28/01/2012
C'est une Maison Bleue accrochée à sa chrysalide
A Dives-sur-Mer (Calvados), le maçon Euclides Da Costa Ferreira (voir ph. de J-C. Pinel ci-contre prise l'année de la disparition du maçon), ancien ouvrier de l'usine métallurgique Tréfimétaux, a laissé derrière lui en 1984 un ensemble de petits édifices (plutôt que des "maquettes") d'inspiration religieuse qu'il a bâtis de 1957 au début des années 1970. Couverts de mosaïque à dominante bleue, ses églises (Sacré-Coeur, l'église de Lourdes avec sa grotte) et chapelles (à Sainte-Rita-de-Cascia, à Notre-Dame-de-Fatima, à Notre-Dame-de-la-Délivrande, à Sainte-Thérèse) un tombeau, un moulin, son monument d'hommage à la chienne cosmonaute Laïka, décédée durant un voyage dans l'espace en spoutnik initié par les Soviétiques, ces murs de mosaïque à thématique animalière (ce qui paraît s'être le mieux conservé jusqu'à nos jours), le tout fait tantôt penser à un bout de Portugal avec ses azulejos qui serait tombé du ciel non loin du port de cette ville ouvrière (coincée entre deux stations balnéaires plutôt chics, Cabourg et Houlgate), tantôt penser les jours de grisaille hivernale à un cimetière (voire comme on l'a parfois suggéré à un cimetière pour chiens)...
Monument à Laïka surmonté de son Spoutnik pivotant, la chapelle de Ste-Rita-de-Cascia derrière, et à gauche un fragment de la chapelle dédiée à ND de Fatima, photo Bruno Montpied, déc. 2011 (on note le retour de Laïka, la chienne en verre entourée d'un ruban rouge ; elle n'est plus installée sur place ordinairement)
Laïka: allez! On remballe... ph BM
Ce sont les habitants de la région qui ont appelé le site la "Maison Bleue", site par ailleurs inscrit à l'Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques depuis 1991 (sur une initiative de Mme Danielle Kosmalski à l'époque, selon ce que m'avait dit sa fille Katia, qui réalisa un court-métrage au même moment, subventionné par la mairie). Depuis prés de trente ans donc, le site perdure en dépit du décès de son créateur, vendu à la municipalité de Dives en 1989 par sa veuve. En 2005, une couverture dite translucide (qui m'a paru en train de s'obscurcir lorsque j'ai visité à nouveau le site en décembre dernier ; je n'y étais pas retourné depuis 1997) recouvre désormais le terrain Da Costa sur la totalité de ses 300 m².
Le monument à Laïka au centre, une Tour Eiffel à gauche avec une partie du Sacré-Coeur, la chapelle à Ste-Thérèse complètement à droite, ph. BM, 2011
Cette couverture maintenue par une charpente de tubes métalliques a un avantage: elle met le site hors d'eau. Mais elle a aussi un, voire plusieurs inconvénients: elle masque grandement le site des regards extérieurs (elle descend pour couvrir jusqu'au trottoir les fresques animalières que Da Costa avait installées sur le mur extérieur de sa petite propriété, comme une sorte d'appel modeste à entrer pour les amateurs désireux d'en voir plus ; les autres badauds passant sans être agressés puisque ces fresques restaient sages et décoratives). De plus, elle est passablement inesthétique, et dénature grandement le site d'origine en le transformant en site fermé, en le coupant du ciel, ce qui pour un homme pieux comme l'était Da Costa, fait encore plus contresens. Mais ce fut la solution retenue faute d'argent, et faute de plus de soutien extérieur. La municipalité de Dives (6000 hab.) possède déjà un patrimoine architectural plus savant qui lui coûte passablement du point de vue de l'entretien.
Sacré-Coeur et Tour Eiffel, ph. BM, 2011
En décembre dernier, furent inaugurés deux édifices qui ont été restaurés avec l'aide de l'association de sauvegarde de la Maison Bleue, de la municipalité, de la région, du département et de la Fondation du Patrimoine qui a intéressé à cette entreprise deux mécènes, la Fondation Alcoa de l'entreprise Hownet et Dalkia, filiale de Veolia. Les travaux de cette première tranche sont menés sous l'autorité des Monuments Historiques. Il s'agit du monument d'hommage à Laïka (parfois appelé "mausolée" ce qui me paraît impropre puisque la chienne n'y est pas enterrée), et du Sacré-Coeur (dont l'architecture ne renvoie nullement à l'église connue de Paris). A noter que pour ce dernier, du fait de la position de la charpente métallique qui frôle la partie haute du monument, on n'a toujours pas pu remettre à son sommet le pinacle qui gît provisoirement dans une des anciennes chambres du coupe Ferreira (voir ci-contre la photo que j'avais faite de ce pinacle en 1997, s'élevant encore librement vers le ciel à l'époque).
Si le monument à Laïka m'a paru être inchangé par rapport à mes souvenirs, et aux photos que je conserve, tout cela ne remontant pas au delà de 1989 (je n'ai jamais rencontré l'auteur), le Sacré-Coeur, par son aspect blanc me laisse quelque peu perplexe. Les silhouettes d'animaux, qui l'émaillent ici et là, elles-mêmes de couleurs plutôt claires, ne paraissent pas trancher sur le fond trop peu contrasté, trop clair lui aussi. Sur quelle documentation s'est-on basée pour cette restauration? Dans le livre de Claude Lechopier, très précis, Une mosaïque à ciel ouvert, (éd. Cahiers du Temps, 2004), on trouve des images de ce Sacré-Coeur qui le montrent couvert de tesselles plus sombres sur lesquelles se détachent aisément les animaux. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.
Photo (coll Médiathèque de Dives) extraite du livre de Claude Lechopier, Une Mosaïque à ciel ouvert
Le Sacré-Coeur après restauration, décembre 2011, ph. BM
Que s'est-il passé? A-t-on remplacé au fil du temps les morceaux plus sombres tombés suite aux injures du temps par des morceaux plus clairs? Ou bien, est-ce les joints blancs qui, débordant des tesselles, sont devenus un peu trop envahissants? Cela nuit au contraste en tout cas des silhouettes animales sur ce monument. Contraste qui heureusement ailleurs peut encore se percevoir. Cependant il est à noter que sur certaines mosaïques, notamment sur celles qui sont sur le mur donnant sur la rue, en 1997, j'avais photographié certaines figures contrastant déjà moins, se dissolvant presque sur le fond là aussi trop clair, mais c'était en 1997, peut-être y avait-il eu des restaurations bricolées? Il ne semble pas que cela ait fait partie des goûts de Da Costa. On tremble, s'il revenait, devant les jugements qu'il émettrait, sachant son caractère peu facile qui est attesté par divers témoins ayant conversé avec lui (comme le témoignage de Pascale Herman dans son mémoire de fin d'études sur Da Costa en 1979 à l'Ecole Centrale de Lille dont elle a bien voulu me communiquer un extrait il y a quelque temps déjà).
Da Costa Ferreira avait confié à la même Pascale Herman qu'il ne songeait pas à la postérité de ses réalisations: "Lorsque nous leur demandons ce que le jardin deviendra après leur mort, ils répondent que cela importe peu, que, pour l'instant, ils sont là tous les deux, et qu'ils ont encore le temps d'y penser". "Tous les deux", c'est-à-dire lui et sa femme, épouse qui fut à l'origine de la vente du site à la municipalité et qui est présentée comme "consciente de la dégradation rapide de l'œuvre" dans le dossier de presse de la municipalité relatif à la première tranche de restauration.
Photo Pascale Herman, 1979, inséré sur son blog Les Inspirés du bord des routes (plus très actif, plus rien depuis septembre 2010)
Si on doit conclure, pour le moment, dans l'ensemble le site a plutôt bien résisté jusqu'ici aux fameuses injures du temps, même si des visiteurs du site dans les années 70 revenant aujourd'hui le trouveraient peut-être certainement défraîchi par comparaison. Caché sous le dôme qui l'enveloppe, il fait songer à quelque gigantesque entité opérant peut-être en secret sa mue –comme la chenille dans sa chrysalide avant de devenir papillon? C'est tout le bonheur qu'on lui souhaite.
Détail d'un des panneaux mosaïqués donnant autrefois directement sur la rue, ph BM, 1997
14:33 Publié dans Art Brut, Art naïf, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : da costa ferreira, la maison bleue, dives-sur-mer, éliane desprez, claude lechopier | Imprimer
10/06/2008
Entrée Visité Merci n°3/4
Le n°3/4 du bulletin Entrée Visité Merci, animé par Claude Lechopier et consacré à la mémoire de la Maison Bleue d'Euclides Da Costa Ferreira, située à Dives-sur-Mer dans le Calvados, vient enfin de paraître. Sans doute pour rattraper son retard, l'auteur a mis les bouchées doubles et a pondu deux numéros en un.
Son titre, à l'orthographe reprise de celle de Da Costa (il n'y a donc nulle coquille de notre part), et son contenu ne peuvent avoir une éternelle relation à l'environnement de mosaïque de ce maçon d'origine portugaise, sous peine de ne plus rien trouver à se mettre sous la dent au bout d'un moment. Si les premiers numéros firent ample place aux éléments de recherche d'ordre biographique (quitte parfois à partir vagabonder de façon légèrement hors-sujet du côté de la culture portugaise ; l'auteur a déjà fait paraître un beau livre sur Da Costa: Claude Lechopier, Ue mosaïque à ciel ouvert, la Maison Bleue de Dives-sur-Mer, éditions Cahiers du Temps, Cabourg, 2004), ils ont également malheureusement aussi beaucoup parlé des problèmes aigus relatifs à la conservation du site (qui appartient à la municipalité qui laisse, comme dans d'autres lieux -je pense au jardin de Gabriel Albert à Nantillé en Charente-Maritime- pourrir cet environnement, malgré de pauvres prothèses destinées à le couvrir). A la longue, sa dynamique, et littéraire, animatrice s'est rapidement convaincue qu'il fallait aussi parler d'autres environnements spontanés situés en France.
Ce qui fait que nous avons eu droit à de très intéressants articles sur d'autres environnements, dûs à des collaborateurs extérieurs, comme dans le n°1 sur Lucien Favreau (par Claire Lecuyer et Laurent Layet, auteurs d'un des meilleurs textes qu'il m'ait été donné de lire sur la "Bohème" de Lavaure, sur la commune d'Yviers, en Charente, où l'on trouve un étonnant jardin de statues naïves et brutes), ou comme dans ce n°3/4 sur Robert Vasseur (entretiens avec Claude Vasseur, son fils, qui fait toujours visiter le jardin de mosaïque et girouettes de son père, rare cas de pérennité d'un site par héritage familial)... Le bulletin Entrée Visité Merci a pris à ces occasions la tournure d'un bulletin qui tendait à se spécialiser sur l'information dévolue aux environnements et autres jardins de l'art immédiat. Mais est-ce le projet que guigne son animatrice? Force est de constater que cette dernière avec ce récent numéro ne paraît plus tracer de ligne conductrice pour l'avenir (le dernier numéro ne contient plus de bulletin de réabonnement)...
Ce numéro 3/4 contient également des collages de qualité dûs à l'éminent connaisseur de Chaissac et de Gilles Ehrmann, Charles Soubeyran (auteur du joli livre Les Révoltés du Merveilleux paru aux éditions Le Temps qu'il fait). On le connaît aussi sous le nom de Frédéric Orbestier (voir dans L'Art Immédiat n°2, 1995, le texte La maison d'Alice qu'il m'avait permis de republier sur Hippolyte Massé et sa maison de la Sirène aux Sables d'Olonne). Dans la revue de Claude Lechopier, des entretiens permettent d'en apprendre davantage sur lui et ses publications.
Pour commander le bulletin, il faut écrire à:
Claude Lechopier, La Renardière, 14130 Les Authieux-sur-Calonne (le n°3/4 est à 10€). Les numéros précédents sont peut-être encore disponibles...
22:08 Publié dans Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : environnements spontanés, claude lechopier, euclides da costa, robert vasseur, charles soubeyran | Imprimer