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27/12/2014

L'étrange homme aux yeux exorbités et au slip kangourou un peu lâche

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Anonyme, sans titre, sans date, environ 60 cm de haut, exposé en décembre à la galerie Dettinger-Mayer, Lyon ; ph. Bruno Montpied, 2014

     Avec cet ensemble sculpté en bois naturel, vous devrez chers lecteurs vous déterminer sans la moindre référence préalable. Exercice salubre, n'est-ce pas? Personne ne viendra vous dire ce qu'il faut en penser. Car on a affaire ici à une sorte d'aérolithe, un objet non identifié, une énigme visuelle. En tombant dessus à la galerie Dettinger-Mayer très récemment, où j'étais venu voir l'exposition Solange Knopf, je ne me rendis pas compte tout de suite de son côté atypique. Mon œil la voyait à la périphérie de l'expo et de ma conversation avec les personnes présentes. Et tout d'un coup elle fut là, et m'occupa exclusivement.sculpture anonyme,art brut anonyme,galerie dettinger-mayer

      D'où sortait ce personnage aux yeux exorbités, la bouche largement ouverte aux lèvres épaisses, les oreilles décollées, pourvu d'une paire de jumelles, coiffé d'un calot comme de certains pensionnaires d'hôpitaux psychiatriques d'autrefois ou de certains soldats, portant on aurait dit un slip kangourou en laine fort lâche, jambes  nues, au bout desquelles on voyait cependant des chaussettes (roulées de façon différente l'une de l'autre) et des chaussures?

 

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Anonyme, Galerie Dettinger-Mayer, ph. BM, 2014 

 

      Etait-ce une sorte de touriste que l'on voulait ainsi tourner en dérision (les jumelles et les yeux hors de la tête étant deux détails qui paraissaient marquer une intention de la part du sculpteur), touriste qui en outre avait été dépouillé de son pantalon, et peut-être aussi de sa voiture, vu qu'il traînait à côté d'une valise à terre une portière de voiture (assez semblable à celle d'une 2CV)? Mais alors, d'autres éléments, une petite hache à ses pieds, et surtout un très insolite vélo fort étiré, hésitant entre la bicyclette et la barrière, l'entouraient aussi, parfaitement indéchiffrables... Les roues de cette bicyclette garde-fou étant incomplètes, apparemment volontairement, par intention délibérée d'artiste, conféraient à l'engin un côté évanescent, soulignant sa fonction de simple décor d'arrière-plan. Ces roues étaient percées de trous circulaires ce qui paraissait peu usuel pour des roues de vélo...

 

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Anonyme, détail du bas de la statuette, vélo-barrière, portière, valise, hachette... Galerie Dettinger-Mayer, ph. BM, 2014

 

     L'objet, nous confia Alain Dettinger, son découvreur, avait été chiné quelque temps auparavant aux Puces de Lyon. Et comme d'habitude, avec les objets de curiosité ramassés en brocante, il n'y avait aucun élément d'information concernant ses origines.

25/12/2014

Babahoum continue à Tanger

     On me signale une autre exposition Babahoum ("le père à eux" serait la traduction de son patronyme) du côté de Tanger.

 

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Images  transmises par la galerie Conil

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     Mais à regarder la dernière des deux images transmises ci-dessus après l'affiche de l'expo, on se demande si il n'y aurait pas de la part de notre créateur d'Essaouira une petite inflexion vers un graphisme un peu trop simpliste, même s'il tend à une stylisation abstractisante. Babahoum ne voudrait-il pas, avec ces figures répétées et trop sommaires, créer rapidement pour satisfaire à une demande qui se ferait trop pressante... Ajoutons aussi que dans le cas de ce créateur, plus encore que pour d'autres artistes, les reproductions qu'elles soient numérisées ou imprimées sur papier restent cependant trompeuses et que rien ne vaut la confrontation directe avec les œuvres originales. Ces dernières, surtout celles qui montrent leurs étagements de scènes bédouines, je l'assure, sont pleines de charme et douées d'une très grande force immédiate.

23/12/2014

Jean Galeani

     Ah, formidable initiative que celle de Régis Gayraud que d'être allé surfer sur internet en tapant le nom de Galeani, ce peintre dont j'avais mis en ligne il y a quelques années une toile retrouvée chez deux collectionneurs (ayant préféré rester anonymes). Brillant effort, que je suis toujours réticent à pratiquer personnellement, préférant la découverte de hasard, et peut-être sans doute, parfois trop vieux (et trop paresseux surtout) pour ce genre de recours...

     En cherchant à ce nom de Galeani, Régis a donc déniché l'interview de Pierre Dumayet mis en ligne sur le site de l'INA. Incroyable... On voit Dumayet, dont mes lecteurs fidèles se rappelleront que j'avais déjà signalé (en 2009) une autre interview, consacrée celle-ci au créateur d'environnement Frédéric Séron (toujours sur ce même site de l'INA), on voit Dumayet s'entretenir avec le peintre Jean Galeani, en 1955, alors octogénaire, sur le seuil, de son appartement puis dans son atelier, où il habitait depuis le début du XXe siècle en haut d'une cage d'escalier où faute de place et sans doute de meilleures conditions d'exposition il exposait certains de ses tableaux (l'Aigre de Meaux de son côté, toujours en commentaire de ma note sur le tableau Victoire, défaite de 1919, et après les révélations de Régis, a retrouvé l'adresse exacte où habita Jean Galeani, au 74, rue de Turenne dans le Marais à Paris, adresse qui est donnée dans un compte-rendu par le journal Le Petit Parisien en 1913 de l'affaire d'un autre tableau refusé de Galeani, intitulé La Justice ; on y apprend par ailleurs que le peintre était originaire de Montpellier). Il faut croire que Pierre Dumayet développait dans ces années 50 de l'autre siècle une sympathie récurrente pour les Naïfs et les créateurs autodidactes. Question à creuser...

Interview de Jean Galeani par Pierre Dumayet, 8 avril 1955, site de l'INA

 

    Comme en ont débattu les divers commentateurs qui se sont succédés après la révélation de Régis (voir donc ma note du 10-06-2011), les propos de Galeani dans cette interview paraissent refléter la position qui devait être celle des tenants de la révolution parmi beaucoup d'hommes du peuple à l'époque (avant la fin des années 30, avant les procès de Moscou), à savoir une indifférenciation entre communistes à la Lénine, que Galeani dit avoir "rencontré" (il montre dans le sujet une sculpture où l'on voit Lénine en forgeron) et anarchisme (certains des tableaux présente un christ "vivant" dont Galeani retient surtout l'injonction pacifiste "aimez-vous les uns les autres", tandis qu'un autre plus allégorique présente l'Autorité comme un pied géant venant écraser la foule ; cette critique de l'autoritarisme est au fondement même de l'anarchisme). Cela dit, il semble que Galeani, homme simple, ait gardé de l'affection même à Staline dont l'interview indique à un moment qu'il lui consacra un tableau, sans doute parce qu'il ne s'encombrait guère d'information, ou bien qu'il avait évolué au fil du temps de l'anarchisme au communisme, préférant se concentrer avant tout sur l'attitude anti-capitaliste (il paraissait détester l'argent, dont il se moquait, en lui consacrant un billet  encadré sous-verre telle une icône). A noter aussi la mention que Galeani avait été "parrainé" par Louise Michel qu'il avait également rencontrée lorsqu'il était plus jeune.

 

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Jean Galeani traînant sur une charrette son tableau La Justice du côté du Grand Palais où avait lieu le Salon d'Automne où le tableau avait été refusé ; photo 1913, agence Rol, source Gallica.bnf.fr

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Le même Galeani, alors bien plus jeune qu'à l'époque de l'interview de Pierre Dumayet, en 1913, posant à côté de la charrette chargée de son tableau ; on devine les vers de La Fontaine en bas à droite du tableau ; photo Agence Rol, site Gallica.bnf.fr 

 

     Avec ce film, Régis a pu nous donner d'autres liens également vers un reportage et des photos présentes sur le site Gallica de la BNF, photos faisant partie du domaine public, donc reproductibles à la seule condition d'en indiquer les références et la source, relatant l'affaire d'un autre tableau de Galeani refusé en 1913 par le jury du Salon d'Automne, tableau allégorique inspiré de La Fontaine, et intitulé la Justice, un juge sur le tableau étant campé par un loup brandissant la tête décapitée d'un âne, le coupable  qu'il avait condamné. Les vers de conclusion de La Fontaine (extrait de la fable "Les animaux malades de la peste") étaient reproduits en exergue sur le tableau (visibles à demi sur la photo ci-dessous): "Selon que vous serez puissant ou misérable,/Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir".

     On aimerait savoir bien entendu ce que sont devenus les tableaux de Jean Galéani. ils étaient nombreux, si l'on s'en réfère au mur que détaille à un moment de l'interview le vieux peintre pour Pierre Dumayet. Qu'est devenu ce grand tableau de 1913 La Justice, refusé comme la version plus grande de Victoire-défaite de 1919, lui l'ayant été au Salon de la Nationale (Galeani, naïvement, croyait qu'il aurait des chances dans de tels salons académiques, à moins qu'il n'ait été sûr de s'en faire jeter et que cela lui donnerait l'occasion de le faire savoir, là aussi naïvement ; c'est plutôt dans ces tentatives de communication, charrette à bras défilant dans Paris, inscription pour mémoire au verso de sa mouture réduite de Victoire, défaite, que l'on doit en effet remarquer qu'il se faisait pas mal d'illusions sur ses chances d'être entendu)? Qu'est devenu en particulier aussi le tableau montrant la roulotte où Galeani à une époque de sa vie (après les années 20?) décida de trimballer ses œuvres "de Cherbourg à la Bretagne"? Il y organisait paraît-il des "loteries" où l'on pouvait gagner ses œuvres... Ce qui nous indique que sans doute ses œuvres de l'époque partirent entre les mains de collectionneurs peut-être moins fortunés qu'à l'accoutumée. D'où elles purent continuer secrètement leur chemin vers les brocantes. Je n'ai pour l'instant pas retrouvé dans ma documentation imprimée de mention de ce Jean Galeani. C'est du reste à cause de cette absence de référence dans les ouvrages consacrés à l'art naïf que je n'avais pas cru bon de chercher sur internet. Erreur...! Il faut se rendre à l'évidence, beaucoup de peintres et de créateurs ont été oubliés des ouvrages d'Anatole Jakovsky, Albert Dasnoy et autres Bihalji-Merin. A nous aujourd'hui de les réhabiliter en clamant haut et fort, peut-être tout aussi "naïvement", que ces peintures et ces messages picturaux alliant naïveté (immédiateté) et anarchisme nous concernent. 

 

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Jean Galeani rigolard, photo Agence Rol, éditée en 1914 (mais datant probablement du même jour que la balade en charrette du tableau La Justice)

 

 

 

 

13/12/2014

Postérité des environnements (10): Vente de la Base de la Menegatte d'Arthur et César Vanabelle

      J'apprends que la ferme des Vanabelle, connue pour ses maquettes d'avions sur le toit, ses canons anti-aériens en matériaux récupérés, son tank bâti au-dessus d'une fosse à purin, ses silhouettes de soldats de la débâcle de 1940, etc., a été finalement vendue à un particulier, tandis que la mairie de Steenwerck, la commune où se trouvait la ferme, aurait annoncé vouloir récupérer les pièces assemblées soi-disant pour un "musée local". On sait qu'une association (l'ASMA, animée par un artiste, Gricha Rosov) s'était créée pour tenter d'imposer l'idée d'une sauvegarde du site en l'état, au risque d'en changer profondément le sens (on parlait d'une résidence d'artiste...). Il y aura finalement eu beaucoup de bruit pour un piètre résultat. Et ce qui est étonnant, c'est que cette association n'ait pu finalement contrôler la personne qui vendait la ferme, et que l'opération ait eu lieu en secret. On se demande quelle en fut la raison.

      Autre question aussi qui se pose: pourquoi la commune veut-elle garder ces assemblages hors du site dans un "musée local" où, en l'absence d'autres pièces du même acabit (art populaire, arts d'autodidactes...), on peut prévoir qu'elles ne prendront que peu de sens et qu'elles finiront par y végéter et y mourir...? Alors que leur place, puisque démantèlement fatal il y eut (comme je m'en doutais), serait bien plus évident au musée du LaM dans le département des habitats poétiques à Villeneuve-d'Ascq où l'on possède déjà pas mal de documentation sur la ferme des Vanabelle, ainsi que des relevés minutieux de ses installations...  Le tank, les canons et les avions voisineraient là-bas avec d'autres pièces tout aussi fiévreuses et on aurait l'assurance que les conservateurs sauraient les présenter dans une contextualisation vidéo et/ou photographique idoines...

 

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Vue aérienne du site des Vanabelle, rue de la Menegatte à Steenwerck, date non portée, d'après une photo qui se trouvait accrochée dans la salle à manger d'Arthur et César lors de ma visite en 2009

 

Un Jeu des Définitions 2014, par Jacques Burtin et Bruno Montpied

 

      Petit rappel de la règle de ce jeu, surréaliste au départ… La question est posée de manière automatique. Un deuxième joueur répond sans connaître la question, de manière tout aussi automatique. Dans les exemples ci-dessous, les deux auteurs se sont coulés alternativement dans les rôles du questionneur ou du répondeur. La rencontre surprenante de la question avec la réponse fait tout le sel de cet exercice, où l’on creuse un dialogue entre deux pensées inconscientes l’une de l’autre, mais se réunissant sur un plan autre. 

 *

Qu’est-ce qu’un tortionnaire ?

C’est une peau ridée qui se déplie comme un accordéon.

*

Qu’est-ce qu’un râle ?

Une déchirure sans fin.

*

Qu’est-ce que la Der des Der ?

C’est un labrador qui se prend pour un loup.

*

Qu’est-ce que l’harmonie ?

C’est une danse lascive qui n’ose pas dire son nom.

*

Qu’est-ce qu’un labyrinthe au fond du cœur ?

C’est la coupe bue jusqu’à la lie.

*

Qu’est-ce que la Justice ?

C’est un doigt dans l’œil.

*

Qu’est-ce que l’argument ultime ?

C’est un sous-vêtement ridicule.

*

Qu’est-ce que le mensonge ?

C’est un cheval cabré qui pleure à chaudes larmes.

*

Qu’est-ce que l’ombre ?

C’est une mégère apprivoisée.

*

Qu’est-ce que le Diable ?

C’est une armée à la rescousse.

*

Qu’est-ce que la faim ?

C’est une soupe d’yeux.

 

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Bruno Montpied, Hémorragie voyeuse, 1982

 

*

Qu’est-ce que le doute ?

C’est un renard qui pond des œufs.

*

Qu’est-ce qu’une mauvaise herbe ?

C’est une libellule que l’on suit aveuglément.

*

Qu’est-ce qu’une explosion de colère ?

C’est un train dans la nuit, tu ne sais pas d’où il vient, tu ne sais pas où il va, et quelqu’un te frappe sur l’épaule.

*

Qu’est-ce qu’un bras d’honneur ?

Un aller sans retour.

*

Qu’est-ce que cette mèche rebelle sur votre front ?

C’est un précipice dont personne ne s’échappe.

*

Qu’est-ce qu’une cave ?

C’est la preuve de l’existence de Dieu.

*

Qu’est-ce que l’oubli du passé ?

C’est un gaz qui s’échappe inéluctablement.

*

Qu’est-ce qu’un silence ?

C’est le tâtonnement de l’amant sur le corps de l’aimée.

*

Qu’est-ce que l’excision ?

C’est une bougie qui ne s’allumera pas.

*

Qu’est-ce que l’infini ?

C’est une femme nue.

 

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*

Qu’est-ce que la Création ?

C’est une chemise dont les bras jouent au sémaphore.

*

Qu’est-ce que l’amour aveugle ?

C’est une certaine disposition de l’esprit où le haut et le bas, le beau et le laid, etc., cessent d’être perçus contradictoirement.

*

Qu’est-ce que le mystère ?

C’est une mante religieuse qui dévore son amant.

*

Qu’est-ce que la Beauté ?

C’est un facteur qui ne distribue aucune lettre.

*

Qu’est-ce qu’un livre qui s’ouvre tout seul dans le noir ?

C’est une jupe qui froufroute et se déchire de haut en bas !

*

Qu’est-ce que la censure ?

C’est une défaite devant la lumière.

*

Qu’est-ce que l’Erotisme ?

C’est un soutien qui ne vient pas.

*

Qu’est-ce que la Révolution ?

C’est un train qui hurle dans un tunnel.

*

Qu’est-ce que la sodomie ?

C’est le rêve d’un réverbère.

 

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*

Qu’est-ce qu’un coche en flammes qui fuit sur la route ?

C’est lorsque l’on se rapproche d’une inconnue par derrière et qu’on n’ose la toucher.

*

Qu’est-ce que la vérité ?

C’est la rosée qui transperce les sandales.

*

Qu’est-ce que le doute ?

C’est une façon de nier l’évidence.

*

Qu’est-ce qu’une menotte ?

C’est un animal fabuleux que l’on caresse et qui vous mord.

  

Jacques Burtin et Bruno Montpied, octobre 2014

10/12/2014

Du griffonnage dans les centres d'appel téléphoniques suisses

    Comme le dit M. Léo Ramseyer, qui m'a communiqué le lien vers son blog  (qui s'appelle Tropicalizer et où l'on cause parfois d'art brut parmi d'autres choses, par exemple des merveilleuses broderies minuscules et naïves du prisonnier Ray Materson), où il a initialement mis en lecture  le cahier que je mets en lien (repérez le mot "jus") ci-dessous  rempli de griffonnages collectés dans un centre d'appels téléphoniques, qu'y a-t-il de plus idéal pour rencontrer du griffonnage et du "dessin de téléphone" que ce genre d'endroit où tous les employés griffent à qui mieux mieux les pages de leurs blocs-notes ? Feuilletez-le et vous trouverez là du griffonnage pur jus. Moi j'aime ceux des pages 12, 13, 14, 15, 17, 35, 40, 41...

05/12/2014

Alain Dettinger invite Solange Knopf à Lyon

      L'œuvre produite sous le signe du merveilleux par Solange Knopf poursuit son bonhomme de chemin en atterrissant cette fois à Lyon, place Gailleton, dans le cadre d'une exposition intitulée "Animus/Anima", organisée par la galerie d'Alain Dettinger, qui est comme on le sait consacrée sur deux rangs à "l'art primitif" (essentiellement africain) et à "l'art contemporain" (au sens où celui-ci, Darnish, désigne bien l'art d'aujourd'hui et non pas "l'art communicationnel" à la François Pinault et autres grands argentiers du moment).

 

galerie dettinger-mayer,solange knopf

Solange Knopf, carton d'invitation à l'exposition de la galerie Dettinger

 

     Cela durera du 5 décembre 2014 au 3 janvier 2015. Dans le même temps, signalons qu'on trouvera dans le dernier numéro 84 de la revue internationale (anglophone) Raw Vision un article sur Knopf, rédigé par Edward B. Gomez, tandis que moi-même livrerai bientôt dans le n°41 de la revue Création Franche, prévue probablement pour la fin de cette année, une interview de la même Solange.

 

galerie dettinger-mayer,solange knopf

galerie dettinger-mayer,solange knopf

Série Behind the darkness, coll. privée, Paris

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Série Botanica, coll. privée, Paris

 

     Solange Knopf entretient des parentés stylistiques (c'est en effet plus la forme qui l'apparente que le contenu) avec des créatrices telles Guo Fengyi ou Josefa Tolra (cette dernière aura des dessins bientôt exposés à la Halle St-Pierre à partir du 21 janvier dans le cadre de la prochaine expo consacrée à la revue Les Cahiers Dessinés). Poudreuses traces d'un imaginaire qui surgit sur le papier à la limite du mirage, car on a parfois l'impression devant ces dessins qu'ils sont en instance d'évanouissement. La galerie d'Alain Dettinger, qui repère tant de créateurs originaux depuis des lustres, ne pouvait passer à côté de cette créatrice à l'univers séduisant, et donc en cette fin d'année, il faut faire le voyage de Lyon...

 

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Solange Knopf, série Behind the darkness

 

A signaler le site web de Solange Knopf que j'ai oublié d'ajouter à cette note, comme me le rappelle le commentaire ci-dessous de la mère Molitor. On peut y découvrir nombre d'autres reproductions du travail knopfien et des images du vernissage qui a eu lieu jeudi 4 décembre

 

01/12/2014

Marie Audin revient au musée de la Création Franche

     Du 5 décembre 2014 au 1er février 2015, on pourra aller découvrir les petites œuvres faites selon la technique du pricking, mise au point par la créatrice, Marie Audin (-ex Marie Adda), au musée de Bègles. Une centaine d'œuvres sont accrochées, en même temps que se tient une seconde exposition parallèle d'Albert Louden (gros bonshommes en apesanteur...), sujet britannique, comme une moitié de Marie Audin, dont la mère était anglaise. J'ai déjà présenté cette créatrice, complète autodidacte, dont le métier est dermatologue, ce qui a un rapport étroit avec ses réalisations (qui a dit que les éléments biographiques n'avaient aucune importance pour comprendre une œuvre artistique?). C'était dans Création Franche n°33, en 2010 ("Marie Adda: sous la peau des images"), suite à ma découverte de ses œuvres exposées déjà à Bègles (c'est ce musée qui l'a révélée en 2009 ; de même que c'est sa visite qui quelques temps auparavant avait révélé à Marie les différentes formes d'expression affranchies de l'art académique qu'il contient, réveillant en elle le désir de reprendre des velléités créatrices qui s'étaient alors rendormies).

 

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Marie Audin, un de ses prickings, avec inscriptions, "Help", "Hope and glory", "Don't give up the fight!", ph. Bruno Montpied, 2014

 

      Marie joue avec des supports qu'elle chipe la plupart du temps dans les restes de matériaux qu'elle manipule à son travail, elle les piquète (d'où le mot anglais de "pricking") à l'aide d'aiguilles et de seringues. Dessous-dessus, et dessus-dessous. Cela ne donne pas les mêmes trous. Parties depuis le dessus, les perforations ont des bords légèrement boursouflés qui les apparentent aux pores de la peau, ou à une chair de poule. L'aiguille ayant traversé depuis le dessous, les trous s'apparentent à de simples points (J'ai rappelé dans mon article de 2010 que Marie avait gardé un brillant souvenir d'avoir admiré des tableaux de Seurat et Signac... Des pointillistes comme de juste!).

 

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Marie Audin, sans titre, deux personnages affrontés, pricking et broderie, aquarelle, ph BM, 2014

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Marie Audin, sans titre, composition aquarellée, brodée et pricking, ph BM, 2014

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Marie Audin, sans titre, composition abstraite, par pricking, ph BM, 2014

 

     Ses compositions sont tantôt abstraites, ressemblant parfois à des géographies, des photos aériennes de campagnes agricoles, Marie aimant à se perdre dans des jardins austèrement ratissés à la Ryoân-Ji , tantôt elles sont figuratives, campant des grosses têtes sommaires sans détail superflu, ou bien tantôt encore ses œuvres combinent un peu les deux séries, ce que personnellement je préfère chez elle. Ce sont du reste ces dernières œuvres qui pourraient la faire ranger dans l'art brut, en raison de leur tension inventive, tandis que les autres, les grosses têtes, la feraient plutôt ranger du côté des Singuliers, autodidactes sans formation artistique créant des figurations sans volume, dans un graphisme proche de l'art enfantin ou du moins d'une certaine stylisation, mais non dénuées de références à la culture artistique (à commencer par d'autres singuliers, comme Chaissac, Sanfourche, Macréau, Basquiat, Chomo...). Avec ses "grosses têtes", elle entretient un cousinage inconscient avec un Pierre Albasser, lui aussi révélé au musée de la Création Franche du reste. L'œuvre piquetée, sur un fond préalablement aquarellé, elle ajoute parfois aussi du fil et rajoute de la broderie dans ses compositions (les plus complexes). Et puis elle passe beaucoup de temps à les cadrer grâce aux passe-partout qui jouent un rôle primordial dans ses œuvres.

 

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Marie Audin dans ses efforts de cadrage, ph. BM, 2014

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Marie Audin, sans titre, deux figures en broderie et pricking, ph BM, 2010

     C'est donc à une seconde peau que s'en prend Marie Audin, avec ses aiguilles, et le vocabulaire dermique peut facilement venir à l'aide en ce qui la concerne. C'est une curieuse acupuncture en effet à laquelle elle se livre, sur le corps symbolique de l'image, et parfois aussi de curieuses sutures avec sa broderie. A qui prodigue-t-elle en premier ce qui s'apparente à des soins avec ses seringues et ses aiguilles? Quelles plaies recoud-elle? S'agit-il des spectateurs, ou d'elle-même? Probablement des deux.

 

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La boule aux aiguilles variées, qui sont les outils de la créatrice ; à noter aussi dessous le set de table avec ses sillons concentriques qui ressemblent à certaines des compositions de Marie Audin, ph BM, 2014