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02/01/2017

Alfred Flóki (1938-1987), un symboliste surréaliste attardé en Islande

     Grâce à l'aide de Jean-Louis Cerisier qui l'avait gardé dans ses archives familiales, j'ai retrouvé un dessin d'un dessinateur islandais qui, des années 1960 aux années 1980, joua les Alfred Kubin à la sauce Reykjavik.

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Alfred Flóki devant deux de ses dessins (années 1960?)

 

      Sjón, l'écrivain islandais le plus notoire de ce petit pays, et commissaire d'une rétrospective qui a eu lieu au musée des Beaux-Arts de Reykjavik en 2009, connut probablement Flóki, avant que ce dernier disparaisse prématurément à 49 ans. Il  présente ce côté rétro de l'artiste dessinateur comme une manière de réemployer les styles du passé pour les faire servir à une autre époque dans un autre type de récit. Il écrit : "D’une manière semblable à la façon dont Karen Blixen et Jorge Luis Borges réactivaient les vieilles traditions du récit de contes, Flóki employait des techniques visionnaires venues du passé en les intégrant à son propre langage." (Texte de présentation traduit par Bruno Montpied d'après une version anglaise, voir le texte complet à la fin de cette note). C'est assez malin, cette façon de tourner les choses... A priori, je dirais plutôt que par sincère admiration pour les dessinateurs visionnaires de la fin XIXe siècle, début du XXe siècle (les Kubin, les Max Klinger, les Félicien Rops, etc.), Flóki les continuait, en s'assimilant le surréalisme – comme le note aussi Sjón d'ailleurs, dès la première phrase de son texte – mais un surréalisme d'autodidacte, ce qui le rapproche d'un surréaliste belge, appelé Armand Simon (1906-1981), que le musée royal de Mariemont et le Centre culturel wallon à Paris ont exposé en 2014 ,à côté de Kubin, Klinger et Rops. Ce genre de dessinateur illustre à merveille un surréalisme spontané où les rapprochements les plus délirants se mêlent à des provocations immorales, le tout exprimé avec des moyens graphiques adolescents (c'est-à-dire des moyens graphiques en herbe).

     Cela dit, un ami, membre du groupe de Paris du mouvement surréaliste, Guy Girard, m'a envoyé récemment la précision suivante: " Flóki a bien participé aux activités collectives surréalistes du groupe Medusa (le groupe de Sjón, Thor Eldon and co) et auparavant à "Surrealist i Norden" (avec des surrés danois dans les années 1960-1970), si je me souviens bien. J'aime bien ce genre d'art "lubrique-visionnaire"."

Alfred Flöki, (2) encre et plume sur papier, 42x29,5cm,1982, coll.B.M..jpg

Alfred Flóki, sans titre (à moins que le titre soit l'inscription, incompréhensible pour moi, qui se trouve au verso : "©otsy"...), 42x29,5 cm, encre sur papier, 1982, anc. collection Christine Bruces ; c'est le dessin retrouvé dont je parle au début de cette note.

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Dessin d'Armand Simon, publié dans L'ombilic du rêve, Rops, Klinger, Kubin, Simon, sous la dir. de Sofiane Laghouati, La lettre volée et le musée royal de Mariemont (Belgique), 2014 ; même goût pour la provoc' naïve...

 

      Flóki peut être aussi rapproché d'un autre symboliste tardif, Gustav-Adolf Mossa, grand inclassable de l'art à l'écart, vivant à Nice, loin de  la capitale donc, qui possédait cela dit un métier artistique plus poussé, mais qui était tout aussi friand de scènes provocantes, avec des goules fixant de leurs grands yeux fous les spectateurs, du haut de pyramides où s'empilent des cadavres d'hommes nus, massacrés par elles. Ces artistes ont ceci en commun de vouloir forcer le trait, de lâcher les chiens de leurs fantasmes, sans se laisser freiner par de quelconques tabous. Ne s'en effraieront que les grenouilles de bénitiers.

 

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Alfred Flóki, 36,8 x 26,8 cm, 1983.

 

        Alfred Flóki est parfaitement inconnu par nos contrées, du fait du manque de curiosité des professionnels de la critique d'art, et du fait aussi de la barrière de la langue. L'islandais paraît si exotique aux oreilles françaises. Et pourtant, plusieurs artistes islandais, plasticiens ou musiciens de rock et de pop, ont su se faire connaître (en parlant anglais): Erró, Björk, Emiliana Torrini, et plus récemment Olafür Arnalds... Je suis tombé dessus en ce qui me concerne grâce aux surréalistes islandais qui firent parler d'eux dans les années 1980 (Sjón était leur figure de proue, avant de devenir par la suite, l'écrivain national et, accessoirement, le parolier de Björk). Et puis ma grande amie Christine Bruces séjourna en Islande deux mois (1982 ou 83 ?), où elle rencontra Björk, alors peu connue,  Sjón et autres membres du groupe des débuts de Björk, les Sugarcubes... et Alfred Flöki ! Elle m'avait raconté qu'il l'avait même entraînée, voulant la draguer très probablement, dans un petit voyage à travers l'Islande, en louant un taxi. La longue chevelure de Christine lui rappelait certainement les femmes qu'il affectionnait de dessiner dans ses compositions. Le dessin de la femme faisant une fellation à un pendu, qui fut donné à Christine suite au petit voyage, ne fut peut-être pas dessiné en pensant à elle, mais sa réalisation paraît cependant contemporaine du séjour de mon amie en Islande. D'où l'hypothèse qui courut un temps lorsque Christine montra le dessin de retour à Paris qu'il représentait un fantasme de Flóki vis-à-vis d'elle... Elle faisait la grimace devant cette hypothèse, et je ne pense pas qu'elle aimait beaucoup l'œuvre... Après tout, il y a plus romantique comme fantasme.

     Flóki, cependant, ne peut être limité à ce genre de dessin provocateur. Il possède apparemment, si l'on en juge d'après internet, au gré de ventes aux enchères islandaises (l'œuvre ne paraît avoir quitté beaucoup son pays), d'autres sources d'inspiration comme les images ci-dessous tentent de le démontrer.

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Alfred Flóki

Alfred Flöki (38-87), Dökkumio, 60x90cm, 1983.jpg,.jpg

Alfred Flóki, 60x90 cm, 1983.

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Alfred Flóki, Œuf noir, 25x34 cm, 1977.

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Alfred Flóki, Aning (mise en scène), 29 x 24 cm, vers 1986.

 

*

Texte de présentation de Sjón (2009):

     Alfreð Flóki tient une place à part dans l’histoire de l’art islandais. Il fut inspiré par le symbolisme et le surréalisme, les théories de mystiques et de poètes, et ne manqua pas d’offenser ses compatriotes avec les idées audacieuses que ces sources ténébreuses propageaient. A sa première exposition, en 1959, il parut évident que Flóki voguerait à rebours des courants de l’époque. Non seulement il dénonçait l’art de la peinture et l’abstraction, mais ses sujets figuratifs, traités au fusain et à l’encre, étaient, pour le dire diplomatiquement, étrangers au public islandais. Le spectateur était rejeté de la vie morne et grise de Reykjavík vers un monde où la nature humaine apparaissait sous ses formes les plus extrêmes : la procréation et la mort, des fanatiques religieux constipés luttant contre de souriantes et capricieuses séductrices, le durcissement ou le pourrissement de la chair, des singes libidineux fricotant avec de nobles dames au passé suspect. D’une manière semblable à la façon dont Karen Blixen et Jorge Luis Borges réactivaient les vieilles traditions du récit de contes, Flóki employait des techniques visionnaires venues du passé en les intégrant à son propre langage. Mais même si la façon dont Flóki a construit son monde d'images rappelle plus les méthodes de travail des écrivains que celle des artistes, personne, parmi ceux qui auront vu son œuvre, ne peut douter qu’il chercha toujours de nouvelle voies dans ses interprétations visuelles ; la ligne peut tantôt être propre et bien pensée, tantôt devenir indisciplinée et agressive.

      Dans cette rétrospective, nous cherchons à faire connaître aussi bien le Flóki, artiste travailleur acharné, que le Flóki facétieux qui répondait à la curiosité du public à propos de sa vie privée par des interviews chargées de remarques provocatrices. L’œuvre qui reste nous peint une personnalité qui a plongé son regard dans l’abîme et nous a rapporté – à nous qui ne pouvions faire autrement que de regarder de l’autre côté – des histoires de ce rendez-vous dessiné avec la matière même, pourpre et noire, des ténèbres.

Sjón.

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Alfred Flóki, Le génie Alfred Flóki à Kvoldgongu,  30,5 x 18,5 cm, fév. 1959.

 

01/11/2016

Aventures de lignes (10): Gilles Manero

Gilles Manero

 

       Etrange artiste que Gilles Manero, dont je ne finis jamais de faire le tour ‒ pas qu’il soit physiquement volumineux ! ‒ parce que ses univers plastiques et graphiques sont fort variés et souvent secrets. Cet ancien photographe (son métier est la photogravure) s’est fait connaître à une époque avec des disques vinyles qu’il recouvrait de peinture (pas d’inquiétudes mal placées, c’était des enregistrements du genre « marches de l’armée rouge » et autres sessions kitsch… Pas des incunables de la pop music). Tout un poulailler insolite s’y ébattait, qui me faisait surnommer l’artiste en moi-même le « Jérôme Bosch de la volaille »…

           Il a confectionné, depuis, des cadrans d’horloges ornementés, a engendré une série de dessins modifiés sur des personnages imaginaires venus d’un pays « gouloukien », il a pratiqué le collage, le détournement de gravures, le simple dessin à la mine de plomb. Au fond, on peut dire qu’il adore les expérimentations, recherchant des supports extrêmement éclectiques et improbables (comme ce matériau appelé tarlatane qu’il colle sur du papier photographique), ne rechignant pas devant l’usage d’images numériques imprimées qu’il surpeint ensuite, les triturant ou les froissant parfois au surplus.

          Je dois avouer un faible pour ces expérimentations avant tout, et son univers graphique, très souvent visionnaire et proprement surréaliste (si les défenseurs contemporains de ce mouvement étaient plus curieux, ils n’hésiteraient pas à lui demander de se joindre à eux). Parmi ses créations hétéroclites, je lui ai demandé pour les besoins de cette exposition uniquement des dessins, comme autant d’exemples de cette production expérimentatrice fort séduisante quoique inexplicablement occultée (y a-t-il donc si peu de curiosité en France ?).

       (Sur Gilles, Manero, voir Bruno Montpied, note du 7-12-2010 dans le Poignard Subtil)

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Gilles Manero, Rêves de vol, 24x44 cm, pigments, crayons graphite et couleurs sur carton préparé, 2013, exposé à "Aventures de lignes", galerie  Amarrage, 88 rue des Rosiers, St-Ouen, du 22 octobre au 4 décembre 2016.

18/11/2013

Fanzines... d'art brut? Rendez-vous samedi 23 novembre au Musée de la Création Franche

    C'est dans six jours. Une journée entièrement consacrée à la recherche autour des fanzines (petite presse en auto-édition) spécialisés dans l'art brut. L'initiative en revient à Déborah Couette du CrAB (Collectif de Recherche autour de l'Art Brut) et au Musée de la Création Franche à Bègles où se tiendra la journée d'études. Plusieurs intervenants, dont mézigue, sont attendus là-bas. Voici du reste le programme et les intentions des concepteurs de cette journée:

 

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    Des fanzines et des revues autour de l'art brut, il y en a eu, il y en a encore. Mais entièrement consacrés à l'art brut au sens strict du mot, à part les premières plaquettes éditées par la Galerie René Drouin en 1947-48, les publications en jargon de Dubuffet, puis les fascicules édités depuis le début des années 1960 sous l'égide de la Compagnie et de la Collection d'Art Brut, on ne peut pas dire qu'il y en ait eu véritablement. Toutes celles qui parurent, jusqu'à aujourd'hui, du Bulletin des Amis d'Ozenda, en passant par la Chambre Rouge, l'Art immédiat, Les Friches de l'Art, Gazogène, jusqu'à Zon'art et Création Franche, toutes ne parlèrent pas exclusivement d'art brut, mais aussi et surtout des alentours aussi bien, des formes d'art apparentées (art naïfs, habitants-paysagistes, graffiti, art modeste, inclassables etc.) en se référant également à des artistes singuliers rangés ailleurs dans la Neuve Invention (à Lausanne) ou dans la création franche (à Bègles). Comme si le concept d'art brut leur paraissait trop restrictif, trop ghettoïsant...

 

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Bulletin de l'Association Les Amis de François Ozenda

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La Chambre Rouge fut mon premier fanzine un peu sérieux, qui s'intéressait à la fois au surréalisme dans ses aspects les plus vivants, aux fous lttéraiires, aux divertissements littéraires, à la sculpture populaire, à l'art rustique moderne (Gaston Mouly et ses "dessins" ci-dessus évoqués sur la couverture du n°4/5 de 1985, bien avant que Gérard Sendrey ne rencontre, sur mon instigation, le même Mouly et ne s'attribue par la suite la responsabilité d'avoir poussé Mouly vers le dessin...)

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Le n°2 et le n°1 de L'Art Immédiat, ma deuxième revue, de 94 et 95, cette fois plux axée sur les arts populaires spontanés

Création-Franche-n°30.jpgCréation Franche

Gazogène, le numéro plus récent, n°35fanzines,art brut,art singulier,surréalisme spontané,la chambre rouge,l'art immédiat,collection de l'art brut,création franche,crab,déborah couette,zon'art,ozenda,recoins,gazogène

         De plus, les publications de la Collection de l'Art Brut, si elles sont bien de l'auto-édition du fait de la Collection elle-même (dans la majeure partie des fascicules, car les derniers en effet sont édités conjointement avec In Folio éditions), ne sont pas à proprement parler analogues aux "fanzines", éditions qui se caractérisent généralement par une certaine pauvreté de moyens, étant le fait de chercheurs et de passionnés le plus souvent désargentés, indépendants des cercles professionnels du journalisme et de l'édition. 

     Il était cependant tentant d'aller porter un peu l'éclairage de ce côté, pour voir pourquoi il fut important pour quelques passionnés en France –dont le signataire de ces lignes, et animateur de ce blog,  fait partie– de faire de l'information sur les phénomènes non seulement de l'art brut mais aussi de l'art naïf, de l'art populaire rural, de l'art forain, de l'art populaire contemporain aussi appelé art modeste, d'un certain surréalisme spontané, de la littérature ouvrière, des fous littéraires, des environnements spontanés, des cultures urbaines, de l'art de la rue, des graffiti, etc. Il est tentant d'essayer de comprendre aussi pourquoi il n'a pas été possible en France, et ce jusqu'à présent, de monter une grande publication périodique qui se consacrerait à l'étude et à l'information sur tous ces aspects de la créativité autodidacte spontanée, publication qui aurait fait appel à toutes sortes de plumes. Ne seront pas non plus évoquées, très probablement, et ce sera dommage, toutes les publications encore moins spécialisées sur les arts populaires, pas nécessairement des fanzines aux pauvres atours, mais qui ont cependant régulièrement publié des informations sur tel ou tel sujet qui appartenait au corpus, comme les revues Plein Chant, SURR, Jardins, voire les magazines L'ŒilArtension, L'Oeuf Sauvage (par exemple). Des fanzines d'aujourd'hui comme Recoins et Venus d'Ailleurs (très soigneusement édité ce dernier), sans se braquer sur l'art populaire ou brut, savent de temps à autre accueillir des articles sur le sujet. Il faudrait donc ouvrir plus largement le compas et s'interroger sur l'ensemble des articles ou études publiés ici et là sur le thème des arts d'autodidactes inventifs.

 

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Annonce de la publication de la revue Recoins n°5 (avec plusieurs articles concernant les arts populaires et les environnements spontanés), parution 2013

 

     Sans compter que d'ici très peu de temps, il faudra aussi que nos amis universitaires et archivistes se penchent avec suffisamment de documentation numérisée sur les blogs qui ont pris le relais avec vigueur des publications sur papier (comme l'auteur de ce blog qui put grâce à ce médium donner toute l'ampleur qu'il souhaitait à la masse d'informations dont il disposait, une fois passée l'époque "héroïque" des premiers fanzines des années 80 et 90).

Pour suivre cette journée, il semble prudent de réserver auprès du Musée de la Création Franche.