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25/04/2009

Une image peut en cacher une autre

signalisation dans le bitume, bd St-Marcel, Paris, ph.Bruno Montpied.jpg
Bd Saint-Marcel, Paris 13e, signalisation dans le bitume, ph.Bruno Montpied, 2008

      Une exposition à voir toutes affaires cessantes - et pourtant il y en a un certain nombre ces jours-ci à Paris, Calder, Jorn, Chirico, Kandinsky, Boix-Vives, Macréau (non, pas Warhol dont je me passe bien, personnellement), etc... - c'est L'AUTRE expo du Grand Palais, aux Galeries Nationales, UNE IMAGE PEUT EN CACHER UNE AUTRE. Du 8 avril au 6 juillet.catalogue Dali et les magiciens de l'ambiguïté, 2003, double image [que voyez-vous en premier?] sans crédit.jpg Son chef d'orchestre est Jean-Hubert Martin, qui avait déjà coordonné une autre expo sur le même thème, à Düsseldorf, L'énigme sans fin, Dali et les magiciens de l'ambiguïté, en 2003. Plus lointainement, une expo au Palazzo Grassi à Venise, L'effet Arcimboldo (1987), avait elle aussi abordé le thème de la double image, de l'image cachée dans l'image. De même que plus près de nous, il y eut en 2006 au Palais des Beaux-Arts de Lille l'exposition L'Homme-Paysage, visions artistiques du paysage anthropomorphe entre le XVIe et le XXIe siècle, dont les concepteurs étaient Alain Tapié et Jeanette Zwingenberger, cette dernière se retrouvant au sommaire du catalogue de l'expo actuelle du Grand Palais. Assez en rapport avec cette dernière, on se souviendra également de la note que j'ai donnée le 30 mars 2008 à propos de l'exposition sur les cartes postales insolites, La photographie timbrée, qui fut montée l'année dernière à l'Hôtel de Sully.

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Détail du tableau de Mantegna, Pallas chassant les vices du Jardin des Vertus, Musée du Louvre

       C'est le genre d'expo qui peut intéresser tous ceux qui sont fascinés par les images ambivalentes, telles que Dali aimaient en produire (sa paranoïa-critique est basée sur ces jeux d'illusions, l'exposition lui consacre une petite salle avec des oeuvres de très haut niveau), ou telles qu'on peut en voir dans une foisonnante et hétéroclite iconographie dont cette expo montre une large sélection (parmi les artistes modernes, j'ai fait personnellement la connaissance des sculptures à double aspect, se dévoilant en tournant autour, de Markus Raetz). Dans la peinture de la Renaissance par exemple, nombreux sont les exemples de paysages où se dissimulent des têtes plus ou moins grotesques, des profils dans la découpure des falaises (un célèbre tableau de Mantegna avec des nuages façonnés en forme de visages, Pallas chassant les vices du Jardin des vertus, venu de la grande Galerie du Louvre, est présent dans l'expo). C'est un jeu de recherche qui fait le plaisir du visiteur (s'il parvient à s'approcher du tableau, ce qui relève de l'exploit étant donné l'affluence), l'exposition étant pour une fois parée d'une dimension ludique indéniable (qui ne devrait pas déplaire aux enfants qu'on peut y emmener de préférence à toute autre expo).

Josse de Momper,L'automne, catalogue Une image peut en cacher une autre.jpg
Josse de Momper, 1564-1635, Allégorie de l'Automne, extrait du catalogue Une image peut en cacher une autre

      Mais elle ne se limite pas à cela. Des commentaires brefs mais denses aiguillonnent la curiosité. Notamment lorsqu'il s'agit d'expliquer au visiteur que ces images cachées à l'époque de la Renaissance avaient un sens peut-être édifiant, la nature peinte étant considérée comme le siège d'une sauvagerie qu'il était nécessaire de réduire par la civilisation. Ou bien voyait-on dans ces dissimulations d'images, destinées à être vues dans un second temps de la perception, la démonstration de ce que la contemplation d'une image, en apparence immédiatement lisible,  recélait en réalité une autre signification cachée, ce qui ouvrait à une conception transcendante du parcours contemplateur. Dieu est caché dans le moindre détail, n'est-ce pas... Aujourd'hui, l'image cachée répond à d'autres significations, d'autres besoins, notamment celui de s'émerveiller, ou bien au goût des images séditieuses (une partie de l'expo est consacrée aux profils ou silhouettes d'hommes politiques cachés dans des trous, ou des intervalles du paysage, cf. les représentations de Napoléon en silhouette).

Gravure populaire anglaise sur Napoléon, vers 1830.jpg
Gravure populaire anglaise, vers 1830, extraite de l'ouvrage L'oeil s'amuse, éd. Autrement, 1999

      Il existe évidemment un lien avec les thèmes plus ou moins carnavalesques du monde à l'envers.  L'imagerie populaire n'a pas été oubliée (si l'art brut lui, en dépit de sa présence à l'exposition de Düsseldorf pourtant, avec un article de Claudia Dichter dans le catalogue de cette dernière expo, a été  mis de côté, on ne sait pourquoi ; je sais certain dessin  de la collection Prinzhorn, présent dans le catalogue de l'expo de Düsseldorf, qui n'aurait pas détoné dans cette expo... ; on ne trouve dans un coin qu'un  beau dessin - certes - d'Unica Zürn, qui n'est, de plus, elle, pas tout à fait réductible à l'art brut).August Natterer (Neter),Tête de sorcière, coll.Prinzhorn, Heidelberg.jpg L'exposition commence  sur un mur constellé de cartes postales en noir et blanc montrant des roches aux formes fantastiques telles qu'on en trouve en nombre un peu partout en France (montage de Jean Le Gac, semble-t-il, mais il y avait trop de peuple, je n'ai pas réussi à me faufiler parmi les visiteurs qui les regardaient en faisant la queue sagement comme on fait la queue dans le métro, et du coup je n'ai pu identifier l'auteur du montage). Des pierres de l'ancienne collection de Roger Caillois sont montrées un peu plus loin (on se référera à ses ouvrages sur L'écriture des pierres). On rejoint là l'intérêt pour la poésie des formes naturelles que sur ce blog nous partageons fortement avec tant d'autres amateurs. Certains objets naturels trouvés reviennent dans l'expo qui avaient déjà été présentés au musée Dapper il y a plusieurs années dans le cadre de la très excitante expo intitulée Résonances (organisée par Yves Le Fur, que l'on retrouve comme par hasard parmi les auteurs du catalogue). Un chapitre de ce catalogue est consacré au thème sous le titre La Nature artiste. Ce secteur est présenté , à ce que je crois me souvenir, à proximité d'un autre espace consacré aux images vues dans les taches d'encre (pliages symétriques), comme par exemple celles de Rorschach dont quelques essais sont montrés à cette occasion (placés à côté de taches de Victor Hugo ou de Justinus Kerner, déjà montré autrefois dans ce même Grand Palais pour la grande exposition L'Ame au corps). Des décalcomanies surréalistes auraient pu également être montrées dans leur voisinage, mais sans doute a-t-on jugé que cela avait été déjà souvent fait (cependant, ce fut souvent de façon ultra partielle, une expo entière serait  en réalité souhaitable sur le sujet des techniques d'empreinte dans le surréalisme)? Quelques taches obtenues par pliage et symétrisation produites par des poètes comme Eluard ou Marcel Duchamp sont présentées justement en raison de leur côté inédit, mais on reste un peu sur sa faim.

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Profils cachés dans les oeuvres de Raoul Marek, extrait du catalogue Endless enigma, musée de Düsseldorf, 2003

      L'exposition ne manque pas de montrer également des cartes géographiques interprétées de façon à figurer dans les contours des frontières des personnages ou des animaux symboliques des nations, l'ours russe, le lion belge, etc. On retrouve évoquées, trop succinctement à mon gré, les lettres à images, des alphabets anthropomorphes (à ce sujet, on peut toujours se reporter au très bel et complet ouvrage de Massin, La Lettre et l'Image, paru autrefois chez Gallimard). Un bel espace est dévolu à des exemples d'anamorphoses, c'est le lieu où l'on enregistre d'ailleurs le plus grand nombre de torticolis au mètre carré dans l'expo... Les miniatures mogholes n'ont pas été oubliées. Dans le secteur sur le paysage-visage, on découvre que même Courbet sut se laisser impressionner par des rochers hallucinatoires (cf. Le géant de Saillon). Du reste, ce parcours recèle dans certains de ses replis et coins secrets des surprises comme ce très beau tableau de Meret Oppenheim de 1938 qui s'intitule La femme de pierre. De même certaines vidéos se révèlent au passage assez "bluffantes", comme une, due à Alain Fleisher (oublié ce me semble dans le catalogue), intitulée L'Homme dans les draps, qui consiste en une animation de draps se dépliant et dessinant des ombres de profils humains changeants, très belle idée et très belle réalisation...

     Comme je le disais au début de cette longue note, décidément oui, une exposition à voir toutes affaires cessantes...