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Art brut à Taïwan (6): l'œuvre sculpté du paysan Lin Yuan, par Remy Ricordeau
Le parc de l'oreille de buffle:
l'œuvre sculpté du paysan Lin Yuan
Lin Yuan (1913 – 1991) est aujourd’hui internationalement reconnu comme un des grands noms de la création brute taïwanaise.
Quelques exemples de peintures de Lin Yuan, photo extraite d'un catalogue chinois sur Lin Yuan, DR
Si son œuvre graphique a pu faire l’objet de plusieurs expositions à l’étranger comme à Paris où l’une de ses peintures illustrait l’affiche de l’exposition collective 17 naïfs de Taiwan¹ organisée en 1997/98 à la Halle Saint-Pierre, son œuvre sculpté, tout au moins pour sa partie monumentale qui est la plus importante, est par contre moins connue du seul fait qu’elle ne peut pas être déplacée. Il faut se rendre en effet dans le parc dit de l’Oreille de Buffle, où elle est exposée, pour pouvoir en mesurer l’importance. Ce parc se trouve à Pu li, qui est la ville la plus proche du village de montagne dans lequel Lin Yuan a passé l’essentiel de sa vie. Il se situe à peu près au centre de l’île.
La maison initiale de Lin Yuan avec sa manière personnelle de présenter ses rochers sculptés, ph. extraite d'un catalogue chinois sur ce créateur, DR
Vue d'une partie du parc de l'Oreille de Buffle avec quelques rochers sculptés de Lin Yuan, transférés de leur emplacement d'origine ; ph. extraite d'un catalogue chinois sur Lin Yuan, DR
Ouvrier agricole analphabète originaire du canton de Wuzhi, Lin Yuan est devenu veuf très tôt. La cinquantaine passée, ses enfants (cinq garçons et trois filles) devenus adultes, lui suggérèrent d’abandonner le travail des champs et lui proposèrent pour soulager sa vie trop solitaire et laborieuse de s’occuper de la garde de leurs propres enfants. Tout en accomplissant cette tâche, il s’amusa à leur confectionner des jouets à l’aide de divers matériaux de récupération. Il se prit au jeu de la création. Croisant un jour des voisins remontant des galets de la rivière toute proche pour quelques travaux de maçonnerie, l’envie lui vint d’essayer d’en sculpter. Il s’attaqua ensuite à des roches et des rochers de plus grande taille. Le bouche à oreille aidant, une réputation d’artiste-paysan se mit à circuler sur son compte, laquelle fit l’objet d’un article dans un magazine local.
Lin Yuan sur un de ses rochers peints, ph. extraite de la monographie sur Lin Yuan, DR
Un banquier fortuné de la ville de Pu li dénommé Huang Pinsong, lui rendit visite et, fasciné par cette œuvre singulière, lui acheta la totalité de sa production. Lin Yuan, encouragé alors par l’enthousiasme de Huang, décida de se consacrer désormais sans relâche à ses activités créatrices. A partir de ce moment, et suite à sa rencontre avec Hung Tung, autre créateur autodidacte aujourd’hui également reconnu, il convint de diversifier ses travaux en s’initiant à la peinture et même à la broderie sur toile.
Broderies de Lin Yuan, ph. extraite de la monographie sur le créateur, DR
Soutenu par quelques intellectuels et artistes, la réputation de Lin Yuan s’élargit alors au-delà des limites du comté. Quelques expositions furent organisées dans différentes villes de Taiwan et son protecteur Huang Pingsong contacta même Jean Dubuffet pour attirer son attention sur Lin Yuan.
Lettre de Jean Dubuffet à Ping-Song Huang, 9 novembre 1982, reproduite dans la monographie sur Lin Yuan, DR
Au milieu des années 80, ce même Huang Pingsong décida d’acquérir à Pu li un terrain pour présenter les œuvres de son protégé et lui permettre d’en créer de nouvelles en lui offrant de meilleures conditions de vie et un minimum de confort. Lin Yuan s’installa ainsi dans une petite maison qui y fut alors construite à son intention (actuellement encore habitée par l’un de ses fils). Aujourd’hui le jardin qui comprend un petit musée et est agrémenté de ses sculptures les plus volumineuses, est devenu un lieu de promenade et de villégiature : après la disparition de Lin Yuan en 1991, son mécène fit construire une cafétéria et un ensemble hôtelier en bungalows pour recevoir des groupes de touristes et rentabiliser le lieu.
Moufflon de Lin Yuan, photo Remy Ricordeau, 2014
Les nombreuses sculptures en extérieur, malgré le peu de soins apportés à leur présentation et à leur conservation, sont impressionnantes par leur grande force expressive qui ne s’embarrasse pas de fioritures. Jamais peut être la notion de « brut » ne s’est aussi bien appliquée à une œuvre qu’à celle de Lin Yuan. Les traits grossiers, comme les coups de marteaux ou de ciseaux vont à l’essentiel. L’artifice est absent de cette œuvre que l’on sent convulsive, comme si elle avait dû être réalisée dans une urgence pour rattraper un temps perdu. Pendant les sept ans que dura son séjour à l’Oreille de Buffle, il aurait créé plusieurs centaines d’œuvres de tous formats et sur tout support afin d’alimenter ce qui allait devenir son musée. Une photo le représente assis sur une des roches qu’il a sculptée dans l’attitude de celui qui vient de terrasser un monstre.
Lin Yuan, Le Baiser, ph. Remy Ricordeau, 2014
La sculpture semblait pour lui un combat ou un défi qu’il relevait chaque jour comme si l’enjeu était de parvenir à maitriser une matière brute qui ne cessait de lui résister. La lutte dût être si intense qu’en 1988 il tomba malade et dût être hospitalisé. Après cette crise, devant ménager ses forces, il privilégia des créations moins physiques comme la broderie ou la peinture.
Lin Yuan, la femme de mauvaise vie, ph. R.R., 2014
Si l’inspiration de Lin Yuan est fortement influencée par son milieu d’origine, ce qui l’amènera à représenter nombre d’animaux domestiques, d’élevage ou sauvages, il était également très porté sur des sujets que traditionnellement les Chinois ont plutôt tendance à occulter : l’amour et la sexualité (selon l’historien sinologue Van Gulik, la représentation amoureuse ou sexuelle dans l’art chinois a le plus souvent une visée didactique). Ces deux thèmes sont pourtant très présents dans l’œuvre de Lin Yuan, quelques-unes de ses représentations, sans aucune visée didactique, confinant même à une certaine pornographie comme cette femme de mauvaise vie exhibant les parties les plus intimes de son anatomie. Les attributs sexuels masculins, souvent de taille fort honorable, sont également très souvent représentés dans ses peintures comme dans ses sculptures les plus monumentales. Dans un pays de culture encore très pudibonde, cette partie de son œuvre fut interprétée de son vivant comme la conséquence de son veuvage précoce. Lui ne s’en expliqua jamais, s’amusant sans doute des explications délivrées en son nom et n’en continuant pas moins allègrement à représenter des personnages librement inspirés.
Remy Ricordeau
¹ A Taïwan et désormais en Chine où l’emploi du terme se diffuse dans les milieux intéressés, on emploie maintenant le vocable de Su ren yi shu pour désigner l’art brut que l’on pourrait littéralement traduire par l’art des hommes purs, contrairement à Tien zhen yi shu qui signifie art naïf, Tien zhen signifiant en l’occurrence naïf.
27/04/2014 | Lien permanent | Commentaires (22)
André Bindler, un sauvetage remarquable
J'avais remarqué à la parution du Guide de la France Insolite de Claude Arz (1ère édition, 1990, le site disparut à la seconde édition) un très étonnant site accumulatif à Sickert en Alsace dû à un ouvrier-paysan (tisserand, puis régleur de machines dans l'industrie textile) appelé André Bindler. C'était du reste un des rares lieux cités dans le bouquin qui fût quelque chose d'inédit, le reste étant une habile compilation de découvertes faites par d'autres chercheurs mélangées à des évocations de sites mystico-baba-new age à la mords-moi-l'noeud...
Une association "Traces+Signes Sundgau", animée entre autres par Jean-Claude Altoe et aidée par Bernard Chevassu (très grand défenseur de nombreux sites et environnements situés dans l'est de la France, quand est-ce qu'il réunira en un seul livre tous ses articles sur la question?), avait déjà exposé Bindler à l'occasion de l'exposition "Art autre, autre art" en 1982 à Altkirch (une maquette de bateau assez "brute"). Mais c'était à peu près tout, à ma connaissance bien sûr (si l'on excepte bien sûr les articles de presse régionale qui sont légions sur ces environnements et autres créations d'autodidactes).
L'environnement créé par Bindler (né dans les années 20) est tout à fait remarquable. Fait d'une accumulations d'objets installés sur les murs de sa ferme et de statues d'hommes ou d'animaux souvent peints en bleu (de style plus naïf que brut, le cerf y étant un motif récurrent), de décorations peintes au pochoir sur les murs, il est principalement consacré à l'évocation de son pays et de ses habitants, qualifiés sous le terme générique du "Sickertois". C'est le premier thème, car secondairement il a aussi chanté les louanges de certains grands hommes en les statufiant naïvement, notamment les officiers rendus célèbres par la libération de la France (Leclerc, De Lattre de Tassigny, De Gaulle..., les mêmes qu'on retrouve dans le site de statues naïves dues à Raymond Guitet à Sauveterre-de-Guyenne, réalisé plus tôt, juste après la Seconde Guerre, alors que le site de Bindler a été créé de 1979 à 1992).
Il s'est aussi livré à des facéties (des statues de"buveurs de bière", censées caricaturer gentiment les Allemands avec qui les Alsaciens entretiennent des rapports ambivalents). Il s'intéressait aussi à des sujets plus exotiques, de même qu'il éprouvait un véritable amour pour la nature (nombreuses statues animalières). Son environnement était qualifié par lui de "musée de la Doller", du nom de la vallée où il vivait. Doit-on entendre aussi par en dessous "musée de la douleur"...? Je me hâte de préciser que rien ne paraît le confirmer dans les sujets traités.
Il a renversé de façon amusante un certain ordre muséographique en exposant dans des galeries couvertes des éléments naturels (souches, branches tordues, racines...) qu'il a interprétés, alors que ces éléments proviennent du monde extérieur, perpétuellement à l'air libre, alors qu'il laissait ses statues et certaines de ses maquettes (Notre-Dame-de-Paris, Tour Eiffel, décidément très à l'honneur chez les créateurs populaires d'environnements) dehors, à la merci du climat. A propos de maquettes, il en a confectionné plusieurs, une vingtaine de maisons de son village, plusieurs églises, qu'il exposait dans une galerie décorée de masques grotesques (Voir ci-dessous, photo site Marc Grodwohl)
Et ce qu'il y a de formidable avec cet environnement, c'est le sauvetage auquel il a donné lieu. Sauvetage n'est peut-être pas le mot adapté du reste, car le site n'était pas encore en péril lorsqu'il fut transféré avec l'accord de son auteur par des bénévoles sous la direction du passionné Marc Grodwohl, directeur et fondateur depuis des années de l'Ecomusée d'Alsace à Unguersheim (il ouvrit en 1984) sur le site de l'Ecomusée (le site fut remonté dans une disposition équivalente et restauré respectueusement avec la supervision et l'accord d'André Bindler). Il faut dire que cet Ecomusée est un projet merveilleux, ayant déjà sauvé entre autres objets, monuments et architectures rurales, par exemple le célèbre carrousel-salon Demeyer à la façade sculptée par Gustave Bayol, connu pour ses petits cochons et chevaux de manége forain. Ce n'est pas un écomusée comme les autres, car il est bien plus ouvert sur l'ensemble des aspects de la créativité populaire, ne se limitant pas aux seuls outils ou objets rustiques par exemple.
Le récit du transfert, l'analyse du site avaient déjà fait l'objet d'une petite brochure vendue sur place. Depuis que M.Marc Grodwohl a malheureusement été licencié de la direction de l'Ecomusée l'année dernière, il a créé un site, auquel nous renvoyons vivement les lecteurs de ce blog (il est tout à fait passionnant à lire, je pense que Belvert en aura peut-être déjà entendu parler...), et où l'on retrouve ces textes, enrichis de nombreuses mises à jour (ainsi que de nombreuses autres photos). A noter également que Marc Grodwohl tente une enrichissante confrontation avec un autre site, canadien, celui de Georges Racicot, qu'il associe nommément à "l'art indiscipliné" québécois (une connection s'est donc faite entre Marc Grodwohl et la Société des Arts Indisciplinés? On aimerait des commentaires là-dessus). En parcourant le site de Marc Grodwohl, on découvre que comme par hasard il fait aussi référence à la collection Humbert (ainsi qu'à la Société des Arts Indisciplinés), références donc communes avec Le Poignard Subtil.
Donc, il est prouvé qu'en France, pourvu qu'un terreau culturel existe, favorable à l'art populaire sous toutes ses formes (car trop d'amateurs d'arts et de traditions populaires restent hermétiques à l'art brut et aux habitants-paysagistes qu'il regarde avec condescendance), des entreprises de sauvegarde patrimoniale sont possibles, sans atermoiements inutiles pour cause de difficultés bureaucratiques ou financières (je pense à ces imbroglios, ces stagnations qu'on constate du côté des communes propriétaires des sites dans leurs rapports avec les Monuments Historiques). La passion bénévole soulève les montagnes bien souvent. On l'a déjà constaté à la Fabuloserie par exemple, avec le sauvetage du merveilleux Manège en fils de fer et tôles de Pierre Avezard.
05/07/2007 | Lien permanent
Pour servir à l'histoire de Marie-Louise et Fernand Chatelain (2): ”J'ai point le temps d'aller au club du troisième âge
Le 23 novembre 1977, paraît dans le Libération de l'époque un article signé M.Ch.Husson et J.P. Duvivier (sans doute photographe sur l'article) et intitulé "Dérive chez les bâtisseurs de rêve. Le bestiaire de Fernand et Marie-Louise Chatelain (78 et 75 ans)". En voici un large extrait, choisi essentiellement pour les propos des Chatelain:
"Fernand et Marie-Louise Chatelain, [...], feuilletaient aussi leur dictionnaire, et découpaient des "quartiers de journaux". Ce dictionnaire, ils l'ont toujours. Si vieux, si disloqué que, voilà un couple d'années, ils sont partis à Alençon en acheter un neuf. Ils ont été bien déconfits. Les dictionnaires ne sont plus ce qu'ils étaient. "Il n'y a plus d'images". Ils ont garé le livre neuf, et ont continué à faire vivre les pages de l'ancien dans leur cour, autour des premières réalisations de Fernand.
- "En qualité de Chatelain, dit-il, j'ai d'abord fait un château". "On trimballait encore pas mal, dit-elle. On était allé sur la route de Bretagne, dans une station service, il a vu un château, il a voulu essayer d'en faire autant. On avait été à Chambéry, itou. Il a fait la fontaine des 4-100-Q (des quatre sans cul). Je rouspétais au début, je trouvais ça drôle..." Maintenant, elle ne dit plus rien. Elle caresse dans la cour les oreilles d'un âne. "On dirait-y pas du velours? Et les yeux dirait-on que c'est des boutons? Vrai qu'elle est belle, la sienne. Elle a une belle chevelure, c'est le crin d'une banquette de voiture". Fernand intervient: "J'avais fait des centaures. Ils avaient les bras en l'air. Je me suis dit, pour les occuper, je fais faire une sirène... Et là, mon dragon, c'est un genre de chauve-souris. On voit ça dans le dictionnaire. C'était pas facile de faire les ailes. Je me suis dit je vais les faire ouvertes, c'est moins ordinaire. Au derrière, comme j'avais de la place, je lui ai fait une grande queue, au lieu de plumes..."
"Moi, reprend Marie-Louise, je lui donne des idées pour la peinture. Rouge et jaune, j'aime bien ça ensemble. D'abord les grilles, on les a peintes en rouge et jaune..."
Enfant de cultivateur, Fernand a d'abord été boulanger jusqu'à 27 ans. Puis il a épousé Marie-Louise, sa payse, fille de cultivateurs. Et ils ont repris une ferme, là-bas, dans la descente, là où il y a l'usine. Ils ont vendu le "noyau" - les bâtiments - à l'usine, sont venus s'installer là. "Il n'y avait que des prés, se souvient Marie-Louise. La maison a été montée de décembre 1960 à la Chandeleur 1961. On y est venu qu'en octobre. On restait culture, jusqu'à la retraite. Le patron a commencé à faire des clôtures..."
- "C'est bien bizarre, dit Fernand, L'idée nous vient d'occuper le terrain. On avait de la place, il y avait du vide. Je me suis dit si dans la clôture, je faisais des affaires entrelacées?"
- "Oui, mais attention, coupe-t-elle. Pas devant la porte..."
- "Ah, Ah, s'amuse Fernand, Madame, elle veut pas que je touche à la porte, ni à l'intérieur... J'ai fait des essais, Pégase, le cheval ailé du dictionnaire, et j'ai continué... je récupère dans les dépotoirs, chez les mécaniciens des bouchons de bouteille pour faire les yeux.Je m'ennuie point. Tout ça, ça vient en le faisant. Le matin, quand je dors pas, je cherche les complications. J'ai point le temps d'aller au club du troisième âge. Mais je n'ai aucun talent de dessinateur. Des fois je gribouille, je dis à la patronne, "ça ressemble à quelque chose?" Elle me dit "c'est bien, c'est pas bien, j'y mettrais une queue, une patte". Des fois, on est zéro en imagination. Je lui dis. Elle répond "laisse donc tout ça, tu nous hébètes avec tes machines" Et puis on repart. Au début, il y avait un représentant qui m'amusait pour me vendre une voiture. Un as du dessin. Il me faisait des sujets sur un papier... Moi, pour les physionomies, ça va pas".
- "Sauf Giscard, corrige Marie-Louise. Vous avez vu le gabarit, pour les visiteurs. Sa carcasse de grillage qu'il bourre de papier et recouvre de ciment? Il en faisait un. Je lui dis, c'est Giscard. Il me répond "Penses-tu, c'est pas Giscard" Je lui dis "c'est tout vrai, c'est Giscard" Et une touriste belge nous a photographié à côté de Giscard. C'est-y possible de s'amuser pareillement à nos âges!"
C'est l'hiver. Fernand a des sujets en réserve. Il nous montre son atelier, sa boutonnerie - une boîte à yeux - un coq qui pond, un Anglais, un accident de voiture, un cochon qui fait du boudin, récupéré par un autre sujet, mangé par un serpent. Des boxeurs. Un photographe. Bonjour écrit en grandes lettres sur la grille, à côté de la nationale. Un jour des fêtards avaient carambolé tous les sujets de Fernand. "Les gens du pays sont venus m'aider à tout relever", se souvient-il. "Les gens, ça les amuse".
"Ils ont le sourire, c'est pas croyable" dit Marie-Louise. "Encore une journée de passée. On prend la soupe à 6 heures, on regarde les chiffres et les lettres à sept heures". Fernand va vendre du bois. "Au printemps, dit-il, en montrant des rosaces peintes sur des cartons, en haut d'un hangar, ça pourrait bien tourner à faire des sujets là haut. L'imagination, ça occupe". "On nous demande de vendre. On veut pas. On aime bien voir ça, et tout le monde peut en profiter. Le patron fait ça pour son plaisir", dit-elle. Et lui termine en s'esclaffant. "Ca coûte, mais moins que si je faisais la bringue tous les jours".
10/10/2008 | Lien permanent
Miroslav Tichy, océan pacifique
J'avais été intrigué à l'exposition de la collection d'art brut d'Arnulf Rainer, à la fondation Antoine de Galbert-La Maison Rouge (en 2005, Paris), par quelques photos qui paraissaient comme volontairement abîmées, plutôt floues, représentant des femmes comme s'il s'agissait de clichés voyeuristes. Un photographe brut? Tiens, tiens...
Il existait bien aux USA le cas d'Eugène Von Bruenchenhein, cet homme qui adorait sa femme et la photographiait sans cesse parée de bijoux, parfois dans le plus simple appareil (quoique sans trop d'érotisme). De la photographie amateur existe aussi bien entendu (aujourd'hui le domaine doit exploser avec tous ces petits appareils numériques pas plus grands que des cartes à jouer). Des livres ont été souvent consacrés à la question, plus précisément à la photo anonyme. Sur ce blog, j'ai également évoqué les cartes postales à plusieurs reprises, notamment le 30 mars. La photo a prolongé bien évidemment l'imagerie populaire gravée. Roger Cardinal, interrogé sur la photo "brute", m'a indiqué avoir écrit sur la question. J'espère avoir communication ultérieure de cet article. Or, voici une importante exposition au Centre Georges Pompidou consacrée à Miroslav Tichy, qui nous renseigne davantage (que l'expo de la Maison Rouge), en une centaine de clichés au moins, sur les recherches de cet homme hors du commun.
Il n'y aurait pas de Miroslav Tichy sans le rôle central, quoique discret, joué par un médiateur capital, Roman Buxbaum. Cet attelage à deux individus, le créateur et son médiateur auprès du public, nous rappelle déjà un trait commun aux créateurs de l'art brut. Ces derniers viennent rarement jusqu'à nous sans un truchement extérieur, qui assure la communication. En l'occurrence, il semble que l'activité photographique de Tichy n'ait pas été destinée à être montrée. Roman Buxbaum (voir Un Tarzan en retraite, souvenirs de Miroslav Tichy, publié dans le catalogue de l'expo du Centre Pompidou) restitue l'aspect relativement contradictoire de la position de Tichy vis-à-vis de la communication de ses photos: "Il aime les montrer à ses visiteurs. Mais admet rarement avoir donné son accord pour que ses oeuvres soient exposées. Et lorsqu'il est de mauvaise humeur, il accuse et insulte quiconque ose les montrer au public. Pourtant, lorsque je lui ai apporté le catalogue de l'exposition de Séville [première exposition de ses photos en 2004 à l'initiative de Harald Szeemann], il n'a pas caché son émotion".
L'activité photographique de Tichy, toujours selon Buxbaum, paraît une activité très intime qui se serait développée après une crise psychotique survenue dans les années 50, suite au vernissage d'une expo à Prague dans un lieu réputé où ses peintures avaient été sélectionnées mais que Tichy décida brusquement de retirer à la dernière minute (Tichy est aussi un peintre et un illustrateur, ayant eu au départ une formation à l'école des Beaux-Arts de Prague). Il a été sujet à de nombreuses dépressions depuis l'adolescence, nous dit-on, qui sont des périodes où paraît s'anéantir une créativité qui ne se développe au contraire que lorsqu'il est en bonne santé.
Ses photos, que Buxbaum va parfois repêcher dans le magma océanique du logis où Tichy laisse aller ses affaires à vau-l'eau, parlent très souvent des femmes, des corps de femmes inconnues, croisées, entraperçues, semble-t-il à leur insu. Ces clichés volés montrent des instants de grâce, de beauté érotique qui surgissent inopinément, dans un paradoxe seulement apparent, au travers d'une technique bricolée. Tichy a réinventé le sténopé, la boîte à chaussures munie d'un trou et d'un papier photographique, il a fabricoté des appareils à partir d'objets de récupération (dans le film que lui a consacré Roman Buxbaum -Miroslav Tichy, Tarzan à la retraite, édité en DVD, disponible à la librairie de l'expo au Centre Pompidou- il montre le bouton de rembobinage d'un de ses appareils faits à partir d'une capsule dentelée de bouteille de bière). Idem pour son agrandisseur confectionné à partir de planches et de lattes arrachées à une clôture. C'est comme si nous avions affaire au cousin de l'André Robillard qui fabrique des objets symboliques (ces fusils qui ne font feu qu'imaginairement), sauf que les appareils photo assemblés vaille que vaille avec des boîtes de conserve par ce "cousin", ici, peuvent prendre aussi des photos!
Les organisateurs de l'expo, en raison de ces bricolages, l'associent aux outsiders et à l'art brut. Mais la parenté avec cette dernière conception est également à rechercher ailleurs, comme je l'ai souligné au début de cette note. L'oeuvre photographique (cela finit par être une oeuvre, en dépit du fait, en outre, que Tichy "n'aurait jamais accepté d'être considéré comme un photographe", dixit Buxbaum) est avant tout une action qui cherche à se rapprocher au plus près de la vérité de ses sujets. Il s'agit pour Tichy de capter au plus immédiat la grâce de la vie, le mystère des formes et des incarnations qu'il a tendance à concevoir comme des apparences illusoires (dans son film, Tichy évoque le mythe de la Caverne de Platon, mythe destiné à prouver que l'homme est condammné à n'entrevoir de la vérité que son ombre).
"Quand quelque chose attirait son attention, il attrapait son appareil, soulevait de sa main gauche le bord de son pull et, de sa main droite, ouvrait l'étui et appuyait sur le déclencheur sans même regarder dans le viseur. Son mouvement était si fluide et rapide qu'il était presque impossible à remarquer. En riant, il dit qu'en procédant ainsi, il pouvait attraper une hirondelle en plein vol" (Roman Buxbaum, les derniers mots soulignés par l'auteur sont de Tichy). L'hirondelle de ses désirs...
Signe supplémentaire de son indifférence à l'égard des conventions esthétiques de présentation, Tichy a confectionné des cadres bricolés avec des pauvres matériaux de hasard, décorés parfois de dessins ou de motifs griffonnés, pratique qui rappelle celle du poète Boris Bojnev (un Slave là aussi) qui en Provence s'était adonné à la mise en cadre d'oeuvres naïves trouvées en brocante. Ces deux formes de création réalisées autour d'un sujet empreint de poésie vitale sont du reste apparues dans les mêmes décennies d'après-guerre (Tichy, qui est toujours vivant, paraît avoir cessé ses activités artistiques dans les années 90, période qui précéde curieusement sa reconnaissance publique, comme si cette dernière ne pouvait avoir lieu qu'après la création et pas pendant). Certes Tichy a eu une formation artistique, et cela le distingue des autodidactes de l'art brut. Il serait à mettre en rapport avec ces grands inclassables de l'art que sont Soutter, Charles Meryon, Louis Wain (dont je parlais dans une note précédente), Ernst Josephson, etc, autant de créateurs artistes au départ qui à la faveur d'un basculement dans un état psychotique ultérieur ont orienté leurs travaux dans un sens profondément intériorisé. Ce qui est bien en rapport avec l'enjeu de l'art brut en définitive.
L'expo Miroslav Tichy se tient au MNAM du Centre Pompidou, à la Galerie d'art graphique, du 25 juin au 21 septembre 2008. Les photographies exposées proviennent sauf quelques-unes de la fondation Tichy Ocean basée à Zürich. "Tichy" en tchèque se traduit par paisible, pacifique. L'univers de chaos et de hasard dans lequel vit Tichy ressemble à un océan. L'océan Tichy. Ce qui donne par jeu de mots l'océan pacifique... D'où le nom de la fondation de Zürich.
02/08/2008 | Lien permanent | Commentaires (2)
A la découverte d'Axel Henrichsen avec Jean Painlevé (1956)
J'ai parlé naguère de Jacques Brunius dont la vie et l'oeuvre me fascinent. Dans son film génial sur les créateurs de violons d'Ingres en tous genres, daté de 1939, premier documentaire sur l'art populaire et brut (avant la lettre pour ce dernier terme) en Europe (et on peut bien l'oser: au monde...), apparaissait de façon fugitive un autre cinéaste poétique et tout aussi génial, cousin en esprit de Brunius, j'ai nommé Jean Painlevé.
Né en 1902 et disparu en 1989 (pour sa biographie, on peut se reporter utilement à cette notice dûe à Brigitte Berg qui anime aujourd'hui les Documents Cinématographiques, garants de la mémoire de Jean Painlevé), ce dernier est surtout connu comme le pionnier d'un cinéma scientifique de vulgarisation, ce dernier terme n'étant bien entendu pas à prendre dans un sens dépréciatif, puisque Painlevé songeait par là à la facilitation de la diffusion du savoir scientifique vers le grand public (pour ne pas dire le public populaire). Pour ce faire, il ne s'interdit jamais d'user de l'humour, de la poésie et de la fantaisie dans ses documentaires concis, où la musique, par exemple le jazz de style "jungle" dans son film Assassins d'eau douce sur la prédation en milieu aquatique, est parfois amenée à jouer un grand rôle créant des décalages amusants. Painlevé ne dédaigne pas non plus d'employer un regard parfois fortement anthropomorphiste, attitude qui après des décennies d'éteignoir sous prétexte de recherche d'objectivité reprend de la faveur ici ou là (par exemple dans la littérature jeunesse documentaire). Elle lui fut reprochée, comme l'a souligné Brigitte Berg (voir lien ci-dessus), mais Painlevé balayait l'argument en disant ceci par exemple: "Tout est matière à l'anthropomorphie la plus saugrenue, tout a été fait pour l'homme et à l'image de l'homme et ne s'explique qu'en fonction de l'homme sinon " ça ne sert à rien " ".
Son oeuvre, qui nous revient aujourd'hui à la faveur de sa réédition sous forme de DVD, grâce aux Documents Cinématographiques (société de production fondée par Jean Painlevé en 1930), n'a pas pris une ride, et a gardé toute sa fraîcheur. A la parcourir, on s'aperçoit aisément qu'elle a influencé des générations de documentaristes spécialisés dans l'évocation de la nature (je pense notamment à l'excellente série sur les "Inventions de la vie" de Jean-Pierre Cuny). Jusqu'à présent, trois DVD sont sortis, contenant bien entendu les documentaires animaliers et scientifiques qui ont fait la renommée de Painlevé (beaucoup étant en rapport avec le monde sous-marin, avant les films de Cousteau), mais aussi certains courts-métrages plus expérimentaux comme Mathusalem (1927), ensemble de cinq séquences (où joue Antonin Artaud)
initialement prévues pour une pièce de théâtre d'Ivan Goll (avec qui Jean Painlevé, entre parenthèses, collabora pour le n°1 de la revue Surréalisme, revendiquant ce vocable inventé par Apollinaire de façon différente de celle revendiquée par les jeunes André Breton, Philippe Soupault, Aragon, etc. ; à noter que Painlevé resta à l'écart du surréalisme bretonien, même s'il entretenait de bons rapports avec certains de ses membres, apparemment selon Brigitte Berg pour des divergences de vue sur l'importance de la musique). On trouve aussi dans ces trois compilations, un film d'animation extraordinaire avec des personnages en pâte à modeler, Barbe-Bleue (adaptation de 1937 du célèbre conte de Perrault), dont la technique devance de très loin les films des studios Aardman (Wallace et Gromit).
Et puis, on y trouve aussi (DVD n°3, édité en 2007, double DVD), un film qui nous regarde davantage, quant à la thématique plus particulière de ce blog, à savoir LE MONDE ETRANGE D'AXEL HENRICHSEN qui date de 1956. Oui, Jean Painlevé s'est aussi intéressé à l'art des autodidactes, et grâce à ce film peut figurer dans ce segment du documentaire artistique qui concerne l'art brut, naïf, populaire, où vient en tête Violons d'Ingres de Jacques Brunius (1939), et où figurent aussi le Palais Idéal d'Ado Kyrou (1958), puis Le Facteur Cheval, "Où le songe devient la réalité" de Claude et Clovis Prévost (1980), films que l'on a eu la chance de voir projetés à Nice dans les programmations de l'Association Hors-Champ (qui projette pour bientôt la publication d'un petit ouvrage sur sa programmation et cette filmographie à part).
J'ai découvert ce film à la fin des années 80 à une rétrospective des films de Painlevé qui avait lieu au cinéma Le République. Painlevé était là et présentait les films. Sur Axel Henrichsen, il se plaignit de ce qu'il n'ait jamais enregistré aucune réaction à son sujet. J'étouffai au fond de mon fauteuil, en moi une voix criait, mais comment donc, votre film est pourtant absolument magnifique, en outre il révèle un créateur que le corpus de l'art brut ou autodidacte n'a jamais retenu. Je m'étais alors juré de trouver un jour un espace où parler de ce film et de ce créateur.
"Une famille près de Copenhague créait par des moyens très personnels des formes du vivant avec des matériaux variés. L'un d'eux, forgeron, utilisait aussi bien du bois que des détritus végétaux ou animaux (il possédait un grand jardin où régnait sa femme avec de magnifiques plantes et fleurs diverses...).
J'en filmais une "actualité" qui, comme quelques autres d'entre elles, n'intéresse personne... C'était en vue de susciter chez les gosses des imitations du même ordre, de fabrication peu coûteuse... (...) Les distributeurs qui connaissaient le genre de mes films, méprisèrent celui-ci en décrétant qu'il n'offrait aucun intérêt. Je l'avais fait en deux jours, un d'été et un d'hiver." (extrait du catalogue "Jean Painlevé" édité en 1991 par Les Documents Cinématographiques).
Axel Henrichsen, comme le dit Painlevé faisait partie d'une famille qui aimait se récréer grâce à divers techniques artistiques. Le film montre au début du reste quelques peintures dûes à ses proches, que l'on trouvera à juste titre assez conventionnelles. C'est Axel qui fabrique des oeuvres vraiment plus originales à partir de racines dans un premier temps (à partir de 1942 semble-t-il, "son pied ayant heurté une racine" -phrase qui fait penser fortement à la première pierre trouvée par Ferdinand Cheval) puis avec des os de boucherie ensuite (os que lui ramènent ses chats et les renards qui rôdent autour de sa maison, on les voit dans le film). Et ces oeuvres pourraient tout à fait à mon sens relever de l'art brut tant elles figurent des personnages grotesques et drôlatiques faisant parfois songer à des diables de cathédrales ou à des extra-terrestres, en tout cas assez peu en référence à la vision convenue de la réalité.
On aimerait fortement savoir ce qu'est devenue l'oeuvre de ce monsieur au Danemark. L'exposition "Gars du nord" organisée en 1988 à la Maison du Danemark, consacrée en partie à l'art populaire du Jutland, ne parlait pas de lui. Google me paraît bien muet aussi sur ce sujet. Alors, si quelque internaute a des lumières sur la question, qu'il n'hésite pas...
17/02/2008 | Lien permanent
Infos-miettes (26)
Solange à Bruxelles
Solange Knopf s'en vient à Bruxelles exposer à nouveau, cette fois hébergée par deux passionnés de son travail, Clem et Claude Jadot. L'exposition a une durée météorique, deux jours seulement, les samedi 9 et dimanche 10 mai (de 14 à 19h), le vernissage se passant le vendredi 8 mai de 18 à 22h. Voici l'adresse pour ceusses qui aimeraient y faire un tour: 77, Drève des Renards, Uccle, Bruxelles.
Solange Knopf, sans titre, 109 x 79 cm, crayons de couleur sur papier en fibre de bambou, 2015 ; Ph Luc Shrobilgten
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Galerie Isola de Francfort, de l'art brut en Allemagne: Ernst Kolb
La galerie Isola à Francfort, dirigée par Patrick Lofredi, un Français installé en Allemagne, galerie qui était présente au récent salon outsider art fair de Paris à l'Hôtel le A, présente actuellement une exposition sur un nouveau venu dans le champ de l'art brut, Ernst Kolb, à l'occasion de la sortie d'un livre de Rolf Bergmann consacré à ce créateur. Cela dure du 3 avril au 24 mai. Adresse: Falkstraße 40, 60487 Francfort. Tel 01 57 34 92 23 72. Ils ont un site web bien sûr: http://www.galerie-isola.de/. L'art brut en Allemagne est un terrain très peu connu en France, n'est-il pas?
Ernst Kolb, portrait et dessins, photo extraite de www.outsider-art-brut.ch
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Et toujours le musée d'art brut et naïf de Suisse orientale, le "museum im Lagerhaus" (l'Entrepôt) à Saint-Gall qui présente cette fois une collection privée...
Alfred Leuzinger (1899-1977), Homme avec coléoptères (autoportrait), crayons de couleur sur papier, © Museum im Lagerhaus, Collection Mina und Josef John
Du 21 avril au 18 Octobre 2015 (ouverture le 20 avril), se tiendra une exposition consacrée à la collection de Mina et Joseph John avec environ 650 œuvres d'art brut ou populaire suisse. Il semble que cette collection soit ouverte au public en dehors de cette manifestation. Parallèlement à l'expo, le musée Im Lagerhaus présente dans sa documentation un aperçu de la collection complète (de même sur son site web, on peut découvrir des reproductions de l'ensemble de cette collection mise en ligne!). J'avoue avoir toujours eu un petit faible pour ce musée caché dans l'Appenzell qui nous montre si souvent du nouveau et du plus délectable en matière d'art brut, naïf ou populaire. Dommage que ce ne soit pas ma banlieue...
Ernst Kummer (1918-2003), maquette d'avion avec personnage, matériaux variés, sans date © Museum im Lagerhaus, Collection Mina und Josef John
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La galerie Les Yeux Fertiles a des obsessions
Là, l'exposition intitulée "Obsessions", n'en a plus que pour quelques jours, puisqu'il est prévu qu'elle se termine le 16 mai. Parmi plusieurs noms relevant de l'art moderne (Bellmer, Saby, Fred Deux, Molinier...) ou de l'art singulier (inévitable Ody Saban...) dont les œuvres sont exposées, on signalera trois magnifiques peintures d'Eugen Gabritschevsky, qui devrait être bientôt exposé en plus grand à la Maison Rouge (vers la fin de l'année), d'après ce que nous en a dit Benoît Morand l'un des animateurs de la galerie. Ainsi que la peinture de Lubos Plny, moins chargée qu'à l'habitude et formidablement équilibrée, qui a été choisie pour le carton d'invitation. Et un très beau André Masson également (à quand une rétrospective de cet artiste qui paraît moins chéri des commissaires d'exposition que d'autres du mouvement surréaliste?)... Liste complète des exposants: H. Bellmer, J. Benoît, F. Deux, J. Domsic, J. Ferrer, J. Fischer, E. Gabritschevsky, G. Harloff, E. J. Hodinos, V. Jakic, I. Jarousse, J. Kolar, R. Léonardini, S.Lepri, R. Lonné, M. Macréau, A. Masson, P. Molinier, M. Pelosi, L. Plny, O. Saban, B. Saby, Scottie-Wilson.
Lubos Plny, sans titre, 83 x 59,5 cm, encre de Chine et acrylique sur papier, 2008
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"Ligabue et les visionnaires candides" au Centre Miche Berra de Costigliole Saluzzo (région de Coni, Piémont)
Ça doit être bien joli ce patelin de Costigliole Saluzzo, situé au sud de Turin, au pied des Alpes (du côté français, il y a le Queyras), où est montée une exposition (du 28 mars au 5 juillet) que j'aurais bien aimé voir... Hélas, elle se terminera juste au moment de la grande transhumance des vacances. Ligabue, ce peintre naïf connu pour ses tigres aux gueules féroces, n'est pourtant pas bien connu hors d'Italie et pas souvent exposé.
Antonio Ligabue, un de ses tigres féroces
Cette année, c'est le cinquantième anniversaire de sa disparition. Avec lui, on a joint des œuvres de Ghizzardi, lui qui fut exposé à Nice et à Paris il n'y a pas si longtemps, et de Bruno Rovesti. A côté sont aussi présentés quelques artistes naïfs yougoslaves Generalic, Rabuzin, Vecenaj, Lackovic et Kovacic qui m'attirent moins (hormis Rabuzin).
Un document tourné par Raffaele Andreassi en 1962, assez étonnant je trouve, Ligabue, il vero naïve, de 1977 pour la RAI semble-t-il, où l'on voit Ligabue en action, cherchant à imiter des bruits d'animaux (je crois...) et trouver l'amour auprès d'une dame qui paraît charitable à son égard, sans plus...
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Louis Soutter confronté à Victor Hugo dans le musée de la Place des Vosges
"Dessins parallèles" est le sous-titre de l'expo (prévue pour durer du 30 avril au 30 août) des dessins des deux grands artistes amants du noir et du charbonneux. On connaît les encres de Hugo, ses paysages visionnaires, ses personnages grotesques, ses pochoirs, ses taches interprétées, mais un peu moins les peintures tracées aux poings et aux doigts par le Suisse Soutter.
Louis Soutter, Parvis, encre noire, 1937, © galerie Karsten Greve, Cologne, Paris, St-Moritz
Je ne sais pas encore si ce sont ces dernières du reste qui seront au musée Victor Hugo, je me contente de l'espérer car le carton d'invitation que j'ai reçu en montre une, ce qui paraît inférer qu'il y en aura d'autres place des Vosges. C'est ce que je préfère dans l'œuvre de Soutter, ses dessins au trait me lassant davantage. Ses peintures aux poings, parfois d'une sobriété étonnante et sans perdre pour autant de leur force, ont marqué d'après moi certains artistes singuliers suisses comme par exemple Christine Sefolosha (à ses débuts) ou François Burland.
Un Soutter (le Héros)exposé il y a peu (2012) à la Maison Rouge, provenance galerie Karsten Greve là aussi...
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Guy Girard, Jean-François Affre, Christian Martinache
Vous ne trouverez pas beaucoup de renseignements sur le Net sur ces trois compères-là qui se sont alliés pour exposer à la galerie Artcomplice (11, rue Petit dans le 19e ardt, Paris ; tél: 01 40 41 97 77 et 06 70 06 31 88) du 15 au 27 avril (plus que quelques jours donc). Personnellement, je me suis souvent intéressé aux peintures du premier qui a exposé autrefois au musée de la Création Franche à Bègles et que j'ai souvent évoqué sur ce blog.
Guy Girard, anagraphomorphose sur le paraphe de Flora Tristan, huile sur toile, musée de la Création Franche, ph Bruno Montpied (2009)
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Du côté de la Galerie Dettinger, Danielle Stéphane
Nouvelle exposition à Lyon, place Gailleton, d'une artiste qui paraît sûre de ses moyens quant à la représentation de personnages, dans des compositions apparentant ses scènes de cirque à des constellations de formes blanches sur des fonds sombres, le tout dans un trait poudreux.
Danielle Stephane, Lola au cirque, 110 x 72 cm, encre sur papier, 2014, ph Claire Defosse
Cela s'appelle "Variations Lola, encre sur papier" et c'est du 11 avril au 9 mai, en partenariat avec la galerie Jean-Louis Mandon, (3, rue Vaubecour dans le 2e ardt) où une autre exposition intitulée "Nymphes et vanités, encre sur volume" est montée en parallèle (du 7 avril au 25 avril, plus que très peu de temps...).
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"Wild Garden" (Jardin sauvage), art naïf et brut venu d'Iran à la Galerie Hamer, Amsterdam
J'ai déjà mentionné quelques créateurs bruts venus d'Iran, tous aussi originaux et talentueux les uns que les autres. On retrouve dans cette expo Davood Koochaki qui fut exposé déjà à la galerie Hamer ainsi que récemment à Paris dans le cadre de "Sous le vent de l'art brut II" (sur la collection néerlandaise
19/04/2015 | Lien permanent
”Les Cahiers Dessinés”, une expo de dessin tous azimuts à la Halle Saint-Pierre
Cela fait du bien une exposition fourre-tout de temps à autre (j'avais personnellement pas détesté l'expo du "Mur", consacrée à La Maison Rouge, espace qu'il dirige lui-même, par Antoine de Galbert à une bonne partie de sa collection extrêmement éclectique dont il avait laissé le soin de l'accrochage à un programme d'ordinateur qui le conçut de façon aléatoire en fonction des dimensions des œuvres). La Halle St-Pierre, ayant à peine décroché Sous le Vent de l'Art Brut 2 nous en propose une (du genre fourre-tout) entièrement consacrée (du 21 janvier au 14 août), sous l'égide de la revue et de la maison d'édition de Frédéric Pajak Les Cahiers Dessinés, au dessin sous de multiples formes. Je ne ferais pas ici le tour de ce foyer de créativité sympathique, que je regarde à la marge de mes marottes préférées, tout en admirant de loin. Je me contenterai de conseiller celui qui veut en apprendre davantage de se connecter au site de la revue (qui s'intitule pour ce qui la concerne, seulement elle, au singulier, Le Cahier Dessiné), ou de venir voir l'expo et la librairie de la Halle St-Pierre qui propose en ce moment un grand choix de publications consacrées aux divers dessinateurs défendus par les Cahiers Dessinés.
Couverture du catalogue de l'exposition
Non, ce que je me propose de faire là c'est une sorte de tour résolument subjectif, comme à l'ordinaire, mais sous une forme peu utilisée jusqu'à présent, en suivant ma dérive dans l'expo le portable à la main, faisant des photos qui par leur très médiocre qualité ne pourront en aucun cas concurrencer la qualité des éditions des Cahiers Dessinés (il y a un très beau catalogue de l'exposition). Le premier dessin sur lequel je m'arrêtai comme un chien de chasse la patte en l'air fut une œuvre de Wols, le peintre, dessinateur et photographe. Sensible, fin, raffiné, fragile, délicat sont les mots qui viennent à l'esprit quand on tombe sur des œuvres de Wols (voir ci-contre). J'ai oublié de dire que j'ai commencé comme de juste par la salle noire du rez-de-chaussée, et c'est d'ailleurs là que j'ai pris la majorité de mes photos. La salle noire... L'éternelle salle noire de la Halle Saint-Pierre réservée semble-t-il aux œuvres secrètes, les plus marquées par le recours à l'inconscient, non? Tandis que le premier étage, plus éclairé par le jour, serait davantage voué aux œuvres de communication?
Yersin
Unica Zürn
Le Comte de Tromelin
Dans la zone près de Wols on trouvait quelques chefs-d'œuvre et l'on tournait la tête ébloui, Yersin, Unica Zürn (des œuvres en noir et blanc et des œuvres en couleur, toutes exceptionnelles ; je me demande si je ne préfère pas celles en couleur du reste, comme nous l'avait enseigné la très belle expo qu'avait consacrée la Halle Saint-Pierre à cette maîtresse és-hallucinations où l'on avait pu voir de très belles et très rares huiles), le comte de Tromelin (venu de l'Art Brut celui-ci, et pas souvent exposé et sorti des réserves en l'occurrence de la Collection de l'Art Brut de Lausanne), un dessin de Fred Deux plus vivant que les autres (parce que Fred Deux, ça finit par me lasser toute cette maîtrise un peu trop léchée...), des dessins de James Castle (encore l'Art Brut, cette fois américain), des paysages dessinés par des mouches mais en fait dus à la plume de Raphaël Lonné, au loin des magnifiques arabesques touffues de Laure Pigeon (toujours l'Art Brut)...
Laure Pigeon (A signaler à son sujet la sortie du 25e fascicule de la Collection de l'Art Brut qui lui est entièrement consacré, avec une étude de Lise Maurer)
Josefa Tolrá
Après ces cimaises fort alléchantes, on tombe sur, à mes yeux, LA révélation de l'expo. Une créatrice espagnole, ou plus précisément catalane je crois, Josefa Tolrá. Cette dernière, décédée en 1959, n'est pas encore très connue me semble-t-il dans le monde des amateurs d'art brut (dont elle est un des plus beaux fleurons sans conteste), en dépit du fait que la collection de l'Aracine (désormais installée au LaM de Villeneuve-d'Ascq dans le Nord) paraît en posséder au moins une œuvre (une "fantaisie taurine", dessinée recto-verso, comme on peut s'en convaincre en consultant la base Joconde) acquise à on ne sait quelle date (sur la base Joconde il est indiqué "1999", mais c'est la date d'entrée de la collection l'Aracine dans le musée du LaM, je pense). Ils étaient forts à l'Aracine, rien n'échappait à l'œil de Madeleine Lommel. Il paraît qu'ABCD de Bruno Decharme en possède aussi. Sans compter que sur internet on trouve bien entendu divers renseignements à son sujet. Il existe notamment un site à elle seule consacré et des films dont le diaporama amélioré que j'insère ci-dessous.
A la Halle, plusieurs dessins sont accrochés, tous aussi éblouissants et séduisants les uns que les autres, et variés qui plus est. La dame, qui avait le pouvoir de discerner les "auras" des personnes qui l'entouraient, à ce qui se colporte à son sujet, avait à l'évidence une assurance dans son dessin et la composition de ses œuvres qui se rencontre rarement. Cette œuvre en tout cas enfonce de loin, en terme d'émotion ingénue brute, tous les autres créateurs qu'on (la galerie Berst entre autres) cherche à nous faire passer pour bruts valables en ce moment (comme Eric Derkenne, Horst Ademeit, Košek, Medvedev, Katsuhiro, Giga, Anibal Brizuela, Harald Stoffers, et j'en passe...).
Josefa Tolrá
Non loin d'elle, autre surprise, les dessins et le portrait de Marcel Bascoulard, sur lequel je reviendrai probablement, car un très beau livre vient de lui être consacré par Patrick Martinat aux Cahiers Dessinés justement, à l'occasion de l'exposition. Ce marginal de Bourges qui eut une vie tragique s'habillait en femme, se faisait tirer le portrait à multiples reprises dans les tenues féminines qu'il se confectionnait, et dessinait des paysages de sa région avec une minutie incroyable. Pas un être vivant n'y apparaît, tandis que le but de l'opération paraît se concentrer sur le rendu du mystère des lieux, l'être brut du lieu qui est détectable chez une âme ultra sensible, la menant parfois jusqu'à une déstabilisation profonde.
Li Wei Hsuan
Dans un recoin, on découvre également la Taïwanaise Li Wei Hsuan qui paraît dessiner comme enfermée dans la bulle de sa surdité, un graphisme rageur et rythmé. Plus loin, on n'oubliera pas de mentionner quelques dessins de l'écrivain Bruno Schulz, dont les vertiges masochistes de son univers graphique sont bien connus de certains de nos lecteurs...
Bruno Schulz
De même Félix Vallotton et ses gravures très noires ne sont pas inconnues mais font plaisir à être revisitées en confrontation avec les autres œuvres. J'ai particulièrement remarqué la gravure ci-dessous où des enfants, qualifiés par antiphrase d'"anges", harcèlent de leurs quolibets (du moins on l'imagine) en se pressant autour de lui, comme pour un lynchage, un marginal qu'un pandore accompagne en prison.
Félix Vallotton, "Petits anges"...
A l'étage de l'expo, je dois avouer ne m'être arrêté que devant les œuvres de certains artistes COBRA qui résistent plus qu'honorablement au temps qui passe. On a en effet l'occasion de voir, chose pas courante à Paris, des logogrammes de Christian Dotremont, ces tracés à l'encre que ce poète exécutait automatiquement en même temps que lui venait un poème sous son pinceau japonisant. Il libérait ainsi sa graphie de la nécessité de créer un signe d'écriture conventionnelle pour la tendre vers l'idéogramme, et les signes d'écriture orientale ou extrême-orientale, où l'image reste très présente. Au bas des logogrammes, il notait dans une écriture intelligible traditionnelle le poème qui était tracé d'une gestualité libre au-dessus en pleine feuille.
Logogramme de Christian Dotremont...
... et sa transcription
D'autres Cobra sont également présents comme Jean Raine ou Pierre Alechinsky.
Deux dessins de Jean Raine
A cet étage toujours, et enfin, je citerai pour mémoire ce qui s'apparente à du dessin en relief, à savoir les silhouettes montées sur fil de fer de Corinne Véret-Collin.
Corinne Véret-Collin
29/01/2015 | Lien permanent | Commentaires (3)
La vie dans un tonneau
J'aime bien ce conte du tonneau magique que racontait à l'occasion ce grand diseur qu'est Michel Hindenoch. Lorsqu'on laissait tomber quelque objet que ce soit à l'intérieur, cette chose s'y multipliait jusqu'à ras bord pour le bonheur, ou le malheur, de celui qui l'y avait jeté...
Ici, essayons plutôt le bonheur (quoique... Voir Garou plus bas...).
Joseph "Pépé" Vignes, sans titre, crayons de couleur et graphite sur papier, 24 x 32 cm, 1976, coll. et ph. Bruno Montpied
J'ai mis en ligne, je crois, au moins une fois déjà, ce dessin aux crayons de couleur de Pépé Vignes montrant un tonneau figuré à la fois de face et de profil, ressemblant à un chalet suisse. Tonneau (foudre plutôt) qui repose sur un accordéon, comme me l'a signalé autrefois monsieur de Belvert à la suite de ma première note sur ce dessin.
Cette rencontre de piano à bretelles avec un tonneau résume en grande partie la vie de l'auteur du dessin, Pépé Vignes, que l'on n'a pas oublié dans sa bonne ville d'Elne (Catalogne française) puisqu'une rue porte son nom, comme nous l'a signalé naguère un commentateur de la note citée ci-dessus signant "Illibérien" (habitant d'Elne ; voir sa photo ci-contre). Joseph Vignes, fils et frère de tonneliers, lorsqu'il était enfant, dormait, contraint et forcé, dans un des tonneaux de l'entreprise familiale. Et l'accordéon était l'instrument favori de Vignes, dont il jouait pour animer nombre de fêtes et de bals dans sa région, en dépit des imbéciles qui se moquaient de lui en raison de sa simplicité ("Illibérien" - qui signe aussi, dans les courriels que j'ai échangés avec lui, "Jean de la Lune" - dit qu'il était "retardé ; un Espagnol aurait dit qu'il lui manquait un quart d'heure..."). Photo ci-contre: Pépé Vignes par Mario Del Curto (très myope, Vignes dessinait au ras de sa feuille... Peut-on être plus immédiat que cela en matière de dessin?
Voici quelques souvenirs de Jean de la Lune, l'Illibérien qui connut Pépé Vignes en 1960 (Vignes avait alors 40 ans, et notre Illibérien en avait 16):
"Je vais vous dire qui était Pépé. Fils de tonneliers auvergnats installés à Elne, avenue du Général de Gaulle, Jo est le mal-aimé de la famille. Il n'a pas toute sa tête, il ne fait rien, ne sert à rien (c’est un peu un être inutile). Les Vignes, c'est une famille nombreuse. Ils vivent non pas dans une maison, mais dans une sorte de hangar qui fonctionne comme un tout, atelier ou maison. Le papa tient la tonnellerie avec un des fils. Il y aussi deux filles. Jo est l'aîné, il est né en 1920 − lorsque j'ai bien connu Jo, j'étais adolescent − lui avait 40 ans et moi 16 [nous sommes alors, donc, en 1960]. Dans tous les bals où Jo allait, il y avait ces imbéciles qui lui empoisonnaient la vie − lui ne disait jamais rien, il était gentil. Des fois, il venait au bal avec son accordéon et en bon fils d 'Auvergnat, il aimait la bourrée. Les malfaisants lui faisaient jouer de l'accordéon et danser la bourrée à n'en plus finir. Mais comprenez qu'à la fin, ça devenait lassant de se retrouver avec la même bande de lourdauds qui empoisonnaient ce brave garçon. Pour ce qui est du tonneau dans la cour − je revois leur image encore en vous écrivant (c'est le chemin de l'école, je les voyais quatre fois par jour) − il y avait cinq ou six énormes tonneaux −des foudres énormes− et dans l'un d’eux, Jo dormait. C'était sa chambre à coucher ! Hiver comme été ce brave Jo dormait là ! Vous comprendrez maintenant que le dessin de son chalet prenne la forme d'un tonneau." (Jean de la Lune)
Cela m'est revenu lorsque j'ai eu envie de rassembler pour les besoins de la note présente quelques images ayant pour point commun le tonneau vu comme un habitat (si l'on peut dire cela pour le cas qui suit immédiatement).
La seconde occurrence où figure un tonneau, elle aussi a déjà fait l'objet d'une note précédemment. Mais, dans une autre note qui se veut rassemblement et anthologie d'habitats-tonneaux, cela prend un sens élargi.
Tombe de Léonce Chabernaud, Rochechouart, photo (carte postale) Jacques Thibault
Pour ceux qui n'auraient pas lu les commentaires croisés de "l'Aigre de mots" et de "Pierre-Jean", publiés à la suite de la note donnée en lien ci-dessus, cette tombe représente le wagon-foudre d'un négociant en vins, anticlérical au point d'avoir voulu se faire enterrer sous un symbole qui moquerait les bigots de tous poils dans sa région et au-delà. Et il faut dire que cette sépulture de ce point de vue ne manqua pas sa cible... De plus, elle appelle par analogie d'autres coutumes funéraires pratiquées dans des cultures a priori bien éloignées des nôtres, comme cette coutume au Ghana dans l'ethnie Ga qui consiste à fabriquer des cercueils en forme d'objets ou d'animaux ayant eu un rapport avec la vie du défunt. J'en ai également déjà parlé.
Extrait de Massif Central magazine, années 1990
Revenons à nos tonneaux, cela dit. Non loin de l'Auvergne, dans le Velay, au sein d'une forêt entourant le magique lac du Bouchet, cachant la bouche d'un volcan, vivait autrefois un certain Pierre Brun, dit communément "Garou", homme à tout faire dans cette campagne du Bouchet-Saint-Nicolas. Pauvre d'entre les pauvres, il habitait un tonneau transformé en abri, avec un toit de zinc, une porte et une fenêtre, foudre de "500 hectolitres" que lui avait cédé par troc son marchand de vins favori du Bouchet. Il y survivait tant bien que mal, creusant les trous des morts au cimetière communal, éclusant pas mal de chopines. Il habitait ainsi le logement idoine, étant donné son occupation favorite... Un hasard pathétique voulut qu'en 1971, il termine sa vie en se noyant dans le lac voisin, buvant plus d'eau qu'il n'en avait jamais absorbé sa vie durant. S'il a disparu, il semble bien qu'en revanche son foudre soit toujours debout, abri de fortune pour les promeneurs de passage.
L'abri de Garou, encore debout dans les années 1990... Photo Luc Olivier, Massif Central magazine
L'idée d'un habitat conçu à partir d'un tonneau, même si elle renvoie souvent au mythe du célèbre Diogène, n'a pas eu à ma connaissance (qui reste tout de même fort limitée en ce domaine) d'applications nombreuses à notre époque si l'on excepte des applications d'ordre publicitaire. Voici deux exemples au moins, relevés en France. L'un, repéré en 2010 à Batz-sur-Mer, montre un stand de vente de vins de Bordeaux, logiquement installé dans un foudre.
Batz-sur-Mer, ph. Bruno Montpied, 2010
Le second a été rencontré ces jours-ci par notre correspondant spécial à Clermont-Ferrand, Régis Gayraud, sur la place de Jaude. Là encore, on a affaire à un marchand de vins, mais cette fois son stand est à "roulettes".
Cette camionnette originale est un vestige de la caravane publicitaire du Tour de France 1952, ph. Régis Gayraud, 2016
Voici la camionnette originale parée aux couleurs de Byrrh...
Alors, certes, certains esprits chagrins pourraient nous rétorquer que ce ne sont là que constructions au service du commerce, mais nous pourrons toujours leur répondre qu'en dépit de cela, continue de passer un message poétique, exploité à des fins de négoce bien sûr, mais toujours présent, concrètement prouvé.
05/07/2016 | Lien permanent | Commentaires (7)
La tour Eiffel, horizon pour aspirants aux chimères
La célèbre Dame de fer qui symbolise la ville de Paris a été reproduite à l'infini, notamment par (et chez) ceux qui sont eux aussi des sortes de bâtisseurs de rêve au petit pied, à savoir les habitants-paysagistes naïfs ou bruts, ayant laissé derrière eux maints jardins et environnements spontanés et insolites. L'art populaire aussi en est particulièrement hanté, son aspect de tour de Babel pointée vers l'infini plongeant dans une rêverie hantée de chimères tous les amateurs de travaux d'Hercule interminables. C'est un modèle insurpassable dans la direction duquel ils se doivent d'aller... Ils en perçoivent immédiatement l'absolue inventivité, le prodige de sa technique révolutionnaire pour l'époque (une architecture de fer, sa forme "babélienne").
Henri Travert (ancien ouvrier) et sa tour Eiffel (une quinzaine de mètres de haut environ), à L'Aunay des Vignes, Fougeré, Maine-et-Loire, photos (vue générale et détail avec les fers à cheval soudés qui composent la tour..) Bruno Montpied, 2003 et 1991.
Une représentation de la tour par un fils d'Henri Travert, peinture et assemblage de baguettes de bois sur panneau.
J'y repensais ces derniers jours après avoir reçu de M. Philippe Didion (j'en profite pour le remercier) la photo de la tombe d'un certain Claude Maudeux, maire de sa commune, dans le cimetière creusois de Vigeville, couverte par la maquette d'une autre tour Eiffel comme de juste, placée là non seulement par admiration pour les maçons creusois qui bâtirent tant de bâtiments célèbres de Paris, mais aussi pour faire la nique aux symboles religieux des sépultures voisines (l'anticléricalisme étant chose bien partagée dans le Limousin)...
Photo Philippe Didion, 2019.
La tombe à la tour Eiffel, ph. Philippe Didion, 2019.
Elle me fait penser par association d'idée à une autre maquette de tour, placée cette fois plus en hauteur, en tant qu'épi de faîtage, en Ille-et-Vilaine, telle qu'elle a été dévoilée dans le catalogue d'une ancienne exposition de l'Ecomusée du pays de Rennes (2010-2011) "Compagnons célestes, épis de faîtage, girouettes, ornements de toiture" (édité par Lieux dits en 2010).
Epi de faîtage à Plerguer, photo Norbert Lambart.
Chez les habitants-paysagistes naïfs ou bruts aimant animer leurs espaces intermédiaires entre habitat et route – une bonne partie d'entre eux le font pour le public des passants dans une communication immédiate avec leur voisinage, sans penser aux prolongements médiatiques que cela peut induire... –, des tours Eiffel surgissent de temps à autre telles des mascottes.
Tour Eiffel d'André Bindler à l'Ecomusée d'Alsace à Ungersheim près de Mulhouse, ph. B.M., 2013.
André Hardy (à Saint-Quentin-les-Chardonnets, Orne) avait confectionné au moins deux tours Eiffel, une dans chaque partie de son jardin, en voici une, coincée entre autruche et bœufs, ph. B.M., 2010.
Joseph Donadello a lui aussi réalisé à Saiguèdes (Haute-Garonne) une tour, parmi de nombreuses statues et autres monuments recréés naïvement, ph. B.M., 2008.
Emile Taugourdeau (Sarthe), dans son jardin aux 400 statues (environ, et non pas 900, comme dit Mme Taugourdeau dans Bricoleurs de paradis...), à côté de Bernard Hinault, avait installé une tour..., ph. B.M., 1991.
Jean Grard, à Baguer-Pican (Ille-et-Vilaine), avait sculpté une tour qu'il avait appelée la Picanaise (une version régionale de la tour, en somme) et où il avait installé des personnages aux yeux faits de billes, ph. B.M., 2001.
Marcel Dhièvre, sur sa maison à Saint-Dizier (Haute-Marne) qu'il avait nommé "Au petit Paris", avait, entre autres thèmes, lui aussi évoqué la tour Eiffel, ph. B.M., 2013.
Peut-être la plus extraordinaire des tours Eiffel, celle de Petit Pierre (Pierre Avezard) telle que conservée dans le parc de la Fabuloserie, à Dicy, dans l'Yonne, où a été sauvegardé son "Manège" (constitué d'autres réalisations étourdissantes d'ingéniosité naïve), en provenance du site originel qui était à la Faye-aux-Loges dans le Loiret ; cette tour fut bâtie par son auteur ayant grimpé à l'intérieur jusqu'à son sommet ; ph. B.M., 2015.
Tour Eiffel d'un certain Perotto à Darney (Vosges), parmi d'autres maquettes de monuments recréés, ph. B.M., 2016.
Une tour Eiffel très stylisée, en mosaïque, créée par Aldo Gandini à Montrouge (Hauts-de-Seine), ph. B.M., 2012.
En dehors des créateurs d'environnements spontanés, on trouve aussi chez certains auteurs d'art brut, ou d'art naïf et populaire, des effigies de la fameuse tour, réalisées à plat ou en volume.
Arsène Vasseur, meuble original d'hommage à la tour Eiffel, réalisé dans sa maison à Amiens (Somme), et conservé au Musée de Picardie.
Anonyme, vue de la tour Eiffel (peinture et gravure sur panneau de bois en léger relief), avec l'ancien palais du Trocadéro en fond vraisemblablement (à moins que ce ne soit l'Ecole militaire?), ph. et coll. B.M.
Détail d'une enluminure naïve d'Augustin Gonfond, extraite du Livre de communion de sa fille Joséphine, 1890.
M. Manilla, tour Eiffel en os et têtes de mort, calavera en zincographie, Musée national de l'estampe, Mexico ; tradition populaire mexicaine.
Rochelle, scène de mariage semblant se passer au début du XXe siècle à Paris (présence de soldats en pantalons garance (un garde suisse est aussi présent, mais il y en a eu jusque vers 1950 à Paris), dirigeable d'un certain type dans le ciel), mais peinte peut-être après 1920, car il s'agit là d'une huile peinte sur de l'Isorel, matériau apparu après cette date apparemment ; une tour Eiffel en arrière-plan signe la ville où se déroule l'action ; ph. et coll. B.M.
Miguel Hernandez, Les crêtes de Paris, 55 x 46 cm, huile sur isorel, 1951.
Virgili, tour Eiffel, ancienne collection de l'Aracine, aujourd'hui au LaM de Villeneuve-d'Ascq.
Joseph Donadello, autre effigie de la tour (datée de 1899, probablement par erreur, si Donal pensait à sa date de construction, 1889), cette fois à plat, parmi ses collections de peintures personnelles, ph. B.M., 2015.
Anonymes, carte postale ancienne, une tour probablement éphémère, bâtie pour une fête de bienfaisance en 1928 à Oyonnax.
Tour Eiffel en osier, Ecole nationale d'Osiericulture, Fayl-Billot (Haute-Saône), ph B.M., 2007.
Moins connue peut-être, il existe une tour Eiffel souterraine! En mosaïque d'ossements, dans les Catacombes parisiennes, ce qui la rapproche de l'estampe populaire mexicaine ci-dessus.
Enfin, pour ne pas fatiguer outre mesure nos lecteurs, terminons sur deux images véritablement inattendues, d'abord celle ci-dessous...
Cherchez la tour... parmi cette panoplie d'accroche-tableaux qui étaient encore récemment présentés en devanture de la boutique Sennelier sur les quais de la Seine.
Enfin, il fallait y penser, mais "ils" y ont pensé, les marchands de sex-toys du quartier de Pigalle à Paris, il fallait à l'évidence réunir les souvenirs touristiques de Paris aux jeux sexuels qui font l'apanage bien connu de ce quartier, l'aspect phallique de notre monument de fer y inclinant naturellement...
Godemichets en forme de tours Eiffel, pour bien la sentir passer..., ph. B.M., 2016.
Dernière image – car je me suis dit qu'elle manquerait par trop à cette note, qui nous la donne à voir sous différents regards - il me paraît judicieux de montrer ce que regarde la tour, elle... Du moins, comme ci-dessous, lorsqu'elle se tourne vers le nord-ouest, dans un tableau à l'étonnante perspective aérienne, véritablement fourmillant de détails... qui sont autant de petits hommes...
André Devambez (1867-1944), vue de la tour Eiffel, l'exposition de 1937 (le palais de Chaillot au fond de la perspective), Musée des Beaux-Arts de Rennes.
07/04/2020 | Lien permanent | Commentaires (12)
Détestations (2): ”Cahier des détestations” de Régis Gayraud
CAHIER DES DÉTESTATIONS
1.
Pourquoi, lorsqu’on a à ouvrir une boîte de médicaments, on l’ouvre systématiquement du côté où la notice est pliée de manière à entraver la sortie immédiate du produit ? Cette situation est tellement agaçante que quand je dois ouvrir une boîte de médicaments, je commence maintenant par la tourner dans mes mains pendant quelques instants à la recherche d’un indice qui me permettrait de prédire de quel côté je dois le faire pour éviter de tomber sur cet impedimentum. Je tourne et retourne l’objet, je le secoue contre mon oreille pour tâcher de deviner, au bruit, la place de cette notice. Rien n’y fait. Il n’y a pas d’indice sur l’emballage et le son est uniforme. Et pourtant, quand je me risque à ouvrir la boîte, une fois de plus, la déception est au rendez-vous, et la notice est bien là pour me forcer à l’extraire avant d’atteindre la plaquette de gélules dont j’ai besoin. Je finis par croire que les notices sont animées, vivantes, et s’empressent de se placer du côté où elles m’entendent engager mes doigts quand elles comprennent que je m’apprête à ouvrir ces emballages.
2.
Dans les autobus parisiens, j’aime m’asseoir, si je suis seul et si je le peux, à la place située au premier rang, isolée, à droite, un peu en retrait du chauffeur, juste à l’entrée. Ainsi, je vois à peu près ce que voit le chauffeur, je le vois tourner le volant, appuyer sur le bouton qui libère les portes, manœuvrer le levier de frein de parcage – quels que soient les modèles d’autobus, il n’a pas changé depuis que je m’asseyais à la même place dans les années 1980, ce minuscule levier qui maintient immobile un si gros véhicule ! - et tel un enfant, je m’imagine conduire moi-même. Mais je déteste le très agaçant petit panneau d’information que la RATP a récemment disposé sur la vitre qui me sépare de l’entrée des voyageurs, car ce panneau - qui indique généralement qu’il y a des travaux sur la ligne 42 alors qu’on est sur la ligne 30 - placé à trente centimètres de mes yeux, m’empêche de voir totalement le paysage à l’avant du véhicule. Il est une punition rectangulaire infligée à l’amateur qui désire que son séjour dans cet habitacle s’accompagne d’une évasion mobile sur la chaussée parisienne. C’est aussi, car il reste fixe devant un décor qui se meut, si je le regarde, un bon moyen pour me forcer à communier dans la nausée qui saisit les occupants des sièges situés en arrière.
3.
Toujours dans le bus. Cela pourrait être une détestation, mais pas du tout. Bien au contraire, je me réjouis de cette intrusion de l’illogisme dans un monde où rien ne serait laissé au hasard. Pourquoi, sur les plans affichés dans les autobus figurent les correspondances des arrêts avec les stations de métro les plus proches, et non avec les autres autobus, alors que le ticket utilisé dans l’autobus permet la correspondance avec d’autres autobus, mais jamais, justement, avec le métro. Je ne suis pas dupe et comprends bien que cela ne démontre que la réticence de la RATP à faire la réclame de ces correspondances entre autobus, et l’incitation à faire prendre plusieurs moyens de transports qui exigent l’utilisation de plusieurs tickets, mais je le répète, j’apprécie cette bévue, ce hoquet du garantisme institutionnel qui m’oblige à connaître par cœur le plan du réseau des autobus parisien, comme jadis avant le long exil qui m’a tenu éloigné de Paris pendant vingt ans.
4.
Cela ressemble à la boîte de médicaments. Quelque chose qui nous échappe. Pourquoi lorsqu’on a une forte envie d’uriner, peut-on se retenir parfois assez longtemps, voire très longtemps, mais, sitôt qu’on s’approche du but du voyage, devient-il de plus en plus difficile de se retenir ? Vous attendez l’ascenseur qui va vous monter chez vous, et de nouveau, vous constatez l’inexorable. L’ascenseur va vous monter chez vous, dans quelques instants, vous y serez, mais cela devient insupportable, vous cherchez à penser à tout autre chose, au Sahara bien sec ou à une page de Proust, il y a une courte rémission, mais vous voilà sur le palier, et vous sentez imminente l’explosion, vous voilà à manœuvrer fébrilement la clef dans la serrure tout en dégageant votre bras gauche de la manche de votre veste, vous luttez, vous vous jetez dans les toilettes… Or, si l’appartement était distant d’encore dix minutes et que vous étiez encore à cet instant précis dans la rue ou le métro, avec la même quantité d’urine dans la vessie et depuis autant de temps, vous pourriez encore tenir dix minutes supplémentaires jusqu’au moment où vous vous retrouveriez en bas de l’ascenseur, etc.
5.
Cette sensation que la vessie sait où nous allons et s’y précipite plus vite que notre corps est vraiment détestable. Elle me rappelle une autre détestation. Se trouver dans une maison, avec le chien de la maison, et soudain, le voir se redresser oreilles aux aguets, puis se mettre à japper joyeusement, et constater cinq ou dix minutes plus tard qu’il avait entendu (senti ?) son maître arriver à pied au coin de la rue situé à deux cents mètres, au bas mot. Cela me provoque un profond malaise qu’heureusement, je n’éprouve que rarement, étant rarement confronté à cette situation.
6.
Cette ruse des notices de médicaments, cette intelligence de la vessie, ce pressentiment des chiens me rappellent un autre malaise, celui-ci sans doute plus abstrait, mais qui a nourri mes angoisses et ma superstition et que je déteste pour cela. Pendant toute mon enfance, j’entendais fréquemment parler de phénomènes paranormaux. Dans les conversations des grandes personnes, il y avait toujours quelqu’un pour vous parler de telle ou telle petite cuillère qui avait sauté de la tasse à café de telle ou telle tante le jour et l’heure précise où son fils était mort pendant la guerre de 14-18. On se délectait d’histoires de ce genre, on en entendait en famille, chez des amis et même chez des gens côtoyés fortuitement. Cela m’a angoissé pendant des années ; pendant des années, le moindre objet qui semblait s’échapper, le moindre craquement dans un meuble, le moindre courant d’air dans un rideau me faisaient croire à un signe du destin. Attendant quelqu’un qui n’arrivait pas, j’attendais plutôt, avant tout, le signe funeste que sa mort accidentelle allait m’envoyer. Ayant eu des enfants, j’ai tout fait pour ne pas répéter devant eux ces mêmes discussions que j’avais entendues à leur âge et j’ai constaté que ces phénomènes ont cessé d’être à l’ordre du jour des conversations aujourd’hui, mais je ne cesse pas de craindre qu’un signe terrifiant me soit envoyé un jour, annihilant tous mes efforts pour oublier cette sensation détestable.
7.
Retour aux autobus. Je n’aime pas beaucoup le petit bus qui monte la rue des Martyrs et rejoint la mairie du XVIIIe arrondissement en se tortillant dans Montmartre. Trop petit, ressemblant à un jouet en plastique. Je n’y crois pas. J’essaie de me mettre dans la tête d’un enfant d’aujourd’hui, et je me dis que peut-être, dans soixante ans, au contraire, l’enfant d’aujourd’hui aimera se souvenir de cet autobus en miniature, comme moi j’aime me souvenir que le service de la ligne 46, dans mon enfance, était assuré par de curieux petits autobus à la livrée bleue et crème, contrairement au vert des autres lignes parisiennes et que j’aimais aller au bois de Vincennes en prenant cet autobus à l’angle de la rue Varlin et du Faubourg Saint-Martin. Je me demande alors s’il n’y avait pas de vieux Parisiens que cette couleur extravagante horripilait, et je me demande même si je n’ai pas entendu mon père récriminer à ce propos. Alors, la boucle serait bouclée, et c’est plus encore cette idée que je déteste.
08/09/2019 | Lien permanent | Commentaires (2)