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Miroslav Tichy, océan pacifique
J'avais été intrigué à l'exposition de la collection d'art brut d'Arnulf Rainer, à la fondation Antoine de Galbert-La Maison Rouge (en 2005, Paris), par quelques photos qui paraissaient comme volontairement abîmées, plutôt floues, représentant des femmes comme s'il s'agissait de clichés voyeuristes. Un photographe brut? Tiens, tiens...
Il existait bien aux USA le cas d'Eugène Von Bruenchenhein, cet homme qui adorait sa femme et la photographiait sans cesse parée de bijoux, parfois dans le plus simple appareil (quoique sans trop d'érotisme). De la photographie amateur existe aussi bien entendu (aujourd'hui le domaine doit exploser avec tous ces petits appareils numériques pas plus grands que des cartes à jouer). Des livres ont été souvent consacrés à la question, plus précisément à la photo anonyme. Sur ce blog, j'ai également évoqué les cartes postales à plusieurs reprises, notamment le 30 mars. La photo a prolongé bien évidemment l'imagerie populaire gravée. Roger Cardinal, interrogé sur la photo "brute", m'a indiqué avoir écrit sur la question. J'espère avoir communication ultérieure de cet article. Or, voici une importante exposition au Centre Georges Pompidou consacrée à Miroslav Tichy, qui nous renseigne davantage (que l'expo de la Maison Rouge), en une centaine de clichés au moins, sur les recherches de cet homme hors du commun.
Il n'y aurait pas de Miroslav Tichy sans le rôle central, quoique discret, joué par un médiateur capital, Roman Buxbaum. Cet attelage à deux individus, le créateur et son médiateur auprès du public, nous rappelle déjà un trait commun aux créateurs de l'art brut. Ces derniers viennent rarement jusqu'à nous sans un truchement extérieur, qui assure la communication. En l'occurrence, il semble que l'activité photographique de Tichy n'ait pas été destinée à être montrée. Roman Buxbaum (voir Un Tarzan en retraite, souvenirs de Miroslav Tichy, publié dans le catalogue de l'expo du Centre Pompidou) restitue l'aspect relativement contradictoire de la position de Tichy vis-à-vis de la communication de ses photos: "Il aime les montrer à ses visiteurs. Mais admet rarement avoir donné son accord pour que ses oeuvres soient exposées. Et lorsqu'il est de mauvaise humeur, il accuse et insulte quiconque ose les montrer au public. Pourtant, lorsque je lui ai apporté le catalogue de l'exposition de Séville [première exposition de ses photos en 2004 à l'initiative de Harald Szeemann], il n'a pas caché son émotion".
L'activité photographique de Tichy, toujours selon Buxbaum, paraît une activité très intime qui se serait développée après une crise psychotique survenue dans les années 50, suite au vernissage d'une expo à Prague dans un lieu réputé où ses peintures avaient été sélectionnées mais que Tichy décida brusquement de retirer à la dernière minute (Tichy est aussi un peintre et un illustrateur, ayant eu au départ une formation à l'école des Beaux-Arts de Prague). Il a été sujet à de nombreuses dépressions depuis l'adolescence, nous dit-on, qui sont des périodes où paraît s'anéantir une créativité qui ne se développe au contraire que lorsqu'il est en bonne santé.
Ses photos, que Buxbaum va parfois repêcher dans le magma océanique du logis où Tichy laisse aller ses affaires à vau-l'eau, parlent très souvent des femmes, des corps de femmes inconnues, croisées, entraperçues, semble-t-il à leur insu. Ces clichés volés montrent des instants de grâce, de beauté érotique qui surgissent inopinément, dans un paradoxe seulement apparent, au travers d'une technique bricolée. Tichy a réinventé le sténopé, la boîte à chaussures munie d'un trou et d'un papier photographique, il a fabricoté des appareils à partir d'objets de récupération (dans le film que lui a consacré Roman Buxbaum -Miroslav Tichy, Tarzan à la retraite, édité en DVD, disponible à la librairie de l'expo au Centre Pompidou- il montre le bouton de rembobinage d'un de ses appareils faits à partir d'une capsule dentelée de bouteille de bière). Idem pour son agrandisseur confectionné à partir de planches et de lattes arrachées à une clôture. C'est comme si nous avions affaire au cousin de l'André Robillard qui fabrique des objets symboliques (ces fusils qui ne font feu qu'imaginairement), sauf que les appareils photo assemblés vaille que vaille avec des boîtes de conserve par ce "cousin", ici, peuvent prendre aussi des photos!
Les organisateurs de l'expo, en raison de ces bricolages, l'associent aux outsiders et à l'art brut. Mais la parenté avec cette dernière conception est également à rechercher ailleurs, comme je l'ai souligné au début de cette note. L'oeuvre photographique (cela finit par être une oeuvre, en dépit du fait, en outre, que Tichy "n'aurait jamais accepté d'être considéré comme un photographe", dixit Buxbaum) est avant tout une action qui cherche à se rapprocher au plus près de la vérité de ses sujets. Il s'agit pour Tichy de capter au plus immédiat la grâce de la vie, le mystère des formes et des incarnations qu'il a tendance à concevoir comme des apparences illusoires (dans son film, Tichy évoque le mythe de la Caverne de Platon, mythe destiné à prouver que l'homme est condammné à n'entrevoir de la vérité que son ombre).
"Quand quelque chose attirait son attention, il attrapait son appareil, soulevait de sa main gauche le bord de son pull et, de sa main droite, ouvrait l'étui et appuyait sur le déclencheur sans même regarder dans le viseur. Son mouvement était si fluide et rapide qu'il était presque impossible à remarquer. En riant, il dit qu'en procédant ainsi, il pouvait attraper une hirondelle en plein vol" (Roman Buxbaum, les derniers mots soulignés par l'auteur sont de Tichy). L'hirondelle de ses désirs...
Signe supplémentaire de son indifférence à l'égard des conventions esthétiques de présentation, Tichy a confectionné des cadres bricolés avec des pauvres matériaux de hasard, décorés parfois de dessins ou de motifs griffonnés, pratique qui rappelle celle du poète Boris Bojnev (un Slave là aussi) qui en Provence s'était adonné à la mise en cadre d'oeuvres naïves trouvées en brocante. Ces deux formes de création réalisées autour d'un sujet empreint de poésie vitale sont du reste apparues dans les mêmes décennies d'après-guerre (Tichy, qui est toujours vivant, paraît avoir cessé ses activités artistiques dans les années 90, période qui précéde curieusement sa reconnaissance publique, comme si cette dernière ne pouvait avoir lieu qu'après la création et pas pendant). Certes Tichy a eu une formation artistique, et cela le distingue des autodidactes de l'art brut. Il serait à mettre en rapport avec ces grands inclassables de l'art que sont Soutter, Charles Meryon, Louis Wain (dont je parlais dans une note précédente), Ernst Josephson, etc, autant de créateurs artistes au départ qui à la faveur d'un basculement dans un état psychotique ultérieur ont orienté leurs travaux dans un sens profondément intériorisé. Ce qui est bien en rapport avec l'enjeu de l'art brut en définitive.
L'expo Miroslav Tichy se tient au MNAM du Centre Pompidou, à la Galerie d'art graphique, du 25 juin au 21 septembre 2008. Les photographies exposées proviennent sauf quelques-unes de la fondation Tichy Ocean basée à Zürich. "Tichy" en tchèque se traduit par paisible, pacifique. L'univers de chaos et de hasard dans lequel vit Tichy ressemble à un océan. L'océan Tichy. Ce qui donne par jeu de mots l'océan pacifique... D'où le nom de la fondation de Zürich.
02/08/2008 | Lien permanent | Commentaires (2)
Rumours au MADmusée plutôt que Josef Hofer à la Collection de l'Art Brut à Lausanne
Si on devait m'obliger à choisir, dans une espèce de victoire à un improbable, très improbable jeu télévisé qui consisterait à envoyer ses participants visiter obligatoirement une exposition d'art brut, entre l'expo "Josef Hofer et le miroir" qui se tiendra à la collection de l'Art brut à Lausanne du 9 mars au 13 mai 2012 et l'expo "Rumours, Morton Bartlett/Lee Godie/Loulou/Miroslav Tichy" qui se tiendra au MADmusée de Liège du 10 mars au 6 mai, je sais que c'est la seconde qui recueillerait tous mes suffrages. Hofer, je n'arrive pas à m'y intéresser. Graphiquement surtout, car je trouve cela d'un insupportable misérabilisme ethétique. Peut-être que c'est le discours autour de ce personnage qui en fait tout l'attrait pour certains, mais la barrière du graphisme maigrichon me tient en deçà. Tandis que du côté de Liège, oui, c'est plutôt excitant avec ces deux grands voyeurs poétiques que furent Bartlett, avec ses poupées de plâtre qu'il photographiait dans un théâtre mental qui lui était propre (et qu'on connaît mal de ce côté de l'océan Pacifique), et Tichy, le bricoleur d'appareils photo qui saisissait au vol les jolies femmes désirables qu'il regardait à la dérobée. Lee Godie, dont on nous dit dans le dossier de presse qu'elle vivait dans la rue, faisait des portraits et des autoportraits photographiques tout en se proclamant "impressionniste française". Loulou, alias Louise Tournay, décédée en janvier 2010, est plus connue depuis que l'Aracine l'a présentée dans ses expositions et sa collecion.
(Illustration: La fille en robe jaune, galerie Julie Saul, New York)
29/02/2012 | Lien permanent
Exposition Vivian Maier bientôt au Musée du Luxembourg à Paris
Prévue dans très peu de temps (du 15 septembre 2021 au 16 janvier 2022), cette expo sera l'occasion pour beaucoup d'amateurs de photographie de découvrir en vrai les tirages, réalisés (en majorité?) par John Maloof, spécialiste de la photographie de rue, notamment de la partie Nord-Ouest de Chicago, où il a grandi, à partir d'une sélection dans les 140 000 négatifs secrets de la très discrète (ou inaperçue?) photographe, Vivian Maier (1926-2009) (une Vivian girl d'un nouveau genre?), qui les réalisait au gré de ses déambulations dans les rues de Chicago ou New York, en parallèle de son travail de nurse ou de baby-sitter, et qui les délaissa dans un garde-meubles, la vieillesse et la maladie étant survenues (John Maloof est tombé dessus, via un site de vente aux enchères semble-t-il, alors que Vivian Maier était encore vivante, mais très diminuée). Ces photos, notamment beaucoup de portraits d'inconnus, d'enfants entre autres, sont des chefs-d'œuvre de la photographie de rue associable à ladite "photographie humaniste".
Photo de Vivian Maier, telle que reproduite dans le film de John Maloof et Charlie Siskel.
Vivian Maier est un exemple frappant de ces génies isolés qui œuvrent en cachette, avant tout pour eux-mêmes (faute d'avoir pu être repérés, reconnus?), tel le photographe et peintre tchèque Miroslav Tichy, dont la photographie était certes plus anti-conventionnelle, mais qui avait en commun avec Miss Maier de se limiter essentiellement au geste pur de la capture photographique, conçu comme traque de la réalité vivante concentrée en un seul instant. Car Vivian Maier ne semble pas avoir voulu faire beaucoup de tirages, se contentant de faire développer ses négatifs (pour s'en assurer, il faudrait pouvoir disposer de ses tirages personnels mis en regard avec les tirages faits par Maloof, qui sont très beaux ceux-ci, très professionnels, alors que ceux de Vivian Maier sont peut-être plus ternes(?); ce serait un point à éclaircir).
Photo (autoportrait) extraite du film de John Maloof et Charlie Siskel.
Plusieurs livres (en anglais) sont disponibles sur Vivian Maier, ainsi qu'un film édité en DVD (A la recherche de Vivian Maier, de John Maloof et Charlie Siskel, 2014). Un site web lui est dédié. A noter qu'un catalogue paraît à l'occasion de l'expo au Musée du Luxembourg, sans doute la première publication sur Maier en français. Profitons aussi de cette note pour souligner à quel point la photo choisie pour l'affiche rend peu justice à l'originalité de cette photographe. A signaler aussi: est prévue pour paraître le 4 novembre prochain (chez Delpire) une biographie, due à Ann Marks, la plus complète à ce jour, qui va nous en apprendre beaucoup plus sur Vivian Maier, notamment en révélant qu'elle tenta, contrairement aux idées actuellement reçues, de s'installer comme photographe professionnelle. Son titre? Vivian Maier révélée : l'histoire cachée de la nurse photographe.
Photo de Vivian Maier, homme dormant sur une plage.
10/09/2021 | Lien permanent | Commentaires (4)
Hung-Tung, le retour
Cette note contient une mise à jour
Prononcez paraît-il "Rong-Tong". Mais ça s'écrit Hung-Tung, et on l'a déjà vu à Paris, c'était à la Halle Saint-Pierre en 1998, sous le titre "17 Naïfs de Taïwan", une exposition organisée par le musée d'art moderne de Taipei en collaboration avec le musée d'art naïf Max Fourny (qui est toujours hébergé encore aujourd'hui quelque part dans la Halle, c'est même un jeu, enfants, cherchez où se cache la collection Max Fourny...). Il y avait aussi le musée de Louvain-la-Neuve sur le coup à l'époque. Etaient exposés des naïfs (peintures de genre exécutées avec des distorsions, des perspectives non réalistes, des couleurs subjectives, une déformation primitiviste des lignes, etc.) effectivement, fort séduisants, mais aussi des créateurs plus détachés de la référence au réel comme Lin Yuan par exemple ou le fameux Hung-Tung, né en 1920 et disparu en 1987.
Voici qu'il nous revient, dans le cadre du Festival de l'Imaginaire patronné par la Maison des Cultures du Monde, à la Galerie Frédéric Moisan (sur laquelle j'ai déjà eu l'occasion de faire une note lorsqu'elle avait exposé le peintre d'ex-voto mexicain Alfredo Vilchis). C'est commencé depuis jeudi 11 mars et c'est prévu pour se terminer le 10 avril 2010. Il s'agit il est vrai avant tout d'une exposition de trois "artistes taïwanais contemporains" (Hung Tung, Hou Chun-Ming, et Mei Dean-E). Mais je ne choisis dans le cadre de ce blog qui s'intéresse avant tout à la création spontanée que d'évoquer la figure de Hung Tung, créateur "brut", homme d'extraction humble, aux parents disparus alors qu'il était encore enfant, et qui fut une bonne partie de sa vie un pauvre paysan. Le taoïsme eut une grosse influence sur la formation de son caractère, nous renseigne la notice que l'on trouve dans le catalogue des "17 Naïfs de Taïwan" (édité par le musée d'art moderne de Taipei ; j'emprunte quelques photos à ce catalogue en espérant qu'on me pardonnera du côté de Taipei, c'est pour la bonne cause). Le village où habitait notre héros possédait un temple renommé fréquenté par de nombreux fidèles. Hung-Tung fut enrôlé dans ce temple comme médium chargé de transcrire les paroles des dieux par le papier et l'encre, paroles interprétées ensuite par les moines. Tout à coup, à 50 ans pile, notre médium décide de cesser de pourvoir à l'entretien de sa famille (une femme et cinq enfants) pour se consacrer à une pulsion graphique et picturale irrépressible qui va l'occuper toute sa vie jour et nuit désormais. Il semble qu'il voulut montrer ses oeuvres dans un premier temps, allant jusqu'à les exposer dans la rue. après avoir d'abord essuyé des rebuffades, notamment de la part des milieux artistiques conventionnels (un peu comme dans le cas de ce qui se passe vis-à-vis de l'art brut au Japon dans les milieux intellectuels et esthètes), il est remarqué par un journaliste qui le fait connaître à Taipei la capitale. Il est exposé au centre d'information américain dans cette ville (en 1976), puis dans un grand magasin. Mais après cette date, il décide de s'enfermer dans sa maison, comme las de ses démarches pour la reconnaissance, ou tout simplement las des autres... Il rejette les visiteurs, même ceux qui veulent lui acheter ses peintures. Sa femme, son seul soutien matériel, décède en 1986. On le retrouve au début de 1987, mort dans son atelier, vingt-quatre heures après qu'il a rendu son dernier soupir.
Hung-Tung n'a donc jamais suivi de cours artistiques. Il semble que son inspiration et ses stimulations à dessiner soient à rechercher du côté de ses fonctions de médium au temple de son village. Cela le relie aux profils sociologiques de plusieurs créateurs de l'art brut occidental. Son comportement vis-à-vis du monde de l'art, son renfermement, le style de ses oeuvres, qui paraissent empreintes de références aux légendes populaires et à la culture religieuse taoïste (je pense notamment devant ses peintures aux silhouettes découpées dans le cuir du théâtre d'ombres chinois), ses imitations de l'écriture chinoise qu'il ne savait pas écrire, la traitant comme si elle était revenue à sa seule apparence de dessin, de signe cabalistique, tout cela le distingue grandement des deux autres artistes taïwanais qui sont ici exposés avec lui. Cela le distingue, et ne l'amoindrit pas, tout au contraire! Il est simplement autre. Ailleurs. Avec ce type de créateurs, nous rencontrons une autre pratique de l'art, profondément immergée dans la vie quotidienne, vécue tellement immédiatement qu'il n'y a plus aucun temps de disponible pour sa sa médiatisation. Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer sur ce blog des cas comparables, je pense ainsi sur le moment au "photographe" Miroslav Tichy. C'est sans doute ce total investissement intellectuel et physique qui garantit à de telles oeuvres cet impact esthétique d'une grande intensité stylisée.
Merci à Remy Ricordeau qui m'a signalé l'expo
Et à propos de Hung Tung, lisez cette note supplémentaire que m'a envoyée le même Remy Ricordeau:
"Concernant son expression graphique, il est à noter une autre inspiration qui n'a certes pas été relevée mais que je crois réelle, même si Hung Tung lui-même ne l'a pas revendiquée (mais en général les artistes bruts ne revendiquent rien quant à leur inspiration): la proximité de couleurs vives (avec dominante de rouge) de beaucoup de ses tableaux ainsi que celle de la forme des visages qu'il peint ou dessine, avec les représentations de l'art aborigène taïwanais me semble frappante (particulièrement avec les bas-reliefs sur bois ou les tissages).
Si Hung Tung n'était pas lui-même d'origine aborigène, il vivait dans un village près de Tainan (au centre/sud de l'ile) où vivent plusieurs communautés aborigènes différentes. Dans cette région, les populations sont mélangées au sein des villages et il ne pouvait donc que connaître ou au moins avoir vu plusieurs représentations de cet art populaire à connotation tribale et religieuse (en général représentation des esprits). Ma remarque est bien sûr une hypothèse, mais compte tenu du fait qu'à l'époque où Hung Tung a été remarqué, l'art aborigène était encore l'objet de beaucoup de mépris de la part de la plupart des Taïwanais (ce qui a changé depuis pour des raisons qu'il serait trop long d'exposer ici), cette "filiation", je pense, a été passée sous silence et maintenue par paresse ou conformisme jusqu'à maintenant.
Mon amie taïwanaise qui s'intéresse à l'art brut formosan, me dit par ailleurs qu'aujourd'hui la plupart des créateurs contemporains sont des aborigènes (ou métis) qui se sont émancipés de l'inspiration spirituelle d'origine de leurs ancêtres pour représenter des scènes de la vie quotidienne ou en rapport plus ou moins direct avec l'actualité. Leur style reste cependant très influencé par leur milieu culturel d'origine. Il y a là tout un univers à découvrir..."
(Remy Ricordeau)
PS: Cette évolution de l'inspiration des aborigènes formosans, s'affranchissant de leur inspiration spirituelle pour aller vers des contenus plus contemporains, profanes, est à mettre en rapport avec l'évolution de l'art des aborigènes australiens.
18/03/2010 | Lien permanent
Info-miettes (25)
C'est bientôt l'automne, ma saison préférée, et il pleut des événements plus ou moins bruts: demandez le programme...
Dans le cadre de la "S" Grand Atelier, structure dans les Ardennes belges (Vielsahm)... pour les créateurs déficients mentaux, on aime à mixer ces derniers avec des auteurs de bande dessinée voire d'autres types d'artistes (il sont, je cite: "pour l’éclatement des catégories artistiques et la valorisation des nouveaux langages issus de la mixité entre artistes outsiders et artistes contemporains":...Ouais, ouais, ouais... Le grand méli-mélo à la mode ces temps-ci où l'art contemporain tente de se faire une perfusion de sang frais)
Diverses expos, conférences, débats sont annoncés en France, plus ou moins en rapport avec cette "S" Grand Atelier, je ne retiens personnellement que les expos ci-dessous :
1. L’ARMY SECRÈTE
Au sein de l’exposition : Bruno DECHARME, Art Brut/ Collection ABCD
La Maison Rouge, 10 Boulevard de la Bastille, 12ème
Du 18 octobre 2014 au 18 janvier 2015
(Une grande exposition de la collection ABCD? Hmm... Cela devrait être le grand événement de la fin de l'année donc).
2. "Chefs-d'oeuvre", carte blanche à Bruno Decharme en parallèle à l'expo de La Maison Rouge (le titre exact étant "Masterpieces", mais j'ai traduit car j'en ai marre du snobisme qui consiste à se coucher, en France, devant les clients anglo-saxons en se mettant à parler leur langue). Ce sera du 21 octobre au 29 novembre à la Galerie Christian Berst : 5 Passage des Gravilliers, 3ème, Paris. Avec des œuvres d'Aloïse, Jaime Fernandes, Domsic, Guo Fengyi, Joseph Lambert (peu connu, il me semble), Tichy, Stoffers, Schroder-Sonnenstern, Zemankova, Scottie Wilson, etc... On ne sait pas si parmi ces œuvres certaines seront à vendre, car en définitive on est encore dans une galerie. ABCD se séparerait-elle de certains de ses joyaux?
Un dessin d'Eric Derkenne tel qu'on le voit sur le site web d'ABCD, des faces, ou des bouts de faces agrandies, striées...
3. ÉRIC DERKENNE : CHAMPS DE BATAILLE
Exposition rétrospective
Commissariat : Gustavo Giacosa
Espace abcd, 12 rue Voltaire, 93100 Montreuil
Du 26 octobre au 19 décembre 2014
Vernissage 25 octobre 19heures en partenariat avec l’Outsider Art Fair
Ce que j'ai vu de ce Eric Derkenne ne m'enthousiasme guère. C'est austère, très facile à rapprocher de certaines œuvres exsangues que l'on nous exhibe régulièrement chez nos plasticiens contemporains, un créateur venu d'atelier pour handicapés mentaux semble-t-il, posant une fois de plus la question des influences possibles occultes ou déclarées des artistes qui pilotent ces ateliers...
4. MATCH DE CATCH à VIELSALM / VIVRE à FRAN DISCO
Bandes dessinées, peintures, sculptures et installations, rencontre du créateur trisomique Marcel Schmitz et de l'auteur de BD Thierry Van Hasselt autour d'une cité imaginaire, Fran Disco, créée par Schmitz.
Commissariat : Barnabé Mons et Thierry Van Hasselt
Chez Agnès B., 17 rue Dieu, 10ème
Du 29 octobre au 08 novembre 2014
Vernissage 28 octobre 18 heures
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Coco Fronsac toujours sur la Rive Gauche
Là, on est plutôt du côté de l'art contemporain franchement assumé. Mais un art contemporain primesautier, poétique, imaginatif, humoresque, pas très éloigné des anciennes œuvres de Prévert, du groupe Panique, de la 'Pataphysique, etc. L'exposition est déjà commencée, et se finira début octobre, comme on le verra en déchiffrant l'affiche ci-dessous.
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La Maison de verre, André Breton, initiateur et découvreur
Au Musée Henri-Martin à Cahors commence ce 20 septembre une exposition consacrée principalement au Breton installé à l'Auberge des Mariniers de St-Cirq-Lapopie, qui cueillait des agates dans le lit du Lot, des racines aux formes suggestives, prenait fait et cause pour le mouvement des Citoyens du Monde de Gary Davis, se passionnait pour les hasards objectifs, autant de points qui seront évoqués dans l'exposition, avec un rassemblement, dit le dossier de presse, d'une impressionnante collection d’œuvres et de documents, dont certains parfaitement inédits, paraît-il. Un catalogue sort à l'égide de l'Atelier André Breton et des Editions de l'Amateur.
"Je n’ai pas connu d’homme qui ait une plus grande capacité d’amour. Un plus grand pouvoir d’aimer la grandeur de la vie et l’on ne comprend rien à ses haines, si l’on ne sait pas qu’il s’agissait pour lui de protéger la qualité même de son amour de la vie, du merveilleux de la vie. Breton aimait comme un cœur qui bat. Il était l’amant de l’amour dans un monde qui croit à la prostitution. C’est là son signe. » (Marcel Duchamp, entretien avec André Parinaud, Arts, 5 octobre – 11 octobre 1966).
Photographe non identifié, André Breton observant un crapaud, date?
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Dans la lumière du surréalisme, galerie Les Yeux Fertiles
Les Yeux Fertiles, cette sympathique galerie de la rue de Seine dans le 6e à Paris, a la bonne idée en parallèle de l'expo cadurcienne de montrer un ensemble d’œuvres liées au surréalisme dont ce manuscrit de poème sur bois dû à Breton ("Au Regard des divinités") rehaussé par Slavko Kopac que l'on avait déjà vu ici et là (à commencer sur le site web de l'Atelier André Breton). Un beau poème-objet en vérité. Pour les dates, faudra attendre, je ne retrouve plus ce sacré carton d'invitation, et c'est pas le site internet de la galerie qui va nous aider, ils sont toujours en retard d'une annonce d'expo... (Cependant, l'Aigre de Mots a eu l'extrême obligeance de compléter l'info manquante, voir ci-dessous dans les commentaires).
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La galerie Polysémie, une actualité fertile
Cette galerie marseillaise a en effet une activité plutôt débordante ces temps-ci, en rapport avec la rentrée bien sûr. Si je ne partageais pas leurs goûts pour certains des artistes exposés jusqu'ici (par exemple Jean-Pierre Nadau), j'ai été intrigué et séduit par les informations reçues de leur part récemment. J'ai déjà évoqué (le 2 août dernier) l'expo de Solange Knopf qui va bientôt s'ouvrir à Paris dans une galerie louée pour l'occasion (la galerie B&B, 6 bis rue des Récollets, 10e ardt, du 30 septembre au 6 octobre). Elle y sera accompagnée des Staelens, de Gérard Nicollet et de Huston Ripley. Mais la galerie ne s'arrête pas là. Elle annonce des présentations de travaux africains singuliers ou bruts dans ses locaux marseillais (titre de l'expo: "African outsiders", du 16 octobre au 20 novembre) dont Frédéric Bruly Bouabré (récemment disparu) et Franck Lundangi (ancien champion de football). La galerie sera également présente au Salon d'Art Alternatif (Outsider Art Fair, en langage marchand) qui se tiendra une fois de plus à l'Hôtel super chic "Le A" du 23 au 26 octobre. On devrait y voir entre autres des œuvres de Philippe Azéma et d'Evelyne Postic.
Philippe Azéma, œuvre présentée actuellement dans l'exposition de la Halle St-Pierre, "Sous le vent de l'art brut 2, la collection De Stadshof"
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Et c'est reparti pour la Biennale de l'Art Partagé
On en est à la 5ème et ce sera du 18 octobre au 16 novembre. A Rives en Isère dans le parc de l'Orgère à la Salle François Mitterrand, et toujours organisée par l'association Œil-Art de Jean-Louis Faravel. Il y a beaucoup d'artistes invités, et comme c'est l'usage avec l'art partagé (très partagé en l'espèce, vu le nombre d'invités), le récepteur béotien, qui trouve dans sa boîte aux lettres une invitation pour le vernissage (qui aura lieu le samedi 18 octobre à partir de 18h30), ce béotien aura du mal à savoir comment départager (faut croire qu'existe aussi l'art départagé...) le bon grain de l'ivraie. Sur les 70 (environ) artistes présents, je n'en retiens pour l'instant qu'un seul dont j'aurais été bien curieux de découvrir les œuvres, Gilles Manero, bien trop rare dans notre région parisienne, surtout si il a décidé d'exposer des dessins (ce que je préfère à ses sculptures, je dois dire). Ah si quelques autres aussi, Fatimazara Khoubba, Caroline Dahyot, Jacqueline Vizcaïno, Yves Jules, Alexis Lippstreu, Jean Aihade (un "singulier" africain découvert par le galeriste Alain Dettinger si je ne m'abuse), Virginie Chomette... Comme le signale Jean-Louis Faravel dans le commentaire ci-dessous, on peut se faire une idée de chaque exposant en cliquant sur le site web dont j'ai mis le lien ci-dessus (Œil-art).
Gilles Manero, petit dessin au crayon, 2001, coll. BM
20/09/2014 | Lien permanent | Commentaires (6)
Donation d'art brut au Musée National d'Art Moderne
Cette note contient des mises à jour opérées le 14 juin.
La nouvelle est tombée ces jours-ci, Bruno Decharme et son Association ABCD font donation au MNAM de 921 oeuvres, de 242 auteurs différents (chiffre avancé sur le site de la collection ABCD), prélevées dans leur collection d'art brut, avec comme condition qu'une salle soit perpétuellement (?) consacrée à une présentation tournante de cette donation au sein même du Musée, situé comme on sait dans la raffinerie du Centre Beaubourg (il était commun au début de son existence d'appeler ainsi ce qui s'appelle aujourd'hui le Centre Pompidou, Centre qui se démultiplie désormais de plus en plus: Centre Pompidou-Metz, CP-Malaga, CP/Kanal à Bruxelles, CP/West Bund Museum Project à Shanghaï, futur CP francilien/Fabrique de l'art, avec des réserves qui seront déplacées à Massy...), Centre où, personnellement, je le trouve trop à l'étroit (le MNAM posséde 120 000 œuvres et objets dans ses collections : on n'en voit qu'une très infime partie à Paris).
Cette salle consacrée à l'art brut, selon une information parue dans le Quotidien de l'Art, sera-t-elle près du Mur reconstitué de l'Atelier d'André Breton ? Ce "Mur" qui est présenté au MNAM comme une "installation" alors qu'il s'agissait du résultat d'une concrétion d'œuvres et d'objets accumulés par Breton au gré de ses découvertes, rejets, etc., concrétion qui n'avait été finalement arrêtée qu'avec la mort du poète (la réinterpréter comme une "installation" tient donc d'un tour de passe-passe discutable...). Cela paraît corroboré par la précision donnée sur le site web d'ABCD, qui indique que la salle d'art brut sera au niveau 5 du Centre, et qu'elle ouvrira du reste le 23 juin, niveau 5 donc où se situe aussi le fameux "Mur" de Breton. Il est ajouté qu'"Une exposition sur l’art brut à partir de la donation sera programmée après les grands travaux de 2023, accompagné d’un catalogue raisonné."
Une autre condition demandée par Bruno Decharme est que la "donation va s’accompagner d’un pôle de recherche au sein de la bibliothèque Kandinsky afin de poursuivre les travaux déjà engagés sur l’art brut." (citation d'après le communiqué paru sur le site web d'ABCD).
Ont été extraits de la collection complète (qui contient au total 5000 œuvres, dont depuis quelques temps 1500 photos "brutes") des auteurs choisis comme "la quintessence de l'art brut" (selon des termes, prêtés à Bruno Decharme par Rafaël Pic dans le Quotidien de l'Art). La collection d'ABCD ne garderait ainsi que des œuvres "moindres" (toujours selon Le QdlA). Cette quintessence serait représentée par Aloïse, Wölfli, Darger, Jeanne Tripier, Crépin, Lesage, un Barbu Müller, légendé à présent (depuis ma découverte de l'identité de son auteur) "Antoine Rabany dit Le Zouave, Sculpture Barbu Müller", etc. (on en apprend plus encore sur le site web d'ABCD).
En se retournant vers une récente newsletter de l'ineffable Christian Berst, on découvre d'autres noms d'"artistes" (mot particulièrement confusionniste, je ne le répéterai jamais assez) présents dans cette donation: "Joseph Barbiero, Franco Bellucci, Julius Bockelt, Anibal Brizuela, Jorge Alberto Cadi, Raimundo Camilo, Misleidys Castillo Pedroso, Raymond Coins, James Edward Deeds, Fernand Desmoulins, John Devlin, Janko Domsic, Eugène Gabritchevsky, Giovanni Galli, Madge Gill, Ted Gordon, Emile Josome Hodinos, Josef Hofer, John Urho Kemp, Davood Koochaki, Zdeněk Košek, Alexandre Lobanov, Joseph Lambert, Raphaël Lonné, Dwight Mackintosh, Kunizo Matsumoto, Dan Miller, Koji Nishioka, Jean Perdrizet, Luboš Plný, Royal Robertson, André Robillard, Vasilij Romanenkov, Yuichi Saito, J.J. Seinen, Friedrich Schröder-Sonnenstern, Mary T. Smith, Harald Stoffers, Ionel Talpazan, Dominique Théate, Miroslav Tichý, Mose Tolliver, Oswald Tschirtner, August Walla, Melvin Way, George Widener, Scottie Wilson, Hideaki Yoshikawa, Anna Zemánková, Henriette Zéphir, Carlo Zinelli..." (je surligne en gras ceux qui me paraissent relever de la fameuse quintessence, selon moi ; mais quelques-uns sont insuffisamment connus de moi: Julius Bockelt, Anibal Brizuela, Jorge Alberto Cadi, Misleidys Castillo Pedroso, Raymond Coins, les Japonais (souvent issus d'ateliers)).
Ci-dessus la liste complète des auteurs faisant partie de la donation ABCD ; un petit jeu dès à présent, qui y manque? Je n'aperçois personnellement pas, ni Pépé Vignes, ni Jean Grard...
La quintessence de l'art brut, si ici de nombreux noms sont en effet marquants, il restera à ne pas oublier d'aller la rechercher là où elle est la plus présente, à savoir encore et toujours à la Collection de l'Art Brut, au Château de Beaulieu, à Lausanne, rassemblée au départ par Jean Dubuffet, puis notablement agrandie depuis 1976 (aujourd'hui près de 70 000 œuvres dont 700 sont présentées en permanence). Ceci dit pour relativiser le grand renfort de trompettes des récents laudateurs de Bernard Blistène (directeur du MNAM qui a réalisé l'accord avec Bruno Decharme, et qui part à la fin du mois de juin): le Quotidien de l'Art et aussi le galeriste Christian Berst qui dans une dernière newsletter grimpe littéralement aux rideaux de l'extase, en affirmant avec le plus grand aplomb : "L’exceptionnelle donation de près de 1000 œuvres¹ d’art brut que Bruno Decharme fait à Pompidou permet désormais d’écrire un chapitre essentiel de l’histoire de l’art. Tandis que l’art brut sort de l’angle mort où il fut trop longtemps relégué, le Musée national d’art moderne peut s’enorgueillir de son audace en devenant une référence et un exemple pour les institutions du monde entier."
"L'angle mort où "l'art brut aurait été trop longtemps relégué...", ne serait-ce pas avant tout l'angle mort de sa valeur marchande, dans l'esprit de ce monsieur qui ne se sent plus?
Et puis "l'audace" du MNAM, ça me fait bien rigoler...
La réputation de l'art brut, son histoire, sa connaissance sont tout de même bien enregistrées, et depuis fort longtemps. Il n'y a que ceux qui ne voulaient pas en entendre parler pour l'ignorer (et ceux-ci continueront dans la voie de ce mépris, ce qui vaut mieux qu'un respect assorti de mauvaise volonté)². Et précisément, si l'art brut est désormais bien connu, et conservé, c'est en particulier grâce à la séparation muséale, la distinction affirmée initialement entre l'art brut et le reste du champ artistique, qui furent mises en place par Dubuffet, Michel Thévoz, Lucienne Peiry en Suisse, continuée aujourd'hui par Sarah Lombardi. Même au LaM, l'Aracine a obtenu que les collections d'art brut soient conservées dans un département distinct. Cela a permis d'identifier clairement ses spécificités, en particulier les substrats culturels à l'œuvre par dessous ces créations si originales,
De l'art brut, de plus, n'en déplaise à ces messieurs, le MNAM en conservait déjà, dispersé certes au milieu de ses collections (quelles preuves, du reste, que cette dispersion ne recommence pas au bout d'une dizaine d'années de présentation de la donation?). A l'occasion de la donation Daniel Cordier, par exemple, un bel ensemble de peintures de Gabritschevsky sont entrées dans les collections du MNAM. On trouve également des peintures de Séraphine au MNAM ou de l'Algérienne Baya, défendue en son temps par André Breton. Des expositions remarquées ont été consacrées à l'art brut très tôt, que l'on songe à "Paris-Paris" (1981) où une merveilleuse salle lui était consacrée (avec un remarquable texte d'Henry-Claude Cousseau dans le catalogue, qu'on ferait bien de rééditer séparément, pour le mémoriser davantage), ou à Adolf Wölfli, et à Miroslav Tichy, sans parler des expos consacrées à Paul Eluard (où il fut question d'Auguste Forestier) et surtout à André Breton et ses enthousiasmes pour les autodidactes en tous genres (voir la roue ovale d'Alphonse Benquet dans le fameux "Mur", que j'ai contribué à faire identifier par les responsables du musée, voir cette note ancienne de mon blog).
Mais peut-être que cette dispersion, ce mélange de l'art brut avec l'art moderne ou contemporain, est justement ce qui plaît à un Christian Berst, dont les actions et les proclamations, depuis quelque temps, ne cessent de militer pour un tel mixage (voir sa galerie supplémentaire ouverte récemment, au titre snob, "The Bridge", qui cherche les confrontations entre brut et contemporain ; voir aussi les auteurs qu'il met en avant pour leur cérébralité digne de l'art contemporain le plus creux).
Je crois que personne ne l'a souligné. L'Etat français, en permettant l'entrée de ces donations d'art brut (l'Aracine au LaM tout d'abord en 1999, puis aujourd'hui une part de la collection Decharme à Beaubourg) dans de prestigieuses collections muséales d'art moderne et contemporain, réussit ce qu'avait précisément refusé Dubuffet vers 1970, après l'exposition d'art brut de 1967 au Musée des Arts Décoratifs (première grande exposition d'art brut publique et ce, dans un lieu institutionnel ; 1967... Messieurs les cuistres!), à savoir la confusion entre art brut et art culturel. Car, lorsqu'il réfléchissait au legs de sa collection dans ces années-là – qui allait aboutir ensuite à une donation à la Ville de Lausanne en 1972 –, il avait été proposé à Jean Dubuffet une intégration de sa collection au musée d'art moderne, comme l'a signalé Lucienne Peiry dans son livre L'Art Brut (première édition, 1997, chez Flammarion, voir page 172 ; réédition récente) qui retrace l'histoire de la collection. Le peintre-théoricien-collectionneur avait fermement décliné l'offre!
Trente ans plus tard, et aussi aujourd'hui cinquante ans plus tard, l'Etat français récidive. Ceci dit, c'est moins grave, puisqu'entre temps l'art brut s'est constitué en catégorie socio-esthétique au niveau international. Il sera difficile de le rendre soluble dans l'art content-potpot. D'autant qu'il ne cesse de se ramifier en branches et racines diverses et multiples, et que la créativité continue de se développer, toujours aussi anarchiquement en dépit des tentatives réificatrices de tous ordres...
Enfin, qu'on me permette de réitérer un propos que j'avais formulé il ya déjà longtemps dans un vieil Artension (article sur le musée de Laduz, « Un triangle d’or », Artension n°6, octobre 1988), pour moi l'art brut, par son substrat largement imprégné par la culture populaire des sans-grade a plus de cousinage avec l'art populaire curieux et l'art naïf visionnaire qu'avec l'art moderne et contemporain. C'est l'indice d'une bêtise bien française que d'avoir voulu depuis cinquante ans l'insérer à toute force dans les musées d'art moderne. Les Américains de ce point de vue se sont montrés bien plus intelligents en intégrant, au contraire, l'art brut dans un musée d'art populaire, à New York. Cela fait infiniment plus sens en effet.
Et nous, ici, au lieu d'un musée vivant de l'art populaire, on n'a que le MUCEM... qui expose ces temps-ci, Ô misère!, Jeff Koons...
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¹ Ici, Christian Berst, sans doute légèrement en transe, suivant le Quotidien de l'Art qui propose le même chiffre de "près de 1000 oeuvres" arrondit exagérément (voir plus haut le chiffre exact de 942 œuvres).
² A ce point, il n'est pas inutile de renvoyer mes lecteurs à une protestation publiée récemment dans Beaux-Arts magazine par le galeriste new-yorkais Andrew Edlin, pour réagir aux critiques de Christian Berst (parues dans le même journal) visant les Outsider Art Fair (Salon d'Art Brut et marginal) qu'Edlin monte régulièrement à New-York et à Paris (qui contribuent à l'évidence, là aussi, à la connaissance que le public peut acquérir du champ des œuvres brutes, naïves, ou singulières). Proférée sur un ton fort courtois et feutré, la réaction d'Edlin instruit au fond un procès en cuistrerie...
11/06/2021 | Lien permanent | Commentaires (2)
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