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Nous en étions au 37e confinement.... (Une vision de Pierre Chevrier)
"Nous en étions au 37è confinement…Onze ans !...Depuis onze ans périodiquement l’Etat imposait des temps plus ou moins longs où on ne devait pas quitter le domicile, et les conditions devenaient de plus en plus contraignantes à chaque fois ; car, après chaque dé-confinement, l’épidémie reprenait de plus belle et se renforçait, avec son lot de victimes ; le traitement était devenu une course à l’échalote, car le virus mutait très rapidement, rendant obsolète tous les vaccins qui avaient été mis en œuvre. L’application du dernier confinement datait de plus de deux ans, et cette fois, tout le monde était convaincu que la vie sociale ne reprendrait plus ; les gens s’étaient résignés à fonctionner en autonomie dans les villages.
Chez nous, au début, on avait relié les maisons entre elles par des tunnels de fortune, un peu par amusement, juste histoire de braver les directives en allant chez les voisins porter quelques boissons ou échanger quelques plats ; ou jouer au tarot. Avec le temps, le système s’était perfectionné et on avait consolidé les passages, qui devinrent partie intégrante de nos habitations. De confinement en confinement, comme il nous semblait acquis que la situation mondiale ne pourrait
pas s’améliorer, on avait donc fini par construire des passages en dur ; et même, en creusant le sol (ce qui est particulièrement difficile par ici) des boyaux de communication qui nous mettaient hors de vue des brigades de surveillance, qui d’ailleurs arrêtèrent vite de circuler..."
Pour lire la suite, on peut cliquer là dessus... : Pierre Chevrier VENTILATION 3.pdf
Bruno Montpied, Ecroulement du masque, 31 x 23 cm, 2020.
13/04/2021 | Lien permanent
Quatre personnages de pierre volcanique (enfin... trois seulement)
Ça y est, se dit le lecteur de ce blog, le sciapode commence à voir des Barbus Müller/Rabany partout? Non, non, rassurez-vous, les quatre personnages ci-dessous, dont un correspondant clermontois (tiens, tiens, en Auvergne, là aussi, comme Antoine Rabany, autrefois (au début du XXe siècle) à Chambon sur Lac), m'a envoyé récemment la photo, n'ont absolument rien à voir avec les fameux Barbus rabanesques. Qu'on s'en avise plutôt:
Quatre sculptures trouvées à Clermont-Ferrand par un antiquaire ; la plus claire ne paraît pas de la même roche que les autres, à l'évidence.
Comment résister aux interprétations qui se pressent en l'imagination, suscitées par nos mémoires saturées de références, devant de telles œuvres anonymes (aucune marque, sur ou sous ces pierres, à ce qu'il paraît)? On est bien souvent tenté de les croire venues d'un autre âge, l'âge de pierre, l'âge de l'archaïsme, peut-être même de régions de la Terre bien loin de nos contrées, et pourquoi pas l'Extrême-Orient? Ils tirent en tout cas vers un certain réalisme, ils ont des corps quasi complets, des vêtements (jusqu'à des cravates?), des attributs pileux marqués, un air de venir, au final, non loin de chez nous tout de même, et d'époques pas si lointaines.
Car les collectionneurs n'admettent pas toujours qu'ils puissent avoir affaire à un autodidacte qui habite près de chez eux, un Primitif que nous préférons ignorer, passer sous silence, parce que ce qualificatif se doit de rester applicable à un être exotique, ravalé à un être primaire, pas aussi développé intellectuellement et culturellement parlant que l'individu occidental. Et pourtant, des oeuvres stylisées de ce genre, avec l'art brut et l'art populaire, nous savons qu'il en existe, qu'il en a existé en nombre, les sculptures d'Antoine Rabany, de François Michaud dans la Creuse – de Joseph Barbiero (1901-1992) lui-même qui vivait il n'y a pas si longtemps, durant le dernier siècle, en banlieue de Clermont, et que l'on a classé dans l'art brut – étant là pour nous en fournir des exemples.
Sculptures de Joseph Barbiero prises dans l'escalier de sa maison à Beaumont (Puy-de-Dôme), ph. Bruno Montpied, 1990 ; le style était plus détaché de la perception rétinienne, on dérivait avec lui vers une figuration de plus en plus réinventée, donc bien éloignée de celle à l'œuvre chez l'auteur des quatre personnages en photo au début de cette note.
François Michaud, mascaron au-dessus d'une fenêtre de sa 1ère maison à Masgot (Creuse), ph. B.M., 2013.
Cela posé, je n'empêche personne de nous adresser des remarques si les quatre sculptures de la première image mise en ligne ci-dessus éveillent quelque écho pouvant faire progresser la connaissance de ces personnages. L'antiquaire qui les possède et moi-même en serions ravis.
02/11/2022 | Lien permanent | Commentaires (2)
Après le Gazouillis (6): Louis (et non pas ”Pierre”) Hodcent, par Darnish
De passage cet été dans le Perche avec Vanessa, on a fait un petit tour du côté de Beaumont-les-Autels pour jeter un œil au site décoré par Louis Hodcent¹. Sans connaître l’adresse exacte, en traversant ce joli village, c’est finalement sans difficulté qu’on est tombé dessus, puisqu’un ensemble de deux sculptures se montre bien visible depuis la route.
Jardin de feu Louis Hodcent, vu de la route, ph. Darnish, 14 juillet 2022.
Sur place, une femme était en train d’arroser le jardin, alors que le soleil déclinait en cette fin d’après-midi de juillet. Très accueillante, elle nous a spontanément invités à pénétrer dans le jardin, afin de pouvoir regarder l’ensemble de plus près. C’était la petite-fille de Louis Hodcent, rejointe sans tarder par sa mère, la fille de Louis Hodcent, donc. Dans le jardin, ne subsiste aujourd’hui qu’un groupe de trois personnages, tournés vers la rue, qu’on aperçoit depuis le trottoir, et une femme en robe rouge située au fond du jardin devant un cabanon. Les sculptures, en ciment, sont grandeur nature et repeintes de temps en temps, si bien qu’elles ne paraissent pas si anciennes.
Louis Hodcent, statues entretenues et repeintes (avec sensibilité, je trouve, car pas trop "ripolinées" comme ailleurs), ph. Darnish, 14 juillet 2022.
Autour d’un verre aimablement offert et partagé, nous avons appris que Louis Hodcent est né en 1906, « l’année où Blériot a traversé la Manche », comme il aimait à le rappeler, et mort en 1986.
C’était un paysan. On voit son ancienne ferme, aujourd’hui reconvertie en habitation, depuis l’actuel jardin et la maison qu’il a intégrée avec sa famille, à sa retraite. Il y faisait un peu d’élevage, y vendait de la crème, des œufs, du lait... Une vie modeste en somme. D’après sa fille, il aurait fait les deux guerres, le Chemin des Dames, très jeune, et la ligne Maginot ensuite, et, comme c’est souvent le cas, il était avare de commentaires sur ces deux expériences.
C’est à la retraite, vers 1974/1975, qu’il s’est mis à investir le jardin. Sur quelques photographies argentiques d’époque, que sa fille nous a gentiment montrées, on constate que le jardin était beaucoup plus travaillé, louchant nettement plus du côté de l'"environnement".
Louis Hodcent, son jardin dans les années 1970, archives familiales.
Une profusion de fleurs, mais aussi de petits champignons en ciment multicolores, bordant les allées, donnaient même à l’ensemble un côté psychédélique ! Les petits champignons, se brisant avec le temps, trop difficiles à entretenir, ont aujourd’hui disparu. Le jardin est toujours fleuri, toujours très joli mais plus simple. Les sculptures par contre sont toujours bien présentes et, comme je l’ai déjà dit, entretenues avec soin.
Elles se composent d’un ensemble de trois personnages de facture naïve : deux paysans attablés tranquillement dans le jardin portant, l’un une casquette et l’autre un chapeau, « comme dans le temps », nous a précisé sa fille, semblent faire une pause, en partageant un verre de vin, du pain et du saucisson. Ils sont tournés vers la rue, comme pour regarder les gens qui passent, et les saluer éventuellement, me rappelant l’attitude qu’on peut avoir, profitant d’un repos bien mérité, à la terrasse d'un bistrot, certains soirs... Ils ont l’air heureux. A leurs côtés, se tient une femme debout, en tenue de paysanne elle aussi, un panier sous le bras. A l’époque, il y avait un canard dans le panier, mais il s’est cassé et a disparu. L’ensemble est fait en ciment, le pain et le saucisson compris. Seuls la bouteille de vin et le verre que les deux personnages tiennent dans leurs mains sont de vrais objets qui, quand ils cassent à cause du gel, sont remplacés. Un petit fil de fer dissimulé dans chaque main favorise leur stabilité.
Plus au fond du jardin, se trouve un personnage bien différent mais de même facture, sorte de femme fatale aux airs d’Ava Gardner. Elle aussi en ciment, portant une robe rouge voyante, elle se tient debout. A l’époque elle tenait une ombrelle dans sa main, une véritable ombrelle, dont le manche venait se nicher dans un trou aujourd’hui vide. En la regardant de près, on constate que Louis Hodcent a apporté un soin tout particulier à sa poitrine dont le décolleté, vu du dessus est particulièrement plongeant ! De l’aveu de sa fille, Louis Hodcent aurait bien voulu peupler son jardin d’autres femmes de ce style, désirant même en façonner quelques-unes nues... mais ça n’était pas au goût de sa femme, et il s’est abstenu...
Louis Hodcent, le décolleté invitant l'œil à une "plongée", détail de la photo ci-dessus de Darnish, 14 juillet 22.
Voici donc les quelques informations supplémentaires glanées durant cet été caniculaire sur ce site répertorié dans le Gazouillis des Éléphants qui, d'ailleurs, nous a ici servi de guide.
J’ajoute que la fille et la petite-fille de Louis Hodcent se sont montrées favorables à la rédaction de cette note.
Darnish, septembre 2022.
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¹ Dans mon Gazouillis, j'avais répercuté ce prénom de "Pierre", accolé à Hodcent, par erreur, abusé par la propre erreur de l'animateur d'un "site-web-qui-ne-voulait-pas-être-cité" où j'avais découvert ce petit environnement populaire. Je rends grâce à Darnish et Vanessa d'être allé vérifier ce qui restait sur place. On a ainsi rendu à César – ou à Louis, en l'occurrence – ce qui lui appartient. (Bruno Montpied)
18/10/2022 | Lien permanent
Pierre Caran, Demin, Pascal Hecker, Bruno Montpied, un carré magique tout le mois de novembre à la Halle St-Pierre
De temps en temps, ça fait du bien de se tresser des lauriers tout seul...
Sur ces quatre-là, trois sont des artistes intimistes (Caran, Hecker, Montpied), le quatrième, Demin, étant plutôt du genre hyper-actif à exposer tous azimuts. Ici, j'en parlerais moins, que l'on veuille bien se reporter à une ancienne note de ce blog où j'avais dit tout le bien que je pensais de lui. Caran, j'en ai aussi déjà parlé, certaines oeuvres de lui à cette expo au rez-de-chaussée de la Halle Saint-Pierre viennent de la récente expo qui s'est tenue à l'Usine, boulevard de la Villette, d'autres sont inédites (la majorité en fait).
Exposition au rez-de-chaussée de la Halle St-Pierre, avec à gauche le mur consacré à Demin et à Pierre Caran dans son prolongement, et, plus à droite, le début du mur avec des Montpied (14 œuvres). Photo Bruno Montpied, 2019
Pascal Hecker, c'est l'un des deux libraires de la Halle, qui en 33 ans de bons et loyaux services, a été constamment aux petits soins avec le public, les visiteurs et les artistes, éditeurs, écrivains qui passent dans ce centre culturel essentiel à la culture atypique parisienne. Ce médiateur, dévoué à tous donc, n'avait jamais osé demander à bénéficier des murs de cette Halle pour montrer ses collages picturaux discrets, secrets, intimes, manifestant pourtant plastiquement sa précieuse sensibilité d'amoureux de la poésie écrite et visuelle.
A droite, deux murs pour Pascal Hecker, et un peu de Montpied à gauche. Ph. B.M., 2019.
Quant à moi, votre serviteur, j'ai eu plus souvent le privilège d'exposer dans ce lieu que j'aime profondément, vers qui je vais en voisin qui plus est. Je suis un artiste montmartrois, en fait, sans rien à voir avec les rapins d'antan à lavallière et grand chapeau noir, écharpe rouge...
Bruno Montpied, Le culbuto sauvage, 31 x 23 cm, 2017. Ph. B.M.
Cette fois, je présente des oeuvres sans les proposer à la vente (du moins, si quelqu'un se montrait intéressé, on pourra toujours voir par la suite...), avec en effet l'idée de ne présenter cette fois que des oeuvres que je garde pour une bonne part par devers moi, parce que particulièrement chéries, ou des oeuvres qui par leur taille seraient peut-être difficiles à négocier.
Bruno Montpied, La double veille, 31 x 23 cm, 2017. Ph. B.M.
L'exposition dure tout le mois de novembre, à la Halle Saint-Pierre, rue Ronsard dans le XVIIIe ardt, à Paris, au pied de la Butte Montmartre. Le vernissage a lieu le jeudi 7 novembre à partir de 18h30. Plus de renseignements? Suivez ce lien....
02/11/2019 | Lien permanent | Commentaires (2)
”De bric de broc”, exposition au musée d'art naïf et singulier de Laval
Affiche de la nouvelle expo du musée d'art naïf et d'arts singuliers de Laval (on notera le pluriel désormais attaché par les responsables du musée de Laval à "art singulier"), 26 mars au 27 septembre 2016
C'est une "exposition-dossier" à laquelle nous convient Antoinette Le Falher, directrice des musées de Laval, et ses collaborateurs, conçue pour mettre en valeur, hors de la collection permanente, des œuvres confectionnées à base de matériaux recyclés ou détournés, comme les galets peints que l'on voit sur l'affiche ci-dessus et dont je ne reconnais pas l'auteur (Alain Pauzié peut-être?).
Pierre Albasser dessin sans titre de 2007
On retrouvera ainsi, entre autres, sur les cimaises du musée du Vieux-Château, Pierre Albasser, dessinateur et peintre sur cartons alimentaires exclusivement, Jean-Louis Cerisier, régional de l'étape (dans la section petits papiers consacrée aux œuvres faites de collages), Youen (Yves) Durand, un formidable mosaïste autodidacte populaire dont quelques tableaux ont fait le déplacement depuis le Finistère (voir ci-contre "Bellorophon monté sur Pégase terrassant la chimère", titre aimablement communiqué par Mme Durand de l'Association des amis de Y.D.), Alain Lacoste et ses "bri-collages" (voir ci-dessous), Bruno Montpied (deux œuvres en collage là aussi, une "orthodoxe", faite seulement de photos découpées – assez ancienne puisqu'elle date de 1983, elle est intitulée Le Fakir – et une en "technique mixte" de 1999, intitulée La voix du mauvais sang, voir ci-dessous), Léopold Jean-Jean (un Naïf cette fois, autrefois défendu par Anatole Jakovsky, connu pour ses tableaux de bateaux en relief fort rugueux et quasi bruts, voir ci-dessous un paysage maritime exposé à De bric de broc), Noël Fillaudeau, avec certains de ses objets constitués d'agglomérats de matières hétéroclites (il est par ailleurs connu pour ses "métamorphoses" (peintures sur photos de magazines ; voir ci-dessous), Anselme Boix-Vives, Sabine Darrigan, Nicolae Popa, créateur populaire avant tout sculpteur et assembleur je crois, fort connu et estimé en Roumanie où un musée lui est consacré (voir ci-dessous le masque à l'expression bien grotesque qui est présent dans l'expo de Laval), François Monchâtre, connu pour sa série des "Crétins" et ses machines "automaboules", Alain Pauzié connu pour peindre sur des semelles, etc... L'exposition sera l'occasion de faire également des découvertes de créateurs moins connus, comme par exemple les paysages en assemblages de matériaux composites d'un certain Léon Chimisanas.
Alain Lacoste, le pont d'Art-Colle, 2005, collection permanente du musée d'art naïf et d'arts singuliers de Laval, ph. Bruno Montpied, 2011
Noël Fillaudeau, sans titre (série des "Métamorphoses"), peinture sur page de magazine, 10x17 cm env., vers le milieu des années 1990, coll. et ph. B.M.
Le carton d'invitation à l'inauguration, qui aura lieu le samedi 2 avril à 15h30, annonce la prise de parole de "personnalités du monde de l'art singulier". Sont ainsi annoncés (sous réserve): Didier Benesteau (pour parler d'Alain Pauzié et Jean-Joseph Sanfourche), des membres de l'association Youen Durand, Pierre Albasser, Douce Mirabaud et moi-même.
Bruno Montpied, La voix du mauvais sang, collage et technique mixte sur papier, env. 24x32 cm, 1999, coll. Musée d'art naïf et d'art singuliers de Laval ; cette œuvre figure dans l'exposition De bric de broc
28/03/2016 | Lien permanent | Commentaires (3)
Mirabilia s'affiche à la Halle St-Pierre le 6 mai
23/04/2012 | Lien permanent
Les perles n'en finissent plus de tomber, Jean-Pierre Le Goff est mort
Depuis quelques années déjà, nous ne recevions plus ses petits papiers où il nous invitait à chaque fois à réenchanter un carré de trottoir, l'orée d'un bois, un moment de la vie : je viens d'apprendre la mort de Jean-Pierre Le Goff, survenue lundi 26 février. Il sera enterré au cimetière Ploaré à Douarnenez demain [jeudi 1er mars], à 14 heures.
Sa mémoire l'avait quitté. Il ne quittera pas la nôtre.
Encore un ami qui s'en va, nous privant d'un peu de nous-mêmes.
Joël Gayraud
*
Si je peux me permettre de rajouter quelques lignes après l'hommage ci-dessus, moi qui ai eu il y a bien longtemps un soupçon de correspondance avec Jean-Pierre Le Goff, j'ai retrouvé cette citation que Jean-Pierre m'avait envoyée, relative à un projet de revue à quatre que nous avions seulement esquissé avec d'autres amis, projet qui ne réussit jamais à aboutir (inventée par le poète franco-irakien Abdel-Kader El Janaby, elle aurait dû s'appeler Quatrain, devait être rédigée par quatre auteurs, qui avait la responsabilité chacun de quatre pages, un auteur laissant la place à chaque numéro à un nouvel arrivant... L'idée était belle, las! Rien ne put se mettre en place...). C'est le dernier mot que je reçus de lui (vers 1984). Cette citation prend aujourd'hui un sens autre, au regard de sa disparition, coïncidence qui l'aurait peut-être retenu:
"Alors on se dit que le petit frisson est passé, et l'on pense déjà que la soirée est achevée quand, de nouveau, un quatrain vole dans la salle, nous enchaîne, allonge les volutes de ses voyelles et s'arrête net, ayant été jusqu'au bout de son pouvoir, nous laissant médusés, affamés encore de son charme, tandis que de l'autre côté du détroit, j'aimerais que ne désespère pas de m'attendre, dans sa maison de bois, quelque ami à venir."
(Les échelles du temps, Jacques Bussy, p.48, Fata Morgana, 1984).
*
Et je rajoute ici ce supplément que Joël Gayraud nous a adressé aujourd'hui:
"Voici une bibliographie, forcément incomplète étant donné le grand nombre de textes non publiés à ce jour, de l'œuvre de Jean-Pierre Le Goff:
Ne voir que du bleu (Arabie-sur-Seine, 1983), Journal de neiges, avec deux dessins de Jean Benoît (Le Hasard d'être, 1983), Lettre Sépia (AKEJ, 1984), Les Remparts de Brouage, avec un collage de Véronike Keczkowska (Orbe, 1984), Sur le tas (s. l., La Petite Chambre Rouge, 1984), Rutilance du trésor (Lille, A. Buyse, 1987), Le Cachet de la poste, feuilles volantes, préface de Jacques Réda (Gallimard, 2000), Du crayon vert (Au Crayon qui tue, 2001), L'Ecriture des fourmis (Au crayon qui tue, 2003), Les Abymes du Titanic (Au Crayon qui tue, 2006), Catalogue de fils à plomb offerts à Jean-Pierre Le Goff (s.d.)."
Recueil de Jean-Pierre Le Goff édité par moi à l"enseigne de "la petite chambre rouge", qui se voulait un supplément à la petite revue littéraire, La Chambre Rouge que j'auto-éditai entre 1982 et 1985. "Sur le tas" date de 1984 (il comportait en frontispice un petit dessin de BM représentant un sablier).
On peut déjà y ajouter aussi le texte de Le Goff, paru dans le n°12 de Viridis Candela (1 gidouille 130 EP, vulg. 15 juin 2003), carnet trimestriel du Collège de 'Pataphysique, p.49 à p.64, "L'Affaire des Plaques": sur les fausses plaques commémoratives qui fleurirent un moment sur divers murs d'immeubles à Paris, apposées par deux personnes restées anonymes, plaques qui disparurent partout subitement (avis aux lecteurs, qui aurait un ou plusieurs clichés de ces plaques?). Il y a probablement beaucoup d'autres textes de Jean-Pierre Le Goff publiés dans les revues du Collège.
(Il n'y a pas du reste que dans les publications du Collège de 'Pataphysique que l'on peut dénicher des textes de Jean-Pierre Le Goff : pour mémoire je mentionnerais les revues Le Désir libertaire, Camouflage, Le Château-Lyre, Surr, Empreintes et j'en oublie bien évidemment . JG)
PS: On pourra aussi se référer à cette note parue sur l'Alamblog d'Eric Dussert, qui contient un texte de Stéphane Mahieu. Et aussi à celle-ci, publiée sur le blog de la revue Nouvelles Hybrides d'Etienne Cornevin. Et encore ces deux dernières: http://nouvelles-hybrides.fr/wordpress/?p=3860 et http://nouvelles-hybrides.fr/wordpress/?p=3862, qui contiennent entre autres, pour le dernier, un texte de Bruno Duval. Nouvelles Hybrides annonce du reste, et on peut lui faire confiance étant donné sa "puissance de feu", une série d'études sur Jean-Pierre Le Goff.
29/02/2012 | Lien permanent | Commentaires (5)
L'art hors-les-normes italien, une nouvelle exposition à la Halle Saint-Pierre
Le printemps sera italien cette année. Du moins en ce qui concerne l'actualité des événements concernant la planète des arts bruts, naïfs ou populaires. C'est fait personnellement pour me plaire, étant donné les informations que j'ai souvent mises en ligne ici même sur le sujet.
Affiche de l'expo, Les "portes" de Francesco Nardi, coll privée, © Halle St-Pierre
"Banditi dell'arte" est le titre choisi par Martine Lusardy avec Gustavo Giacosa, commissaire désigné de l'exposition (j'ai déjà mentionné son nom en divers points de ce blog). C'est joli, ça fait bien ce titre, c'est offensif, les "bandits de l'art", mais est-ce bien tout à fait juste?... Les organisateurs de l'expo se fondent sur le fait que des travaux et des objets venus de collections historiques à la fois psychiatriques et carcérales, comme le musée Cesare Lombroso, le musée d'anthropologie de Turin et l'hôpital San Lazzaro de Reggio-Emilia (musée d'histoire de la psychiatrie) ont prouvé depuis longtemps le regard criminalisant qui fut porté sur certaines figures populaires créatives. Lombroso par exemple, au XIXe siècle, cherchait à mettre en évidence, en collectant tous les documents et objets possibles produits par des "criminels", l'origine innée de cette criminalité. Il allait jusqu'à trouver des traits physiques susceptibles d'être des marqueurs de la dangerosité des individus. Il lia folie, génie et criminalité, exerçant ainsi une influence notable sur les théories réactionnaires qui apparurent après lui, critiquant les avant-gardes artistiques (théories qui débouchèrent sur l'exposition nazie "d'art dégénéré" de 1933 en Allemagne, où furent mêlés œuvres expressionnistes, surréalistes, et travaux d'internés de la collection Prinzhorn, internés dont certains, comble de l'horreur, furent mis à mort par la suite dans les hôpitaux allemands).
Francesco Toris, Le Nouveau Monde, © Musée d'Anthropologie de Turin ; A noter qu'il manquerait selon Maria Teresa Dolfin, "découvreuse" de l'œuvre en 2002-2003, une pièce sculptée importante sur cette pièce, une "Chimère", que Toris considérait comme "la pièce maîtresse de son œuvre"
L'expo est construite ainsi en deux parties. La première donc, avec des travaux venus de ces collections –dont j'attends personnellement de voir avec beaucoup d'impatience l'extraordinaire maquette architecturée, en os de bovins, de Francesco Toris, "Le Nouveau monde" (1899-1905), sorti des réserves du musée d'anthropologie de Turin, véritable Tour de Babel arachnéenne, dressée depuis l'ossement d'une existence saccagée (à l'âge de 33 ans, cet ancien carabinier fut interné en hôpital psychiatrique), qui fut présentée pour la première fois en 2002-2003 par la Collection de l'Art Brut à Lausanne–, sans oublier les travaux venus des ateliers d'art pour divers patients en souffrance, comme Blu Cammello à Livourne, La Maninca Lunga, à Crémone, la Tinaïa à Florence, etc...
Quelques numéros de la revue Arte Naive dirigée par Dino Menozzi (69 numéros publiés à Reggio-Emilia de1974 à 2002), qui s'ouvrit à partir du n°59 (1997) à l'art "outsider" ; on y parlait déjà de plusieurs créateurs qui sont présentés à l'expo Banditi dell'Arte, voir aussi la note que j'avais consacrée à la donation Menozzi à la Bibliothèque Panizzi
La seconde partie est constituée, au premier étage (traditionnellement consacré à la Halle, sous un éclairage plus naturel, à l'art "ouvert"), aux "insiders" populaires par opposition aux oeuvres du rez-de-chaussée, espace du marginal, des créateurs enfermés, à tous les sens du terme, exposées du coup dans un espace noir, sans lumière venue de l'extérieur, "des représentants de l'art populaire contemporain" (selon les mots du dossier de presse de l'expo). Ces créateurs nous sont présentés comme des indépendants vis-à-vis du système des beaux-arts traditionnels, créant une "contestation institutionnelle et culturelle" (là aussi, je trouve cela exagéré). On y retrouve des "portes détournées" par Francesco Nardi, des peintures de Pietro Ghizzardi (que l'on a vu récemment exposé chez Christian Berst), des sculptures de Luigi Buffo (sauvées par le Musée des Amoureux d'Angélique dans l'Ariège ; voir photo Bruno Montpied ci-contre), des sculptures de Joseph Barbiero (préférées aux dessins du même). Y sont également évoquées les figures, récemment mises en lumière dans le livre sur les environnements spontanés italiens de Gabriele Mina, Costruttori di Babele, (les Bâtisseurs de Babel, éd. Eleuthéra), de Luigi Lineri, Vincent Brunetti, Mario Andreoli, Maurizio Becherini ou encore Marcello Cammi, ce créateur d'un jardin empli de centaines de statues à Bordighera, que j'ai chroniqué dès 1990 dans le Bulletin des Amis d'Ozenda, puis dans Raw Vision, et sur ce blog aussi.
Le livre de Gabriele Mina récemment paru en Italie, avec la collaboration de divers auteurs (dont mézigue)
A noter que la galerie Rizomi à Turin consacre à partir du 16 mars prochain, et ce jusqu'au 22 avril une sorte de rétrospective consacrée à Cammi, dont les sculptures furent balayées par une inondation de la rivière qui passait au milieu de son terrain. Un catalogue de 80 pages paraît à cette occasion (qui reprend mon texte de 1990 sur Cammi, Hôtel angoisse et jardin bachique, entre autres documents, et cette fois traduit en italien). (Voir ci-dessous dessin de Cammi à partir d'une tache de vin, coll. BM, et un détail de son jardin disparu à Bordighera, ph. BM, 1990)
Beaucoup de noms de créateurs sont mentionnés sur le carton d'invitation à l'expo, beaucoup étant à découvrir, d'autres à retrouver comme Filippo Bentivegna (connu depuis très longtemps par la Collection de l'Art Brut et le livre de Michel Random, l'Art Visionnaire, paru en 1979), Giovanni Podesta ou Carlo Zinelli, tous deux fort connus dans l'Art Brut, d'autres encore à confirmer comme Bonaria Manca, souvent chroniquée entre autres par Roberta Trapani, ou encore Giovanni Bosco, Marco Raugei, Oreste Nanetti, etc., etc.
Francesco Borrello, Atelier La Maninca Lunga, expo Banditi dell'Arte
Il reste qu'on s'étonne que les initiateurs de l'expo aient à ce point focalisé sur la notion de "bandits de l'art" qui évoquent une attitude offensive pas forcément patente chez les réprouvés ou les solitaires dont on met en évidence la créativité. Cette dernière s'exerce la majeure partie du temps, du reste, au sein d'une attitude non-violente. Ce qui colle mal avec cette vision activiste de l'art hors-les-normes ici mise en avant. Une posture hors-la-loi de pirate ou de brigand n'est pas spécifiquement l'attitude de la majorité de ces créateurs. Leurs expressions ne sont pas des brûlots dirigés vers la caste dominante. Mais plutôt le moyen de reprendre pied dans leur vie, dans un écart absolu vis-à-vis de la société de la multitude moutonnière. Un écart qui ne s'accompagne pas d'une prise d'armes pour autant... Tant et si bien que j'arrive à me convaincre que les commissaires de cette exposition, qui s'annonce certes passionnante, se sont faits surtout plaisir en titrant ainsi leur manifestation.
Enfin, une autre remarque. Il est loisible de déplorer que la Halle Saint-Pierre n'ait apparemment pas demandé de collaboration à Eva Di Stefano qui effectue depuis déjà un certain temps un travail remarquable de défrichage et d'étude sur l'art brut et outsider italien à l'ombre de l'Université de Palerme en Sicile. On se convaincra aisément de la qualité de son travail en allant télécharger les numéros de sa revue virtuelle Osservatorio Outsider Art qui a mis en ligne jusqu'ici trois numéros.
Et rappelons, au titre des manifestations ayant précédemment attiré l'attention sur l'art brut et hors-les-normes italien, l'exposition internationale d'art irrégulier, Beautés insensées, de 2007, qui, sous la direction de Bianca Tosatti, s'était tenue à la Salle d'Expositions du Quai Antoine Ier à Monaco. On y découvrait déjà, entre autres, les peintures de Tarcisio Merati, créateur que l'on retrouve annoncé dans Banditi dell'Arte.
Tarcisio Merati, Petite machine, sans date, Bergame, Association Merati ; photo extraite du catalogue Beautés insensées
"Banditi dell'arte", exposition ouverte du 23 mars 2012 au 6 janvier 2013, vernissage le jeudi 22 mars. Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard, 18e ardt Paris. T: 01 42 58 72 89.
"Marcello Cammi", exposition à la galerie Rizomi, Turin du 16 mars au 22 avril, corso Vittorio Emmanuele II, 28, 10123 Turin. T: 01 15 78 88 08.
11/03/2012 | Lien permanent | Commentaires (18)
Parution du livre de Benoît Jaïn, ”Pierre Jaïn, un hérétique chez les Bruts”
Comme on va me rétorquer que, puisque j'en ai écrit la préface, et que j'ai été à de nombreuse reprises l'instigateur de redécouvertes du sculpteur d'art brut douarneniste Pierre Jaïn (entre autres, sur ce blog), il n'est pas étonnant que je défende l'édition du livre de Benoît Jaïn récemment paru sur son grand-oncle (et l'on ne s'embarrassera pas alors pour me reprocher mon copinage...), je répondrai que c'est parce que j'ai toujours été profondément intrigué par l'œuvre et la personnalité de Pierre Jaïn que je défends toutes les entreprises qui visent à faire connaître ce créateur hors-normes. Donc, pas de souci, nulle complaisance ici.
Il est logique que je vous conseille de vous procurer Pierre Jaïn, un hérétique chez les "Bruts", aux éditions YIL, surtout si l'on aime la problématique de l'art brut, de ses liens avec l'art populaire rural d'autrefois, et accessoirement l'imaginaire traditionnel breton. Cela vient tout juste de sortir, et ce ne sera peut-être pas très facile de se le procurer partout (pour le moment, la librairie de la Halle Saint-Pierre en possède quelques exemplaires, et sans doute le trouve-t-on en différents points de la Bretagne, mais sa diffusion paraît d'ores et déjà restreinte, du genre bouche à oreille, ou d'un mail à l'autre ; le mieux étant, pour ceux qui seraient loin de Paris et de la Bretagne - il y en a... -, de le commander à ce lien : http://yil-edition.com/produit/pierre-jain-un-heretique-c...). J'en profite au passage pour signaler l'exposition qui se tient en ce moment dans son village natal, à Kerlaz (Finistère), non loin de Douarnenez (voir le carton ci-dessous). Que les gens passant par là-bas durant la semaine qui vient ne manquent pas l'événement, cela se termine le dimanche 23 juillet. On doit sûrement y trouver le livre de Benoît Jaïn.
Pierre Jaïn, ce "colosse boîteux", comme le surnomme Benoît dans son livre, m'est apparu très tôt, avant même que je ne découvre le cas du sculpteur creusois François Michaud – lui-même au carrefour entre l'art populaire rustique et l'art brut (mais plus tôt que Jaïn ; si ce dernier a commencé grosso modo après guerre la sculpture, sur pierre, puis sur bois, et enfin sur os après la mort de sa mère en 1964, et trois ans avant sa propre mort, on sait que François Michaud a œuvré dans la deuxième moitié du XIXe siècle) –, comme un cas que les défenseurs sourcilleux de l'art brut orthodoxe ne voulaient envisager que sous un seul aspect, le plus conforme à leur vision de l'art brut. La même chose s'est reproduite ailleurs avec le dessinateur bourguignon Maugri que l'animatrice principale de l'Aracine, Madeleine Lommel, refusait d'envisager dans toutes ses dimensions, de dessinateur naïf, dessinateur visionnaire, et dessinateur automatique (et donc "brut"), ne privilégiant que la dernière veine. Selon mes vues, il me paraît fort partial et injuste de découper en tranches l'œuvre d'un homme. L'information se doit d'être la plus complète à son sujet, quitte à donner ses préférences dans un second temps.
Pierre Jaïn, La femme et le dragon, bloc de bois sculpté représentant le diable avec une femme (sorcière?), coll. particulière, ph. Bruno Montpied, 2013.
Pierre Jaïn, personnage sculpté dans la pierre, placé dans un tube de métal, ancien élément de la "batterie" du sculpteur (merci à Benoît qui m'a donné cette précision), jardin de Kérioré-Isella, Kerlaz, ph. B.M., 1991.
Pierre Jaïn, os d'omoplate taillée et colorée, coll. de l'Art Brut, Lausanne, ph. Arnaud Conne.
Benoît Jaïn ne l'entend pas de cette oreille et il nous donne avec cet ouvrage un portrait des plus complets, dans l'état actuel des informations disponibles, de son grand-oncle, à l'inspiration éclectique, visant selon lui à un projet universaliste qui fut parfaitement incompris de ses contemporains (et ajoutons-le, toujours aussi méconnu des contemporains actuels). Son livre dévoile un grand nombre d'œuvres de Pierre, le plus souvent détourées, mariées ainsi plus intimement à son texte, où, seul bémol que j'apporterai quant à la maquette typographique, l'on peut s'agacer de l'usage répété du gras dans les caractères soulignant inutilement les membres de phrases sur lesquelles l'auteur veut attirer l'attention du lecteur par une espèce de tic didactique. On oublie cependant vite ce défaut bénin, à mesure que l'on suit Benoît, nous déroulant progressivement comme dans une balade séduisante le labyrinthe de cette œuvre hétéroclite restée longtemps inédite, expérimentale souvent, mais aussi déployant des sortes de transposition d'après diverses sources iconographiques que le sculpteur kerlazien recueillait pieusement dans sa maison.
Œuvre sculptée de Pierre Jaïn, démarquée des photographies illustrant le livre de Denise Paulme et Jacques Brosse, Parures africaines (éd. Hachette.), ph. B.M., 2013.
En effet, nombreuses paraissent être les œuvres qui s'inspirent de modèles dénichés dans les livres dont le sculpteur aimait à s'entourer. Benoît publie dans son livre une petite partie de sa bibliothèque telle qu'elle a pu être malaisément reconstituée, à la fois pour montrer sans détour la manière de procéder de son aïeul et à la fois pour démontrer que l'autodidacte ne dédaignait pas de se construire ses propres références, s'intéressant aux peuples africains, à la cryptozoologie (science des animaux à l'existence controversée), à l'astronomie, aux mysticismes divers (il avait des relations avec les Témoins de Jéhovah), car il était très pieux, à l'histoire, à la préhistoire, et à la musique. Pour cette dernière, il pratiquait, chantait en s'accompagnant sur une batterie bricolée dont Benoît nous détaille dans le livre les différents éléments, ce qui intéressera les amateurs de musique brute qui croisent de temps à autre sur ce blog.
C'est aussi l'occasion pour Benoît Jaïn d'insister sur l'environnement de sculptures et installations diverses que son grand-oncle avait fini par constituer autour de la ferme familiale, où, aujourd'hui encore, subsistent quelques-unes des ses pierres sculptées (à ce titre, le jardin figurera dans mon prochain livre, Le Gazouillis des éléphants, à paraître en novembre). S'il y avait organisé sa "batterie" loufoque le long d'une clôture, il avait disposé aussi une hutte contenant une femme nue sculptée, des sortes de galettes de ciment incrustées de divers accessoires, un totem dont il ne reste aujourd'hui que la tête (voir ci-dessous)...
Benoît Jaïn présentant la tête, vestige de l'ancien totem du jardin (pour voir l'aspect du totem complet dans le jardin, se référer à mon livre à paraître en nov.17), ph.B.M., 2013.
Le livre propose aussi, heureuse initiative, un lexique des principales catégories artistiques auxquelles on pourrait rattacher l'œuvre de Pierre Jaïn, avec leurs définitions et les caractéristiques que l'œuvre possède en rapport avec ces catégories.
Une page, la 91, de Pierre Jaïn un hérétique chez les "Bruts", avec un Yéti, un Néandertalien, un dinosaure...
En conclusion, cet ouvrage est aussi une éclatante réponse de la famille du "colosse boiteux" aux rumeurs propagées au départ par le Dr.Maunoury, puis par Michel Thévoz et Michel Ragon, ayant exagéré la destruction par les proches de Pierre Jaïn des œuvres décrétées les plus originales par eux. S'il y a bien eu des pièces rejetées et perdues (certaines sont parfois retrouvées par Benoît en fouillant le sol autour de la ferme, quand il a l'occasion de se faire archéologue de l'art brut), cela ne paraît concerner en définitive qu'une minorité d'œuvres. Et c'est finalement du sein de la famille qu'est sortie la voix la plus habilitée pour défendre la mémoire de Pierre Jaïn, hérétique par rapport à l'art brut, hérétique par rapport à toutes les religions, et ajoutons-le, par rapport à toutes les catégories artistiques.
Enfin, un dernier point à signaler. Cet ouvrage, commandé par moi au départ à Benoît Jaïn, aurait dû être le cinquième opus de la collection La Petite Brute que je dirigeais aux éditions de l'Insomniaque et qui a cessé de paraître, faute de lecteurs, de presse, de diffusion, etc. Pour mémoire... (D'un certain point de vue, cela fut une bonne chose pour cet ouvrage, car son auteur, Benoît, a pu ainsi réaliser lui-même la maquette de son ouvrage, profitant de sa compétence d'infographiste).
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On consultera si l'on veut être tenu au courant des actualités autour de Pierre Jaïn le site internet suivant, créé par Benoît: http://pierrejainartbrut.com/
17/07/2017 | Lien permanent
”Les Cahiers Dessinés”, une expo de dessin tous azimuts à la Halle Saint-Pierre
Cela fait du bien une exposition fourre-tout de temps à autre (j'avais personnellement pas détesté l'expo du "Mur", consacrée à La Maison Rouge, espace qu'il dirige lui-même, par Antoine de Galbert à une bonne partie de sa collection extrêmement éclectique dont il avait laissé le soin de l'accrochage à un programme d'ordinateur qui le conçut de façon aléatoire en fonction des dimensions des œuvres). La Halle St-Pierre, ayant à peine décroché Sous le Vent de l'Art Brut 2 nous en propose une (du genre fourre-tout) entièrement consacrée (du 21 janvier au 14 août), sous l'égide de la revue et de la maison d'édition de Frédéric Pajak Les Cahiers Dessinés, au dessin sous de multiples formes. Je ne ferais pas ici le tour de ce foyer de créativité sympathique, que je regarde à la marge de mes marottes préférées, tout en admirant de loin. Je me contenterai de conseiller celui qui veut en apprendre davantage de se connecter au site de la revue (qui s'intitule pour ce qui la concerne, seulement elle, au singulier, Le Cahier Dessiné), ou de venir voir l'expo et la librairie de la Halle St-Pierre qui propose en ce moment un grand choix de publications consacrées aux divers dessinateurs défendus par les Cahiers Dessinés.
Couverture du catalogue de l'exposition
Non, ce que je me propose de faire là c'est une sorte de tour résolument subjectif, comme à l'ordinaire, mais sous une forme peu utilisée jusqu'à présent, en suivant ma dérive dans l'expo le portable à la main, faisant des photos qui par leur très médiocre qualité ne pourront en aucun cas concurrencer la qualité des éditions des Cahiers Dessinés (il y a un très beau catalogue de l'exposition). Le premier dessin sur lequel je m'arrêtai comme un chien de chasse la patte en l'air fut une œuvre de Wols, le peintre, dessinateur et photographe. Sensible, fin, raffiné, fragile, délicat sont les mots qui viennent à l'esprit quand on tombe sur des œuvres de Wols (voir ci-contre). J'ai oublié de dire que j'ai commencé comme de juste par la salle noire du rez-de-chaussée, et c'est d'ailleurs là que j'ai pris la majorité de mes photos. La salle noire... L'éternelle salle noire de la Halle Saint-Pierre réservée semble-t-il aux œuvres secrètes, les plus marquées par le recours à l'inconscient, non? Tandis que le premier étage, plus éclairé par le jour, serait davantage voué aux œuvres de communication?
Yersin
Unica Zürn
Le Comte de Tromelin
Dans la zone près de Wols on trouvait quelques chefs-d'œuvre et l'on tournait la tête ébloui, Yersin, Unica Zürn (des œuvres en noir et blanc et des œuvres en couleur, toutes exceptionnelles ; je me demande si je ne préfère pas celles en couleur du reste, comme nous l'avait enseigné la très belle expo qu'avait consacrée la Halle Saint-Pierre à cette maîtresse és-hallucinations où l'on avait pu voir de très belles et très rares huiles), le comte de Tromelin (venu de l'Art Brut celui-ci, et pas souvent exposé et sorti des réserves en l'occurrence de la Collection de l'Art Brut de Lausanne), un dessin de Fred Deux plus vivant que les autres (parce que Fred Deux, ça finit par me lasser toute cette maîtrise un peu trop léchée...), des dessins de James Castle (encore l'Art Brut, cette fois américain), des paysages dessinés par des mouches mais en fait dus à la plume de Raphaël Lonné, au loin des magnifiques arabesques touffues de Laure Pigeon (toujours l'Art Brut)...
Laure Pigeon (A signaler à son sujet la sortie du 25e fascicule de la Collection de l'Art Brut qui lui est entièrement consacré, avec une étude de Lise Maurer)
Josefa Tolrá
Après ces cimaises fort alléchantes, on tombe sur, à mes yeux, LA révélation de l'expo. Une créatrice espagnole, ou plus précisément catalane je crois, Josefa Tolrá. Cette dernière, décédée en 1959, n'est pas encore très connue me semble-t-il dans le monde des amateurs d'art brut (dont elle est un des plus beaux fleurons sans conteste), en dépit du fait que la collection de l'Aracine (désormais installée au LaM de Villeneuve-d'Ascq dans le Nord) paraît en posséder au moins une œuvre (une "fantaisie taurine", dessinée recto-verso, comme on peut s'en convaincre en consultant la base Joconde) acquise à on ne sait quelle date (sur la base Joconde il est indiqué "1999", mais c'est la date d'entrée de la collection l'Aracine dans le musée du LaM, je pense). Ils étaient forts à l'Aracine, rien n'échappait à l'œil de Madeleine Lommel. Il paraît qu'ABCD de Bruno Decharme en possède aussi. Sans compter que sur internet on trouve bien entendu divers renseignements à son sujet. Il existe notamment un site à elle seule consacré et des films dont le diaporama amélioré que j'insère ci-dessous.
A la Halle, plusieurs dessins sont accrochés, tous aussi éblouissants et séduisants les uns que les autres, et variés qui plus est. La dame, qui avait le pouvoir de discerner les "auras" des personnes qui l'entouraient, à ce qui se colporte à son sujet, avait à l'évidence une assurance dans son dessin et la composition de ses œuvres qui se rencontre rarement. Cette œuvre en tout cas enfonce de loin, en terme d'émotion ingénue brute, tous les autres créateurs qu'on (la galerie Berst entre autres) cherche à nous faire passer pour bruts valables en ce moment (comme Eric Derkenne, Horst Ademeit, Košek, Medvedev, Katsuhiro, Giga, Anibal Brizuela, Harald Stoffers, et j'en passe...).
Josefa Tolrá
Non loin d'elle, autre surprise, les dessins et le portrait de Marcel Bascoulard, sur lequel je reviendrai probablement, car un très beau livre vient de lui être consacré par Patrick Martinat aux Cahiers Dessinés justement, à l'occasion de l'exposition. Ce marginal de Bourges qui eut une vie tragique s'habillait en femme, se faisait tirer le portrait à multiples reprises dans les tenues féminines qu'il se confectionnait, et dessinait des paysages de sa région avec une minutie incroyable. Pas un être vivant n'y apparaît, tandis que le but de l'opération paraît se concentrer sur le rendu du mystère des lieux, l'être brut du lieu qui est détectable chez une âme ultra sensible, la menant parfois jusqu'à une déstabilisation profonde.
Li Wei Hsuan
Dans un recoin, on découvre également la Taïwanaise Li Wei Hsuan qui paraît dessiner comme enfermée dans la bulle de sa surdité, un graphisme rageur et rythmé. Plus loin, on n'oubliera pas de mentionner quelques dessins de l'écrivain Bruno Schulz, dont les vertiges masochistes de son univers graphique sont bien connus de certains de nos lecteurs...
Bruno Schulz
De même Félix Vallotton et ses gravures très noires ne sont pas inconnues mais font plaisir à être revisitées en confrontation avec les autres œuvres. J'ai particulièrement remarqué la gravure ci-dessous où des enfants, qualifiés par antiphrase d'"anges", harcèlent de leurs quolibets (du moins on l'imagine) en se pressant autour de lui, comme pour un lynchage, un marginal qu'un pandore accompagne en prison.
Félix Vallotton, "Petits anges"...
A l'étage de l'expo, je dois avouer ne m'être arrêté que devant les œuvres de certains artistes COBRA qui résistent plus qu'honorablement au temps qui passe. On a en effet l'occasion de voir, chose pas courante à Paris, des logogrammes de Christian Dotremont, ces tracés à l'encre que ce poète exécutait automatiquement en même temps que lui venait un poème sous son pinceau japonisant. Il libérait ainsi sa graphie de la nécessité de créer un signe d'écriture conventionnelle pour la tendre vers l'idéogramme, et les signes d'écriture orientale ou extrême-orientale, où l'image reste très présente. Au bas des logogrammes, il notait dans une écriture intelligible traditionnelle le poème qui était tracé d'une gestualité libre au-dessus en pleine feuille.
Logogramme de Christian Dotremont...
... et sa transcription
D'autres Cobra sont également présents comme Jean Raine ou Pierre Alechinsky.
Deux dessins de Jean Raine
A cet étage toujours, et enfin, je citerai pour mémoire ce qui s'apparente à du dessin en relief, à savoir les silhouettes montées sur fil de fer de Corinne Véret-Collin.
Corinne Véret-Collin
29/01/2015 | Lien permanent | Commentaires (3)