Rechercher : Ermite de rothéneuf
Allez voir du côté de chez Geodazner
Geodazner, c'est un monsieur qui fait des notes sur un blog (intitulé si je comprends bien, attention, prenez votre respiration, "Choses à noter ou à oublier dans le 5 8. Sans s'interdire d'aller voir ailleurs si j'y suis") à propos de la région nivernaise (il se murmure que l'individu se cachant derrière ce pseudo anime aussi un autre blog dont nous avons déjà parlé ici, Des signes sur les murs ; je sais, on s'y perd dans tous ces blogs, eh ben, tant mieux...). Il a pondu récemment une note plaisante à propos des ébauches de Marcel Duchamp qu'il a retrouvées dans le 5-8. Pour y aller voir, suivez la flèche.
Cela me donne l'occasion de créer à partir d'aujourd'hui une nouvelle catégorie intitulée "Déviations autorisées vers d'autres blogs" où je vous conseillerai de façon plus appuyée qu'en glissant de simples liens sur ma colonne de droite d'aller voir ailleurs si d'autres y sont aussi.
02/03/2015 | Lien permanent | Commentaires (5)
Découverte de Claudie Gousset, dessinatrice en couleur
Gousset, c'est un nom qui me fait songer... Et si c'était le gousset où le lapin poursuivi par l'Alice de Lewis Carroll remet sans cesse sa montre?
Claudie Gousset, sans titre, 30 x 40 cm, crayons et feutres, sans date
Elle habite dans la région bordelaise, elle dessine depuis fort longtemps, me dit-elle, mais elle s'est contentée jusqu'à ces dernières années d'exposer ses œuvres dans l'espace réservé du cercle familial. Elle peut recourir au noir et blanc, mais ce qu'elle préfère avant tout, c'est nager avec délectation dans la couleur. Elle paraît cultivée, elle fit des études littéraires liées au monde germanique, elle a été bibliothécaire.
Deux autres œuvres aux crayons, feutres et à la gouache, sans titre sans date
Dans les œuvres que l'on peut découvrir sur son site web, je préfère personnellement les œuvres narratives. Elle dessine en effet aussi, en dehors de ces dernières, des œuvres où l'ornemental revendique de prendre beaucoup de place. On sent des influences dans son travail, par moments on voit un Wolfli pointer le bout de son nez dans une de ses compositions. Elle avoue être allée au musée de la Création Franche, y avoir admiré les travaux de Claudine Goux (ça commence en plus comme son nom, Goux...sset), ou ceux de Gilles Manero. Son travail en tout cas est sensible, et me paraît prometteur. A suivre donc.
Claudie Gousset, 40 x 30 cm, feutres, crayons, gouache, sans titre, sans date
22/09/2015 | Lien permanent | Commentaires (9)
Une maritorne connue de nos commentateurs...?
D'après Namio Harukawa.
22/04/2017 | Lien permanent | Commentaires (8)
40 ans de la Collection d'art brut de Lausanne, 70 ans de l'apparition de l'art brut, etc.
L'œuvre illustrant l'affiche de l'exposition est de Joseph Dégaudé-Lambert, dessinateur inconnu du XVIIIe siècle
C'est pratique les commémorations, ça permet d'avoir l'idée d'une exposition. La nouvelle, à Lausanne, qui a commencé le 4 mars, fait retour sur les origines de la Collection de l'art brut, à l'occasion des 40 ans de son ouverture au Château de Beaulieu, après la donation de Dubuffet à la ville de Lausanne. Un gros – et grand – catalogue est publié à la clé. Je n'ai pas vu l'expo, je me base donc sur ce dernier, qui est déposé ici et là en librairie à Paris (moi, je l'ai trouvé à L'Ecume des Pages, merci Marieke...).
La couverture du catalogue de l'exposition "L'Art brut de Jean Dubuffet, aux origines de la Collection", au graphisme pas très original si on se réfère aux anciennes couvertures des premiers fascicules de la Collection qui utilisèrent longtemps cette écriture peinte (qui fut de plus imitée par d'autres ça et là), et avec un type de reliure (à la japonaise, cousue ,sans dos) qui fait penser à certain récent catalogue de la collection ABCD, normal, si l'on songe que Flammarion est co-éditeur des deux...
C'est une sorte d'exposition rétrospective, où la Collection survole l'histoire de sa constitution. Le catalogue, éludant quelque peu les années de tâtonnement de Dubuffet (pourtant l'art brut a commencé de l'obséder dès la fin des années 1940, après un premier intérêt dans les années 1920 pour les dessins de nuages d'une certaine Clémentine Ripoche), et ne citant que peu les expositions du sous-sol de la galerie Drouin, puis du Foyer de l'art brut dans le pavillon prêté par les éditions Gallimard, s'étend en premier lieu sur l'évocation de la grande exposition de 1949 dans la même galerie Drouin (sans doute parce qu'elle fut la première imposante par le nombre d'œuvres ou d'ouvrages exposés), avant d'aborder les acquisitions des décennies suivantes.
Les premières œuvres qui avaient été exposées en 1947-1948 (à partir de novembre-décembre 1947) avec la collaboration de Michel Tapié, et divers autres amis et adhérents des débuts de la collection (Charles Ratton, André Breton, Robert Giraud, Aline Gagnaire, Henri-Pierre Roché, entre autres) exprimaient une grande ouverture dans la recherche des œuvres relevant d'un art de l'ombre, distinct et distant vis-à-vis du "grand art". Indécis sur la direction à prendre, on prenait ce qui venait, quitte à trier plus tard sans doute. L'art naïf, l'art des enfants, l'art de certains peuples non occidentaux, pouvaient être prospectés. Dans ces deux premières années de recherche systématique – la "Compagnie d'art brut" fut fondée le 11 octobre 1948 –, on voit passer dans les locaux provisoires prêtés (?) à Dubuffet, par exemple "les Barbus Müller" (pierres de granit et basalte, venues semble-t-il d'Auvergne, créées par un (ou des) auteur(s) anonyme(s)), les sculptures de l'artiste primitiviste Krizek, les peintures illuminées de Miguel Hernandez, les silex interprétés de Juva – alias le comte autrichien Juritzky –, les œuvres de Robert Véreux (alias Robert Forestier), de Chaissac, de l'alchimiste Maurice Baskine, les médaillons de ciment de l'aubergiste Salingardes, les masques du brocanteur bordelais Maisonneuve, des peintures "médiumniques" de Crépin, des dessins de Scottie Wilson... Certaines de ces productions vinrent des signalements donnés par les surréalistes que Dubuffet, au début de son entreprise de rassemblement d'un art inventif et sauvage incognito, tentait de rallier à sa cause, jusqu'à ce que ce compagnonnage vole en éclats, Breton trouvant en 1951 Dubuffet dictatorial, tandis que ce dernier accusait les adhérents de la première heure de n'avoir pas fait grand chose pour l'aider (voir la correspondance de Jean Dubuffet publiée dans Prospectus et tous écrits suivants chez Gallimard)...
Projet de composition de l'Almanach de l'art brut, tel qu'il figure dans une lettre de Dubuffet à André Breton publiée sur le site web consacré à André Breton
Mais que le catalogue et l'exposition ne s'attardent pas outre mesure sur ces deux années de tâtonnement, c'est sans doute parce que, comme l'annonce une note fort furtive en marge d'une contribution de Sarah Lombardi, actuelle directrice de la Collection lausannoise (p.19), un projet d'édition va enfin voir le jour concernant l'Almanach de l'Art Brut, qui permettra peut-être d'en parler plus largement. Ce serait prévu pour novembre 2016 (dans une édition critique établie par Baptiste Brun et Sarah Lombardi, et réalisée par la collection de l'Art Brut en collaboration avec 5 Continents et l'ISEA ). Ce qui sera, du point de vue des amateurs obsédés par l'art brut et son histoire, un événement puisqu'on attend son exhumation depuis 70 ans, l'édition n'ayant pu se faire en 1948. On se reportera à l'ouvrage l'Art brut de Lucienne Peiry (Flammarion, 1997, voir p.303) pour en savoir un peu plus sur cet almanach, laissé à l'état de manuscrit dans les archives de la Collection, et qui rassemblait au même sommaire, excusez du peu: André Breton, Benjamin Péret (sur Robert Tatin, et ce, dès 1948, texte inédit, jamais publié dans ses œuvres complètes), Jean Dubuffet, Gaston Chaissac, Walter Morgenthaler, Michel Tapié, E.L.T. Mesens (par qui était "arrivé" Scottie Wilson...), Lise Deharme (voir son texte sur Alphonse Benquet sur ce même blog, où je l'ai édité virtuellement en première mondiale grâce à l'obligeance de Lucienne Peiry...), Jacqueline Forel, Eugène Pittard, Charles Ladame, etc. Cet almanach, dont l'idée de la forme revenait peut-être à Breton, qui en réalisa un autre en 1950, centré sur le surréalisme (l'Almanach surréaliste du demi-siècle), est probablement imprégné de cet esprit de non dogmatisme et d'ouverture qui régnait dans ces années pionnières. Dubuffet se raidira dans les décennies suivantes, déniant aux Naïfs et aux créateurs trop liés à une culture populaire repérable, l'inventivité surgie de nulle part dont il rêvait, à la fois dans sa propre œuvre et dans celle des autres. Le fait que l'on reconnaisse aujourd'hui qu'il y a toujours de la culture, savante ou populaire, dans le soubassement des gestes créatifs, y compris parmi ceux qui sont les plus cachés et les plus refoulés, doit impliquer que l'on puisse réévaluer certains marginaux naïfs ou populaires, du type de ceux que l'on vit émerger dans les débuts de la collection de Dubuffet, comme par exemple ce Joseph Dégaudé-Lambert, dont les huit gouaches du XVIIIe siècle conservées à Lausanne (précision apportée par le catalogue de l'expo actuelle), furent reversées par Dubuffet à partir du début des années 1960 dans sa collection "annexe" (consacrée aux cas-limites de l'art brut et de l'art culturel...). Chaque fois que l'on voit en réapparaître une dans les publications de la Collection de l'art brut¹, on reste sidéré... Voilà encore un créateur énigmatique de premier ordre sur lequel on aimerait recueillir davantage d'informations.
Salingardes (à gauche) et broderie de Marguerite Sirvins (à droite), pages du catalogue L'Art Brut de Jean Dubuffet, aux origines de la collection, ph. Bruno Montpied
Le catalogue de l'exposition, en contraste avec sa couverture grise ascétique, est d'une richesse iconographique remarquable, reflétant sans doute bien celle de l'exposition elle-même. J'ai mes favoris parmi tous ces créateurs, dont certains surgissent des réserves de la collection pour la première fois (ou peu s'en faut), comme cette écorce de bouleau de Pierre Giraud qui vaut bien mieux que ses dessins je dois dire.
Pierre Giraud, sans titre, 1947, écorce de bouleau sculptée
Je ne résiste pas aussi au plaisir d'énumérer, parmi les créateurs exposés en 1949 chez Drouin, ceux qui me touchent plus particulièrement: Aloïse, Antinéa, Benjamin Arneval, Julie Bar, Georges Berthomier (un naïf fruste), Maurice Charriau (une copie conforme de Chaissac : il me semble me souvenir qu'il s'agissait d'un adolescent que ce dernier poussa à dessiner), Crépin, Joseph Heuer, Juliette Elisa Bataille, Juva, Hernandez, Maisonneuve, Parguey, Clotilde Patard (là aussi une naïve fruste comme on les aime), Raymond Oui, Salingardes, Marguerite Sirvins, Berthe Urasco, Wölfli, Albino Braz, Somuk (un Mélanésien), Gottfried Aeschlimann, Jaime Saguer, et toutes sortes d'anonymes... Les acquisitions qui eurent lieu les décennies suivantes ont bien entendu apporté d'autres merveilles.
Somuk, illustration pour un conte recueilli par Patrick O'Reilly, dans le catalogue Art mélanésien, Nouvelles éditions latines, Paris, 1951
Le catalogue laisse aussi la parole aux deux précédents directeurs de la Collection, Michel Thévoz et Lucienne Peiry. Thévoz notamment rétablit une information importante concernant l'hypothèse qui a couru chez maints exégètes et chroniqueurs de l'art brut selon laquelle l'Etat français aurait refusé la donation de la collection au moment où, après 1967 et l'exposition du Musée des arts décoratifs, Dubuffet commençait à songer à la possibilité de créer un "Institut de l'art brut". En réalité, le ministre de la culture de l'époque, Michel Guy, avait soutenu l'idée d'une donation au Centre Georges Pompidou, et c'est Dubuffet qui n'en avait pas voulu. Ce dernier, se tournant vers Lausanne et la Suisse, crut même à un moment que sa collection ne pourrait franchir la douane, Michel Guy menaçant de ne pas la laisser sortir de France. Michel Thévoz, dans cette même interview, reste cependant évasif sur la méthode employée par le peintre français pour permettre à sa collection de franchir finalement la frontière.
Ni Tanjung, telle qu'elle figure dans une courte vidéo de Petra Simkova réalisée en février 2016 ; elle exécute ici une danse traditionnelle dans le minuscule local où elle survit tant bien que mal, entourée de ses dessins réalisés en silhouettes accrochées à des fibres de bambou
Le catalogue comprend également un autre entretien, avec Lucienne Peiry cette fois qui revient sur l'ouverture qu'elle pratiqua dans les acquisitions de la collection en direction des autres continents à partir de 2001, ouverture qui fut stoppée net par le syndic de la ville de Lausanne en 2011, Daniel Brélaz, au motif que devant la concurrence des autres musées et collections s'ouvrant à travers le monde, il fallait désormais se concentrer sur les acquis, afin de préserver l'identité de l'art brut en somme, faire des économies, et faire machine arrière par rapport à l'extension indéfinie des acquisitions à l'international. C'était là, de la part du syndic , une déplaisante attitude à mon humble avis, entachée d'un esprit de macération dans le cercle étroit de ses habitudes. Grâce à Lucienne Peiry, la collection nous avait fait connaître, entre autres, et sans préjuger de découvertes continuées parallèlement en Europe et en Suisse (voir l'expo L'art brut à Fribourg), de grands créateurs lointains, comme la Chinoise Guo Fengyi, le Ghanéen Ataa Oko ou la Balinaise Ni Tanjung. sur laquelle je reviendrai bientôt. "La puissance et la dissidence de l'Art Brut ne sont donc pas dépendantes des frontières géographiques", affirme ainsi Lucienne Peiry dans l'entretien avec Sarah Lombardi. Le récent livre de Remy Ricordeau, Visionnaires de Taïwan, paru en 2015 à l'égide de la collection La Petite Brute aux éditions de l'Insomniaque, révélant plusieurs environnements bruts inédits dans l'ancienne île de Formose, n'est pas là, par exemple, pour contredire cette puissante affirmation...
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¹ Une autre reproduction de gouache est à découvrir dans le catalogue de la Neuve Invention que la collection fit paraître en 1988 (catalogue qui mériterait du reste d'être réédité, et augmenté).
19/03/2016 | Lien permanent | Commentaires (2)
”André et les Martiens” de Philippe Lespinasse, quelques remarques
Couverture du DVD du film de Philippe Lespinasse, 2016
Les créateurs réunis par Philippe Lespinasse dans un montage d'environ 66 minutes sous le titre André et les Martiens ont un point commun, celui de vouloir rassembler des éléments épars, disjoints, hétéroclites en un tout homogène qui tient avant tout par l'emploi de fils, de liens, de ligatures ceinturant les dits éléments : André Robillard, choisi lui-même au départ par le réalisateur-monteur pour lier les diverses séquences consacrées aux autres créateurs, et être un fil rouge durant toute la durée du film, attache ses tubes, ses crosses, ses patins à glace et autres objets de récupération de gros rubans de fort adhésif chargés d'aider à donner forme à ses fusils inoffensifs. Judith Scott embobine des objets de hasard d'un embrouillamini de fils de toutes les couleurs où elle ajoute des nœuds, créant des sortes de chrysalides sans identité reconnaissable. Richard Greaves au Québec parle des cordes qui tiennent ses cabanes en un savant équilibre déséquilibré. André Pailloux (déjà vu dans Bricoleurs de paradis et repéré dans Eloge des jardins anarchiques ; mais je dois dire que la séquence où il apparaît dans le film de Lespinasse n'apporte pas grand-chose de plus par rapport à ces deux références) laisse manipuler son vélo avec grandes précautions, car ça n'est pas seulement un vélo, mais un jardin sur roues, tissé de colifichets en tous genres, comme une toile d'araignée de bibelots en plastique qui aurait été destinée à partir sur les routes, "quand il n'y a pas de vent", dixit Pailloux. Et ce jardin sur roues, double de son jardin hérissé de vire-vent, il y tient, Pailloux, c'est son double aussi bien, on ne lui arrachera pas comme cela. Seul de tous peut-être, Paul Amar n'utilise pas le fil. Car lui recourt à la colle pour assembler en théâtres rutilants de couleurs –c'est le moins qu'on puisse dire– des milliers de coquillages qu'il usine, adapte, associe, agrège, faisant entrer de gré ou de force ces éléments disparates dans son imaginaire unifiant.
Judith Scott, œuvre exposée à l'exposition Sur le fil à Wazemmes
Paul Amar, œuvre présente dans la Collection de l'Art brut, Lausanne, ph. Bruno Montpied, 2011
Si tous ces créateurs présents dans le film de Lespinasse –comme ce dernier les présenta au cours d'une récente avant-première organisée par l'ambassade de Suisse à Paris– peuvent être vus comme des "libertaires" réinventant leur monde, ils sont avant tout à mes yeux des individus viscéralement liés à des objets ou des architectures transitionnels qui leur servent à se redresser en dépit du désordre ambiant, en remettant de l'unité dans un monde en miettes.
Richard Greaves, ses anciennes réalisations au Canada, ph. site bootlace and lightning
Par ailleurs, au cours de la même soirée d'avant-première, notre réalisateur tint à établir sa ligne directrice en matière d'éthique documentaire. Il trouve, ce fut son mot ce soir-là, "autoritaires", les films qui comportent des commentaires de leurs réalisateurs. Il préfère, comme l'écrasante majorité des réalisateurs actuels, laisser parler "librement" ses personnages, des créateurs par ailleurs tous classés par lui (peut-être un peu approximativement) dans "l'art brut". Cela traduirait sa volonté de laisser libre la parole... Je ne suis pas d'accord avec cela. Un réalisateur qui donne un avis par commentaire sur ce qu'il filme nous impose-t-il vraiment son interprétation? Le spectateur n'aurait-il donc plus de sens critique, ficelé qu'il serait aux propos qui lui seraient comme injectés de force? Ce serait se représenter le spectateur comme un consommateur hébété, pieds et poings liés devant l'écran. Ce dernier sait faire la part des choses, et même, lorsqu'il n'y a pas de vision subjective affirmée à l'écran, il sait reconnaître, derrière les montages, un choix, celui des séquences conservées parmi les dizaines d'heures de rushes tournées en amont, ou celui des réparties des auteurs interviewés, toutes choses qui distillent de manière masquée le point de vue du réalisateur du film. Celui-ci peut-il en conséquence nous faire croire plus longtemps à sa retraite devant la personne qu'il souhaite nous présenter comme étant affranchi de son regard? Que nenni.
Cela dit, ce ne fut qu'un mot lâché par Lespinasse au hasard d'une diatribe improvisée à la fin de la projection de son film. Parmi les réalisateurs de docs sur les créateurs populaires autodidactes, il n'est pas de ceux qui font particulièrement le choix de s'effacer. Dans ce dernier opus, André et les Martiens, qui reste un film empreint de légèreté et fort agréable à suivre, il ne craint pas de se faire filmer avec Judith Scott qui lui pince tendrement le quart de brie, avec envie sans doute de voir si elle pourrait se l'annexer pour l'embobiner lui aussi...
Le film sortira sur les écrans le 18 mai. Un DVD a été édité. Petit extrait ci-dessous:
27/04/2016 | Lien permanent | Commentaires (2)
L'art clandestin de Pierre Caran
Est paru en secret l'an dernier un bel ouvrage d'art auto-édité par Mme Thérèse Joly, la compagne de Pierre Caran, un créateur fort original (1940-2008), décédé d'un cancer qu'il avait essayé d'oublier, ou de surmonter, grâce à son activité humoreuse d'artiste recycleur qui se déploya durant les six dernières années de sa vie.
Pierre Caran, ouvrage édité à l'initiative de Thérèse Joly, novembre 2015 ; en couverture, Totem, peinture à l'eau sur bois et collage, 2004.
Totalement inconnu des amateurs d'art brut, d'art naïf ou singulier, d'art d'autodidactes – ce qu'était en matière artistique Pierre Caran apparemment, qui fit carrière comme médiateur culturel dans la région de Thonon-les-Bains, et donc était largement pourvu en matière de connaissances de toutes sortes – ce poète clandestin réalisa en secret une œuvre des plus attachantes, si l'on s'en rapporte aux nombreuses pièces présentées dans ce livre, variées et surprenantes, manifestant par leurs titres, mais aussi par les matières, couleurs, techniques mises en œuvre, le raffinement culturel de l'auteur, mixé paradoxalement à un dessin archaïsant, aussi stylisé que l'art enfantin, que ne reniait sans doute pas Pierre Caran.
Pierre Caran, L'enfant, collage et assemblage d'éléments divers sur racine, peinture à l'eau, 2006.
Cette œuvre fut produite dans l'intimité, seulement connue d'un cercle de proches, dont deux d'entre eux, fort célèbres, Valère Novarina et Michel Butor ont donné des textes pour les besoins de l'ouvrage, la biographie du créateur et la description de l'œuvre étant pour leur part confiées à Emmanuel Boussuge, que les lecteurs de ce blog connaissent quelque peu. Même le livre aurait pu ne pas dépasser le cercle des proches, si Thérèse Joly n'avait pas eu l'heureuse idée d'en déposer quelques exemplaires¹ à la librairie de la Halle St-Pierre, où son animateur, Pascal Hecker, me le fit voir (une petite exposition, peut-être pas très "lisible", se tenait sur les murs de la librairie au même moment). Toutefois, on peut noter une unique exposition organisée après sa disparition, à la Chapelle Saint-Bon, à Thonon en 2009.
Pierre Caran, Hommage à Valère Novarina, peinture à l'eau sur bois et pierre, 2006.
L'œuvre comprend beaucoup d'assemblages, de galets, pierres, ou bois trouvés dans sa région, près du lac Léman², qu'il laissait tels quels, ou bien sur lesquels il intervenait, les repeignant selon les cas plus ou moins intégralement, les mettant en scène (c'était un homme qui aimait le théâtre et le cinéma), les associant parfois à des références littéraires (car il était aussi féru de littérature), les mêlant à d'autres matières réemployées. Il ne se contentait pas de ces interprétations sur objets naturels, il peignit et dessina aussi (voir ci-contre son Autoportrait, de 2005), écrivit divers textes, toujours dans le même bref laps de temps durant lequel la maladie lui mit le grappin dessus. Plusieurs de ces œuvres sont des évocations de scènes liées à sa maladie et aux traitements. Ce qui me frappe dans cette production, outre le raffinement dont il faisait preuve, c'est qu'il ne s'abandonne jamais à la facilité, comme tant d'autres artistes dits "singuliers" peuvent au contraire s'y vautrer. Ces derniers se contentent généralement de rapprochements évidents (produisant à la pelle des "Têtes à Toto", à l'aide par exemple de deux enjoliveurs et d'un peigne). Chez Caran, nulle paresse, un souffle poétique, greffée sur un vécu et une souffrance – jamais complaisamment mise en avant –, se déploie authentiquement.
Pierre Caran, L'enfer sur terre, peinture à l'eau sur toile, 70x60cm, 2008 ; terrible peinture à mon avis.
Emmanuel Boussuge, dans sa contribution, se demande où le situer : art brut? Art singulier?... Peut-être que pour ce genre de créateurs cultivés, autodidacte en matière artistique, on pourrait créer une nouvelle étiquette: l'Art clandestin? Il ne serait pas seul sous cette appellation, les jardins secrets d'écrivains par exemple étant légion (exemples, ceux de Victor Hugo, August Strindberg, Marguerite Burnat-Provins, etc.)...
Pierre Caran, Reflets dans l'eau, peinture à l'eau sur papier, galets collés, 40x50cm, 2007.
J'incite fortement mes lecteurs à acquérir cet ouvrage, histoire de distinguer un peu mieux où se situe aujourd'hui le véritable génie "singulier".
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¹ On peut toujours les y trouver, et sinon, on peut commander l'ouvrage (35€, port compris) à Mme Thérèse Joly en écrivant à joly.photos@free.fr , ou aux Editions des Amis de Pierre Caran, 4 avenue du général de Gaulle, 74200 Thonon-les-Bains.
² Thonon-les-Bains, rappelons-le, est située juste en face de Lausanne, de l'autre côté du lac Léman. Ville où s'abrite la Collection de l'Art Brut... On ne sait si Pierre Caran eut l'occasion d'aller visiter ce mirifique endroit, où il aurait trouvé de nombreux cousins par l'esprit, sinon par le style et la technique, de son art...
09/12/2016 | Lien permanent | Commentaires (3)
Disparition de Caroline Bourbonnais, et hommage à la Fabuloserie
Caroline Bourbonnais est décédée dimanche dernier. Décidément, après Madeleine Lommel, Monika Kinley (décédée au début de cette année à 88 ans), Charlotte Zander (elle aussi disparue cette année), une page se tourne avec ces femmes d'une incroyable pugnacité qui bâtirent des collections d'art hors les sentiers battus des années 70 aux années 2000. Caroline Bourbonnais, devenue la vestale de la Fabuloserie après le décès de son mari architecte et artiste Alain Bourbonnais en 1988, tenait d'une main de fer dans un gant de velours la collection d'Art-Hors-les-Normes qui est installée à Dicy dans l'Yonne, et divisée en deux parties particulièrement révélatrices dans leur spatialité des conceptions du couple Bourbonnais. Elle paraissait éternelle, personnellement je ne me souciais aucunement de chercher à connaître son âge, tant son rôle de gardienne intemporelle des lieux lui composait un masque d'intangibilité. Je n'ai découvert son âge (90 ans) qu'en apprenant sa mort, cette dernière inéluctablement associée au temps qui nous emporte tous.
Parc de la Fabuloserie consacré aux environnements spontanés, avec des statues de Camille Vidal et des médaillons en mosaïque de François Portrat sur le mur de présentation rouge conçu par Alain Bourbonnais, ph. Bruno Montpied, 2011
A la Fabuloserie, ouverte en 1983, il y a le bâtiment, qui se ramifie par des surgeons greffés ou ouverts ces dernières années, conçu comme un labyrinthe et qui abrite des œuvres peintes, brodées, tissées, collées, sculptées, etc., et il y a le parc, consacré à une sorte de musée des environnements spontanés d'habitants-paysagistes quasi unique en France, voire en Europe. Ce parc a reçu en effet au fil du temps des fragments d'environnements sauvés de la destruction et du vandalisme, ce qui est le lot quasi fatal de ces formes de créations de non-artistes, fragments entretenus, restaurés, par des équipes formées par les Bourbonnais, des passionnés qui entrent en empathie avec les œuvres qu'ils choisissent de prolonger en les réparant et en les remontant, qu'on songe au magnifique sauvetage du "manège" de Petit-Pierre par exemple.
Le manège de Petit-Pierre, ph. BM, 2011
La Fabuloserie fut créée dans le prolongement de l'activité de l'Atelier Jacob qui s'était constitué dans le VIe arrondissement parisien dès le début des années 70, Alain Bourbonnais collectionnant depuis les années 60, activité qui lui servait de jardin secret à côté de son activité professionnelle (il fut l'architecte, à ce que j'ai entendu dire, entre autres de l'aménagement intérieur de la station RER Nation, et de l'église Stella Matutina à Saint-Cloud -église où entre parenthèses le signataire de ces lignes, bien avant de connaître l'art brut, à douze ans, fit sa communion... avant d'abjurer toute croyance en Dieu, le jour même de la cérémonie !). Bourbonnais avait décidé de continuer en France la prospection d'art brut, d'autant qu'il regrettait le départ de la collection de Dubuffet vers la Suisse en 1971.
A l'intérieur de la Fabuloserie, des enseignes de coiffeur africaines, un Fernand Michel semble-t-il, des sculptures de René Guivarch, de Jean Rosset, un bateau de Ratier, photo extraite du site web de la Fabuloserie
Cela dit, est-ce tout à fait le même "art brut" que l'on trouve à Dicy et à Lausanne? S'il y a des Aloïse à la Fabuloserie, et des Ratier, on y trouve aussi, mêlés sans distingo, beaucoup d’œuvres d'artistes singuliers, comme Nedjar, Francis Marshall, François Monchâtre, Verbena et autres Moiziard ou Lortet et Chichorro. Les deux Bourbonnais recherchaient semble-t-il avant tout l'étonnement et l'émerveillement générés par les œuvres qu'ils rencontraient au gré de leur quête, qu'ils proviennent du contact de créateurs autodidactes, bruts, populaires ou naïfs, ou d'artistes marginaux. L'exigence de leur regard esthétique aidait à fondre ces créations, hétéroclites au départ, dans un creuset unitaire. La Collection d'Art Brut de Dubuffet était plus intransigeante, cherchant avant tout chez le créateur recherché l'écart vis-à-vis de toutes références culturelles artistiques. Les créations plus mêlées au cirque artistique ambiant étaient rejetées dans une collection dite "annexe" qui fut rebaptisée par la suite la collection Neuve Invention.
Caroline Bourbonnais faisant visiter le manège de Petit-Pierre à la Fabuloserie, photo A.Gacon, sur le site lYonne.fr
Caroline Bourbonnais aura grandement fait grandir la collection qu'elle avait commencée avec son mari, tout en préservant l'unité architecturale labyrinthique voulue par Alain Bourbonnais. Depuis plus de trente ans, c'est grâce à elle que l'on continue d'avoir au cœur de l'Yonne ce double cabinet des merveilles, conjuguant intériorités et extériorités poétiques d'autodidactes divers. Ses filles Agnès et Sophie la secondaient depuis quelques années, reprenant progressivement le flambeau. Il semble donc que dans l'avenir immédiat il n'y ait pas de souci à se faire pour la poursuite de l'aventure "fabulose"... Mais Caroline Bourbonnais, elle non plus, nous ne l'oublierons pas.
15/08/2014 | Lien permanent | Commentaires (11)
Les bricoleurs de paradis débarquent à Drancy
Ça faisait longtemps que je n'étais pas revenu vous parler de mes débats et diatribes divers débités en accompagnement d'une projection du film de Remy Ricordeau, coécrit avec mézigue (et non pas "co-réalisé" comme il est encore dit de façon erronée sur le site de la médiathèque ci-dessous en lien), Bricoleurs de paradis (sous-titré le Gazouillis des Eléphants). Eh bien, c'est reparti pour samedi 29 novembre, dans deux jours donc, à la médiathèque Georges Brassens à Drancy, à 18 h tapantes. S'il y a des amateurs d'environnements sculptés, mosaïqués, architecturés, peints par des autodidactes populaires, ils sont donc les bienvenus à cette adresse.
Une des versions de la galette du DVD des Bricoleurs envisagée un temps par les éditions de l'Insomniaque et finalement non retenue (2011) ; on reconnaît un disque d'André Pailloux (ce qui allait très bien avec la rotation dévédesque)
Le film, tourné en 2010, fait défiler une quinzaine de sites que nous étions allés visiter, dont par exemple celui d'André Gourlet dans le Finistère sud, à Riec-sur-Belon. Je suis passé le revoir il n'y a pas longtemps. Cet ancien menuisier-charpentier est toujours d'attaque (même s'il m'a pris au début de ma visite pour Jean-Pierre Pernaud... ce qui fut particulièrement offensant!), continuant de sculpter dans son atelier d'imposantes et ambitieuses statues (voir ci-dessous), et dans son jardin, réorganisant certaines des réalisations que l'on aperçoit dans notre film, ajoutant un nouveau sujet par exemple.
André Gourlet, trois nouvelles statues dans son atelier en octobre 2014, dont au premier plan, un Saint-Isidore, patron des agriculteurs, en tenue bretonne traditionnelle, ph.BM 2014
André Gourlet, arbre de la cohabitation, état d'automne 2014 ; le hibou et le chat ont été remplacés par des sujets en ciment, matériau plus résistant, une trogne est apparue au centre du tronc, de même qu'un échassier ; plus généralement l'ensemble des personnages a été réagencé autrement, le coq s'est retrouvé au sommet de l'arbre, tandis que le paresseux et son petit descendaient vers le bas ; ph. Bruno Montpied, 2014
"L'arbre de la cohabitation", situé au milieu du jardin, a subi un lifting, tandis qu'une nouvelle statue apparaissait sur la pelouse, un démon Asmodée, impressionnant et fort beau. Un arbre qui avait été un temps taillé de façon topiaire en forme d'ours a été arraché et de son tronc monsieur Gourlet tire actuellement une Jeanne d'Arc, commande je crois pour une église des environs. Belzébuth, le diable peint en vert dont le membre en érection tient toujours une jardinière suspendue à son axe, a été déplacé, son bois remplacé (de façon un peu trop raide à mon avis).
Bref, le jardin au dragon continue de se développer, et on peut toujours aller le visiter.
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Post-scriptum de Remy Ricordeau:
Je profite de l'annonce de cette projection pour rappeler qu'il est également possible de visionner le film en VOD sur le site des "mutins de Pangée".
http://www.lesmutins.org/bricoleurs-de-paradis
J'en profite également pour informer les lecteurs italophones et anglophones de ce blog que l'édition de novembre de la revue italienne Osservatorio Outsider Art (j'en remercie au passage Roberta Trapani) et celle de décembre de la revue anglaise Raw Vision feront paraître deux articles sur des environnements spontanés à Taïwan que j'ai spécialement rédigé à leur intention à partir de la série qui avait été publiée ici même il y a quelques mois:
http://lepoignardsubtil.hautetfort.com/tag/environnements...
Grâce à cette publication qui a curieusement à l'époque été largement référencée sur internet, le sujet avait alors suscité un intérêt croisé de la part de milieux aussi différents que ceux de l'art brut et de la sinologie. J'espère que cette première rencontre un peu improbable en provoquera quelques autres. Peut-être par exemple grâce à la traduction en anglais de l'ensemble de ces articles qui sera bientôt disponible en début d'année prochaine sur le site américain "Spaces" dédié aux environnements insolites à travers le monde.
http://www.spacesarchives.org/
27/11/2014 | Lien permanent | Commentaires (4)
Marie Audin revient au musée de la Création Franche
Du 5 décembre 2014 au 1er février 2015, on pourra aller découvrir les petites œuvres faites selon la technique du pricking, mise au point par la créatrice, Marie Audin (-ex Marie Adda), au musée de Bègles. Une centaine d'œuvres sont accrochées, en même temps que se tient une seconde exposition parallèle d'Albert Louden (gros bonshommes en apesanteur...), sujet britannique, comme une moitié de Marie Audin, dont la mère était anglaise. J'ai déjà présenté cette créatrice, complète autodidacte, dont le métier est dermatologue, ce qui a un rapport étroit avec ses réalisations (qui a dit que les éléments biographiques n'avaient aucune importance pour comprendre une œuvre artistique?). C'était dans Création Franche n°33, en 2010 ("Marie Adda: sous la peau des images"), suite à ma découverte de ses œuvres exposées déjà à Bègles (c'est ce musée qui l'a révélée en 2009 ; de même que c'est sa visite qui quelques temps auparavant avait révélé à Marie les différentes formes d'expression affranchies de l'art académique qu'il contient, réveillant en elle le désir de reprendre des velléités créatrices qui s'étaient alors rendormies).
Marie Audin, un de ses prickings, avec inscriptions, "Help", "Hope and glory", "Don't give up the fight!", ph. Bruno Montpied, 2014
Marie joue avec des supports qu'elle chipe la plupart du temps dans les restes de matériaux qu'elle manipule à son travail, elle les piquète (d'où le mot anglais de "pricking") à l'aide d'aiguilles et de seringues. Dessous-dessus, et dessus-dessous. Cela ne donne pas les mêmes trous. Parties depuis le dessus, les perforations ont des bords légèrement boursouflés qui les apparentent aux pores de la peau, ou à une chair de poule. L'aiguille ayant traversé depuis le dessous, les trous s'apparentent à de simples points (J'ai rappelé dans mon article de 2010 que Marie avait gardé un brillant souvenir d'avoir admiré des tableaux de Seurat et Signac... Des pointillistes comme de juste!).
Marie Audin, sans titre, deux personnages affrontés, pricking et broderie, aquarelle, ph BM, 2014
Marie Audin, sans titre, composition aquarellée, brodée et pricking, ph BM, 2014
Marie Audin, sans titre, composition abstraite, par pricking, ph BM, 2014
Ses compositions sont tantôt abstraites, ressemblant parfois à des géographies, des photos aériennes de campagnes agricoles, Marie aimant à se perdre dans des jardins austèrement ratissés à la Ryoân-Ji , tantôt elles sont figuratives, campant des grosses têtes sommaires sans détail superflu, ou bien tantôt encore ses œuvres combinent un peu les deux séries, ce que personnellement je préfère chez elle. Ce sont du reste ces dernières œuvres qui pourraient la faire ranger dans l'art brut, en raison de leur tension inventive, tandis que les autres, les grosses têtes, la feraient plutôt ranger du côté des Singuliers, autodidactes sans formation artistique créant des figurations sans volume, dans un graphisme proche de l'art enfantin ou du moins d'une certaine stylisation, mais non dénuées de références à la culture artistique (à commencer par d'autres singuliers, comme Chaissac, Sanfourche, Macréau, Basquiat, Chomo...). Avec ses "grosses têtes", elle entretient un cousinage inconscient avec un Pierre Albasser, lui aussi révélé au musée de la Création Franche du reste. L'œuvre piquetée, sur un fond préalablement aquarellé, elle ajoute parfois aussi du fil et rajoute de la broderie dans ses compositions (les plus complexes). Et puis elle passe beaucoup de temps à les cadrer grâce aux passe-partout qui jouent un rôle primordial dans ses œuvres.
Marie Audin dans ses efforts de cadrage, ph. BM, 2014
Marie Audin, sans titre, deux figures en broderie et pricking, ph BM, 2010
C'est donc à une seconde peau que s'en prend Marie Audin, avec ses aiguilles, et le vocabulaire dermique peut facilement venir à l'aide en ce qui la concerne. C'est une curieuse acupuncture en effet à laquelle elle se livre, sur le corps symbolique de l'image, et parfois aussi de curieuses sutures avec sa broderie. A qui prodigue-t-elle en premier ce qui s'apparente à des soins avec ses seringues et ses aiguilles? Quelles plaies recoud-elle? S'agit-il des spectateurs, ou d'elle-même? Probablement des deux.
La boule aux aiguilles variées, qui sont les outils de la créatrice ; à noter aussi dessous le set de table avec ses sillons concentriques qui ressemblent à certaines des compositions de Marie Audin, ph BM, 2014
01/12/2014 | Lien permanent | Commentaires (1)
Aventures de lignes (13): Gérald Stehr
Gérald Stehr
Drôle de zèbre que ce Gérald Stehr, grand amateur de jeux de mots étourdissants, entre autres lorsqu’il s’agissait pour lui, à une certaine époque, de se moquer de la caste des médecins en psychiatrie, écrivain virtuose d’un langage décomposé-recomposé, auteur de livres pour la jeunesse, adaptateur de textes et formateur pour le théâtre, et peintre épris de gigantisme. Il se voulait à une époque émule de l’artiste situationniste italien Giuseppe Pinot-Gallizio, créateur en 1959 d’une « Caverne de l’Anti-Matière » que Gérald aurait rêvé de prolonger à sa manière.
Ce que j’aime particulièrement dans son travail éclectique, ce sont ses taches de Rorschach, ses taches symétriquement obtenues par pliage. Cela s’inscrit dans une longue tradition, remontant au moins jusqu’au début du XIXe siècle (Gérald parle sempiternellement d’une étude qu’il prépare sur le sujet, mais quand verra-t-elle le jour ?). Ce fut, entre autres expérimentations, un jeu de société à la fin de ce dernier siècle justement : on demandait aux amis de réaliser une sorte de « totem » de leur personnalité profonde grâce à un pliage de leur signature encrée. Cela donnait souvent d’étranges insectes…
Gérald a réussi, par une technique qui lui est propre, à donner une dimension considérable à ses taches de type Rorschach, et il a réussi à les transférer sur toile. Toute une foule de figures, tantôt monstrueuses, tantôt angéliques, tantôt grotesques, tantôt puériles (etc.), ont bientôt surgi sur ces supports. On n’en finit jamais de les appréhender tant le regard n’est pas toujours disposé à aborder ensemble les différentes lectures de ces images proprement visionnaires.
(Voir entre autres livres publiés par Gérald Stehr, Voyage en Rorschachie, éditions du Paradoxe, 2002 ; voir aussi B.M., note du 30-06-2007 dans le Poignard Subtil).
Gérald Stehr, peinture n°1 de la série Homo rorschachiens à roulettes, 180x72 cm, 2016.
04/11/2016 | Lien permanent | Commentaires (4)