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15/08/2014

Disparition de Caroline Bourbonnais, et hommage à la Fabuloserie

     Caroline Bourbonnais est décédée dimanche dernier. Décidément, après Madeleine Lommel, Monika Kinley (décédée au début de cette année à 88 ans), Charlotte Zander (elle aussi disparue cette année), une page se tourne avec ces femmes d'une incroyable pugnacité qui bâtirent des collections d'art hors les sentiers battus des années 70 aux années 2000. Caroline Bourbonnais, devenue la vestale de la Fabuloserie après le décès de son mari architecte et artiste Alain Bourbonnais en 1988, tenait d'une main de fer dans un gant de velours la collection d'Art-Hors-les-Normes qui est installée à Dicy dans l'Yonne, et divisée en deux parties particulièrement révélatrices dans leur spatialité des conceptions du couple Bourbonnais. Elle paraissait éternelle, personnellement je ne me souciais aucunement de chercher à connaître son âge, tant son rôle de gardienne intemporelle des lieux lui composait un masque d'intangibilité. Je n'ai découvert son âge (90 ans) qu'en apprenant sa mort, cette dernière inéluctablement associée au temps qui nous emporte tous.

 

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Parc de la Fabuloserie consacré aux environnements spontanés, avec des statues de Camille Vidal et des médaillons en mosaïque de François Portrat sur le mur de présentation rouge conçu par Alain Bourbonnais, ph. Bruno Montpied, 2011

 

     A la Fabuloserie, ouverte en 1983, il y a le bâtiment, qui se ramifie par des surgeons greffés ou ouverts ces dernières années, conçu comme un labyrinthe et qui abrite des œuvres peintes, brodées, tissées, collées, sculptées, etc., et il y a le parc, consacré à une sorte de musée des environnements spontanés d'habitants-paysagistes quasi unique en France, voire en Europe. Ce parc a reçu en effet au fil du temps des fragments d'environnements sauvés de la destruction et du vandalisme, ce qui est le lot quasi fatal de ces formes de créations de non-artistes, fragments entretenus, restaurés, par des équipes formées par les Bourbonnais, des passionnés qui entrent en empathie avec les œuvres qu'ils choisissent de prolonger en les réparant et en les remontant, qu'on songe au magnifique sauvetage du "manège" de Petit-Pierre par exemple.

 

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Le manège de Petit-Pierre, ph. BM, 2011

 

       La Fabuloserie fut créée dans le prolongement de l'activité de l'Atelier Jacob qui s'était constitué dans le VIe arrondissement parisien dès le début des années 70, Alain Bourbonnais collectionnant depuis les années 60, activité qui lui servait de jardin secret à côté de son activité professionnellecaroline bourbonnais,alain bourbonnais,fabuloserie,art brut,art-hors-les-normes,dicy,aloïse,jean rosset,fernand michel,les singuliers de l'art,environnements spontanés,petit-pierre,église stella matutina (il fut l'architecte, à ce que j'ai entendu dire, entre autres de l'aménagement intérieur de la station RER Nation, et de l'église Stella Matutina à Saint-Cloud -église où entre parenthèses le signataire de ces lignes, bien avant de connaître l'art brut, à douze ans, fit sa communion... avant d'abjurer toute croyance en Dieu, le jour même de la cérémonie !). Bourbonnais avait décidé de continuer en France la prospection d'art brut, d'autant qu'il regrettait le départ de la collection de Dubuffet vers la Suisse en 1971.

 

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A l'intérieur de la Fabuloserie, des enseignes de coiffeur africaines, un Fernand Michel semble-t-il, des sculptures de René Guivarch, de Jean Rosset, un bateau de Ratier, photo extraite du site web de la Fabuloserie

 

           Cela dit, est-ce tout à fait le même "art brut" que l'on trouve à Dicy et à Lausanne? S'il y a des Aloïse à la Fabuloserie, et des Ratier, on y trouve aussi, mêlés sans distingo, beaucoup d’œuvres d'artistes singuliers, comme Nedjar, Francis Marshall, François Monchâtre, Verbena et autres Moiziard ou Lortet et Chichorro. Les deux Bourbonnais recherchaient semble-t-il avant tout l'étonnement et l'émerveillement générés par les œuvres qu'ils rencontraient au gré de leur quête, qu'ils proviennent du contact de créateurs autodidactes, bruts, populaires ou naïfs, ou d'artistes marginaux. L'exigence de leur regard esthétique aidait à fondre ces créations, hétéroclites au départ, dans un creuset unitaire. La Collection d'Art Brut de Dubuffet était plus intransigeante, cherchant avant tout chez le créateur recherché l'écart vis-à-vis de toutes références culturelles artistiques. Les créations plus mêlées au cirque artistique ambiant étaient rejetées dans une collection dite "annexe" qui fut rebaptisée par la suite la collection Neuve Invention.

 

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Caroline Bourbonnais faisant visiter le manège de Petit-Pierre à la Fabuloserie, photo A.Gacon, sur le site lYonne.fr

 

     Caroline Bourbonnais aura grandement fait grandir la collection qu'elle avait commencée avec son mari, tout en préservant l'unité architecturale labyrinthique voulue par Alain Bourbonnais. Depuis plus de trente ans, c'est grâce à elle que l'on continue d'avoir au cœur de l'Yonne ce double cabinet des merveilles, conjuguant intériorités et extériorités poétiques d'autodidactes divers. Ses filles Agnès et Sophie la secondaient depuis quelques années, reprenant progressivement le flambeau. Il semble donc que dans l'avenir immédiat il n'y ait pas de souci à se faire pour la poursuite de l'aventure "fabulose"... Mais Caroline Bourbonnais, elle non plus, nous ne l'oublierons pas.

Commentaires

merci de m'avoir fait connaitre ce lieu ...et cette belle personne d'aprés vous malheureusement disparue.Souhaitons que ce palais de rêve poursuive son chemin sans elle .Cordialement.Roger Ernest Jankow Artiste

Écrit par : roger ernest jankow | 16/08/2014

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Seuls restent les souvenirs. Ils sont la seule chose réellement tangible. Souvenir d'une visite en juin 1990 à la Fabuloserie, à l'orée d'une belle promenade sur les bords de la Cure, jusque Vézelay et au pied du Morvan. Caroline Bourbonnais régnait si doucement, si légèrement sur ce si beau royaume. Nous vivons, nous mourons; seuls nous suivent les souvenirs, comme une ombre portée quelque temps, comme un écho répercuté dans la vallée des larmes, puis disparaissent à leur tour. Même cette matérialité là n'est qu'illusoire. Et les amies meurent.

Écrit par : Régis Gayraud | 16/08/2014

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Vous êtes parfait en Ecclésiaste, mon cher Régis. Certes les amies meurent, mais d'autres, énamourées, vous survivront encore un peu pour entretenir votre mémoire... Et pour vous consoler encore un peu plus du tragique de notre condition humaine, le Sciapode vous consacrera un article élogieux, je n'en doute pas une seconde.

Écrit par : Augustin | 16/08/2014

Si l'on s'en tient seulement à l'arithmétique mon cher Augustin, il y a tout de même plus de chances que ce soit le Régis qui fasse l'oraison funèbre du sciapode que l'inverse.
Ou l'Aigre (quoique là, ce ne soit pas une question d'arithmétique pure, non, ce sera plutôt parce qu'il est le Comte de St-Germain cet aigre-là, bien parti pour nous enterrer tous, j'en suis sûr, par son hypocondrie et son auto-dorlotage éternel)... L'Aigre qui viendra vous dire alors (vous, puisque je n'y serai plus) que c'est lui qui inventa l'art brut en réalité, et il rappellera tout ce que lui devait le sciapode de ce point de vue. Bref, il l'enterrera en beauté sous un monceau de fleurs qu'il se destinera avant tout à lui-même. Enfin, s'il a un peu de temps à consacrer à ce genre d'exercice.

Écrit par : Le sciapode | 17/08/2014

Oh Sciapode, ne soyez pas si aigre vous-même ! Vos mots (acides) ne peuvent qu'entretenir vos maux (stomacaux), ce qui n'est pas bon pour l'esprit, convenez-en. L'animosité préventive n'est jamais bonne conseillère.

Écrit par : Augustin | 17/08/2014

Pour la petite histoire, saviez-vous que c'est l'Aigre qui a organisé en novembre 1921 la fameuse rencontre entre ses potes Breton et Freud? Comme elle fut un peu décevante, il est vrai, il ne s'en vante pas trop, mais au fond, quoi de plus normal puisqu'on sait bien, dans notre petit milieu, que c'est lui qui avait suggéré, à l'un le surréalisme, à l'autre la psychanalyse. En effet, avoir fait plancher, en son temps, le vieux père Darwin sur la théorie de l'évolution des espèces ne lui suffisait pas, dans son désir de libérer l'homme. C'est un sacré zig, cet Aigre.

Écrit par : Pat Atarte | 21/08/2014

Parce que vous croyez que c'est vous, sciapode, qui avez inventé l'art brut? Beau lapsus! (relisez votre phrase...)

Écrit par : Irocybe Patouillard | 22/08/2014

Je relis ma phrase et n'y trouve rien à redire, Monsieur de la Patouille.
Sachez en effet que l'art brut, je le réinvente tous les jours.

Écrit par : Le sciapode | 22/08/2014

Que la terre lui soit légère.

Écrit par : Isabelle Molitor | 16/08/2014

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Ainsi nous apprenons comment M. Montpied a perdu la foi. Comme quoi la communion peut avoir un effet. Pour moi, la communion a coïncidé avec mes premières règles. Depuis le petit matin, je me sentais fébrile, tendue, et le mal de ventre s'intensifiait. Au moment de recevoir l'hostie, j'ai senti mon corps tressauter, et une large tache rouge - par quelle déviance de la transsubstantiation? - a commencé à s'épandre sur mon aube. Toute l'église frémissait de surprise et, pour certains, de honte devant cette chose qui se passait devant eux sans même que je ne m'en rende compte. Le prêtre fut peut-être, avec moi, le dernier à le découvrir. Quand je vis ainsi mon aube transformée en tablier d'équarrisseur, je poussai un grand cri et m'enfuis hors de l'église bruissante de rumeurs.

Écrit par : Déréliction 63 | 25/10/2014

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Déréliction "63"... Donc, comme le département du Puy-de-Dôme... C'est une jolie histoire que vous nous contez là. Dommage qu'elle ne se soit pas vraiment produite.

Écrit par : Le sciapode | 27/10/2014

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