillis par son petit-fils le docteur Bonnafé qui en a fait don au Musée de Villeneuve-d'Ascq). C'est là que le découvrit en 1943 Paul Eluard qui fuyait alors Paris avec sa femme Nusch, du fait de son engagement politique avec le Parti Communiste et auparavant avec les surréalistes, desquels il venait justement d'être exclu pour son adhésion au parti stalinien (on sait que certains de ses anciens amis furent inquiétés, comme Desnos, resté lui à Paris bien trop visiblement, et qui fut dénoncé et déporté dans un camp en Tchécoslovaquie où il mourut ; Benjamin Péret fut emprisonné et s'évada, Breton fut inquiété à Marseille lors de la visite de Pétain, etc.).

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Autres dessins de Forestier, dont un représentant la guillotine avec un texte parlant d'Anatole Deibler et d'une exécution capitale prévue à Albi (un peu de sadisme chez Forestier?)

Eluard a ramené des oeuvres de Forestier à Paris dès 1944, il en fait parvenir à Picasso, à Queneau (le catalogue reproduit un "homme-oiseau" que possédait ce dernier, et qui avait déjà été reproduit dans le livre de Dominique Charnay, Queneau, dessins, gouaches et aquarelles, p.69, Buchet-Chastel, Paris, 2003). Dubuffet qui fait la connaissance d'Eluard en 44 en voit chez lui, à Paris donc tout d'abord. Il existe une correspondance avec Queneau (de mai 45) qui prouve qu'il s'intéresse de près à Forestier dont il ne verra les oeuvres à St-Alban que plus tard, après son premier voyage d'exploration en Suisse (en juillet 45 ; il ira ensuite, au début de septembre, à Rodez chez Ferdière et Artaud, interné à Rodez, puis par la même occasion à St-Alban). On ne sait pas précisément le détail de ces prises de contact de Dubuffet avec l'oeuvre de Forestier, et aussi surtout avec ceux qui la collectionnaient. Et il faut dire que cette exposition rate un peu l'occasion d'apporter justement des éclaircissements sur la question... Il faut fouiller le catalogue (p.120) pour trouver simplement une petite phrase énigmatique de Christophe Boulanger qui nous apprend tout à coup que "Dubuffet [fut] mal reçu à Saint-Alban"... Tiens donc, et pourquoi? Aucune explication supplémentaire ne nous est proposée... Cependant, il est loisible au lecteur d'imaginer que les hommes en présence ne sympathisèrent pas (à l'époque, ni Jean Oury, ni le Dr. Roger Gentis, qui eurent des relations avec Dubuffet par la suite, n'étaient à St-Alban), et que ce fut pour cette raison que Dubuffet attendit assez longtemps pour parler de Forestier dans les fascicules de la compagnie de l'Art Brut, et qu'il ne publia un texte sur lui (avec l'aide d'informations venues de Jean Oury, médiateur plus idoine, et arrivé plus tard à St-Alban, soit en 1947) , qu'en 1966 dans le fascicule n°8 de l'Art Brut. Jean Oury a par ailleurs révélé que c'était lui qui avait donné toutes les sculptures qu'il possédait de Forestier à la Collection de l'Art Brut (en 1948-1949 ; il dit cela page 190 de Création et schizophrénie, éd. Galilée, Paris, 1989).

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Une sculpture en bas-relief de Forestier exposée à Saint-Alban, ph B.M., juillet 2007 (il me semble que cette oeuvre fait partie de celles qui sont reproduites dans le fascicule n°8 de la Compagnie de l'Art Brut)

       Sur Forestier, on lira dans le catalogue l'intéressant texte de Savine Faupin,  Le voyageur immobile, où entre autres remarques, elle met en parallèle les fugues de Forestier (interné une première fois de 1906 à 1912, puis une seconde de 1914 à sa mort en 1958 à 71 ans) qui aurait pu croiser sur les routes du Massif Central, nous dit-elle, cet autre infatigable marcheur appelé Albert Dadas, dont la vie et les étranges errances ont été récemment remises en lumière dans l'intéressant ouvrage de Ian Hacking, Les Fous Voyageurs, aux éditions Les empécheurs de penser en rond (en 2002).  J'ai également remarqué ce cas de mystérieux somnambulisme, assez proche du déplacement en état de rêve éveillé, que j'ai plutôt de mon côté associé aux expériences de dérives surréalistes et situationnistes des années 20 et 50 (cf. L'art Brut, l'utopie situationniste, un parallèle, deuxième version remaniée et en cours de rédaction, faisant suite à la publication en 2000/2001 d'une première version parue en américain dans une revue universitaire du Mississippi). 

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Auguste Forestier, un bateau (appelé "Euréka"?)

     Il y eut donc comme un différé dans l'histoire de la découverte de Forestier par Dubuffet. Certaines oeuvres présentées à St-Alban m'ont paru moins connues comme ce bateau "Euréka", que j'insère ci-dessus et qui me semble différent de celui que tient le Dr. Tosquelles sur la carte postale d'invitation à l'exposition (reproduit plus haut en vignette). Ce dernier ressemble davantage à celui que j'ai photographié dans la collection du Dr Ferdière en 1990, après le décés de ce dernier (voir ma note sur Les Nefs des fous), il possède simplement un peu plus d'éléments et de superstructures sur le pont (le catalogue en montre un, appelé "Myra" qui est crédité comme ayant appartenu à Ferdière). Il est difficile de s'y retrouver... Un catalogue exhaustif des travaux connus de Forestier se révélerait utile.

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Autre vue de la salle d'exposition, ph.B.M., juillet 2007

       L'expo de St-Alban n'est pas très grande. elle mêle de façon assez arbitraire des oeuvres de créateurs ayant vécu dans l'hôpital et qui sont classés dans l'art brut (Aimable Jayet, Benjamin Arneval, Marguerite Sirvins, ou Forestier) à celles d'autres auteurs d'art brut dont le lien avec St-Alban n'existe pas, hormis le fait qu'ils ont vécu dans d'autres asiles (Carlo, André Robillard, l'anonyme de Bonneval). C'est une simple expo d'art brut, voilà tout. Des photos sur l'abbé Fouré voisinent aussi ici avec un barbu Müller, sans trop de liens là non plus avec Saint-Alban. C'est l'occasion pour Alain Bouillet de se fendre dans le catalogue d'un long article sur Fouré où il s'insurge de ce que le propriétaire actuel des Rochers n'ait jamais songé à entourer les sculptures de l'abbé d'une information plus sérieuse à leur sujet.

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Détail d'un dessin d'Aimable Jayet exposéà Saint-Alban, ph.B.M., juillet 2007

      De son côté, Madeleine Lommel s'insurge contre l'hypothèse défendue par certains journalistes que l'art brut serait un art "culturel", ce dont elle s'afflige, mais quelques lignes plus bas de son même texte (paru en ouverture du catalogue), elle souligne aussi que les oeuvres d'art brut sont "autant d'invites à ne pas oublier son passé: art populaire, artisanat, travail de la main..." Ce qui est bien dire, me semble-t-il, que l'art brut participe d'un art dont les soubassements culturels sont à rechercher du côté des anciens savoirs artisanaux ou artistiques populaires, non?

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(A gauche, imagerie populaire datant du XVIIIe siècle sur le thème de la Bête du Gévaudan, et à droite, la même Bête sans doute, sculptée par Auguste Forestier, oeuvre -ayant appartenu primitivement à Paul Eluard- prise dans le jardin du Dr.Ferdière en 1990, juste après sa disparition ; à souligner qu'elle a été acquise par l'Aracine en 1995 ; ph.B.M.)
        Il faut aussi souligner pour finir que le film sur André Robillard, excellent mais très court, que Claude et Clovis Prévost viennent de réaliser, est projeté en annexe de l'exposition. Cette dernière se termine le 1er septembre prochain.

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Deux expos d'art brut français, André Robillard, Jean Smilowski

Jean Smilowski

   "L'association La Poterne a le plaisir de vous convier au vernissage de l'exposition "Infiniment Jean Smilowski" (du 18 janvier au 8 juin 2014) organisée par le Musée d'Ethnologie régionale de Béthune et la Ville de Béthune avec le concours de l'association La Poterne, qui se tiendra le vendredi 17 janvier, 18 heures, à la Chapelle Saint-Pry, rue Saint-Pry à Béthune." Tel est le message reçu récemment dans ma boîte à mails et dont je pense nécessaire de vous faire profiter si vous croisez dans les parages de Béthune. On ne découvre jamais mieux l'œuvre conservée de Smilowski, l'homme qui habitait un ranch souterrain près des fortifications de Vauban dans le Vieux-Lille, qu'à travers les présentations qu'en fait régulièrement l'association La Poterne, animée entre autres par Bénédicte Lefebvre, fidèle depuis des années à la mémoire de cet original Inspiré du Nord.

 

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    A noter qu'au vernissage, sera servi un cocktail préparé "par les élèves du Lycée Hôtelier Marguerite Yourcenar de Beuvry" (dixit le carton d'invitation). Il faut dire que Beuvry est un nom particulièrement prédestinant pour des personnes en charge de fabriquer des cocktails… Isn't it?

André Robillard est exposé au musée des Beaux-Arts d'Orléans

    Autre exposition d'art brut français (moi qui en réclamais, je suis servi, quoique pas à la Halle Saint-Pierre et en ordre dispersé en province), dépêchez-vous de vous rendre à Orléans car il ne reste que quelques semaines de janvier pour vous rendre compte de ce qui a été montré du travail à multiples orientations d'André Robillard, qui aura 83 ans cette année, au musée des Beaux-Arts d'Orléans (du 24 octobre 2013 au 26 janvier 2014).

 

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Couverture du catalogue de l'exposition du musée des Bx-Arts d'Orléans


    Un fort joli catalogue est paru à cette occasion (ne coûtant que 10€, une autre façon de tuer la misère), avec des textes de Savine Faupin, de Jean Delaunay, des propos de Robillard retranscrits par Alexis Forestier, l'homme avec qui Robillard a beaucoup tourné dans les spectacles musico-théâtraux "Tuer la Misère" et "Changer la vie". Jean Delaunay est directeur des soins au centre hospitalier Georges Daumézon, centre où fut autrefois, dans les années 60 et après, hospitalisé Robillard, dès l'âge de 9 ans, par son père qui ne pouvait pas s'en occuper en raison d'une certaine violence et d'une trop grande "nervosité" (attitudes qui disparurent avec le temps et le recours à la créativité, qui fut encouragée, dès qu'elle fut reconnue, par les soignants de l'hôpital dont les Dr Renard Gentis). Son père était un garde-chasse, ce qui n'est pas étranger à la confection obsessionnelle par son fils André de toute une série de fusils bricolés à partir de matériaux de récupération, fusils qui ont fini par faire sa gloire dans le monde des amateurs d'art brut, et pas étranger non plus à sa grande fascination pour les animaux en tous genres.

 

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Le monument au fusil d'André Robillard devant le centre Georges Daumézon ; André Robillard pose sans doute avec le responsable de l'entreprise qui a fabriqué le fusil (avec des tubes en acier inoxydable achetés directement en magasin, et non pas récupérés, pérennité du monument oblige, ce qui peut paraître contradictoire avec le côté très souvent éphémère de nombreuses réalisations brutes), ph. Frédéric Lux, 2013


      Cette gloire, comme on sait lui a attiré l'intérêt du monde du théâtre (la compagnie d'Alexis Forestier et Charlotte Ranson, les Endimanchés) qui lui a proposé maintes collaborations sur scène. Récemment a été créé aussi devant le centre Daumézon d'Orléans un monumental fusil fabriqué par une entreprise avec, finalement, la collaboration de Robillard qui a surligné divers éléments dont la crosse (vernie, mais combien de temps durera ce monument, même si est annoncée une maintenance sous la supervision de la DRAC locale?). Comme l'écrit Savine Faupin dans le catalogue, tout va bien tant qu'on respecte la liberté de créer de Robillard, mais est-on bien sûr qu'on l'a respectée dans le cadre de ce fusil gigantesque dressé sous le ciel, dont il ne paraît pas que l'initiative revienne totalement au départ à André Robillard (et au fait, a-t-il touché le moindre kopeck sur cette commande?).

 

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Ph. Frédéric Lux, 2013


    Le catalogue présente les œuvres de Robillard telles qu'on les connaît depuis les années 80 (l'expo s'est faite avec des prêts du LaM qui possède des œuvres grâce à la donation de l'Association L'Aracine), du coup, comme la collection de l'art brut, qui possède des œuvres plus anciennes (puisque Robillard a commencé dans les années 50), n'a pas participé à cette expo, le public peut croire que Robillard a commencé dans ces années 80 (années de début de la collection de l'Aracine), ce qui est erroné. Le catalogue les présente dans leur chronologie, facile à reconstituer puisque Robillard appose scrupuleusement les dates de création sur toutes ses œuvres, qui sont loin de se limiter à des fusils en trois dimensions. On peut essayer de voir si son inspiration faiblit au fur et à mesure du temps (il avoue en aparté en avoir un peu marre de faire des fusils...!). Personnellement, je trouve d'ailleurs qu'il est bien meilleur dans ses expériences graphiques, dans ses paysages de la Lune où marchent Aldrin et Armstrong, comme on pourra s'en convaincre ci-dessous:

 

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André Robillard, La Conquête de l'espace, coll. Frédéric Lux

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Diverses œuvres d'André Robillard agencées par Frédéric Lux


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