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Rechercher : l'autre de l'art

Le mystère du graffitiste cinéphile de Douarnenez

    Il y a plusieurs manières de visiter une ville. A la touriste appliqué, comme nous un matin (Régis Gayraud et moi) à Locronan, ce village breton aux vieilles maisons, défiguré et exagéré par le commerce exploitant éhontément son ancienneté "typique". Ou, comme nous encore, de manière "dérivante", à la fin de la même journée, arpentant le pavé de Douarnenez (qui n'aime pas beaucoup les touristes, tant mieux).

 

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Le graffitiste cinéphile de Douarnenez, inscriptions sur des poubelles : Les bœufs carottes, Le dernier diamants (sic), L627, les Daltons, L'empire des loups, etc., photo Bruno Montpied, 2017.

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Witness, La louve... Ph.B.M., 2017.

 

    J'étais alors fatigué et j'écoutais distraitement mon camarade qui me paraissait pérorer à propos d'inscriptions à la peinture blanche qu'il avait déjà aperçues la veille sur le pont de Tréboul (du nom du petit port qui jouxte Douarnenez de l'autre côté d'une ria). Cette fois, il s'en laissait voir toute une flopée sur les parois de containers à verre dans la cour d'une cité que l'on traversait en lisière de Tréboul. Ce n'était que titres de films, de téléfilms ou de séries TV. Les caractères étaient tracés de façon distincte, toujours en capitales, aisément lisibles donc. Parfois, les titres étaient précédés de numéros et de flèches orientées dans tous les sens. Les films cités étaient pour la plupart récents, mais on en rencontrait quelques-uns d'un peu plus ancien. Sous le soleil, Zodiaque, Le fruit défendu, L'affaire Rachel Singer, Ma sorcière bien-aimée, Promotion canapé, Le Poulpe, Un amour de sorcière, Dolmen, Le pigeon (titre de film plus ancien), La vague, OSS 117 Rio ne répond plus, Fast and furious, The magdalene sisters, 5e élément, etc...  Sur le moment, je rétorquai à Régis, qui me paraissait s'exciter pour pas grand-chose, que tous ces titres provenaient probablement de films visionnés en cassettes vidéo, ou dvd, ou vod, et que cela pouvait émaner d'adolescents se livrant à des jeux de comparaison, des listes établies dans la perspective d'un quelconque quizz qui leur était propre...

graffiti,graffitiste cinéphile de douarnenez,tréboul,titres de films,cinéma    Mais, en continuant notre marche et en revenant en particulier sur Douarnenez, je commençai de me rendre à l'évidence. Ces inscriptions étaient véritablement bizarres. La ville paraissait en être couverte, et à chaque fois dans des espaces marginaux, de ces portions de l'espace urbain sur lesquelles l'œil glisse : petites armoires électriques, poteaux, marges des panneaux de signalisation, distributeurs de poches plastiques pour crottes de chiens, poubelles, containers, bornes d'incendie, tuyaux de gouttière où le graffitiste traçait ses titres à la verticale. Je me persuadais petit à petit qu'il s'agissait d'un seul individu, hypothèse qui était partagée par Régis ; tous deux pensâmes en même temps à Alain Rault, ce SDF qui graffite des noms d'hommes célèbres sur les murs de Rouen.  Il y avait là, à n'en pas douter, vu l'étendue des zones d'inscriptions, une manifestation d'acharnement des plus singulières qui ne relevait pas d'un simple goût du jeu maniaque. On établissait sur les murs de la ville une liste de titres d'œuvres cinématographiques qu'il fallait, semble-t-il, ne pas oublier, comme les pense-bêtes que les lycéens se tatouent dans le creux de leurs paumes.

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Hubert et le chien (graffito adapté à son support, une boîte d'étuis plastifiés pour ramasser des crottes de chien), Reckless, Léon, La vengeance aux 2 visages, etc., ph.B.M., 2017.

 

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Microbe et gas-oil, En immersion, Le sourire des femmes... Ph.B.M., 2017.

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Miss Marple, Le sexe faible... Ph. B.M., 2017.

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Le légionnaire, Les associés... Ph.B.M., 2017.

 

     Etait-ce un homme atteint de troubles mentaux, d'une perte de mémoire progressant vers la dissolution, à travers la perte des connaissances, de la personnalité, comme ce qui arrive, dit-on aux schizophrènes ? Dans l'art brut, certains de ceux-ci sont connus pour leurs tentatives de dressage de listes à coloration encyclopédique : Gregory Blackstock et ses planches thématiques où il aligne en rangs d'oignons une série d'objets ou d'êtres, Arthur Bispo de Rosario et ses entassements d'objets, ses capes couvertes d'inscription, ses objets emmaillotés, Alain Rault lui-même réinscrivant sur les murs de Rouen la panoplie interminable des noms qui le fuyaient peut-être par ailleurs, tentative pathétique de raccrochage des épaves qui se détachaient sans cesse davantage de lui...

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Essaye-moi (inscrit deux fois, en rouge et en blanc en dessous ; à noter qu'on rencontre souvent du tricolore dans les peintures employées)... Ph.B.M., 2017.

 

     Par moments, certains titres faisaient signe, me disais-je. Essaye-moi, inscrit de façon insistante, ou cet autre titre à l'accent de manifeste : L'extraordinaire vie de Monsieur Tout le monde (voir ci-dessus la deuxième photo à partir du début de la note), tracé par les doigts d'un autre monsieur "Tout-le-monde" qui rêvait peut-être d'une vie justement moins ordinaire.

     Sur un panneau à l'écart, un titre retenait également l'œil, d'abord parce qu'il était seul inscrit, et aussi en raison de sa catégorique déclaration aux allures de terrible conclusion : RIEN NE VA PLUS...

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Ph.B.M., Douarnenez, 2017.

 

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Le Docteur P., un texte de Jacques Burtin

Le Docteur P.

 

   Nous habitions alors une petite maison de style forestier dans la banlieue Est de Paris.

   Les murs étaient en meulière ; les balcons, le pont au-dessus de la fausse rivière étaient en ciment sculpté en forme de troncs d’arbre. Le petit cours d’eau (on en commandait le débit avec un robinet) prenait sa source au pied d’un hêtre pourpre et allait mêler ses eaux à un minuscule bassin d’où l’on pouvait faire jaillir une fontaine. Un poisson rouge aux dimensions respectables et à l’âge très avancé hantait la rivière et répondait au nom de Lao Tseu.

    Nos deux enfants, nés à Paris, près de la Place d’Italie, grandirent dans cette petite ville de l’Est parisien et développèrent les mêmes symptômes que la plupart de leurs camarades de maternelle : ils souffraient d’otites à répétition. Aux premiers signes de douleur et d’insomnie, nous nous rendions chez le pédiatre qui constatait l’origine du mal et nous enjoignait de rendre visite à un spécialiste de ses amis. Ce dernier, un homme grand et sec au visage imperturbable, prenait l’enfant malade et, lui tenant la tête d’une main, de l’autre perçait son tympan avec un stylet. Le mal alors s’éloignait jusqu’à la prochaine fièvre qui nous pousserait de nouveau chez lui.

    Le nom de ce médecin était le Docteur POIGNARD.

 

    Jacques Burtin

    pour Bruno

    01.02.2014

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Beaucoup d'artistes et trop peu de titres?

     Il peut parfois y avoir surpopulation et bousculade pour trouver un titre inédit à un dessin ou une peinture... L'imaginaire permet en même temps des rencontres logiques, comme dans les deux cas ci-dessous, Gilles Manero et Bruno Montpied. A l'actuelle exposition du premier au Musée de la Création Franche à Bègles, on peut découvrir sur un mur ce dessin appartenant à une série intitulée "Sur la Terre comme au ciel". C'est daté de 2008. Eh bien, Bruno Montpied fut prem's sur le titre (vraiment? A ma connaissance bien sûr, car il serait bien étonnant qu'il n'y ait pas eu d'autres prédécesseurs...). Voir cette peinture de 2000, intitulée pareillement que celle de Gilles Manero, Sur la Terre comme au ciel. Je m'empresse d'ajouter qu'il n'y a aucune chance que Gilles ait pu connaître cette peinture qui ne me paraît pas être beaucoup sortie des cartons de BM... 

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 Gilles Manero, Sur la Terre comme au ciel, n°9, mai 2008



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Bruno Montpied, Sur la terre comme au ciel, 2000 

 

     A noter une curieuse coïncidence supplémentaire dans les deux dessins. On trouve deux personnages faisant la sieste dans ces deux compositions, l'un assis se reposant au pied de ce qui peut tenir lieu d'un arbre dans le cas Montpied (l'arbre rouge se révèle être aussi un autre personnage), l'autre étant vautré dans le cas Manero le long d'un talus, personnage résumé à une tête quelque peu chauve (à moins que je n'hallucine?).

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Aventures de lignes (7) : Régis Gayraud

Régis Gayraud

  

       Régis Gayraud n’est pas réputé pour ses travaux de peinture ou, comme dans l'exposition "Aventures de lignes", par ses dessins insolites, hésitant entre fausse naïveté et humour subtil, tout en recélant des clés de lecture (voir plus bas le décryptage enregistré qu'il a bien voulu nous faire parvenir concernant le dessin Allégorie de l'histoire de l'art au XIXe siècle). Il est en effet davantage connu comme slaviste, spécialiste des avant-gardes russes du début XXe siècle, notamment du poète et typographe Ilya Zdanévitch, et traducteur de russe.

    On ignore cependant qu’il s’est exercé à toutes sortes d’expérimentations, notamment picturales, dans ses jeunes années, où il commença aussi très tôt à écrire des récits d’un humour souvent noir et fort décapant. J’ai eu l’occasion à quelques reprises d’exécuter des dessins ou des peintures avec lui, avec toutes sortes de matériaux, parfois dans des épisodes d’ivresse qui nous amenaient à jeter notre production par la fenêtre dans la rue en pleine nuit…Au fond, Régis, en digne héritier des membres du groupe COBRA et des situationnistes, ne répugne pas à embrasser une attitude d’art total, faisant feu de tout bois. Il mène, comme d’autres dans l'exposition ci-dessus citée (Cerisier, Garret, Montpied, Ruzena…), l’activité de critique, de front avec une activité créatrice. Les quatre dessins qu’il présente dans « Aventures de lignes » ont été produits « en flux tendu » (!), pour les besoins de l'exposition.

           (Régis Gayraud a publié également, récemment, un recueil de poèmes, illustré en frontispice par un dessin de Bruno Montpied, Et mes moi l’un après l’autre décrochent, collection de l’Umbo, Passage du Sud-Ouest, 2016).

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Régis Gayraud, Allégorie de l'histoire de l'art au XIXe siècle, 29,7 x 42 cm, 2016 ; œuvre exposée à "Aventures de lignes", galerie Amarrage, 88 rue des Rosiers, St-Ouen, du 22 octobre au 4 décembre ; veuillez écouter le décryptage de cette œuvre, enregistré par l'auteur, et inséré ci-dessous :


podcast
 

 

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29/10/2016 | Lien permanent

Les Rochers de l'Ermite de Rothéneuf: une source photographique différente des cartes postales

Cette note contient une petite mise à jour (en rouge)

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Plaque photographique en verre réalisée par un anonyme, probablement une plaque de projection (positif sur plaque de verre), 8,5 x 10 cm: j'aurais envie de dater la photo entre 1910 et 1920, après 1918 en tout cas, vu les vêtements portés par les visiteurs des rochers, et donc après la mort de l'abbé Fouré (il semble que de son vivant il ne laissait pas souvent les photographes travailler sans sa présence sur les clichés ; il existe cependant des photos sur certaines cartes postales où il ne figure pas...) ; je rappelle que sa mort date de 1910 ; un autre détail milite pour une année d'après la mort de l'abbé, les piquets, troncs d'arbustes, qui servent de balises pour les sentiers où passer pour se rendre jusqu'aux moindres détails des roches sculptées ; il me semble que ces piquets apparurent du temps des exploitants des Rochers, la famille Brébion, soucieuse sans doute de sa responsabilité vis-à-vis des estivants qui s'aventuraient sur ses rochers peu faciles à arpenter, parfois glissants...

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abbé fouré,rochers sculptés de rothéneuf,ermite de rothéneuf,plaque de verre photographiques positives

Le bras de mer à marée haute, vu depuis les rochers et du gisant de St-Budoc, là où se trouvaient les figurants de la plaque de verre récupérée par moi auprès d'un ami brocanteur ; c'est sur ses rochers situés en face des rochers sculptés qu'était placé le photographe

   Qu'est-elle devenue, cette jeune fille dont le visage reflétait ce jour-là, pour le photographe situé par delà le gouffre, de l'autre côté du ressac, une expression peu commode? La photo paraissait faite pour eux, elle en robe légère, car il devait faire chaud) et son compagnon à la cravate nichée étroitement dans un haut col dur (qui devait passablement l'étrangler), ainsi que pour deux femmes sur leur gauche, moins concernées semblait-il...

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Les deux femmes à droite, un peu avachies, accompagnaient-elles le couple qui faisait face au photographe?

   Les plaques photographiques positives sur verre de taille 8,5x10 cm, ancêtres des diapositives, ont, paraît-il été utilisées fin XIXe début XXe siècle, avec possibilité d'avoir duré jusqu'en 1920-1930, ce qui paraît possible ici justement. Sur cette vue, les rochers sculptés ont bien moins d'importance que les humains, contrairement à beaucoup d'images, par exemple dans les cartes postales plus connues sur ces rochers taillés par le fameux abbé Fouré, dont j'ai déjà eu maintes fois l'occasion de parler sur ce blog.

     De tous ces figurants des temps enfuis, reste-t-il le moindre survivant? Ils ont toutes les chances d'être partis au pays des fantômes, hormis peut-être la petite fille devant le gisant et le tombeau de Saint-Budoc, le patron de l'ermite, qui donne la main à sa mère prudente, et qui tient de l'autre peut-être un cornet de glace qu'elle déguste avec concentration... Si la photo date de 1920, elle aurait 100 ans aujourd'hui, car je lui suppose six ans à l'époque du cliché. Elle n'aurait de toute façon pas pu avoir de souvenirs de l'abbé, étant née après sa disparition. C'est du reste rappeler qu'il n'y a plus aujourd'hui la moindre chance de rencontrer encore quelqu'un qui aurait pu rencontrer l'abbé, du genre de ce vieil homme qui raconta dans les années 80 à un jeune homme que je croisai dans les rues de Rothéneuf (dans les années 90) qu'il se souvenait de l'ermite qui l'avait pourchassé dans les rochers, parce que l'enfant qu'il était alors avait commis quelque déprédation sur les sculptures sans doute. L'abbé courait après lui en poussant des sortes de borborygmes, en rapport peut-être avec sa surdité... Cette anecdote me pousse toujours à me représenter  l'abbé tel une sorte de Quasimodo grotesque poursuivant simiesquement les importuns en sautant de roche en roche...

   

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Les contes de tradition orale et les environnements (1)

     Ce matin, j'ai envie d'entamer une petite série de références à la thématique contes et environnements spontanés. Comme ça, pour voir s'il y a beaucoup d'occurrences, et parce qu'aussi, étant récemment passé en Alsace, j'ai retrouvé un site qui possède plusieurs pièces en rapport avec le thème. Ce sera aussi l'occasion de mettre en évidence les passerelles qui peuvent exister entre culture populaire traditionnelle et environnements spontanés, art populaire contemporain.

 

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"La Clairière des Contes", Yalta, Crimée (Ukraine), cartes postales coll. Bruno Montpied


        Pour débuter, pour cette note, je vais revenir passablement en arrière, à l'époque de ma défunte revuette La Chambre Rouge. En particulier au dernier numéro (un double, le n°4/5, 1985). Régis Gayraud m'avait ramené d'URSS (c'était encore l'URSS à ce moment-là si je ne me trompe) un carnet de cartes postales, souvenirs de "la Clairière des Contes" à Yalta en Crimée. Ce carnet contenait dix cartes en couleurs, et dans la Chambre Rouge je décidai d'en reproduire une en noir et blanc, de plus en photocopie (en chapeau du sommaire de mon numéro).

 

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C'es cette carte que j'avais reproduite en noir et blanc dans La Chambre Rouge ; deux personnages aux trognes burlesques devisant gaiement

 

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La couverture du carnet de cartes postales ; les nains sur la photo paraissent vraiment trop démarqués de Walt Disney, comme s'il n'était plus possible après ce dernier d'imaginer les petits hommes qui portent secours à Blanche-Neige autrement... Du moins en Ukraine, c'était ainsi dans les années 80 de l'autre siècle...

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Ces trois petits cochons, adaptés à la sauce russe, avec balalaïka et petit accordéon, eux aussi paraissent un peu trop Disneyisés...


    Je ne crois pas avoir reçu d'explication à l'époque sur les légendes attachées aux sculptures que montraient ces cartes (apparemment si on regarde sur internet la "Clairière" existe toujours). Ce petit parc était apparemment organisé comme une base de loisirs à thème (si l'on se réfère à la vue des chalets ci-dessus, environnés d'un impressionnant cirque de montagnes). Etait-ce une collection de sculptures populaires? P't-être ben que oui, p't-être ben que non (en fait un peu des deux, mon général). Les styles de ces pièces paraissant variés, on pouvait inférer qu'ils n'étaient pas de la même main. Certaines statues, plus fantastiques que les autres, jouent avec les formes naturelles des bois choisis pour camper les sujets en rapport avec des contes. d'autres sont nettement plus réalistes, flirtant avec le kitsch.

 

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Qui est ce personnage coulant des joues...?

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Peut-être avons-nous affaire ici aux "musiciens de la ville de Brême"? (Eh bien, non! Voir le commentaire de Régis Gayraud au pied de cette note, il s'agit du conte "Quartette")


    En farfouillant sur internet,  on ne trouve pas grand-chose en français. A peine nous indique-t-on sur le site d'une agence de voyages ukrainienne, dans une notice rédigée dans un français approximatif, que ce fut un certain Pavel Pavlovitch Bezroukov qui initia ce site, ayant été rejoint ensuite par d'autres artistes (ce que j'avais subodoré). Régis Gayraud, appelé à la rescousse, m'a appris finalement qu'existait en russe un site web entièrement consacré à ce Musée de la Clairière des Contes. On y apprend - je crois Régis sur parole ici - que le nommé Bezroukov était un garde forestier fondu de contes de fée, si, si, et qu'il n'était pas un sculpteur professionnel (je parierais qu'il est l'auteur des personnages imaginés dans des formes de bois tourmentées)... Il avait bien fait appel à d'autres artistes. Les matériaux employés pour les sculptures évoluèrent au fil du temps, il n'y eut pas que du bois, mais aussi de la pierre, du verre, des matériaux recyclés, du plastique... A parcourir un peu au hasard ce site, on s'aperçoit que la Clairière a bien évolué, organisée différemment, que les Trois Petits Cochons ont été repeints et que le nombre, ainsi que le style des sculptures ont considérablement changé...

 

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Personnages du Magicien d'Oz, sculptures contemporaines de la Clairière des Contes


     Ce qui m'intéresse par ailleurs dans la thématique de ce parc, c'est le rapprochement que l'on pourrait faire avec d'autres pratiques, en l'occurrence celles de certains conteurs indiens, qui leur servent à narrer les récits traditionnels de leur pays, le Bengale occidental, lorsqu'ils dévident simultanément des rouleaux (appelés "patua") supportant des images elles-mêmes narratives, illustrant le conte raconté ou chanté. On peut en voir à Paris dans les collections du Musée du Quai Branly (qui ressemble à une contrepéterie).clairière des contes de yalta,régis gayraud,la chambre rouge,contes de tradition orale,contes et environnements spontanés,trois petits cochons,baba yaga,comptines,rouleaux patua,éditions rackham  Ce genre de racontée existe encore aujourd'hui (on peut en profiter pour signaler la belle édition réalisée en 2009 par les éditions Rackham qui ont édité sous forme de dépliant magnifiquement illustré (voir ci-contre), un patua intitulé Tsunami, d'après une chanson de Moyna et Joydeb Chitrakar composée au moment de la catastrophe survenue dans le Golfe du Bengale en 2004 ; d'après l'éditeur, il est précisé que ce livre conçu, sérigraphié et relié à la main par l'atelier des éditions Tarai à Chennai en Inde, serait le "premier rouleau patua édité sous forme de livre").

    On imagine facilement des criées aux contes organisées dans cette Clairière des Contes, les conteurs se déplaçant de saynète sculptée en saynète sculptée en fonction du conte à dire, chaque saynète jouant alors un rôle identique à celui tenu par les patuas dans les contes du Bengale.

(Suite à cette note, Henk Van Hes, sur son blog Outsider Environments Europe, rédigé en anglais, intéressé par Bezroukov, est allé quérir d'autres informations, voir ce lien)

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Ruches décorées de Slovénie, pour la première fois à Paris

       C'est paraît-il une première, ce que je crois bien volontiers. Bien cachée cependant au fin fond du jardin du Luxembourg à Paris, à quelques mètres du rucher de ce dernier avec ses ruches aux toits qui ressemblent à des pagodes (c'est leur seule caractéristique du reste, bien pauvre à côté des ruches slovènes), l'exposition des frontons de ruches slovènes à l'intérieur du pavillon nommé Davioud.

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Le rucher et le pavillon Davioud au jardin du Luxembourg

       Le musée d'apiculture de Radovljica prête, pour un temps trop bref (il va falloir vous précipiter si vous êtes amateurs, l'expo ne dure que du 15 au 30 août, il reste donc 4 jours à partir de cette note... Prêts?... Partez!), plusieurs dizaines de frontons de ruches décorés naïvement (ce n'est pas péjoratif sur ce blog) venus de ses riches collections. Moi qui n'en avais jamais vu autrement qu'en reproduction (principalement dans le livre de Claude Rivals, L'Art et l'Abeille, ruches décorées de Slovénie, essai d'iconologie populaire, édition Les Provinciades, Cahors, 1980), j'ai été surpris en les découvrant. C'est tout petit, la plupart du temps une douzaine de centimètres de large sur une trentaine de long.

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La vieille femme veut redevenir jeune, elle vend son âme au Diable qui la jette dans une meule-fourneau et la rend à un jeune homme, fronton de ruche conservé au musée d'art populaire de Vienne en Autriche (Ill. du livre de Claude Rivals).
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Rucher traditionnel slovène
     J'ai déjà parlé cet été de l'art pour les vaches tel qu'on le pratique en Gruyère ou dans l'Appenzell et le Toggenburg. Il existe aussi un art pour les pigeons du côté de la Limagne en Auvergne (sur les pigeonniers, je finirai bien par en parler...). Si le motif principal de ces décors peints sur les ruches paraît le besoin de les identifier et de les embellir, ainsi qu'une revendication de type identitaire ethno-culturel, j'ai lu avec plaisir dans le livre de Claude Rivals que ce dernier n'excluait pas l'hypothèse que les peintres faisaient ces décors aussi pour les abeilles, qui paraît-il, sont sensibles à la couleur et reconnaissaient ainsi leurs ruches, évitant de fâcheuses "dérives" (les abeilles seraient-elles situationnistes ?)... 
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La zone où l'on trouve des ruches aux frontons décorés est entourée d'un trait noir continu (carte datant de 1980, époque de l'ancienne Yougoslavie ; extraite de l'ouvrage de Claude Rivals)

     Les chercheurs spécialisés sur la question, comme l'auteur du catalogue qui est paru à l'occasion de cette exposition, Mme Ida Gnilsak, ont repéré que le premier fronton peint, une Vierge liée à un pélerinage dans la montagne, datait de 1758 (et donc que le phénomène a commencé au XVIIIe siècle, apparemment à la suite d'un spécialiste de l'apiculture, Anton Jansa) . Voici le fronton à la Vierge :

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     Mais la plupart des frontons décorés datent de 1820 à 1880. Leur production disparaît avec l'avènement d'un nouveau type de ruche. A les contempler, on retrouve des thèmes religieux et profanes (fifty-fifty) que l'on a déjà vus ailleurs (les thèmes chrétiens sont internationaux).

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Lapidation de St-Etienne

    Quoique... Cette iconographie possède ses thématiques historiques, ses interprétations de certains motifs folkloriques qui lui sont propres (le rapport à l'occupation napoléonienne, la vision des Turcs -qui n'ont fait que de brèves incursions en Slovénie à l'époque de l'expansion de l'Empire Ottoman- les luttes des héros nationaux, les rapports hommes-femmes, etc. Un thème m'a particulièrement intrigué. Plusieurs panneaux mettent en scène des personnages que les chercheurs identifient comme des tailleurs et qui sont aux prises avec un escargot géant qui le plus souvent les met en déroute.  Un panneau montre aussi un homme conduisant un gastéropode par une laisse.

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     Or, vue dans une collection privée, je connais déjà cette image. Un homme portant chapeau à plumet, en bois, de facture très fruste, tient en laisse un escargot (fait d'un méchant bout de bois et d'une vraie coquille d'escargot). Au pied de cette statuette, le mot "Strassburg" est inscrit. Cela veut-il dire que la statuette vient d'Alsace? Peut-être. Et qu'elle illustre elle aussi, comme le fronton de ruche slovène, un thème présent dans le folklore germanique (la Slovénie fut longtemps dominée par les Allemands et les Austro-hongrois)? On aimerait que des lecteurs nous renseignent sur la question...

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     Les tailleurs faisaient partie, selon Claude Rivals, des corporations d'artisans qui étaient souvent brocardés par les paysans, accusant leurs membres d'être des chétifs et des paresseux, d'où ces satires sur des individus  considérés comme si faibles et si peureux qu'un simple escargot suffisait à les disperser. On pense à Chaissac, éphèmère cordonnier sans clients, éternel maladif...

     Dans les thèmes populaires fréquents d'un bout à l'autre de l'Europe, on retrouve le thème du Monde à l'envers, avec ces animaux qui conduisent des carrioles tirées par des chiens alors que l'homme se prélasse à l'arrière, ou ces scènes de chasse où ce sont les gibiers qui ont tué le chasseur et le ramènent en procession triomphale.

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      On retrouve aussi le thème de la "guerre" des sexes, l'image archi courue des "âges de la vie" sous forme pyramidale, des faits divers (les livrets de colportage ont certainement leur importance sur l'inspiration de ces peintres locaux), des motifs xénophobes (méfiance et attitudes timorées du paysan à l'égard des nomades et des vagabonds...).

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Ruches de type "kranjic", exposition "Les frontons de ruches peintes" au Pavillon Davioud

       Ces panneaux avant tout narratifs seront à mettre en rapport avec les coutumes funéraires roumaines (je pense aux stèles sculptées par Stan Ion Patras au cimetière de Sapinta dans le Maramures) et aussi, par leur style, leur dessin, avec les panneaux décoratifs des charettes siciliennes (l'Italie est frontalière).

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(Fragment, vraisemblablement en provenance d'une charette sicilienne ; cet objet, ainsi que l'homme tenant en laisse un escargot, proviennent de deux collections privées distinctes)

    A signaler qu'à l'occasion de cette exposition, on trouve sur place un catalogue joliment imprimé avec de nombreuses illustrations (Voir ci-dessous).

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Pierre Sourisseau sculpteur de souvenirs en chemin creux

     J'ai découvert un nouveau site de création en plein air dû à un autodidacte encore en Vendée, dans le même département que celui d'André Pailloux, ce bon Pailloux qui est en passe de devenir célèbre désormais depuis que ses coordonnées ont été jetées  en pâture au public (inconsidérément, je ne le répéterai jamais assez).

 

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Autoportrait du créateur Pierre Sourisseau en chef de chantier, ph. Bruno Montpied, 2012

         Le monsieur qui l'a créé depuis déjà quelque temps, depuis qu'il a pris sa retraite de maçon (encore un), s'appelle Pierre Sourisseau. Ses terrains où il a semé diverses sculptures et peintures, ainsi que des textes,  se situent dans la région des Herbiers, dans les terres donc. On peut donner son nom, car son travail, son œuvre, qui tiennent à la fois du mémorialiste et de l'artiste, tantôt naïf, tantôt réaliste (au point d'en être ici et là presque kitsch), sont assez particuliers pour qu'on tente de leur faire un peu de publicité. De plus, il a déjà fait l'objet d'une courte évocation dans un magazine diffusé à l'intention des retraités "entre Sèvre et Loire", le magazine Racines (article n°221 de juillet 2011 dû à Yvelise Richard).

 

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Vue d'une partie du petit musée de Pierre Sourisseau, 2012, ph. BM

 

         Grosso modo, il y a trois zones d'intervention. La première est en intérieur, il s'agit d'un petit musée où dans deux pièces, situées dans un petit bâtiment en annexe de son habitation principale, on trouve des peintures, des sculptures, et des objets divers, des textes visant à fixer les souvenirs de l'auteur, notamment de sa participation à la guerre d'Algérie durant un an, dans l'Oranais. L'autre grand sujet qui fascine M. Sourisseau étant les guerres de Vendée, ainsi que les filiations qu'il entretient via la lignée de sa femme avec les acteurs vendéens de ces conflits de l'époque révolutionnaire, notamment avec un certain Charles Deslandes. Il a établi l'arbre généalogique de sa famille en lien avec cette histoire (arbre illustré d'un tableau naïf).

 

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Pierre Sourisseau, peinture dans son petit musée, scène de la guerre de Vendée, ph.BM, 2012

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Pierre Sourisseau, souvenir de la guerre d'Algérie

 

      Un parallèle curieux entre ces deux séries d'événements s'est esquissé par la suite en moi lorsque je revisitai les photos que j'ai faites de ces œuvres. C'est étrange comme les soldats républicains venant menacer les paysans vendéens dans certaine peinture de Sourisseau paraissent ressembler aux soldats français face aux Arabes d'Algérie. Il s'agit de semblables affrontements de soldats de l'état républicain face à des populations indigènes qu'il s'agit de mettre au pas. Pourtant, dans l'esprit de M. Sourisseau, ce parallèle est loin d'être patent, m'a-t-il semblé, Quoiqu'il ne m'ait pas donné son opinion à l'égard de la guerre à laquelle il avait participé ("sans tuer personne", ajouta-t-il tout de même, et fréquemment, pendant nos entretiens).

 

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Le jardin de M. Sourisseau, au premier plan Charles Deslandes, l'ancêtre de la famille, le cavalier à l'arrière-plan, le Chevalier du Landreau, autre personnage historique régional et au loin, les bustes de Sarkozy et de sa femme Carla Bruni... Ph BM, 2012

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Pierre Sourisseau, Sarkozy et sa Carla, qui paraît représentée telle un pesant fardeau, ph. BM, 2012

 

     La deuxième zone concerne le jardin qui entoure sa maison et longe la route, d'où l'on peut apercevoir, si l'on ne passe pas trop vite, de la voiture, les quelques statues, point trop nombreuses, qui l'agrémentent avec sobriété.pierre sourisseau,environnements spontanés,archéologie naïve,guerres de vendée,guerre d'algérie

De haut en bas sur l'image ci-contre, Mitterrand, De Gaulle, Chirac, Sarkozy, Giscard, Pompidou, ph. BM, 2012

     La troisième zone s'étire sur près de 500 mètres, tout au long d'un chemin creux d'âge respectable, dont l'histoire fait rêver grandement l'auteur, qui passe devant sa maison et s'enfonce dans le bocage en direction d'une ancienne gare où allaient s'embarquer les appelés militaires, où passèrent aussi, à une époque encore plus ancienne, les Vendéens insurgés. Pierre Sourisseau, qui nous en fit faire la visite, tel un guide de monument historique, paraît toujours peu ou prou entendre les cliquetis des faux, ou des baïonnettes, ou les cris des hommes se pressant sur l'étroit et profond chemin chargé d'une histoire invisible à tout autre oeil que le sien.

 

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Pierre Sourisseau devant sa "hutte gauloise" sur le chemin creux, ph. BM, 2012

 

      Le chemin égrène sur une très grande longueur (originalité unique à ma connaissance) des statues, taillées directement dans le bois des arbres (naïves et visionnaires) ou modelées dans l'argile (très, trop, réalistes), des installations du genre écomusée, bricolées en plein air par cet historien autodidacte, des panneaux explicatifs, des installations plus ludiques aussi à l'intention de ses petis enfants (une fusée qui décolle à la manivelle un peu plus bas dans le chemin). On y évoque pêle-mêle les Gaulois, des saints chrétiens (St-Roch), les guerres vendéennes encore et toujours, des figures politiques (Sarkozy, Ségolène Royal, séquelles de la campagne présidentielle de 2007), certaines plus régionales (des maires locaux). De temps à autre, comme émergeant du fond d'une mémoire ancestrale plus païenne, des figures féériques ou fantastiques, hélas trop rares, poussent vers le spectateur leurs trognes ou leurs corps de racines, ce qui je dois bien l'avouer m'enchante davantage que tout le reste.

 

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Pierre Sourisseau, figure fantastique dans un arbre creux, ph.BM, 2012

 

      Pierre Sourisseau paraît ainsi hésiter, comme bon nombre d'autres autodidactes point trop sûrs de leur langage et déférents envers l'art savant, entre un réalisme de santons et un art naïf qui paraît d'emblée, en ce qui le concerne, correspondre pourtant à son langage naturel. Dans l'épaisse brochure de souvenirs qu'il a laissée derrière lui en 2008, il se recommande, comme pour asseoir une légitimité d'artiste qu'on pourrait lui contester puisqu'il n'a pas fait d'école, de l'enseignement et de l'appui d'un sculpteur local de monument aux morts, Yves Guiberteau. Parler de lui sur ce blog, qui est comme on sait acquis aux langages plus ingénus qui nous touchent davantage que les langages pompiers, pourra peut-être aider ce créateur original à choisir une voie plus en accord avec la langue féérique de la nature qui visiblement l'interpelle et nous enchante comme lui.

 

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Pierre Sourisseau, au bout du chemin creux, avec son "Tractosaure", voiture-arbre... qui fleurit encore, ph.BM, 2012

 

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L'éternel retour de Jacques Brunius

    Jacques Brunius fut un homme lié au surréalisme jusqu'à sa mort (1967), survenue au moment du vernissage d'une exposition collective surréaliste en Angleterre, pays où il s'était installé durant la Seconde Guerre Mondiale, et où il avait exercé au nom de la résistance aux Nazis la fonction de speaker à la radio (peut-être que certains des célèbres messages codés envoyés aux résistants de l'autre côté de la Manche ont été prononcés par lui). Il fut poète, collagiste, comédien, cinéaste, homme de radio, critique de cinéma. Il a exercé une influence considérable sur diverses personnalités du surréalisme, a aidé à découvrir toutes sortes de créateurs cinématographiques ou littéraires (il fut en effet aussi traducteur). Ce fut un "génial touche-à-tout", comme l'écrivit André Breton, avec qui Brunius resta ami jusqu'au bout. Un créatif qui fut aussi plus passionné de l'action créative que de la publicité à donner à cette action. Les rares exégètes (Lucien Logette, Jean-Pierre Pagliano) qui se sont penchés sur son cas ont eu bien du mal à retrouver des archives qui pourraient aider à reconstituer son parcours complet dans les diverses formes d'action artistico-littéraire où il s'exerça.

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Jacques Brunius (en haut de l'escalier), André Delons, Colette Brunius, photo Denise Bellon, 1936 ; extraite du catalogue "Avec le facteur Cheval", Musée de la Poste  

 

       Il m'intéresse moi aussi depuis plusieurs années. J'ai eu l'occasion de revenir sur son rôle précurseur dans la découverte des créateurs autodidactes populaires dans les années 20-30 bien avant que Dubuffet n'arrive avec son "art brut". On commence à savoir en particulier qu'il fut l'auteur du merveilleux Violons d'Ingres (1939), où l'on voit entre autres des images du Palais Idéal, des rochers de l'abbé Fouré, ou de l'atelier du douanier Rousseau, et qui a été réédité en bonus dans le DVD "Mon frère Jacques", excellent documentaire de Pierre Prévert sur Jacques. 

Mon frère Jacques avec dans les bonus le film de Brunius, Violons d'Ingres.jpg 

      C'est peut-être à Brunius que l'on doit la reconnaissance par les milieux intellectuels (surréalistes en tête) du Palais Idéal du modeste facteur Ferdinand Cheval (j'écris "peut-être" car je suis plus prudent que Jean-Pierre Pagliano qui affirme sans ambages - notamment dans le livret du DVD "Mon frère Jacques" - que c'est Brunius qui a fait découvrir le Palais aux surréalistes ; nous n'avons pas de preuves écrites de ce fait à ma connaissance, et cela reste une supposition, plausible, mais une supposition quand même).

 

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       Voici qu'après l'exposition intitulée "Avec le facteur Cheval", qui s'était tenue en 2007 au Musée de la Poste (voir ici la note assez longue que je lui avais consacrée en son temps), on annonce (merci à Roberta Trapani de me les avoir signalées) deux journées de "films, rencontres et visite" intitulées "Jacques-Bernard Brunius et le facteur Cheval". Elles sont prévues pour le vendredi 15 et le samedi 16 cotobre dans la ville de Valence dans la salle du Lux (scène nationale). Demandez, en cliquant sur ces mots qui suivent: le programme... La manifestation est organisée conjointement par le Palais Idéal de Hauterives et Eric Le Roy, chef du service valorisation et enrichissement des Archives Françaises du Film/CNC, ce dernier monsieur étant aussi l'agent du fonds Denise Bellon, cette photographe connue qui photographia le Palais Idéal dans les années 30 pour Jacques Brunius (elle était sa belle-soeur), ce dernier ayant aussi réalisé des photos du Palais dans le but entre autres de faire un livre chez José Corti, projet qui n'alla pas jusqu'au bout.

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Jacques Brunius, croqué par Maurice Henry, dessin reproduit dans le livre de Jean-Pierre Pagliano, Brunius (toujours disponible aux éditions L'âge d'Homme)

     Ces journées vont être l'occasion pour ceux qui pourront s'y déplacer de voir en particulier quelques films rares de Brunius, comme, en plus de Violons d'Ingres, Autour d'une évasion (ce court-métrage de 1931, où apparaît le bagnard anarchiste Dieudonné, a été restauré récemment par les Archives Françaises du Film ; Jean-Pierre Pagliano a signalé que le film avait été fait à partir d'éléments ramenés de Guyane par un certain "marquis de Silvagni" et Isabelle Marinone de son côté, dans la revue Réfractions n°11 (2003), a précisé que Brunius avait en fait repris un scénario de Jean Vigo qui s'intéressait beaucoup à ce Dieudonné que l'on avait accusé de faire partie de la Bande à Bonnot). On pourra également voir Sources noires (un "documentaire artistique" de 1937 au commentaire signé Robert Desnos) ou encore Records 37. Une rencontre est prévue avec Eric Le Roy, Christophe Bonin, Lucien Logette et Jean-Pierre Pagliano.          

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A gauche le Brunius par J-P. Pagliano ; à droite le livre de Brunius "En marge du cinéma français" (1954) réédité à l'Age d'Homme en 1987, dans une présentation annotée et commentée par le même Pagliano

 

Sur Jacques Brunius, voir aussi Bruno Montpied, « Violons d’Ingres, un film de Jacques Bernard Brunius », Création franche n°25, Bègles, automne 2005. 

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10/10/2010 | Lien permanent

Marcello Cammi: une oasis de plus qui disparaît

  

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Signature de Cammi au verso de ses dessins: "M Cammi Bordighera col vino unico al mondo" ("Cammi Bordighera avec du vin unique au monde"), 1988

    Ah, quel homme c'était ce Marcello Cammi, plus vieux communiste qu'"anarchiste révolutionnaire" comme il a été dit quelque part par quelqu'un de mal informé. Vieux "coco" avec la langue pas dans la poche, vieux socialiste partageux plutôt, pour éviter toute confusion...e34ac15898a4e70d951024906af4e89b.jpg

Marcello et Vittoria Cammi, photo site web Artsens   

     Il vivait à Bordighera sur la Riviera italienne, où de façon improbable il avait créé un jardin de sculptures étonnant qui s'annonçait de la rue sous le terme générique de "Galleria d'Arte". Une galerie d'art en plein air, du moins pour les sculptures, car il faisait aussi des peintures qui étaient abritées dans un petit atelier. Des peintures et des dessins sur taches de vin qu'il interprétait au stylo, renouvelant la leçon de Vinci, son vieux prédécesseur, qui enseignait de regarder les murs aux taches de lèpre pour faire travailler l'imagination graphique ou picturale.7fd79410a7e7d0aada4a820a41fa9a1e.jpg C'était improbable, surtout pour un Français qui venant de la richissime Côte d'Azur, laissait derrière lui palais, yachts, et grands hôtels luxueux. Tomber sur une friche pareille, hérissée d'oeuvres rugueuses et noyée dans une végétation de jungle vineuse (la treille envahissait presque tout le jardin) tenait du mirage.

    J'étais tombé dessus par Raymond Dreux, cet artiste un peu hippie, disparu récemment (en 2005), qui avait fondé un temps du côté de Laurac-le-Grand  (prés de Castelnaudary) un musée de l'Imaginaire sans Frontières, avec des artistes singuliers comme son amie Ciska Lallier. Au téléphone, fort enthousiaste, il m'avait parlé de "40 000 statues" façonnées par Cammi sur son petit territoire -rien que ça! (en réalité cela devait tourner plutôt à quelques centaines)-, le tout réparti sur les deux rives d'un petit torrent canalisé qui avait, qui a toujours, pour nom le rio Sasso.

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La passerelle créée par Cammi, avec Raymond Dreux sur la rive droite, fantôme de l'autre côté du pont... (Photo B.Montpied, 1990)

    J'ai raconté dans le Bulletin de l'Association des Amis de François Ozenda d'abord (n°41, juillet 1990), puis dans Raw Vision (n°6, été 1992 ; photos de Pierre Marquer; traduction en anglais de Peter Wood, ce qui ne fut pas signalé dans la revue, malgré ma demande), ma visite à ce jardin. Elle se passa sous la pluie, un comble pour cette région bénie des dieux habituellement côté météo, ce qui rendit mes photos sombres et un poil trop floues. Je revois ce souvenir aujourd'hui dans un brouillard de mémoire qui se mêle à une atmosphère vaporeuse, l'eau tombée du ciel s'élevant du sol sous l'effet de la chaleur. Il faisait moite dans ce jardin, et il fait désormais éternellement moite dans le souvenir que je garde de cette jungle vinassouse.

 

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     Marcello Cammi, ultra cordial et exubérant, baragouinait un langage fait d'un mélange d'italien et d'emprunts à d'autres langues pour essayer de me transmettre toutes sortes de propos qui lui paraissaient importants de transmettre. Il paraissait avoir été déporté à Mauthausen, il en gardait bien entendu une souffrance, il ne pouvait oublier les autres déportés qui étaient restés là-bas, il les avait sculptés sur les rives du rio Sasso, comme émergeant du limon, comme s'ils revenaient pour crier qu'on ne les oublie pas, rampants pathétiques.

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    Les statues de Cammi étaient pour la plupart couleur de terre, et sous l'humidité de ce jour-là,  couleur de rouille. Par moments, elles prenaient même des allures fécales. Elles se pressaient dans le petit espace au bord de la rivière, par-dessus laquelle Marcello avait eu la bonne idée de jeter une passerelle dont les balustrades des deux côtés étaient constituées de personnages, certains faisant des sortes de ronds de jambe.

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Photos B.Montpied, 1990

      C'était un site comme une petite île au milieu du cancer urbain désordonné de la ville, l'un des plus étonnants qu'on n'ait jamais vu en Europe. Une oasis au vrai sens du terme si l'on songe qu'il était entouré des vestiges d'une palmeraie.  Commencé  vers 1952, il s'acheva avec la mort de l'auteur en 1994. Les problèmes de pérennité du lieu commencèrent dès lors à se poser. Sa veuve Vittoria ne pouvait à elle seule protéger le lieu qui appartenait à la commune. Cette dernière ne faisait rien pour sauver le site. Le rio Sasso, encombré en amont de divers débris, déborda plusieurs fois ces dernières années. Les sculptures en pâtirent bien évidemment. Jusqu'au jour où une crue plus dramatique que les précédentes se chargea de faire table rase de ce qui restait. La passerelle fut emportée et avec elle, la plupart des statues furent détruites. Des lecteurs italiens de ce blog, Gabriele et Francesca Mina, m'ont envoyé quelques photos récentes montrant les vestiges encore en place. Presque rien.

   
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Photos Gabriele et Francesca Mina, vers 2007 
  

 Une petite trentaine de sculptures seraient conservées par la commune, qui sur un site, montre quelques oeuvres, sculptures et peintures. J'ai également appris que la Fabuloserie avait également pu récupérer quelques oeuvres en 2001. Des Français, venus revoir le site qu'ils aimaient, ont été arrêtés par la police locale alors qu'ils avaient enfourné dans leur voiture des statues qu'ils voulaient simplement sauver... Geste désespéré que je comprends, que nous devrions tous comprendre! Car, pourquoi des oeuvres d'art, jetées à la mer suite à  l'indifférence communale, devraient-elles rester propriété des vandales?

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Photo B.Montpied, 1990

     Un site de plus qui disparaît... Il reste comme toujours à garder sa mémoire. Gabriele et Francesca Mina en particulier veulent faire un ouvrage sur les environnements de Ligurie, dont le jardin de Marcello Cammi (leur adresse e-mail que je suis autorisé à transmettre: gabrielemina@hotmail.com). Si vous avez des documents sur le jardin, de n'importe quelle époque, vous pouvez contacter ce blog (voir e-mail indiqué ci-joint dans la colonne de droite).

      On consultera pour plus de photos l'album que je mets en ligne à partir d'aujourd'hui (Voir également colonne de droite)

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