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30/05/2015

Interprétations autour de "La Déchirure", tableau de Jean-Louis Cerisier

      En dessous de ma récente note sur la Mayenne à l'œuvre, expo au musée d'art naïf Paul Kondas en Estonie, en réaction à la mise en ligne de la reproduction ci-dessous d'un tableau de Jean-Louis Cerisier, intitulée La Déchirure, nous avions pu lire un échange interprétatif entre "Isabelle Molitor" et mézigue, le sciapode. Je remets la reproduction, sa légende et l'échange tout à la suite.

 

Jean-Louis Cerisier.jpg

Jean-Louis Cerisier, La Déchirure ; un billet de 1000 zlotys déchiré, allégorie d'un refus de la vénalité proposé par l'artiste?

 

Commentaires:

       "La fille qui est censée déchirer le billet de banque - ô naïf Sciapode! - dans le tableau de J-L. Cerisier, s'y prend d'une drôle de manière. On croirait qu'on contraire, elle essaie de le recoller. Ce serait bien dans le genre de l'ami Jean-Louis...
      En fait d'allégorie de la non-vénalité, regardez comment elle tient le fameux billet. Elle le prend par en bas, franchement, vous avez déjà essayé de déchirer un bout de papier en le tenant de cette manière? Ce n'est vraiment pas la manière la plus simple, ni la plus efficace...
     Non, le Monsieur lui a tendu un billet déjà déchiré, et avec une tristesse bien compréhensible, elle se demande qu'est-ce qui, dans sa prestation, a pu lui déplaire pour qu'il la traite ainsi. Et elle essaie de recoller les morceaux, dans un geste certes un peu puéril (quand c'est déchiré, c'est déchiré), mais assez naturel."

Écrit par : Isabelle Molitor | 19/05/2015

Réponse:

     "Ô Mame Molitordue, le mieux ne serait-il pas de demander à l'artiste ce qu'il a voulu dire par là (s'il a voulu dire quelque chose)?"

Écrit par : Le sciapode | 19/05/2015

    Eh bien, un petit échange a suivi avec Jean-Louis Cerisier que je reproduis ci-dessous:

 J-L. Cerisier :

    “Pour La Déchirure comme pour nombreuses de mes peintures, la composition s'est faite de manière empirique : j'ai utilisé un vieux billet déchiré conservé dans mes archives, que j'ai collé en l'état, juste en accentuant la déchirure. Le tableau s'est construit à partir de cette induction, le personnage féminin, aux allures de pionnière (comme il en existait beaucoup à l'époque communiste) puis la table, puis les mains d'un personnage masculin, et le ciel pour finir. Ce mouvement de composition à rebours permet de laisser libre le champ de l'interprétation.

     Parfois l'interprétation qui m'est donnée d'une de mes peintures agit comme une révélation. Ainsi le tableau Le rêve avait été composé de la même manière. Un ami me dit un jour qu'il y voyait un accouchement, ce qui ne m'avait pas traversé l'esprit.

Imaginaires Le rêve, huile sur panneau de bois, 39 x 49, 1983, donation ville de Laval, 2011.jpg

Jean-Louis Cerisier, Imaginaires, le Rêve, huile sur panneau de bois, 39 x 49, 1983, donation ville de Laval (Musée d'Art Naïf et d'Art singulier), 2011

      Un autre exemple, la peinture, Le déménagement a été créé à partir d'une peinture initiale représentant des billes d'agate. J'ai opéré une sorte de mise en situation, de mise en scène progressive qui a abouti au thème du déménagement, pas du tout prévu au départ.

Le déménagement, huile sur toile, 41,5x27, 1999, collection Pascal Hecker, Paris .jpg

J-L Cerisier, Le Déménagement, huile sur toile, 41,5x27, 1999, collection privée

 Bruno Montpied :

     « Tu ne nous dis pas si, pour toi, la fille, dans le tableau La Déchirure, achève de détruire le billet ou tout au contraire tente de le recoller (comme l’interprétation de Dame Molitor le propose, en traitant finalement de vénale cette fille…)? »

 J-L. Cerisier :

    « Pour répondre à ta question : je prends une part dans l'interprétation par le titre que je donne au tableau, quand celui-ci est achevé. Pour celui-ci, la Déchirure,  il est clair que ma lecture penche nettement du côté de la séparation du billet en deux. Pour tout dire, je trouve l'interprétation de Molitor tirée par les cheveux ! »

      Comme quoi aussi, on peut déchirer les billets par le bas, Miss Molitor qui voyez de la vénalité un peu trop partout...

14/04/2013

Jean-Louis Cerisier à la chasse aux muralistes de campagne

     C'est un peu tardif si vous aviez l'opportunité d'aller aujourd'hui au musée d'art naïf et d'art singulier de Laval, mais ce ne l'est pas du point de vue de la stricte information.

      "Rendez-vous singulier" ce dimanche à 16h donc, pour assister à une conférence de Jean-Louis Cerisier, peintre singulier et naïf lavallois dont j'ai déjà eu maintes fois l'occasion de parler ici.

     En parallèle de son travail de création, nous dit le laïus du musée, "il s’est intéressé dans les années 1900-2000 [sic] aux créations populaires dont est parsemé le territoire : fresques de village, œuvres dans les écoles, cafés décorés, art éphémère, se livrant à une véritable enquête en Mayenne et dans les Pays de la Loire à la recherche de ces créations insolites. Il livre aujourd’hui un aperçu du résultat de ses recherches. Une occasion unique de (re)découvrir le territoire à travers le regard de ses artistes anonymes". Il a d'ailleurs déjà donné l'occasion aux amateurs de se rendre compte de cette création, ici qualifiée un peu vite, il me semble, de "populaire" (ce qui l'assimile de fait à d'autres formes de création populaire comme l'art rustique, ou les environnements spontanés dont je parle souvent et introduit donc une certaine confusion dans l'esprit du public), dans la revue 303 (ancien rédacteur en chef Jacques Cailleteau), voir le n° 43 ( sur le peintre Beyel, un vrai naïf pour le coup, article intitulé "Origné ignoré, sur les traces du peintre Beyel", 1994), le n°57 (article "Mondes insolites et travaux artistiques: la Mayenne à l'œuvre", 1998) et le n°58 ("Mondes insolites et travaux artistiques: la Mayenne à l'oeuvre, seconde partie").

 

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Peinture murale de Beyel (1926) dans le café-tabac,alimentation d'Origné (Mayenne), ph. B. Renoux, extraite du n°43 de 303, 1993 ; ce peintre nomade et solitaire peignait, paraît-il en échange du gîte et du couvert

 

     Il compilait à cette occasion peintres naïfs locaux inconnus, auteurs de fresques dans des cafés (Beyel, André Thureau), créateur autodidacte d'un environnement brut (Céneré Hubert), peintres fresquistes régionaux au métier affirmé mais aux sujets un peu insolites (Tribus), fresquistes du dimanche aux limites de la peinture de croûte (Olivacce ; par ailleurs je sais Cerisier amateur de peintres inconnus de dépôts-vente comme un certain A.Labarde qui l'intrigue, à la limite de la peinture kitsch), créateur singulier célèbre (Robert Tatin), et peintre intellectuel mystique adepte de muralisme atypique (Xavier de Langlais). Nul doute cependant que dans ses recherches menées sans trop de discrimination (le tri viendra-t-il plus tard?), Jean-Louis prend tout ce qui vient, dans la mesure où la peinture de campagne l'interpelle, l'intrigue, et peut-être aussi lui rappelle quelqu'un qui ne serait pas si éloigné que cela de ses propres démarche et thématique personnelles... Voir par exemple la fresque ci-dessous qui ne va pas sans évoquer certaines de ses peintures.

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Jean-Louis Cerisier, façade à Nozay, Loire-Atlantique

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Jean-Louis Cerisier, Le port, 33 x 25 cm, 2010

 

      C'est cependant une excellente idée de sa part de se livrer à cet inventaire – parallèle au mien plus axé sur les créations en plein air d'autodidactes d'origine strictement populaire, non professionnels de l'art – des fresquistes et peintres régionaux dont les décorations sont perdues dans les campagnes de Mayenne et au delà (on pourrait les étendre à toute la France). On obtiendra sans doute à la fin un panorama de la création décorative provinciale qui irait du naïf absolu à l'intellectuel primitivisant, en passant par les artistes publicitaires semi amateurs et les peintres du dimanche imitant de loin les peintres d'église, en les mixant avec les artistes singuliers contre-culturels et alternatifs, quelque créateur brut étant admis au banquet pour que le panel soit complet, dans le désir de Jean-Louis Cerisier tout de même (c'est le sentiment que j'ai) de rassembler toutes ces créations sous la seule bannière de l'art. Ce qui à mon humble avis représente une position restrictive qui ne tient pas compte de l'explosion des barrières socialement admises générée par la reconnaissance des créateurs bruts, œuvrant hors système traditionnel des beaux-arts justement (j'y assimile ici les créateurs d'environnements spontanés). C'est la position seulement réformiste de Jean-Louis Cerisier vis-à-vis de l'art que je pointe là, que je distingue d'une position plus révolutionnaire sur laquelle je campe personnellement.

 

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A. Labarde, sans titre, sans date, coll. Jean-Louis Cerisier, ph. Bruno Montpied, 2009 ; on est ici à la limite de ce que les Américains appellent le Bad Art, tandis qu'en Europe, on parlerait plutôt de peintures de croûte, du type de celles qui végétent au fond des dépôts-vente (Labarde a d'ailleurs été repêché par Cerisier dans ces bric-à-brac), certaines oeuvres recélant cela dit un charme indéfinissable, aux limites du naïf, du raté, et de l'incongru...

 

11/07/2012

Des peintures du sciapode au musée d'art naïf et d'art singulier de Laval

     J'entre par le biais d'une donation de 26 œuvres dans la collection permanente du Musée d'Art Naïf et d'Art Singulier de Laval, prestigieuse collection d'art naïf de très grande qualité qui ouvrit ses portes au public en 1967, après avoir été créée à partir des collections du peintre lui-même naïf Jules Lefranc. C'est dire que je n'en suis pas peu fier. En même temps que moi, plusieurs œuvres de Jean-Louis Cerisier, régional de l'étape (pour employer une métaphore en rapport avec l'actualité cycliste), entrent également au musée du Vieux-Château.

 

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Bruno Montpied, Une nuit en couleur, 31x24 cm, 1998, Musée d'art naïf et d'art singulier de Laval

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B.M., Le Malin, 24x32 cm, 2006, MANAS de Laval


       Ce n'est pas la première fois que des œuvres relevant de ce que l'on appelle "l'art singulier" (= "neuve invention" ou "création franche") entrent dans ce musée. Une importante donation d'Alain Lacoste a été ainsi réalisée il y a peu, avec une salle qui lui avait été temporairement entièrement consacrée. On trouve également, entre autres, des oeuvres de Sanfourche, Reumeau, Hernandez (cela dit rangé usuellement plutôt dans l'art brut), Van Der Steen, Jacques Trovic, Boix-Vives, Eva Lallement (dont il y a eu une donation complémentaire récemment), Martinez Albarez Rutila et Antonia Martinez, ou encore Antoine Rigal. L'action de l'attachée de conservation, liée à la municipalité de Laval, Antoinette Le Fahler, n'est pas étrangère à cet intéressant prolongement de la collection.

 

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Alain Lacoste, A fond le champignon, 2003, MANAS de Laval

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Antonia Martinez, Bombardement de tous les trônes d'Europe, terre cuite, 1989, MANAS de Laval

*

        J'insère ci-après la lettre que j'ai adressée à la ville de Laval lors de ma proposition de donation, qui précise en quoi à mes yeux elle se justifiait.

"Lettre d’intention en vue d’une donation

           Je souhaite faire donation de 26 de mes œuvres au musée d’art naïf et d’art singulier du Vieux-Château à Laval pour deux raisons principales.

          Je suis impliqué par mes dessins et autres peintures dans le corpus de l’art dit singulier (appelé aussi « création franche » au musée du même nom, situé à Bègles, Gironde) depuis de nombreuses années (depuis 1989 par exemple au Musée de la Création Franche, époque où j’avais participé à la première exposition collective de ce musée, intitulée « Les Jardiniers de la Mémoire », en compagnie de Pépé Vignes, Sanfourche, Alain Pauzié, Claudine Goux, Alain Lacoste, Chichorro, Noël Fillaudeau, Monchâtre, Claude Massé et Marcelo Modrego entre autres). D’autre part, je suis un fervent défenseur des arts spontanés et autodidactes, ce que j’exprime à côté de ma peinture dans de nombreuses publications disséminées dans des organes de presse et d’édition variés, depuis d’aussi nombreuses années.

         Dans ce cadre, j’ai été amené à citer plusieurs fois la collection du musée d’art naïf de Laval que j’estime particulièrement remarquable, de même que j’ai pu écrire des articles sur certains créateurs lavallois (Jean-Louis Cerisier, Serge Paillard). A mes yeux, l’art naïf de qualité d’une part, l’art brut d’autre part, dans leur filiation avec les arts populaires ruraux d’autrefois, sont les cousins, ou les ancêtres des artistes contemporains marginaux que l’on range dans l’art singulier. C’est pourquoi j’ai été amené à citer dans mes articles les créateurs naïfs, et par la suite singuliers, de la collection de Laval (par exemple dans « La poésie oubliée des peintres naïfs », Création Franche n°3, mai 1991, ou dans l’article « Laval » inséré dans le n°XLIX de la revue 303, 2e trim 1996, où, suite à une exposition à l’Orangerie de la Perrine de Jean-Louis Cerisier, je forge le terme « d’école lavalloise de figuration poétique » à propos des peintres Rousseau, Lefranc, Trouillard, Reumeau, Tatin, Lacoste, Blanchard, Cerisier, Paillard, etc.).

         L’évolution de la collection du Vieux-Château, ces dernières années, en direction de l’art singulier, me concerne par conséquent tout particulièrement, car elle confirme mes intuitions avancées dans le cadre de mes activités de critique et de peintre. C’est pourquoi je souhaite ardemment qu’y figurent à côté de diverses figures que j’admire mes propres œuvres.

Bruno Montpied"

17/04/2012

Jacques Reumeau, par Jean-Louis Cerisier (2)

           Deuxième volet de notre dossier Jacques Reumeau, voici un second texte de Jean-Louis Cerisier, toujours fidèle à son camarade de jeunesse.


Jacques Reumeau, une seconde vie

         A ses débuts Jacques Reumeau, habité par une énergie démesurée,  était obsédé par la volonté de faire émerger sa personnalité, au regard des figures tutélaires que représentaient pour lui Barbâtre, Henri Trouillard et Robert Tatin¹. Ceux-là tentèrent plus ou moins  d’encadrer les bouillonnements de ce créateur à la fois rebelle et fortement demandeur. Le jeune Reumeau, entièrement autodidacte, avait en effet besoin de s’approprier des démarches et des techniques auprès des artistes qui comptaient pour lui parce qu’ils bousculaient les valeurs et les codes établis.

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Jacques Reumeau, Ubuoîte, 1977, Musée d'art naïf et d'art singulier de Laval, ph. Bruno Montpied


        Ses lectures en histoire de l’art lui ont également permis de trouver en Goya (pour la révolte) et en Odilon Redon (pour le mystère) une résonance dans sa recherche d’expression personnelle. Il a résulté  de tout ce brassage une période de création puissante, dont émergeaient des représentations tour à tour animales, rituelles, sacrificielles, fantastiques.

         Au milieu des années 70, la disparition ou l’éloignement des figures marquantes qui l’entouraient jusque-là correspondent à une période où les phases de dépression et les hospitalisations deviennent fréquentes ; l’énergie créatrice du peintre allant en s’amenuisant, il développe un mode d’expression basé sur la force et l’épure,  démarche déjà explorée auparavant, mais cette fois de façon plus  systématique. Des rencontres (les créateurs Alain Lacoste, Stani Nitkowski, Jean-Joseph Sanfourche, Jean-Eric Fouchault) le confortent dans une approche plus directe du dessin et de la peinture.

 

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Jacques Reumeau, Combat-Duel, gouache, craie blanche, pastel sur papier, 1974, Musée d'at naïf et d'art singulier de Laval

 

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Jacques Reumeau, Le Couple, huile sur toile, 1982, Musée d'art naïf et d'art singulier de Laval

 

       Dans une série de quatre pastels et gouaches, l’esprit de Goya se fait  sentir. Le combat-duel (1974) se révèle comme une prise à bras-le-corps du geste pictural et l’expression d’un combat pour la vie.  La peinture Le couple, référence possible à Tatin,  est débarrassée de toute fioriture pour se concentrer sur le sujet : la rencontre de deux bouches, de deux regards démesurés, de deux corps.  Dans les pastels La femme-fleur et Le sommeil à la lune (1982), Reumeau emprunte sans détour le style d’Odilon Redon pour aller à l’essentiel : le visage est réduit à un œil qui écoute. Un dos immense est la caisse de résonance du monde, le corps vibre.

Sommeil à la lune, pastel sur papier, 1982.jpg

Jacques Reumeau, Sommeil à la lune, pastel sur papier, 1982, Musée d'art naïf et d'art singulier de Laval

Accouchement, pastel et fusain sur papier, 1986.jpg

Jacques Remeau, Accouchement, pastel et fusain sur papier, 1986, Musée d'art naïf et d'art singulier de Laval


       Les dernières compositions du peintre au pastel et fusain sur papier, telles Accouchement et Les femmes enceintes (1986), révèlent l’état d’esprit du peintre : alors que la mort le guette, il fait surgir la vie pour triompher du destin. Le corps est réduit à l’état de boyau. Ne comptent plus alors que le regard pour faire face et la main pour combattre. Encore et toujours…

       (Le présent texte (non publié), rédigé dans le cadre de la 6e Biennale de Laval (du Naïf au Singulier : le spectacle des corps, juin-sept. 2007), m’a permis de mettre en avant le combat pour la vie engagé par le peintre dans un corps à corps avec la création durant les dix dernières années de sa vie. J-L.C.)



 ¹ Peintres de la région de Laval comme Reumeau et Cerisier.

08/04/2012

Jacques Reumeau, par Jean-Louis Cerisier (1)

Page de titre expo Laval 84 Hernandez Reumeau.jpg     Jacques Reumeau, cela fait des années que j'en entends parler par un ami peintre lavallois, Jean-Louis Cerisier, qui le connut dans les années 70 et 80 comme d'autres jeunes gens dans cette bonne ville qui fut le berceau de plusieurs peintres naïfs et singuliers, au premier rang desquels le fameux Douanier Rousseau bien sûr, mais aussi, Henri Trouillard, Jules Lefranc, puis pour les Singuliers, Robert Tatin, Alain Lacoste, Sylvie Blanchard, et Jacques Reumeau, cet artiste vagabond, semi clochard, à l'œuvre diverse, inégale, hétéroclite d'où émergent cependant de nombreuses pépites, conservées comme la majorité de l'œuvre (voir le texte de Cerisier ci-dessous) au musée du Vieux Château à Laval, musée qui vient de commencer une mue spectaculaire de l'art naïf à l'art singulier (l'art naïf qu'il possède restant présent bien entendu, puisqu'il s'agit d'une collection de réelle qualité bâtie autour de celle qu'avait commencée Jules Lefranc et qui servit de fondation et de racine à l'essor de la collection ; je rappelle que ce musée a ouvert ses portes au public en 1967). Il faut ajouter que la Sarthe voisine contient d'autres créateurs singuliers ou bruts tout à faits frappants, comme François Monchâtre, Gaston Floquet (voir l'article sur lui par Eva Prouteau dans le récent numéro de 303 sur l'art brut, outsider, modeste), Fernand Chatelain et Emile Taugourdeau. Sans compter que dans les générations actuelles sont apparus des créateurs tout à fait originaux comme Jean-Louis Cerisier justement, ou Serge Paillard, voire Patrick Chapelière et Joël Lorand (un non natif lui pour le coup), qui tous ont un lien avec la figure de Jacques Reumeau, cet artiste qui un jour abandonna l'usine pour se consacrer corps et âme à la peinture (comme le signalait la notice du catalogue de l'expo "De face et de profil" en 1984 au musée de Laval).

 

Les coqs mangeurs de champignons,95x75cm, pastel, MANS de Laval.jpg

Jacques Reumeau, Les coqs mangeurs de champignons, pastel sur papier, sans date, 95x75 cm, Musée d'art naïf et d'art singulier du Vieux-Château, Laval


       Jean-Louis, comme il l'explique lui-même ci-après dans ce texte inédit datant de 2007, se consacre régulièrement à restituer la mémoire de cet artiste atypique, véritable figure de la vie artistique lavalloise (patrie également d'Alfred Jarry).


"Pour que Reumeau ne meure

 

       Jacques Reumeau est décédé il y a 20 ans, le 29 juin 1987, à l’âge de 38 ans. Je voudrais, à l’occasion de cet anniversaire¹, revenir sur la destinée posthume de son œuvre. Le peintre a mis sa vie au service de sa création, engagement total  lié à un désir de reconnaissance, lui-même né d’un sentiment d’abandon ressenti par le peintre dans son enfance.

        Reumeau a commencé à effectuer des donations au Musée de Laval, alors dirigé par Jean-Pierre Bouvet². Le conservateur du musée et le suivant Charles Schaettel ont montré curiosité et intérêt pour l’œuvre et l’ont accueillie favorablement, ce qui a rendu possible  la décision finale de l’artiste de léguer par testament la totalité de son œuvre au musée. Les idées d’éparpillement, de disparition et d’oubli hantaient l’artiste à la fin de sa vie.

 

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       L’amitié et la confiance qu’il m’avait témoignées le poussèrent à me faire promettre de ne pas laisser son nom et son œuvre tomber dans l’oubli. Après sa mort, j’ai mis toute l’ardeur nécessaire à la publication d’un article dans la revue 303 (« Jacques Reumeau, peintre mayennais », n° XXXIX, 1993)

      La conservatrice du musée, Marie-Colette Depierre, au début des années 90, a engagé un inventaire du legs imposant consenti par Reumeau, constitué d’environ 2000 dessins, encres, pastels et peintures. Elle confia un travail de recherche  à des étudiantes en histoire de l’art de l’université de Rennes.

 

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Jacques Reumeau, La Spatule et la baignade des singes, pastel e tfusain sur papier, 1975, Musée d'art naïf et d'art singulier du Vieux-Château de Laval, ph. Bruno Montpied

 

         Estelle Soleillant rédigea ainsi un mémoire de Maîtrise en 1999-2000 (Etude, sous forme de catalogue raisonné, d’un choix d’œuvres de l’artiste mayennais Jacques Reumeau, Université de Rennes 2 / Haute Bretagne, Directeur de recherches : M Poinsot). Ce mémoire présente une synthèse de la vie, de l’œuvre et de l’environnement artistique du peintre, enrichie de propos recueillis auprès de personnes ayant côtoyé le peintre. Anne Archenoul a poursuivi le travail d’inventaire, ce qui a donné lieu à la publication d’un article dans la revue Maine Découvertes : « Au Musée d’Art Naïf de Laval : la redécouverte du fonds Reumeau », (n° 42, septembre 2004).

    Deux expositions posthumes ont été organisées par Marc Girard, artiste-peintre qui avait connu le peintre à Mayenne à la fin de sa vie, l’une en 1987 au château de Juhel à Mayenne, la seconde en 1988 à la chapelle du Géneteil à Château-Gontier. En 2000, à l’initiative d’Alain Guesné et Serge Paillard, une exposition fut organisée au prieuré d’Olivet sur la base d’un choix d’œuvres prêtées par le Musée de Laval sous la conduite d’Estelle Fresneau. Cette exposition a été remarquée pour la qualité de la sélection et de la présentation des œuvres. A l’occasion de cette exposition, Jean-Claude Leroy a publié un recueil d’entretiens qui prolonge le travail entrepris par Estelle Soleillant (revue Tiens, n° 8, mars 2000).

       La Biennale 2007 peut constituer un début de reconnaissance pour des artistes demeurés à la marge. Les vœux de Jacques Reumeau n’auraient alors pas été vains."

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¹Texte rédigé  par Jean-Louis Cerisier dans le cadre de la 6e Biennale internationale de Laval en 2007. Non publié.

²Jean-Pierre Bouvet fut conservateur du musée de 1965 à 1976. Charles Schaettel lui succéda de 1976 à 1990. Puis ce fut le tour de Marie-Colette Depierre, d'Estelle Fresneau, et enfin actuellement d'Antoinette Le Fahler de présider aux destinées du musée.