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Pierre Sourisseau sculpteur de souvenirs en chemin creux
J'ai découvert un nouveau site de création en plein air dû à un autodidacte encore en Vendée, dans le même département que celui d'André Pailloux, ce bon Pailloux qui est en passe de devenir célèbre désormais depuis que ses coordonnées ont été jetées en pâture au public (inconsidérément, je ne le répéterai jamais assez).
Autoportrait du créateur Pierre Sourisseau en chef de chantier, ph. Bruno Montpied, 2012
Le monsieur qui l'a créé depuis déjà quelque temps, depuis qu'il a pris sa retraite de maçon (encore un), s'appelle Pierre Sourisseau. Ses terrains où il a semé diverses sculptures et peintures, ainsi que des textes, se situent dans la région des Herbiers, dans les terres donc. On peut donner son nom, car son travail, son œuvre, qui tiennent à la fois du mémorialiste et de l'artiste, tantôt naïf, tantôt réaliste (au point d'en être ici et là presque kitsch), sont assez particuliers pour qu'on tente de leur faire un peu de publicité. De plus, il a déjà fait l'objet d'une courte évocation dans un magazine diffusé à l'intention des retraités "entre Sèvre et Loire", le magazine Racines (article n°221 de juillet 2011 dû à Yvelise Richard).
Vue d'une partie du petit musée de Pierre Sourisseau, 2012, ph. BM
Grosso modo, il y a trois zones d'intervention. La première est en intérieur, il s'agit d'un petit musée où dans deux pièces, situées dans un petit bâtiment en annexe de son habitation principale, on trouve des peintures, des sculptures, et des objets divers, des textes visant à fixer les souvenirs de l'auteur, notamment de sa participation à la guerre d'Algérie durant un an, dans l'Oranais. L'autre grand sujet qui fascine M. Sourisseau étant les guerres de Vendée, ainsi que les filiations qu'il entretient via la lignée de sa femme avec les acteurs vendéens de ces conflits de l'époque révolutionnaire, notamment avec un certain Charles Deslandes. Il a établi l'arbre généalogique de sa famille en lien avec cette histoire (arbre illustré d'un tableau naïf).
Pierre Sourisseau, peinture dans son petit musée, scène de la guerre de Vendée, ph.BM, 2012
Pierre Sourisseau, souvenir de la guerre d'Algérie
Un parallèle curieux entre ces deux séries d'événements s'est esquissé par la suite en moi lorsque je revisitai les photos que j'ai faites de ces œuvres. C'est étrange comme les soldats républicains venant menacer les paysans vendéens dans certaine peinture de Sourisseau paraissent ressembler aux soldats français face aux Arabes d'Algérie. Il s'agit de semblables affrontements de soldats de l'état républicain face à des populations indigènes qu'il s'agit de mettre au pas. Pourtant, dans l'esprit de M. Sourisseau, ce parallèle est loin d'être patent, m'a-t-il semblé, Quoiqu'il ne m'ait pas donné son opinion à l'égard de la guerre à laquelle il avait participé ("sans tuer personne", ajouta-t-il tout de même, et fréquemment, pendant nos entretiens).
Le jardin de M. Sourisseau, au premier plan Charles Deslandes, l'ancêtre de la famille, le cavalier à l'arrière-plan, le Chevalier du Landreau, autre personnage historique régional et au loin, les bustes de Sarkozy et de sa femme Carla Bruni... Ph BM, 2012
Pierre Sourisseau, Sarkozy et sa Carla, qui paraît représentée telle un pesant fardeau, ph. BM, 2012
La deuxième zone concerne le jardin qui entoure sa maison et longe la route, d'où l'on peut apercevoir, si l'on ne passe pas trop vite, de la voiture, les quelques statues, point trop nombreuses, qui l'agrémentent avec sobriété.
De haut en bas sur l'image ci-contre, Mitterrand, De Gaulle, Chirac, Sarkozy, Giscard, Pompidou, ph. BM, 2012
La troisième zone s'étire sur près de 500 mètres, tout au long d'un chemin creux d'âge respectable, dont l'histoire fait rêver grandement l'auteur, qui passe devant sa maison et s'enfonce dans le bocage en direction d'une ancienne gare où allaient s'embarquer les appelés militaires, où passèrent aussi, à une époque encore plus ancienne, les Vendéens insurgés. Pierre Sourisseau, qui nous en fit faire la visite, tel un guide de monument historique, paraît toujours peu ou prou entendre les cliquetis des faux, ou des baïonnettes, ou les cris des hommes se pressant sur l'étroit et profond chemin chargé d'une histoire invisible à tout autre oeil que le sien.
Pierre Sourisseau devant sa "hutte gauloise" sur le chemin creux, ph. BM, 2012
Le chemin égrène sur une très grande longueur (originalité unique à ma connaissance) des statues, taillées directement dans le bois des arbres (naïves et visionnaires) ou modelées dans l'argile (très, trop, réalistes), des installations du genre écomusée, bricolées en plein air par cet historien autodidacte, des panneaux explicatifs, des installations plus ludiques aussi à l'intention de ses petis enfants (une fusée qui décolle à la manivelle un peu plus bas dans le chemin). On y évoque pêle-mêle les Gaulois, des saints chrétiens (St-Roch), les guerres vendéennes encore et toujours, des figures politiques (Sarkozy, Ségolène Royal, séquelles de la campagne présidentielle de 2007), certaines plus régionales (des maires locaux). De temps à autre, comme émergeant du fond d'une mémoire ancestrale plus païenne, des figures féériques ou fantastiques, hélas trop rares, poussent vers le spectateur leurs trognes ou leurs corps de racines, ce qui je dois bien l'avouer m'enchante davantage que tout le reste.
Pierre Sourisseau, figure fantastique dans un arbre creux, ph.BM, 2012
Pierre Sourisseau paraît ainsi hésiter, comme bon nombre d'autres autodidactes point trop sûrs de leur langage et déférents envers l'art savant, entre un réalisme de santons et un art naïf qui paraît d'emblée, en ce qui le concerne, correspondre pourtant à son langage naturel. Dans l'épaisse brochure de souvenirs qu'il a laissée derrière lui en 2008, il se recommande, comme pour asseoir une légitimité d'artiste qu'on pourrait lui contester puisqu'il n'a pas fait d'école, de l'enseignement et de l'appui d'un sculpteur local de monument aux morts, Yves Guiberteau. Parler de lui sur ce blog, qui est comme on sait acquis aux langages plus ingénus qui nous touchent davantage que les langages pompiers, pourra peut-être aider ce créateur original à choisir une voie plus en accord avec la langue féérique de la nature qui visiblement l'interpelle et nous enchante comme lui.
Pierre Sourisseau, au bout du chemin creux, avec son "Tractosaure", voiture-arbre... qui fleurit encore, ph.BM, 2012
05/08/2012 | Lien permanent | Commentaires (3)
Jean Benoît prend sa pierre tombale et nous laisse le monde
De l'œuvre de Jean Benoît, que je considère comme l'une des plus flamboyantes qu'ait données le surréalisme dans ces cinquante dernières années, je ne parlerai pas ; de nombreux catalogues d'exposition ainsi que des articles de presse ou de dictionnaire en ont, avec plus ou moins de bonheur, rendu compte. Mais, malgré tout le talent et toute la puissance d'imagination qu'elle manifeste, du plus tellurique au plus aérien, alliant la grâce et la tendresse aux ténèbres, l'œuvre cédait le pas à l'homme ; et la perte, toujours irréparable, est ici à la mesure de ce dépassement.
Doué d'une présence et d'une spontanéité souveraines, dans les gestes comme les paroles, Jean était la figure même de l'excès. Mais de l'excès délicat, sans pesanteur et sans pose. Aucune affectation ne venait alourdir la virulence de ses détestations ni l'insolence de ses provocations délicieuses. Il pouvait déclarer en toute ingénuité que le seul rêve qu'il n'avait pu réaliser était celui de « tuer un missionnaire » ; et c'est avec la même candeur dans la voix qu'en se penchant sur la main d'une inconnue pour y déposer un baiser, il n'oubliait pas de lui dire: «Mes hommages irrespectueux, mademoiselle». Rien ni personne ne pouvait lui faire obstacle, lui en faire accroire ou lui en remontrer. Et cela, sans inflation de l'ego, sans prurit de puissance ; il se contentait de vivre, de marcher dans la vie en rêveur éveillé, il était une cause libre.
Je l'ai rencontré, il y a près de trente ans, dans un café où l'esprit surréaliste jetait encore quelques feux timides parmi une époque particulièrement hostile. Il en imposait sans s'imposer ; son rire, qu'on entendait dès l'entrée, était la plus certaine manifestation de sa présence. Je ne faisais pas partie du cercle de ses intimes, mais nous n'avons pas cessé de nous voir au fil des années, de façon discontinue, par hasard le plus souvent, à la faveur d'un vernissage, ou quand il lui prenait envie de venir saluer les amis réunis dans tel ou tel débit de boissons. Un jour, il m'a invité à lui rendre visite, et, depuis lors, je suis monté plusieurs fois dans son atelier de la rue de la Cossonnerie puis dans celui de la rue de la Tour d'Auvergne, le plus souvent avec une amie, qu'il courtisait aussitôt. En sa compagnie, on buvait beaucoup, et il parlait plus encore ; la seule fois où je suis allé dans son appartement de la rue des Grands-Champs, ces champs dont il incarnait la clé même, nous avons descendu en quelques heures une bouteille de Chivas : il avait pourtant 85 ans, et une demi-douzaine d'infarctus derrière lui. Lors de ces rencontres, il m'a montré le fameux rouleau où il couchait sur le papier le labyrinthe de toute une vie aimantée par l'amour et m'en a lu, comme à bien d'autres visiteurs, quelques passages ; mais surtout, il m'a souvent parlé, à mon grand enchantement, de ses séjours dans les années soixante, chez les Papous du fleuve Sépik et sur l'île de Nouvelle-Irlande, qui restait dans sa mémoire comme le modèle d'une société libre et heureuse.
Rouleau-manuscrit de Jean Benoît tel que reproduit dans le catalogue de l'expo 1996 à la Galerie 1900-2000
Certains le comparaient à un bûcheron canadien ; moi, je le voyais plutôt comme un arbre indéracinable. Hélas, en juin 2009, au moment où se tenait une grande exposition de son œuvre et de celle de Mimi Parent, il a été frappé d'une attaque qui l'a paralysé du côté droit et l'a privé de la parole. Je me suis rendu à l'hôpital Tenon où il avait été pris en charge ; nous sommes parvenus à communiquer par un système de questions et de réponses auxquelles il répondait par des gestes signifiant oui ou non. Il était bien sûr très malheureux, et aurait voulu en finir au plus vite avec une situation où, par un paradoxe cruel, il devenait prisonnier d'un corps pour lequel il avait toujours revendiqué la liberté suprême. Je suis sorti de l'hôpital en larmes, et ne l'ai plus revu.
Il y avait une dimension mythique chez Jean Benoît, qui éclatait dans son amour inépuisable pour les femmes, toujours renouvelé, toujours émerveillé. Son érotisme solaire avait le regard limpide des enfants. Aucune fascination chez lui pour les affres de la transgression, il était d'emblée au-delà. Il était parfaitement païen, en totale harmonie avec ces préadamites des îles heureuses où il a abordé juste avant qu'elles ne succombent aux ignobles prestiges de la civilisation.
Avec la disparition de Jean Benoît, une nouvelle page vient de se tourner, de cet immémorial traité des passions écrit et déchiffré seulement par les rêveurs et les poètes. Notre Dionysos au masque de plumes de ménure est parti, le jour de Vénus, sur la barque malangan, de l'autre côté de sa légende.
JOËL GAYRAUD, le 7 septembre 2010.
15/09/2010 | Lien permanent
Dessins du sciapode à la Halle Saint-Pierre
Prévue pour débuter le 3 mars, il y aura bientôt une exposition intitulée "A chacun son dessin" à la Halle Saint-Pierre, dans l'espace consacré à des présentations quelque peu alternatives, à des essais si l'on veut (sur place, ils appellent cela la galerie). Et l'éternel débutant que je suis se trouve donc fort aise de se retrouver présent dans cette sélection de dessins (des encres dans mon cas), en compagnie de sept autres dessinateurs. Le vernissage est programmé pour le 24 mars, le même jour que le vernissage de la double exposition Michel Macréau-Anselme Boix-Vives qui commence à cette date. Rendez-vous est donné aux amis qui aimeraient se rendre compte plus physiquement - si je puis dire - de mes travaux, car le virtuel, ça va bien un temps...
A CHACUN SON DESSIN
Exposition collective
du 3 au 30 mars 2009
Jean-Michel CHESNE • Annie COHEN • Caroline DEMONGEL
Jean DEMELIER • Joseph KURHAJEC • Bruno MONTPIED
Jude MORNIER • Sylvia K. REYFTMANN
Bruno Montpied, Le Château qui prend vie, 30x37cm, 2006
Galerie Halle Saint Pierre
2, rue Ronsard - 75018 Paris
Entrée libre.Tous les jours de 10h à 18h
Renseignements : 01 42 58 72 89
(En partenariat avec le Salon du dessin contemporain)
02/03/2009 | Lien permanent | Commentaires (7)
Dictionnaire du Poignard Subtil: Sur cette pierre, je bâtirai...
PIERRE:
"Rien de plus immédiat et de plus autonome dans la plénitude de sa force, rien de plus noble et de plus terrifiant non plus que le majestueux rocher, le bloc de granit audacieusement dressé. Avant tout, la pierre est. Elle reste toujours elle-même et elle subsiste ; et ce qu'il y a de plus important, elle frappe. Avant même de la saisir pour frapper, l'homme se heurte à elle. Pas nécessairement par son corps, mais au moins par son regard. Il constate ainsi sa dureté, sa rudesse, sa puissance. Le rocher lui révèle quelque chose qui transcende la précarité de sa condition humaine: un mode d'être absolu. Sa résistance, son inertie, ses proportions, de même que ses étranges contours ne sont pas humains: ils attestent une présence qui éblouit, terrifie, attire et menace. Dans sa grandeur et sa dureté, dans sa forme ou dans sa couleur, l'homme rencontre une réalité et une force qui appartiennent à un monde autre que le monde profane dont il fait partie."
Mircea Eliade, Traité de l'Histoire des Religions, cité par Gwenc'hlan Le Scouezec et Jean-Robert Masson dans Bretagne Mégalithique, Ed. du Seuil, 1987.
(Inutile d'ajouter qu'à mes yeux, la pierre est bien perceptible ainsi, à l'exception de ces notions "transcendantes" de "mode d'être absolu" et de monde "autre" auxquels appartiendrait la roche et que veut nous refiler subrepticement Eliade . Il me paraîtrait plus exact de dire que l'homme perçoit dans les rochers un mystère qui le dépasse, ce qui n'implique pas qu'on doive en déduire que ce mystère est celui d'une divinité.)
11/11/2007 | Lien permanent
L'art clandestin de Pierre Caran
Est paru en secret l'an dernier un bel ouvrage d'art auto-édité par Mme Thérèse Joly, la compagne de Pierre Caran, un créateur fort original (1940-2008), décédé d'un cancer qu'il avait essayé d'oublier, ou de surmonter, grâce à son activité humoreuse d'artiste recycleur qui se déploya durant les six dernières années de sa vie.
Pierre Caran, ouvrage édité à l'initiative de Thérèse Joly, novembre 2015 ; en couverture, Totem, peinture à l'eau sur bois et collage, 2004.
Totalement inconnu des amateurs d'art brut, d'art naïf ou singulier, d'art d'autodidactes – ce qu'était en matière artistique Pierre Caran apparemment, qui fit carrière comme médiateur culturel dans la région de Thonon-les-Bains, et donc était largement pourvu en matière de connaissances de toutes sortes – ce poète clandestin réalisa en secret une œuvre des plus attachantes, si l'on s'en rapporte aux nombreuses pièces présentées dans ce livre, variées et surprenantes, manifestant par leurs titres, mais aussi par les matières, couleurs, techniques mises en œuvre, le raffinement culturel de l'auteur, mixé paradoxalement à un dessin archaïsant, aussi stylisé que l'art enfantin, que ne reniait sans doute pas Pierre Caran.
Pierre Caran, L'enfant, collage et assemblage d'éléments divers sur racine, peinture à l'eau, 2006.
Cette œuvre fut produite dans l'intimité, seulement connue d'un cercle de proches, dont deux d'entre eux, fort célèbres, Valère Novarina et Michel Butor ont donné des textes pour les besoins de l'ouvrage, la biographie du créateur et la description de l'œuvre étant pour leur part confiées à Emmanuel Boussuge, que les lecteurs de ce blog connaissent quelque peu. Même le livre aurait pu ne pas dépasser le cercle des proches, si Thérèse Joly n'avait pas eu l'heureuse idée d'en déposer quelques exemplaires¹ à la librairie de la Halle St-Pierre, où son animateur, Pascal Hecker, me le fit voir (une petite exposition, peut-être pas très "lisible", se tenait sur les murs de la librairie au même moment). Toutefois, on peut noter une unique exposition organisée après sa disparition, à la Chapelle Saint-Bon, à Thonon en 2009.
Pierre Caran, Hommage à Valère Novarina, peinture à l'eau sur bois et pierre, 2006.
L'œuvre comprend beaucoup d'assemblages, de galets, pierres, ou bois trouvés dans sa région, près du lac Léman², qu'il laissait tels quels, ou bien sur lesquels il intervenait, les repeignant selon les cas plus ou moins intégralement, les mettant en scène (c'était un homme qui aimait le théâtre et le cinéma), les associant parfois à des références littéraires (car il était aussi féru de littérature), les mêlant à d'autres matières réemployées. Il ne se contentait pas de ces interprétations sur objets naturels, il peignit et dessina aussi (voir ci-contre son Autoportrait, de 2005), écrivit divers textes, toujours dans le même bref laps de temps durant lequel la maladie lui mit le grappin dessus. Plusieurs de ces œuvres sont des évocations de scènes liées à sa maladie et aux traitements. Ce qui me frappe dans cette production, outre le raffinement dont il faisait preuve, c'est qu'il ne s'abandonne jamais à la facilité, comme tant d'autres artistes dits "singuliers" peuvent au contraire s'y vautrer. Ces derniers se contentent généralement de rapprochements évidents (produisant à la pelle des "Têtes à Toto", à l'aide par exemple de deux enjoliveurs et d'un peigne). Chez Caran, nulle paresse, un souffle poétique, greffée sur un vécu et une souffrance – jamais complaisamment mise en avant –, se déploie authentiquement.
Pierre Caran, L'enfer sur terre, peinture à l'eau sur toile, 70x60cm, 2008 ; terrible peinture à mon avis.
Emmanuel Boussuge, dans sa contribution, se demande où le situer : art brut? Art singulier?... Peut-être que pour ce genre de créateurs cultivés, autodidacte en matière artistique, on pourrait créer une nouvelle étiquette: l'Art clandestin? Il ne serait pas seul sous cette appellation, les jardins secrets d'écrivains par exemple étant légion (exemples, ceux de Victor Hugo, August Strindberg, Marguerite Burnat-Provins, etc.)...
Pierre Caran, Reflets dans l'eau, peinture à l'eau sur papier, galets collés, 40x50cm, 2007.
J'incite fortement mes lecteurs à acquérir cet ouvrage, histoire de distinguer un peu mieux où se situe aujourd'hui le véritable génie "singulier".
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¹ On peut toujours les y trouver, et sinon, on peut commander l'ouvrage (35€, port compris) à Mme Thérèse Joly en écrivant à joly.photos@free.fr , ou aux Editions des Amis de Pierre Caran, 4 avenue du général de Gaulle, 74200 Thonon-les-Bains.
² Thonon-les-Bains, rappelons-le, est située juste en face de Lausanne, de l'autre côté du lac Léman. Ville où s'abrite la Collection de l'Art Brut... On ne sait si Pierre Caran eut l'occasion d'aller visiter ce mirifique endroit, où il aurait trouvé de nombreux cousins par l'esprit, sinon par le style et la technique, de son art...
09/12/2016 | Lien permanent | Commentaires (3)
Souvenir des Pierres qui Parlent, Marie-Antoinette Bassieux
Qui se souvient des "Pierres qui Parlent" et de leur petit musée à Dieulefit dans la Drôme?
Une dame fort âgée, Marie-Antoinette Bassieux l'avait créé dans une boutique vitrée où elle abritait sur des rayonnages des dizaines et des dizaines de cailloux, galets de rivière ou autres. Elle avait perçu des images inscrites à leur surface. Convaincue que bien entendu le public distrait n'a pas toujours la disponibilité requise pour reconnaître ces signes, à ses yeux pourtant évidents, Mme Bassieux avait consenti à souligner d'une légère touche de pinceau trempé dans l'encre noire les contours des personnages qu'elle avait reconnus.
L'inconscient naturel de ces pierres, ou l'imaginaire de Dieu (m'est avis que c'était l'hypothèse envers laquelle penchait en premier le coeur de Mme Bassieux...), n'était pas tout à fait naïf en l'occurrence. Ces images trahissaient une culture artistique moyenne, comme si Dieu, avec un coeur qui ressemble parfois à celui d'une midinette, avait beaucoup regardé des estampes, des profils enclos dans des médaillons, des scènes animalières quelconques. Un Dieu bien provincial somme toute (à la mode de jadis, je dis ça pour "G.M."), qui avait glissé ces copies en catimini dans les pierres, poursuivant je ne sais quel but, mais les voies du Seigneur ne sont-elles pas impénétrables?
Cependant, ces pierres interprétées finissaient par charmer. Sans doute parce que quel que soit le motif aperçu dans les matériaux naturels, l'oeil du spectateur reste amusé, intrigué devant tel phénomène de divination. Il y a comme une magie qui opère lorsqu'on se rend compte que l'interprète a sorti un personnage de rien, de l'informe, où pourtant elle l'avait perçu à l'état embryonnaire. Et peut-être que cette magie est d'autant plus opérante lorsqu'elle se manifeste dans le cas de ce genre de création aux sujets à la limite du banal, du convenu.
La collection de Mme Bassieux, dont a parlé en son temps Pierre Bonte (il l'avait interviewée) dans un de ses Bonjour M.le Maire, fut un moment transférée dans un "Naturodrôme", à Crest dans la Drôme toujours et comme le nom de cette collection consacrée à la poésie naturelle l'indique. Puis elle revint de guerre lasse à son point de départ, à Dieulefit (dont le nom, on s'en convaincra aisément, était déjà tout le programme de Mme Bassieux...). L'interprète des pierres m'écrivit quelques lettres pour me faire part des avatars affectant ses collections. Elle aurait bien aimé trouver un lieu qui protége de façon assurée ses pierres "parlantes" aprés son séjour terrestre. Que sont-elles devenues aujourd'hui? C'est ce que je me demandais ces jours-ci. Alors, si vous le saviez, ne vous privez pas d'éclairer nos lanternes...
28/05/2009 | Lien permanent | Commentaires (21)
Critique du primitivisme à la Halle St-Pierre
Pris par d'autres lectures, je n'ai pas encore eu l'occasion d'entamer plus que le début du gros pavé commis récemment par Baptiste Brun sur la "critique du primitivisme" qu'il s'ingénie à penser comme un des chevaux de bataille de Dubuffet avec son entreprise de l'Art brut. Sur le site des éditions Les Presses du Réel en particulier, on peut lire ces lignes qui cherchent à résumer la direction principale du livre de Brun: "Tordre le cou au primitivisme : voilà l'un des enjeux du travail de Jean Dubuffet (1901-1985). Le lecteur pourra trouver l'affirmation paradoxale tant l'artiste semble être le parangon du primitivisme artistique dans la seconde moitié du XXe siècle. Tout pourtant dans son travail concourt à récuser l'existence d'un art supposé « primitif », pierre de touche d'une conception européenne et raciste de l'art, repliée sur elle-même et ébranlée au sortir de la Seconde Guerre mondiale. En poussant à l'excès les codes du primitivisme de son temps, le peintre en dévoile lucidement les ressorts et les présupposés."
L'art dit primitif serait tout uniment "la pierre de touche d'une conception européenne et raciste de l'art, repliée sur elle-même et ébranlée au sortir de la Seconde Guerre mondiale"? N'est-ce pas aller vite en besogne? Je ne suis pas sans doute aussi cultivé que Baptiste Brun en matière d'histoire du primitivisme, mais il me semble tout de même que derrière ce mot on n'a pas mis, au cours de l'histoire de l'art moderne, que de la condescendance paternaliste... Le mot "primitif" a été utilisé à plusieurs sauces, me semble-t-il. Ne l'utilisa-t-on pas pour qualifier les peintres de la pré-Renaissance en Italie et en France, qui ignoraient encore les lois d'une perspective géométrique? Le mot, et l'art des peuples non occidentaux, auprès de tant d'artistes modernes – Picasso, Derain, Modigliani, Vlaminck, etc. – étaient vus comme extrêmement positifs et séduisants, ce qui était une réorientation, opérant un virage à 180° par rapport aux antiquités gréco-latines des classiques. La primitivité n'était-elle pas vue aussi alors comme un accès direct à une expression plus spirituelle, plus proche du ressenti-pensé, accès, approche que les artistes modernes du début XXe siècle recherchaient obscurément en se détournant de la reproduction du réel rétinien? On ne se tournait pas seulement vers les arts lointains (comme disait Fénéon qui fut l'un des premiers à collectionner des œuvres d'art africaines ou océaniennes, bien avant les collectionneurs d'après Seconde Guerre), on admirait les primitifs de l'intérieur, l'art populaire des campagnes, comme Courbet vis-à-vis de l'imagerie populaire, ou Gauguin face à la sculpture naïve bretonne, ou encore Filiger, l'ami de Gauguin, qui s'inspirait des Primitifs italiens et de l'imagerie populaire alsacienne... Primitif était synonyme de "premier", tout aussi bien pour ces artistes. Les raccourcis expressifs, la stylisation, le goût d'aller droit au but (synonyme d'art "premier") propres aux artistes-artisans populaires impressionnaient favorablement les artistes modernes.
Que Dubuffet ait opéré une critique de la dimension paternaliste – et raciste chez certains critiques et amateurs d'art qui ne sauraient être majoritaires chez les admirateurs des arts primitifs – du primitivisme me paraît également sujet à discussion. S'il me paraît avoir rejeté l'interprétation primitiviste de son "art brut", c'est au même titre qu'il a balayé devant sa porte l'art des enfants, l'art populaire et l'art naïf, vus comme insuffisamment inventifs et insuffisamment asociaux. Il lui fallait bâtir sa notion en éliminant toutes les annexions possibles aux catégories voisines.
Baptiste Brun vient donc en parler à la Halle Saint-Pierre, Que ceux qui veulent en savoir plus viennent l'écouter (personnellement j'aurais bien voulu, mais à cette date, le 22 février, je serai malheureusement occupé ailleurs...).
18/02/2020 | Lien permanent | Commentaires (2)
Sylvia Katuszewski à la Halle St-Pierre
Sylvia fait partie des revenantes régulières de la Halle Saint-Pierre, notamment dans l'espace dite de la Galerie", au rez-de-chaussée. Tous les murs lui sont consacrés jusqu'à fin octobre. Ce ne sont cette fois que des dessins aux crayons de couleur et autres pastels (je crois bien), des personnages isolés qui la bouche ouverte semblent appeler au secours du fond de couleurs tendres, roses, oranges, vertes, des personnages plantés au milieu de ce qui ressemble à des jardins d'été, dans une ambiance de bonheur pastoral. On pourrait croire à une figuration heureuse si ne sourdait insidieusement comme une anxiété rampante, suintant au sein de ces halos chauds et joyeux...
Des femmes, des jeunes filles (?) parmi des fleurs, découvrant le nid d'un oiseau, ou parmi des joncs, au bord d'un étang, surprises, interdites devant les spectateurs... (interprétation de mézigue), photo Bruno Montpied, octobre 2019.
Un grand dessin de Sylvia Katuszewski, comme une mariée juchée sur un arbre, avec un petit air de morte enveloppée dans un linceul... ph. B.M., octobre 2019.
15/10/2019 | Lien permanent
Le ”Coin au Soleil” de Jean-Pierre Schetz
De manière plus particulière aussi, ce projet s'adresse au secteur socioéducatif puisqu'à certains égards, les environnements pris en compte présentent d'évidentes similitudes avec des aménagements singuliers d'espaces conçus par des enfants dans un contexte associatif. Les intentions de ce projet sont, précisément dans ce cadre, les suivantes :
25/09/2007 | Lien permanent | Commentaires (2)
Pierre Dange, un Naïf dans un habitat brut
Cela fait quelques années que je collectionne, ou plutôt que j'amasse, en dilettante, des cartes postales anciennes représentant des sites façonnés par des excentriques oubliés, édifices babéliens à la signification perdue, musées de racines sculptées, ou de préhistoire populaire, falaises interprétées, églises psychédéliques avant l'heure, Luna-parks bricolés dans des coins perdus. Sur ce blog j'ai récemment évoqué par exemple l'Auberge des Soeurs Moisy, le Cabaret des Décapités dans l'île de Bréhat, et il y a déjà plus longtemps, le monument aux morts de l'Abbé Cognet, ou le "Tour du Monde Globe de la Paix"...
Camille Jamain "Peintre", l'Aquarium de sa "base de loisirs" bricolée, "Robinson 1000 Mottes" anciennement située à La Croix (Indre-et-Loire) ; site disparu dans les années 30 malgré le legs à la commune en 1912...
Ces bouts de papier vieillots sont parfois tout ce qui reste de ces constructions insolites, et aussi, dans d'autres cas, sont les premiers indices d'un site encore à découvrir (sont-ils toujours debout?, se demande l'imagination aiguillonnée par le démon de la curiosité).
Pierre Dange, son "Château" comme il est dit en légende, coll.BM
Parmi ces cas, se dresse le "château", parfois aussi appelé, de façon toujours aussi grandiloquente ou pompeuse, le "palais artistique" du dénommé Pierre Dange (Ô, le joli nom!) qui était situé "sur la route d'Ouzouër-sur-Trézée", dans une zone proche de Rogny-les-Sept-Écluses, dans l'Yonne. Dans le temps, Feu André Escard, je ne sais plus trop où (peut-être le Bulletin des Amis de François Ozenda?), avait tenté des recherches assez infructueuses sur ce personnage. La revue Gazogène en a aussi parlé dans ses numéros 24 et hors-série "N'oubliez pas l'artiste...", où l'on peut voir d'un numéro à l'autre quatre images rares. Le collectionneur et artiste Jean-Michel Chesné a également très récemment sur son blog apporté quelques renseignements supplémentaires sur le personnage dont on sait que la maison visible sur la carte ci-dessus a disparu. En particulier il a recueilli un intéressant témoignage d'un témoin oculaire qui avait rencontré le sieur Dange (actif au début du XXe siècle) dans les années 1930.
Autre carte montrant ce qui est cette fois appelé le "palais artistique" de Pierre Dange, vers 1910
Pierre Dange, qui apparaît comme un pauvre hère sur les cartes postales représentant son "palais" sans autre toit semble-t-il qu'une charpente d'arceaux métalliques laissée à l'état d'ébauche, Pierre Dange, à ce qui est clairement signifié d'une carte à l'autre était avant tout un peintre. Il pose sur ces cartes à côté de divers tableaux de grand format, qu'il veut à l'évidence faire connaître grâce à ce support de communication populaire qu'était la carte postale en ces années du début de l'autre siècle. Et c'était à mes yeux un grand peintre populaire et naïf. Bien entendu, on aimerait fort voir en vrai ces oeuvres que l'on ne fait que deviner sur les cartes. Avait-il, comme l'écrit Gazogène de son côté, un talent "mystique, inspiré, médiumnique"? C'est peut-être vite dit. Je vais ajouter personnellement ici même une pièce au dossier qui montrera qu'il pouvait aussi traiter des sujets tout à fait profanes, comme ce portrait de vigneron, nommé "Olivier Alfroid", qui est signé de "Pierre Dange" et daté de "mars 1910" (format 75x78 cm), reproduit par mes bons offices ci-dessous.
Pierre Dange, Olivier Alfroid, mars 1910, exposition "Tableaux étranges et naïfs" (1984) ; on notera que le tableau comporte deux signatures, l'une tracée au pinceau et l'autre ciselée dans le bois du cadre ("Par Pierre Dange en mars 1910")
D'où sort ce tableau, me direz-vous? Je l'ai extrait d'un catalogue édité à l'occasion d'une exposition intitulée "Tableaux étranges et naïfs, 1820-1920", sous-titrée "Portraits d'enfants, d'adultes et de maisons", qui s'était tenue à la Galerie Geneviève Rolde à Paris en juin 1984. C'était le marchand de poupées anciennes (et merveilleuses), Alain Renard, qui avait organisé le catalogue, probablement à partir de sa propre collection de tableaux (dans le livre, il ne le dit pas). Ce portrait d'un vigneron, deux fois cerné de grappes de raisin, peintes autour du portrait en médaillon et sculptées sur le cadre, paraît de même style que les peintures que l'on voit sur certaines des cartes postales (surtout celle ci-contre qui représente l'artiste posant à côté d'un tableau représentant un roi ou une reine, elle-même inscrite dans un médaillon surmonté de trois autres personnages ; ce procédé du médaillon paraît récurrent dans le travail de Dange). La date de 1910 correspond à l'époque où furent éditées les cartes postales. Enfin, il paraît peu probable qu'il ait pu exister deux Pierre Dange, tous deux peintres naïfs et populaires.
Je suis donc à peu près sûr que nous sommes là en présence d'un tableau non perdu (tout du moins en 1984!) du peintre naïf Pierre Dange, habitant par ailleurs cette très étrange maison de Rogny-les-Sept-Ecluses, au confort plus que sommaire, sans fenêtres apparentes, comme favorisant le repli de son propriétaire concentré sur lui-même...
Qu'est devenu ce tableau? Depuis cette exposition datant de trente ans, c'est difficile à dire. Je n'ai pas d'information là-dessus. Juste cette image à reproduire en ligne. Mais c'est déjà beaucoup.
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Petit ajout du 17 nov. (que j'espère comme le début d'une longue liste...?):
J'ai suivi le commentaire de Jean-Christophe Belotti apposé après cette note (publiée le 15 novembre), et je reproduis donc ci-dessous une image, à dire vrai assez floue (mais ne soyons pas difficile, car cela cadre bien aussi avec ce genre de sujet) d'un autre tableau signé de Pierre Dange, intitulé "La Denisière à (Rogny?)", un paysage, lui aussi encadré d'un bois sculpté où l'on retrouve des raisins, dont une photo a été mise en ligne par le blog Vasavoir-Afga, qui s'intéresse à l'histoire de la ville de Rogny-les-Sept-Ecluses.
Ph. extraite du site Vasavoir-Afga.
Et puis, ce blog, qui a retrouvé la trace d'une famille Baudrier qui a conservé quelques souvenirs de Pierre Dange, par suite du rachat de sa maison en mauvais état et "quasi en ruines" (à une date non précisée sur le blog, qui reste quand même passablement en survol sur la question malheureusement), ce blog publie aussi un autre document émouvant, la plaque avec le nom DANGE qui se trouvait sur la porte de cette maison étrange (étredange, devrait-on écrire...).
Ph extraite du site Vasavoir-Afga.
15/11/2011 | Lien permanent | Commentaires (20)