Rechercher : Jean Branciard
Rafiot dans le raffut, Albarracin pensait sans le savoir à Jean Branciard
Jean Branciard, la Grande Limule (crabe des Moluques), 2009, ph. Bruno Montpied
"Regardez comme le papillon roule et tangue sur les très réels et enivrants flots du néant, il a l'air d'un rafiot dans le silencieux raffut."
(Laurent Albarracin, Le Ruisseau, l’éclair, Rougerie, 2013).
14/12/2013 | Lien permanent | Commentaires (3)
A Carquefou, Ruzena et Jean Branciard s'envolent, Montpied reste à terre
Que voilà un titre tarabiscoté... Mais fondé. Je vais le 16 novembre prochain participer au vernissage de la double exposition Ruzena-Branciard à l'espace d'exposition du Site des Renaudières à Carquefou (périphérie de Nantes), deux artistes véritablement inspirés que je défends depuis belle lurette (avec Branciard, on s'est connu par ce blog d'ailleurs). Je participe, mais pas seulement en allant engloutir des petits fours et en mondanisant. Je présente un peu avant le vernissage, qui commence officiellement à 16h, le film de Remy Ricordeau, Bricoleurs de Paradis, que j'ai co-écrit avec lui et qui est inséré dans mon livre Eloge des Jardins Anarchiques, traitant du même thème que le film à savoir les environnements spontanés populaires et que donc je présenterai par la même occasion. A signaler que ce livre est sur le point d'être épuisé après son deuxième tirage (en fera-t-on un troisième, on hésite...).
Ruzena et ses "rêves éveillés" au Site des Renaudières, Carquefou, 16 novembre-15 décembre 2013
Jean Branciard et ses "véhicules rêvés" au Site des Renaudières à Carquefou, mêmes dates que Ruzena
Les images que la Direction des Affaires Culturelles de la mairie de Carquefou a choisies de publier sur le carton d'invitation montrent pour Ruzena un de ses désormais habituels personnages nus quoique prudemment striés d'ombre en train de s'échapper du cadre vers le ciel et pour Jean Branciard une sorte d'avion déglingué, constitué comme le préfère l'artiste de bouts de métal rouillé et de morceaux de grillage, demi hélice, trous dans la carlingue qui part en morceaux, etc. Nos deux amis, sans se concerter probablement, semblent s'être donc pris de passion pour les airs. Quant à moi, je resterai prudemment à les regarder depuis le plancher des vaches où mes habitants-paysagistes s'enracinent.
Carton d'invitation avec une erreur dans le libellé de présentation du "film" Eloge des Jardins anarchiques"...
A signaler cependant une erreur dans le carton d'invitation (ci-dessus) puisqu'il écrit que sera présenté à 14h30 le samedi 16 novembre le film "Eloge des Jardins anarchiques", suivi d'un débat avec son "réalisateur" à savoir moi... On a fait là évidemment une confusion entre le livre et le film. J'insère ci-dessous le carton tel que je l'ai corrigé et tel que l'on aurait dû le publier (j'espère que la Direction des Affaires Culturelles ne m'en tiendra pas rigueur)...
Exposition "Les véhicules rêvés, les rêves éveillés", Ruzena et Jean Branciard, du 16 novembre au 15 décembre 2013, espace d'exposition du Site des Renaudières, Carquefou. Ouv. les mercredi, samedi, dimanche de 14h à 18h o usur RDV. Renseignements: Direction de l'Action Culturelle de la Ville de Carquefou: 02 28 22 24 40 ou culture@mairie-carquefou.fr
06/11/2013 | Lien permanent | Commentaires (1)
Le coup d'oeil de JB
J'ai reçu voici quelques jours de Jean Branciard –grâces lui en soient rendues – l'adresse significative d'une ophtalmologue lyonnaise, le docteur Safia Bounoua qui habite au 28, rue louis loucheur dans le 9e arrondissement.
29/02/2012 | Lien permanent
Jean Estaque
Jean Estaque est une des figures déjà anciennes de l'art dit singulier. Sous ce terme, j'entends les créateurs quelque peu en marge des courants principaux des arts plastiques contemporains et qui font preuve d'une belle fidélité à une expression synthétique, voire enfantine, primitiviste si on veut, proche des arts populaires dont par ailleurs Estaque recueille chez lui certains exemples pris dans l'art brut et autres. C'est un petit cousin de Chaissac, pourrait-on dire (n'oublions pas que Gaston était originaire du Limousin), qui a débuté dans la sculpture sous l'influence de l'art roman, nous dit un dossier de presse. C'est un amoureux de la Creuse où il vit (c'est là que je l'ai rencontré voici plusieurs années déjà, à Savesnes, où il a aménagé depuis quelque temps une salle vouée à exposer des créations qui lui plaisent -on aimerait pouvoir en faire autant...), après être né dans l'Ariège en 1945.
Il expose jusqu'au 11 mars, plus que quelques jours donc, à la galerie lyonnaise A.Del Gallery (nom un peu tirebouchonné, n'est-il pas?), au 33, rue Auguste Comte, dans le 2ème arrondissement. Des oeuvres inspirées des personnages vus dans les nouvelles de Guy de Maupassant. C'est un tailleur de bois qui aime en outre la polychromie, mais il saura utiliser à l'occasion d'autres matières et supports, cartons et papiers (découpés, déchirés, dessinés...), faisant recours plus souvent qu'à son tour aux techniques de la gravure. Ses oeuvres ont parfois fort à voir avec certains jouets, et débouchent à d'autres moments sur les reliquaires. Des oeuvres monumentales ont pu lui être commandées, comme ce fut le cas au Lac de Vassivière.
Contrairement à tant d'autres artistes uniquement préoccupés de leur nombril, il sait se tourner vers les autres créateurs, notamment les plus modestes et les plus discrets d'entre eux, les créateurs populaires. C'est lui qui me signala l'existence de Pierrot Cassan, comme je l'ai déjà dit, mais c'est aussi avec son aide que je pus retrouver la trace des oeuvres de Ludovic Montégudet conservées par sa famille à Lépinas (toujours en Creuse), ce qui ouvrit la voie à une exposition des oeuvres sculptées naïves de ce dernier au Moutier d'Ahun à l'été 1992. En fait, il semble qu'entre l'art populaire et Jean Estaque ce soit un continuel va-et-vient, comme dans le phénomène des vases communicants. Tout ce qui me vient d'Estaque me maintient toujours en alerte.
06/03/2009 | Lien permanent
Jean Galeani
Ah, formidable initiative que celle de Régis Gayraud que d'être allé surfer sur internet en tapant le nom de Galeani, ce peintre dont j'avais mis en ligne il y a quelques années une toile retrouvée chez deux collectionneurs (ayant préféré rester anonymes). Brillant effort, que je suis toujours réticent à pratiquer personnellement, préférant la découverte de hasard, et peut-être sans doute, parfois trop vieux (et trop paresseux surtout) pour ce genre de recours...
En cherchant à ce nom de Galeani, Régis a donc déniché l'interview de Pierre Dumayet mis en ligne sur le site de l'INA. Incroyable... On voit Dumayet, dont mes lecteurs fidèles se rappelleront que j'avais déjà signalé (en 2009) une autre interview, consacrée celle-ci au créateur d'environnement Frédéric Séron (toujours sur ce même site de l'INA), on voit Dumayet s'entretenir avec le peintre Jean Galeani, en 1955, alors octogénaire, sur le seuil, de son appartement puis dans son atelier, où il habitait depuis le début du XXe siècle en haut d'une cage d'escalier où faute de place et sans doute de meilleures conditions d'exposition il exposait certains de ses tableaux (l'Aigre de Meaux de son côté, toujours en commentaire de ma note sur le tableau Victoire, défaite de 1919, et après les révélations de Régis, a retrouvé l'adresse exacte où habita Jean Galeani, au 74, rue de Turenne dans le Marais à Paris, adresse qui est donnée dans un compte-rendu par le journal Le Petit Parisien en 1913 de l'affaire d'un autre tableau refusé de Galeani, intitulé La Justice ; on y apprend par ailleurs que le peintre était originaire de Montpellier). Il faut croire que Pierre Dumayet développait dans ces années 50 de l'autre siècle une sympathie récurrente pour les Naïfs et les créateurs autodidactes. Question à creuser...
Interview de Jean Galeani par Pierre Dumayet, 8 avril 1955, site de l'INA
Comme en ont débattu les divers commentateurs qui se sont succédés après la révélation de Régis (voir donc ma note du 10-06-2011), les propos de Galeani dans cette interview paraissent refléter la position qui devait être celle des tenants de la révolution parmi beaucoup d'hommes du peuple à l'époque (avant la fin des années 30, avant les procès de Moscou), à savoir une indifférenciation entre communistes à la Lénine, que Galeani dit avoir "rencontré" (il montre dans le sujet une sculpture où l'on voit Lénine en forgeron) et anarchisme (certains des tableaux présente un christ "vivant" dont Galeani retient surtout l'injonction pacifiste "aimez-vous les uns les autres", tandis qu'un autre plus allégorique présente l'Autorité comme un pied géant venant écraser la foule ; cette critique de l'autoritarisme est au fondement même de l'anarchisme). Cela dit, il semble que Galeani, homme simple, ait gardé de l'affection même à Staline dont l'interview indique à un moment qu'il lui consacra un tableau, sans doute parce qu'il ne s'encombrait guère d'information, ou bien qu'il avait évolué au fil du temps de l'anarchisme au communisme, préférant se concentrer avant tout sur l'attitude anti-capitaliste (il paraissait détester l'argent, dont il se moquait, en lui consacrant un billet encadré sous-verre telle une icône). A noter aussi la mention que Galeani avait été "parrainé" par Louise Michel qu'il avait également rencontrée lorsqu'il était plus jeune.
Jean Galeani traînant sur une charrette son tableau La Justice du côté du Grand Palais où avait lieu le Salon d'Automne où le tableau avait été refusé ; photo 1913, agence Rol, source Gallica.bnf.fr
Le même Galeani, alors bien plus jeune qu'à l'époque de l'interview de Pierre Dumayet, en 1913, posant à côté de la charrette chargée de son tableau ; on devine les vers de La Fontaine en bas à droite du tableau ; photo Agence Rol, site Gallica.bnf.fr
Avec ce film, Régis a pu nous donner d'autres liens également vers un reportage et des photos présentes sur le site Gallica de la BNF, photos faisant partie du domaine public, donc reproductibles à la seule condition d'en indiquer les références et la source, relatant l'affaire d'un autre tableau de Galeani refusé en 1913 par le jury du Salon d'Automne, tableau allégorique inspiré de La Fontaine, et intitulé la Justice, un juge sur le tableau étant campé par un loup brandissant la tête décapitée d'un âne, le coupable qu'il avait condamné. Les vers de conclusion de La Fontaine (extrait de la fable "Les animaux malades de la peste") étaient reproduits en exergue sur le tableau (visibles à demi sur la photo ci-dessous): "Selon que vous serez puissant ou misérable,/Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir".
On aimerait savoir bien entendu ce que sont devenus les tableaux de Jean Galéani. ils étaient nombreux, si l'on s'en réfère au mur que détaille à un moment de l'interview le vieux peintre pour Pierre Dumayet. Qu'est devenu ce grand tableau de 1913 La Justice, refusé comme la version plus grande de Victoire-défaite de 1919, lui l'ayant été au Salon de la Nationale (Galeani, naïvement, croyait qu'il aurait des chances dans de tels salons académiques, à moins qu'il n'ait été sûr de s'en faire jeter et que cela lui donnerait l'occasion de le faire savoir, là aussi naïvement ; c'est plutôt dans ces tentatives de communication, charrette à bras défilant dans Paris, inscription pour mémoire au verso de sa mouture réduite de Victoire, défaite, que l'on doit en effet remarquer qu'il se faisait pas mal d'illusions sur ses chances d'être entendu)? Qu'est devenu en particulier aussi le tableau montrant la roulotte où Galeani à une époque de sa vie (après les années 20?) décida de trimballer ses œuvres "de Cherbourg à la Bretagne"? Il y organisait paraît-il des "loteries" où l'on pouvait gagner ses œuvres... Ce qui nous indique que sans doute ses œuvres de l'époque partirent entre les mains de collectionneurs peut-être moins fortunés qu'à l'accoutumée. D'où elles purent continuer secrètement leur chemin vers les brocantes. Je n'ai pour l'instant pas retrouvé dans ma documentation imprimée de mention de ce Jean Galeani. C'est du reste à cause de cette absence de référence dans les ouvrages consacrés à l'art naïf que je n'avais pas cru bon de chercher sur internet. Erreur...! Il faut se rendre à l'évidence, beaucoup de peintres et de créateurs ont été oubliés des ouvrages d'Anatole Jakovsky, Albert Dasnoy et autres Bihalji-Merin. A nous aujourd'hui de les réhabiliter en clamant haut et fort, peut-être tout aussi "naïvement", que ces peintures et ces messages picturaux alliant naïveté (immédiateté) et anarchisme nous concernent.
Jean Galeani rigolard, photo Agence Rol, éditée en 1914 (mais datant probablement du même jour que la balade en charrette du tableau La Justice)
23/12/2014 | Lien permanent | Commentaires (1)
”Jean-Dubuffet-Alain Bourbonnais: Collectionner l'art brut”, une correspondance ou un calque?
Vient de paraître chez Albin Michel un magnifique ouvrage, un pavé orange, consacré, par delà la correspondance entre Jean Dubuffet et Alain Bourbonnais qu'il met en scène (dans un appareil critique dû à Déborah Couette), à l'histoire de l'activité de la galerie nommée l'Atelier Jacob (de 1972 à 1982) et de la constitution de la collection "d'Art-Hors-les-Normes" de la Fabuloserie (ouverte à Dicy dans l'Yonne de 1983 jusqu'à aujourd'hui).
Photo Bruno Montpied
Disons d'emblée que ce gros livre est d'abord un très beau livre d'images. Son iconographie est riche et variée, couvrant à la fois les œuvres d'art brut d'auteurs qui furent exposées ou non à l'Atelier Jacob et les œuvres, plus nombreuses, d'artistes ou d'auteurs travaillant "sous le vent de l'art brut", pour reprendre la terminologie de Jean Dubuffet. Beaucoup de ces œuvres sont inconnues, en terme de publication. Grâce à la recherche qu'a menée Déborah Couette, on découvre les filiations et les échanges qui ont existé entre Alain Bourbonnais et son foyer d'art hors-les-normes (étiquette suggérée par Dubuffet) d'une part, et, d'autre part, la collection de l'art brut et sa documentation installée dans les années 1960-70 encore rue de Vaugirard (dans l'hôtel particulier qui est devenu aujourd'hui le siège de la Fondation Dubuffet), où Bourbonnais allait en compagnie de sa femme Caroline puiser des idées et des informations pour sa propre collection.
Un feuilletage du livre en moins de 15secondes (et non pas un effeuillage, Bousquetou, si vous traînez encore par ces pages...), film B.M.
Mais au fur et à mesure de la lecture se dégage une curieuse constatation. Dubuffet, on le sait depuis peu (grâce à un témoignage de Michel Thévoz paru dans le catalogue des 40 ans de la collection de Lausanne), donna sa collection d'art brut à la ville de Lausanne, après avoir refusé de la confier à une institution française (il craignit même un temps que sa donation soit bloquée à la frontière lors de son transfert en Suisse), ne voulant pas que son "Art Brut" (il préférait les majuscules) soit mélangé à l'art moderne du Centre Georges Pompidou (cela devrait nous faire réfléchir actuellement, alors qu'art brut et art contemporain ont entamé une drôle de valse ensemble...). Ce transfert prit place en 71 (la Collection au Château de Beaulieu ne s'ouvrant au public qu'en 1976). Alain Bourbonnais, c'est ce qui apparaît de manière éclatante dans l'ouvrage paru chez Albin Michel, était en admiration éperdue devant l'œuvre de Dubuffet elle-même. Il la suivait depuis pas mal de temps. Il admirait également, en parallèle, ses collections d'art brut. Et il tenta donc de renouveler l'expérience à Paris, puis en Bourgogne, en se calquant sur Dubuffet. Ce mot de "calque", ce n'est pas moi qui l'invente, il apparaît dans une lettre de Dubuffet à Michel Thévoz (premier conservateur de la Collection d'Art Brut), publiée dans cette correspondance (p.383 ; lettre du 13 octobre 1978): "Alain Bourbonnais paraît s'appliquer à calquer ce qui a été fait pour la Collection de l'Art Brut et faire à son tour en France à l'identique, ce qui me donne un peu de malaise." Dubuffet, pour conjurer ce malaise qui l'étreint par moments, aide pourtant Bourbonnais, surtout en l'orientant vers des créateurs qui appartiennent plutôt à ce que Dubuffet a classé dans sa "collection annexe", intitulée par la suite par Thévoz et Dubuffet "Neuve Invention". Mais Dubuffet n'en est pas moins méfiant, attentif de façon sourcilleuse à ce que Bourbonnais ne joue pas les usurpateurs. Une lettre publiée elle aussi dans cette correspondance montre un Dubuffet fort mécontent, après avoir vu une émission de télévision ayant présenté les œuvres de Bourbonnais, et ses collections comme de "l'art brut" (voir p. 348, lettre du 12 janvier 1980 ; et aussi, p. 148, la lettre parue bien auparavant le 6 décembre 1972). Pourtant, Bourbonnais – que je devine fort matois et malin, diplomate et rusé (mais Dubuffet en face lui rend des points! Au fond, au fil de cette correspondance, on suit une passionnante partie d'échecs...) – ne cesse de protester de son amitié, de son admiration et de son respect à l'égard du peintre-théoricien. Il pousse même l'imitation de Dubuffet jusque à copier son attitude sourcilleuse vis-à-vis de l'usurpation du mot "art brut", en lui signalant telle ou telle récupération du terme.
Alain Bourbonnais, quatre "Turbulents" parmi d'autres dans la salle qui leur est consacrée dans la Fabuloserie (au rez-de-chaussée), été 2016, ph. B.M.
Même l'œuvre de Bourbonnais est imprégnée de sa fascination pour celle de Dubuffet. Ses lithographies du début des années 1970 (voir p.49 et p.51) portent la marque de son admiration. Et plus tard, les "Turbulents" eux-mêmes, grosses poupées carnavalesques articulées dans lesquelles un homme peut parfois se glisser pour les animer, paraissent passablement cousines des gigantesques marionnettes que Dubuffet avait conçues pour son spectacle "Coucou Bazar", dans les mêmes années (le spectacle semble avoir été monté pour la première fois en 1973 aux USA).
Cette fascination de Bourbonnais, notamment pour les collections de Dubuffet, sa conviction qu'il existe un continent de créateurs méconnus – sur ces mots, "artiste", "créateur" , "productions", on trouve plusieurs lettres, entre autres de Dubuffet, qui rendent clairement compte des problèmes qui s'agitent derrière la terminologie, voir notamment p.347, la lettre de Dubuffet du 6 février 1978 –, on la retrouvera, quelques années plus tard (1982), chez les fondateurs de l'association l'Aracine, dont un des membres, Michel Nedjar – artiste autodidacte affilié approximativement selon moi à l'Art Brut – avait exposé dès 1975 à l'Atelier Jacob.
Mais, au final, Alain et Caroline Bourbonnais finiront par bâtir une collection qui s'éloignera de l'Art Brut, plus axée en effet sur des créateurs et artistes marginaux (l'Art-hors-les-normes, l'Art singulier, la Neuve invention, la Création franche, l'Outsider art anglo-saxon sont des labels plus ou moins synonymes servant à rassembler ces productions), restant sur un plan de communication avec l'extérieur, cherchant à exposer dans des structures alternatives. Ils rassembleront aussi des éléments venus d'environnements populaires spontanés (Petit-Pierre, Charles Pecqueur, François Portrat, etc.), environnements qui sont le fait d'individus recherchant la communication avec leur voisinage immédiat.
L'art brut est on le sait un terme qui s'applique davantage à de grands pratiquants de l'art au contraire autarciques, se souciant comme de l'an quarante de faire connaître leurs œuvres. C'est un corpus d'œuvres exprimées par de grands individualistes, la plupart du temps débranchés de toute relation avec le reste de la société, œuvres d'exclus, de rejetés par le système social, qui à la faveur de cette exclusion, inventent une écriture originale, construite sur les ruines de leurs relations aux autres.
Marcel Landreau, un couple, statues en silex collés sauvegardées à la Fabuloserie (contrairement à l'Aracine qui ne put en conserver faute à un conflit avec l'auteur) ; Marcel Landreau est l'auteur d'un incroyable environnement spontané à Mantes-la-Ville qui a été démantelé par le créateur lui-même au début des années 1990 ; ph. B.M., 2015.
Le départ (vu peut-être comme un exil) de la collection d'art brut de Dubuffet pour la Suisse fut un véritable traumatisme pour beaucoup d'amateurs dans ces années-là (fin des années 1970, début des années 1980). C'est visiblement un tournant dans l'histoire de l'art brut, et plus généralement dans l'histoire de la création hors circuit traditionnel des Beaux-Arts.
Collection de pièces d'Emile Ratier présentées à l'avant-dernier étage de la Fabuloserie à Dicy, ph. B.M., 2015.
L'ouvrage "Collectionner l'art brut" apparaît comme un document essentiel pour comprendre cette histoire.
Au chapitre des points criticables (points formels seulement) : si la maquette générale de l'ouvrage est dans l'ensemble fort belle et attractive, il reste que les notes de bas de page (que, personnellement, j'ai le vice d'aimer lire...) ont été éditées dans un corps véritablement microscopique qui les rend difficilement lisibles de tous ceux qui n'ont pas, ou plus, un œil de lynx. Ce genre de défaut typographique apparaît de plus en plus fréquent dans l'édition contemporaine, comme si un certain savoir traditionnel (justifié pourtant au départ par le respect dû aux lecteurs) s'était perdu du côté des maquettistes. Autre chose qui me chiffonne: en plusieurs endroits du livre, on confond, abusivement à mon sens, "Neuve Invention" (collection annexe, Singuliers...) et Art Brut, par exemple dans le libellé de légendes placées à côté des œuvres de la Collection de l'Art Brut. Comme si une volonté se dessinait chez les concepteurs du livre – ou plutôt des responsables de la collection de l'Art Brut ? Il semble bien que ce soit plutôt du côté de l'éditeur qu'il faudrait aller voir... Voir commentaires ci-dessous de Déborah Couette, puis celui, nettement plus éclairant, du documentaliste de la Collection de l'Art Brut, Vincent Monod... – de tout amalgamer, contrairement à ce que demande Dubuffet pourtant tout au long de cette correspondance avec Alain Bourbonnais...
A signaler que la sortie de cet ouvrage, Collectionner l'art brut, correspondance Jean Dubuffet-Alain Bourbonnais, fera l'objet d'une présentation au public le 12 décembre à la Fondation Dubuffet (de 18h à 21 h, 137 rue de Sèvres, dans le VIe ardt, à Paris), en même temps que sera présentée une autre publication récente, tout aussi intéressante, réalisée par la Collection de l'Art Brut, SIK ISEA et les éditions 5 Continents, l'Almanach de l'Art Brut.
Parallèlement, dans le nouvel espace de la Fabuloserie-Paris (retour des choses, cette nouvelle galerie, animée par Sophie Bourbonnais, fille d'Alain et Caroline Bourbonnais, est ouverte à côté de l'emplacement de l'ancien Atelier Jacob, au 52 rue Jacob Paris VIe ardt (ouvert du mercredi au samedi de 14h à 19h et sur rendez-vous au 01 42 60 84 23 ; voir aussi fabuloserie.paris@gmail.com), se tient une exposition consacrée à quatre artistes défendus par la Fabuloserie : Francis Marshall, To Bich Hai, Genowefa Jankowska et Genowefa Magiera (vernissage le 8 décembre de 18h à 21h).
Un nouveau venu à la Fabuloserie: Jean Branciard (que les lecteurs de ce blog reconnaîtront comme un artiste que nous avons défendu parmi les tout premiers ; je suis content que le Poignard Subtil puisse voir ainsi ses choix corroborés par ceux de la Fabuloserie), ph. B.M., 2016.
Film de Joanna Lasserre sur le vernissage de la sortie de "Collectionner l'art brut" les 22 et 23 octobre derniers, avec pour l'occasion, une exposition d'œuvres de la Fabuloserie dans un Atelier Jacob provisoirement réinstallé dans ses anciens locaux.
03/12/2016 | Lien permanent | Commentaires (6)
Les Nefs des fous (3)
Dans un récent commentaire, M. Jean Branciard a évoqué certaines de ses préoccupations qui auraient à voir avec nos précédentes notes sur des bateaux de marine populaire. Je suis allé sur le site de ce créateur qui travaille avec des matériaux de récupération, avec une prédilection pour le métal semble-t-il. J'y ai effectivement trouvé un "tracteur de mer" que personnellement je préférerais, tout à fait arbitrairement je m'empresse de l'ajouter, appeler une "goélette" ou une "caravelle", non pour les référents exacts de ces mots mais pour la sonorité des vocables. Ca sonne éclatant "goélette", "caravelle"... Les goélettes voguant sur les goémons parmi les goélands...
Il a de l'allure ce tracteur, ne trouvez-vous pas?
On a ici affaire à une autre modalité de l'écho sensible (ici délibérément assumé dans sa subjectivité) de l'objet "bateau", de la marine que le populaire ou le brut ont interprétée à leur manière, plus intuitive et innocente. On pourrait parler de marine singulière, histoire de faire un distingo, non dépréciatif, je m'empresse de le souligner...
29/07/2007 | Lien permanent | Commentaires (2)
Exposer chacun dans un jardin, une riche idée...
Jean Branciard m'adresse un dossier concernant plusieurs expositions d'artistes contemporains qui vont se tenir en Isère dans deux semaines, durant le week-end des 1er et 2 juin prochains. L'art contemporain comme on s'en doute si on lit régulièrement ce blog est pourtant loin d'être ma tasse de thé quotidienne...
Ce qui m'a retenu pour l'occasion, c'est, outre des nouvelles de l'avancée des créations singulières de Jean Branciard, qui en est à construire une "cité lacustre" dans les mêmes matériaux que d'habitude (vieux bouts de tôle rouillée, fils de fer, chiffons, bois d'épaves...), "cité" qui me fait furieusement penser aux maquettes de constructions babéliennes qu'élabore parallèlement en Bretagne le fameux Darnish évoqué dans cette colonne récemment, ce qui m'a retenu surtout donc, c'est l'idée d'un parcours à la recherche des œuvres présentées dans des JARDINS. La manifestation s'appelle du reste JARTdins 2013, et elle se tient dans les villages de Saint-Aupre et Saint-Etienne de Croissey à 5 minutes de Voiron, organisée par l'association Sur 1 coin 2 table. Le parcours et les artistes présentés ainsi en plein air sont détaillables sur le programme que je vous mets en lien. Heureux passants de l'Isère, vous pourrez ainsi augmenter vos balades de la rencontre d'oeuvres pas désagréables à affronter. Pour ma part j'en reste à Branciard, seul représentant dans cet ensemble de l'art dit singulier, mais les deux artistes qui voisinent avec lui sur la page que je reproduis ci-dessous ne sont pas inintéressants pour autant. Exposer des papiers découpés (Stéphanie Miguet) dans un jardin, sous nos climats actuels, s'avère en outre des plus périlleux...
20/05/2013 | Lien permanent | Commentaires (1)
Jean Estaque et toc
Comme l'écrit Jean-Marie Chevrier dans un récent carton d'invitation électronique pour une nouvelle expo de Jean Estaque dans le 81 (le Tarn): « Rien ne l'arrête, pas même l'absence de dieux, de saints ou de héros. Il crée les siens : des tout noirs, des tout bleus, aux cheveux de balais brosse, des un peu gauches… ». Estaque est un de nos meilleurs inspirés, un des pères singuliers de la plus tendre qualité, humour fin et insolite garanti. Un qui a su ne pas fermer l'œil immédiat de l'enfance.
Comme c'est dit dans l'image, le vernissage c'est pour vendredi 26, demain donc, on apporte son manger, le boire sera sur place...
25/08/2011 | Lien permanent
Jean Estaque dans sa Maison du Tailleu
J'ai déjà mentionné l'existence de la Maison du Tailleu créée à Savennes dans la Creuse par le sculpteur Jean Estaque, créateur au moins aussi important (sinon plus à mon goût) qu'un Sanfourche à qui, dans les dîners en aparté, on le comparait à une époque. Il a décidé de présenter le travail de certains artistes qu'il trouve intéressants de montrer dans une maison qu'il consacre entièrement à des expositions, d'où cette "Maison du Tailleu" (Tailleur).
Il ne s'efface pas complètement derrière ces talents extérieurs et veut aussi montrer ses propres oeuvres, en l'occurrence ses étranges "reliquaires" consacrés aux livres de Guy de Maupassant, où il installe au centre de ses compositions des personnages taillés à sa façon naïviste qu'il place environnés d'un extrait littéraire tracé dans une calligraphie appliquée qui s'accorde parfaitement à l'ingénuité maîtrisée de ses personnages. Voici qu'une nouvelle exposition de ces oeuvres liées à Maupassant est organisée à Savennes. Comme une suite de l'exposition qui avait été montée naguère à Lyon (et que j'ai signalée en mars de l'année dernière).
01/05/2010 | Lien permanent | Commentaires (2)