Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/07/2020

Le musée de proximité de Tamaya Sapey-Triomphe

     Tamaya, je l'ai rencontrée à la suite de mon film sur Eric Le Blanche. Petite-fille de la cousine d'Eric, ayant connu enfant ledit Eric en accompagnant son père Frédéric, artiste numérique apparaissant dans le film que j'ai écrit (Eric Le Blanche, l'homme qui s'est enfermé dans sa peinture, mars 2019), elle avait envie de découvrir le film et plus généralement des informations sur l'art brut et consorts (notamment pour documenter une émission qu'elle s'apprêtait à faire sur Radio-Nova le lundi en début de soirée).

Attroupement dvt le musée de proximité d'Angerville (2).jpg

Attroupement le 10 juillet 2020 devant le Musée de Proximité d'Angerville ; ph. Bruno Montpied.

 

     Récemment, pour son diplôme de fin d'études en architecture, elle a monté durant trois grosses semaines, à Angerville, "en dessous" d'Etampes, un projet un peu 'pataphysique, un "Musée de Proximité".

Plan 2 du musée de proximité d'Angerville (avec légendes BM).jpg

Plan dessiné par Tamaya Sapey-Triomphe, légendé par Bruno Montpied.

Dispositif 2 du périscope (2).jpg

Le périscope vu de l'intérieur ; ph. B.M.

 

     Ayant "squatté" – très légalement, en respectant tout un cahier des charges côté agence immobilière et instances administratives du lieu – un cabinet de coiffure abandonné depuis 25 ans, elle y a installé un dispositif bricolé à base de planches et de cartons. L'idée étant de présenter à 5 mètres du trottoir, visible par un petit trou tracé dans un badigeon de blanc d'Espagne (ou de Meudon, ou de Bougival, etc.), et au bout d'un "périscope" géant, une œuvre ou un objet ayant de la valeur pour son auteur ou son prêteur (seul donc à faire le choix de ce qui serait présenté, dans une politique "muséale" ultra démocratique donc).

Une spectatrice essaye le trou du périscope (2).jpg

Une spectatrice colle son œil à l'œilleton de la vitrine de gauche ; ph. B.M.

Le dresseur d'auréole de BM au bout du périscope (à 5 m)(2).jpg

Ce que voyait la spectatrice ci-dessus, un dessin en couleur de Bruno Montpied, Le dresseur d'auréole (2020), placé cinq mètres plus loin au fond de la boutique ; ph. B.M.

La vitrine de la collection permanente du musée de proximité (2).jpg

Dans la vitrine de droite du "musée", la collection "permanente" ; ph. B.M.

 

      Cet objet n'était destiné qu'à rester un seul jour au bout du périscope (voir vitrine de gauche de la boutique). Après quoi, il passait dans la vitrine de droite, appelée la "collection permanente". Une permanence tout éphémère en réalité, puisque le musée de proximité devait s'arrêter le 14 juillet...

Le Dresseur d'auréole, 32x24cm, 2020 (2).jpg

Bruno Montpied, Le Dresseur d'auréole, Série des "Auréolés", 32 x 24 cm, 2020.

 

     J'ai été heureux de m'associer à ce projet, pour le principe, en prêtant un de mes dessins récents, Le Dresseur d'auréole, pour la seule journée du 10 juillet. En dépit du fait que, malgré le concept généreux que mettait en application le projet de Tamaya Sapey-Triomphe – accoucher d'un musée qui serait le fait de tout un chacun, un musée sans conservateur, reflet de la multiplicité des goûts culturels des prêteurs, en évolution permanente, un musée de l'immédiat, comme il y a un art de l'immédiat –, l'idée restait assez chimérique, intellectuelle (ce qui n'est pas un gros mot sur mon clavier), partageable par peu de gens, car mettant en jeu une sorte d'avant-plan culturel finalement assez complexe. Comme pour l'art de l'immédiat, si la production pouvait relever de l'immédiat, la réception, elle, ne l'était pas à tout coup...

     Mais au fond, peu importait, l'idée était belle, et la réalisation hors du commun par ces temps moroses de peu d'inventivité, et de peu de poésie. Grâces en soient rendues à la prometteuse et tonique Tamaya.

TST à l'entrée de son musée de proximité, le 10 juil 2020 (2).jpg

Tamaya S-T. à la réception de son musée de proximité, un peu semblable à une voyante tireuse de cartes ; ph.B.M.

Commentaires

Si "un musée sans conservateur, reflet de la multiplicité des goûts culturels des prêteurs, en évolution permanente, un musée de l'immédiat, comme il y a un art de l'immédiat" est sans doute un projet généreux, je n'ai pas bien compris l'intérêt - "artistique" ? - de regarder un dessin à 5 mètres de distance à travers un tuyau assez pompeusement appelé "périscope". Votre présentation ne l'explique pas d'ailleurs.

Si le bouzin en question avait été un kaléidoscope, l'intérêt transgressif et transformatif à l'égard du dessin présenté aurait pu se défendre, et d'autant plus que la démarche se serait alors inscrite dans "l'évolution permanente" et "l'immédiateté" revendiquée, permettant au regardeur d'être également l'acteur de ce qu'il observe. Tout le dispositif aurait alors pu avoir un sens, mais là, désolé pour cette jeune fille qui a pourtant l'air sympathique, son installation me semble assez platement "sous-Duchampienne" (étant donné...).

Écrit par : Marcel | 16/07/2020

Répondre à ce commentaire

Vous êtes bien sévère, M. Marcel Champdu, un peu pète-sec même, un peu aigre... Certes, le "périscope" aurait pu être muni d'une lentille grossissante ou déformante, enfin bref, de quelque chose qui aurait "emmystéré" davantage l'oeuvre au bout du tuyau. Là, la conceptrice de ce dispositif a cru peut-être (je n'émets qu'une hypothèse et ne parle pas pour elle, comme dans la note ci-dessus du reste) que l'éloignement permettrait à lui seul d'"érotiser" en quelque sorte l'objet au bout. Oui, il y a du Duchamp là-dedans, mais aussi du Heinrich-Anton Müller (involontairement), auteur rangé dans l'Art Brut, qui passait des heures à observer au bout d'un tube assez long un objet qui ressemblait,paraît-il, à un sexe féminin.
Et n'oubliez pas que l'objet ou l'oeuvre au bout du tuyau pouvait se détailler plus aisément le lendemain dans la vitrine de droite où il prenait de façon éphémère le premier rang avant de reculer les jours suivants.

Écrit par : Le sciapode | 16/07/2020

Répondre à ce commentaire

"Là, la conceptrice de ce dispositif a cru peut-être .../... que l'éloignement permettrait à lui seul d'"érotiser" en quelque sorte l'objet au bout".

Si regarder par le trou de la serrure permet en effet d'érotiser la scène ou l'objet regardé ainsi que Duchamp l'a conçu pour son "Etant donné...", là on est malheureusement plutôt dans la position du regardeur "par le petit bout de la lorgnette", ce qui est un peu moins sexy, vous en conviendrez.
Par ailleurs, si je puis me permettre, quel besoin de vouloir "érotiser" votre dessin ? Etes-vous sûr qu'il en ait besoin ?

Cela dit votre défense de la jeune Tamaya est tout à votre honneur: je viens de lire le dossier dans lequel elle retrace l'historique de son installation et j'ai mieux compris le poids des contraintes auxquelles elle a été confrontée pour venir à bout de son projet en grande partie improvisé du fait des circonstances et du peu de moyens dont elle disposait. Je m'excuse donc auprès d'elle si ma critique a pu lui sembler trop sévère ou pète-sec.

Écrit par : Marcel | 16/07/2020

Purée, il est tarabiscoté, le Marcel...

Écrit par : Atarte | 16/07/2020

Répondre à ce commentaire

Oui sans compter que l'expression "par le petit bout de la lorgnette", généralement employée de manière dépréciative pour parler de quelqu'un qui évalue mal l'ensemble des données d'un problème, provient de ce qu'une lorgnette est grossissante, et qu'appliquée à un objet placé à proximité, elle en grossit exagérément un détail sans permettre, justement, cette vue d'ensemble. C'est qu'on entend quand on emploie cette expression, même si M. Marcel pourra toujours soutenir qu'il n'avait pas cette intention. Ici, le tableau est à bonne distance et on le découvre dans son ensemble, exactement comme quand, par le trou de la serrure, un valet de chambre onaniste scrute les blanches jambes écartées de sa maîtresse indolemment allongée (comme par hasard!) juste dans la ligne de mire, sur l'édredon de son lit à colonnes.

Écrit par : Isabelle Molitor | 16/07/2020

Moi, je trouve cela amusant et plein de sincérité. La seule chose qui m'ennuie un peu, c'est l'emploi du mot "périscope", le périscope permettant de regarder par-dessus un obstacle, alors qu'ici, c'est plutôt un télescope que ce dispositif m'évoque.

Écrit par : Isabelle Molitor | 16/07/2020

Répondre à ce commentaire

En tout cas, on ne peut plus parler d'art immédiat, puisque sa contemplation est expressément médiatisée. Ce qui est plaisant dans l'approche immédiate d'un tableau, d'un relief, d'une sculpture, c'est qu'on n'est pas contraint, comme dans la plupart des musées, de les contempler de plus ou moins loin, mais qu'on peut les scruter de tout près, qu'on peut les toucher – surtout pour une sculpture, mais aussi pour un tableau dont la surface croûteuse peut donner quelques frissons tactiles à l'extrémité sensuelle de nos doigts – ou, principalement dans le cas des objets et des assemblages, qu'on peut les soupeser, les faire tourner sur leur socle pour en admirer les arrières, voire les manipuler comme certains d'entre eux conçus à cet effet. Mais la médiation par la lorgnette ne manque pas d'attraits non plus, comme les érotomanes qui s'expriment sur ce blog le savent bien.

Écrit par : L'aigre de mots | 16/07/2020

Répondre à ce commentaire

Vous êtes certain qu'on ne peut plus parler "d'art immédiat"? Dans ma conception (mais je me trompe peut-être, il faudrait voir ce qu'en pense celui qui a inventé cette notion), c'est plutôt au niveau du processus créatif que se situe l'immédiateté dans la notion d'art immédiat, et très secondairement au niveau de la perception. Que l'on regarde une oeuvre "d'art immédiat" au bout d'un télescope, ou bien reproduite dans une photo plus ou moins floue, sur un papier plus ou moins brillant, ou sur l'écran d'un ordinateur, ou de quelque manière que ce soit (et raison de plus s'il s'agit d'une sculpture dont la reproduction en deux dimensions va réduire considérablement l'effet), l'oeuvre reste toujours "immédiate" (ou "pas immédiate"). Si l'on prend maintenant l'immédiateté d'un objet de poésie naturelle, l'objet est certes d'une nature légèrement différente, puisqu'il n'a pas de créateur, et cette fois, la manière dont on l'aborde (le rocher aux formes étranges surgi au tournant d'un chemin forestier, par exemple), parfois l'éclairage, souvent la condition psychique dans laquelle on se trouve, qui fait jaillir la poésie, et la fait jaillir, laquelle semble paraître dans une immédiateté. Mais en quoi l'éclairage, la condition psychique ou la manière dont on l'aborde n'est pas moins "médiation" ou "médiatisation" que la lorgnette? Enfin, l'immédiateté, s'il s'agit d'insister sur la réception, dépend largement, alors, de celui qui regarde. On peut regarder la Naissance de Vénus de Botticelli comme on la regarde quand on a en soi, engrangée, la connaissance de l'Antiquité, de la Renaissance, des symboles et de l'alphabet des formes, mais on peut aussi la découvrir "en vrai", après en avoir vu cent reproductions dans des livres et avoir la sensation d'une immédiateté de l'émotion semblable à celle qu'aurait un enfant sensible qui la découvrirait soudain en entrant dans la salle. Cette fois, la perception serait assez comparable à celle que l'on peut avoir devant le rocher aux formes étranges que la lumière passée à travers le feuillage de la forêt, au détour du chemin, magnifie. La plupart des dessins de Bruno Montpied, en l'occurrence, pour peu que je les connaisse, me semblent pouvoir se regarder en deux étapes, exactement comme la Naissance de Vénus, pour reprendre cet exemple. D'abord en vue d'ensemble, et ensuite en "lisant" les détails. C'est même le propre des oeuvres qui nous passionnent, je crois, qu'elles soient "immédiates" ou non, alors que les gros pâtés des "artistes contemporains" n'offrent, visuellement, qu'une seule, bête, frontale, perception, et que c'est ensuite, avec la notice explicative (et c'est en cela qu'il y a "médiatisation") qu'on nous impose une signification extra-esthétique, juste au-dessus, bien sûr, du prix de vente qui n'est jamais très loin. Mais pour tout dire, "art immédiat" est un terme que je ne trouve pas non plus des plus heureux, mais pas moins heureux qu'art "brut", qu'art "naïf, qu'art "singulier", tous termes qui ne s'appliquent qu'imparfaitement, et partiellement, à l'ensemble des objets qu'ils entendent définir. Mais qui, tels qu'ils sont, et telles différentes lorgnettes dirigées vers les oeuvres sous divers éclairages, permettent quand même de faire comprendre ce dont il est question.

Écrit par : Isabelle Molitor | 17/07/2020

Quel terme serait parfait, Mme Molitor en effet? En trouvera-t-on jamais un qui puisse nous satisfaire complètement?
Quand j'ai inventé ce terme (j'aurais pu dire "repris", mais à l'époque, en 1990, je ne connaissais pas les précédentes utilisations du terme, par Paulhan, et par Patrick Waldberg), il était déjà une contraction pour "l'art de l'immédiat". Un art immergé dans la vie quotidienne, se passant de médiateurs, et même, de spectateurs. Un art qui serait aussi naturel que la respiration, les différentes formes de jouissance, qui serait l'expression écrite, peinte, sculptée, ou autre forme, d'un flux créatif, pensé, imaginé, senti au plus près de l'instantanéité. J'avais besoin d'un terme qui me permettrait en outre de regrouper l'art brut, l'art naïf de qualité (que j'appelle aujourd'hui "l'art naïf singulier"), les inspirés du bord des routes, les expressions automatiques manifestant un surréalisme spontané, les graffiti, les inscriptions de la rue, etc.
Dans immédiat, il y avait aussi l'indication d'une absence des média. Une fraîcheur en tout cas, une ingénuité radicale. Le Douanier Rousseau, et non pas Stéphane Mallarmé ou René Ghil, au symbolisme ultra cultivé.
Je pensais surtout à la production en effet pour cet art de l'immédiat, provenant de créatifs pas spécifiquement instruits ou formés par les écoles.
La perception de cet art de l'immédiat s'est avérée un problème plus délicat. Tout le monde ne recevait pas ces oeuvres avec la même immédiateté, la même fraîcheur que moi. Il fallait me résoudre à penser que cette perception finalement nécessitait, paradoxalement, comme pour l'art le plus ésotérique, que l'œil et l'esprit aient été accoutumés, aiguisés, formés à cette fraîcheur. Sans doute par refus réitérés, ressassés de l'art le plus ésotérique (que j'ai toujours détesté par exemple dans certaines inclinations des surréalistes du côté de l'alchimie, de l'astrologie et autres sciences occultes).
Le périscope de Tamaya est certes un mot qui ne correspond pas tout à fait ici, mais il a une vertu, peut-être celle d'attirer l'attention sur l'objet artistique que je proposais la seule journée du 10 juillet (les commentateurs ci-dessus n'arrivent pas à se rappeler que l'objet était ensuite versé dans l'autre vitrine à côté, dans la collection dite permanente, et donc là, bien visiblement, plus à cinq mètres). Il contournait un obstacle, comme un périscope permet de le faire, comme vous dites, mère Molitor, l'obstacle de l'indifférence, l'obstacle de la taie sur l'œil, l'obstacle peut-être de l'incapacité à percevoir l'intérêt que peut receler une œuvre. Il militait ainsi peut-être pour une plus grande immédiateté de la perception, en mettant à distance (par la distance justement) indifférence et préjugés.
Cela dit je ne crois pas avoir atteint souvent dans mes dessins et peintures la même immédiateté que celle qui est un des pôles de la collection artistique que j'ai bâtie parallèlement.

Écrit par : Le sciapode | 17/07/2020

Tarabiscoté dites-vous ?

Écrit par : Marcel | 17/07/2020

Écrire un commentaire