06/08/2018
T. Venkanna, un étonnant figuratif érotomane indien
J'avais été intrigué, il n'y a pas si longtemps, par les aquarelles ou les encres, souvent sur papier et même sur papier de riz, d'un jeune artiste indien présenté à Paris parmi d'autres artistes contemporains dans la galerie d'Hervé Perdriolle, rue Gay-Lussac.
T. Venkanna, sans titre, aquarelle ou encre sur papier, 10x14 cm, 2018, ph. et coll. Bruno Montpied ; qu'est-ce que cette bête qui sodomise cette femme bleue manchote qui pour sa part embouche la trompe de la dite bête par l'autre côté, une étrange forme sombre poilue, piquetée de points blancs les masquant tous deux, forme sur l'identité de laquelle le spectateur se perd en conjectures...?
T. Venkanna, 10x15cm, 2018. Toujours cette curieuse manière de cacher une partie des scènes...
T. Venkanna, 15x10cm, 2018 ; voici qui peut faire penser à Topor...
Leur inspiration louche du côté d'une espèce d'érotisme souvent scabreux, représenté avec raffinement et une certaine candeur. Les scènes sexuelles exhibent ainsi parfois des rapports zoophiliques, avec des bêtes pas toujours très répertoriées en zoologie. On songe vaguement à Roland Topor, et parfois aussi au Douanier Rousseau. Hervé Perdriolle va jusqu'à citer en référence Jérôme Bosch.
T. Venkanna, sans titre, encre sur papier de riz marouflé sur toile, 76x55cm, 2018 ; où l'on voit que l'artiste peut aussi s'exprimer sur des formats plus grands.
Ce dernier s'apprête à monter une exposition de 50 œuvres de notre Venkanna à partir du 27 août dans sa galerie¹ située en appartement. A ne pas manquer pour les curieux.
L'artiste photographié en 2015, à côté d'une affiche – peut-être d'un film? – en tout cas d'un graphisme au sujet voisin de son propre univers graphique ; on notera le tee-shirt à l'enseigne des pirates...
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¹ (Galerie Hervé Perdriolle, rue Gay-Lussac Paris 75005, visite sur rendez-vous, contact +33 (0)687 35 39 17).
00:04 Publié dans Art immédiat, Art insolite, Art moderne ou contemporain acceptable, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : t.venkanna, galerie hervé perdriolle, art contemporain indien, topor, bosch, douanier rousseau, érotisme, zoophilie | Imprimer
08/04/2016
Info-Miettes (27)
Ma dernière volée d'infos-miettes remonte au 19 avril de l'année dernière. Cela ne veut pas dire un "Info-miettes" par an tout de même... En voici donc quelques-unes.
Une expo "Pépé" Vignes au Musée des arts buissonniers
Pol Lemétais et l'association Les Nouveaux Troubadours montent une exposition sur cet étonnant dessinateur qui au ras de sa table, handicapé par sa vue déficiente, traçaient, entre autres, une légion de véhicules de tous types, cars, voitures, steamers, à l'aide de crayons de couleur ou de feutres. Les crayons de couleur tiennent mieux dans le temps comme on sait. Je connais un collectionneur amateur qui a vu ainsi ses Vignes se volatiliser progressivement puisqu'il les avait imprudemment laissés à la lumière du jour. A côté d'une centaine de dessins des années 1970 et 1980, on verra aussi à Saint Sever du Moustier (pas loin d'Albi) des objets, livres, photos et films en rapport avec ce "créateur emblématique de l'art brut". Cela apparaît comme une manifestation apportant du nouveau sur le sujet Pépé Vignes. C'est du 9 avril au 5 juillet.
Joseph dit "Pépé" Vignes, photo JDLL (illibérien, c'est-à-dire, un habitant d'Elne), sans date
Et, pendant ce temps, Paul Amar à la galerie Nicaise à Paris...
Une autre vedette de l'art brut, cette fois plus contemporain, Paul Amar (voir portrait ci-contre, au musée des arts buissonniers où une salle lui est consacrée), est exposé quant à lui dans une galerie parisienne qui était plutôt connue autrefois comme une librairie vouée aux livres d'art, aux estampes, aux gravures. Il semble que Nicaise ait tourné sa veste en faveur des arts bruts. Elle a récemment exposé André Robillard, décidément devenu un incontournable de l'art brut (en dépit des coups de main qui cherchent à épauler ses bricolages de ci, de là ; je crois savoir que les fusils en assemblages de matériaux recyclés, il aimerait bien les abandonner pour se consacrer exclusivement au dessin et aux objets spatiaux, mais la commande l'en empêche et il est gentil, il veut faire plaisir et peut-être aussi que ça met du beurre dans les épinards). Voici que la galerie récidive avec Amar, connu pour ses assemblages de coquillages rutilants, et peut-être parfois un peu trop clinquants. Personnellement, dans ses travaux je préfère les petits monstres qui ressemblent parfois à des gremlins, proches parents des monstres que dessinait l'ancien gardien de la paix catalan, Josep Baqué, lui aussi présent dans les collections d'art brut. Cela durera jusqu'au 7 mai, c'est plus bref, donc.
Créations naïves et singulières en Mayenne... et en Pays de Loire
L'association CSN 53 reste toujours fort active. Après des expositions loin de France (chroniquées sur ce blog) , la voici qui revient au pays natal. Avec une brochette d'artistes et de créateurs que ses différents membres ont pris l'habitude de défendre: Cahoreau (qu'adore Michel Leroux, "l'égaré" de l'art obscur – label récupéré de la corbeille de Dubuffet), Cerisier, Chapelière (dont une œuvre sert d'illustration à l'affiche de l'expo, voir ci-dessus), Marc Girard, Céneré Hubert (un créateur populaire d'environnement dont plusieurs œuvres ont été sauvées par Leroux), Alain Lacoste (un grand ancien de l'art singulier), Patrick Le Cour (je connais pas), Joël Lorand (lui, on connaît), Serge Paillard ("l'homme aux patates", comme on commence à le surnommer ici et là), Jacques Reumeau, Antoine Rigal, et Robert Tatin (que sa veuve ne voulait surtout pas qu'on range dans l'art singulier, label qu'elle trouvait sans doute réducteur, à tort bien sûr). Et puis nos Mayennais, souvent protectionnistes (je taquine) et jaloux de leur "mayennité" (je re-taquine), ont daigné ajouter à ce premier lot des artistes des Pays de la Loire: Noël Fillaudeau (dont une belle sélection est désormais accrochée au Musée d'art naïf et d'arts singuliers du Vieux-Château à Laval), Stani Nitkowski (dont j'apprécie les premières œuvres et beaucoup moins les suivantes, plus "expressionnistes-explosives", invitant le public à lorgner sur ses souffrances, et à se complaire dans ce spectacle), François Monchâtre et Yvonne Robert (naïve, brute ou singulière?). L'exposition se passe à Laval mais pas au Vieux-Château, plutôt au "musée-école de la Perrine", charmant hôtel particulier installé dans le jardin de la Perrine, à deux pas de la tombe du "gentil Douanier Rousseau" (auquel le Musée d'Orsay consacre comme on sait une grande rétrospective en ce moment à Paris, avec, paraît-il, l'exhibition du fameux tableau "Le Rêve", venu des USA, d'où il voyage rarement).
Musée-école de la Perrine, ph. Bruno Montpied, 2016
La tombe du Douanier Rousseau, avec, incisé à sa surface, le poème d'Apollinaire, Jardin de la Perrine, ph. B.M., 2016
Et la Fabuloserie continue d'exposer de manière décentralisée, Auxerre cette fois-ci
"Itinéraires fabuleux" est le titre de l'expo montée à l'Abbaye St-Germain au Logis de l'Abbé du 26 mars au 13 juin à l'initiative de l'Espace d'Arts Visuels de la ville d'Auxerre. Cela se veut une rencontre entre les créateurs de la Fabuloserie (basée elle aussi en Bourgogne, à Dicy) et des œuvres de l'artothèque de la ville. Sur l'affiche on reconnaît une pierre peinte par Jacques Renaud-Dampel, dont j'ai déjà parlé ici, confrontée à une œuvre du célèbre membre du groupe Cobra, Karel Appel, cette dernière pièce (un poil infantile, un Appel à tarte, si j'ose m'exprimer ainsi) provenant sans doute de l'artothèque, car je ne sache pas qu'il y en ait à la Fabuloserie.
Sortie d'un nouveau livre sur Hauteville House de Victor Hugo
Paris-Musées édite un nouveau livre sur la maison étonnamment décorée que posséda Hugo à Guernesey. Je ne connaissais personnellement jusqu'ici qu'un livre ancien, dû au poète Pierre Dhainaut, et édité au début des années 1980 (il me semble) aux éditions Encre (les mêmes qui éditèrent des livres sur le Facteur Cheval et Picassiette). Ce nouvel ouvrage, intitulé exactement Hauteville House, Victor Hugo décorateur, 160 pages, comporte des photographies et des dessins dus à deux arrières-arrières-petits-enfants du poète, Jean-Baptiste et Marie Hugo. Et Laura Hugo, fille de Marie, a sélectionné des écrits familiaux permettant de situer l'apport du Hugo décorateur, adepte d'un art total. Il a décidément tâté de tout, le grand homme, poète, romancier, dramaturge, photographe, peintre et décorateur. La parution du livre prend place à l'occasion de l'exposition "Les Hugo, une famille d'artistes" (du 14 avril au 18 septembre).
Ursula à la galerie Les yeux fertiles
Sur cette artiste à part, compagne du peintre Bernard Schulze (aussi exposé à côté d'elle dans cette même galerie Les yeux fertiles), on a peu de renseignements (en français). Cela fait des années que je la vois mentionnée ici et là, notamment au moment de la donation Cordier au MNAM (Daniel Cordier l'exposa dans sa galerie), et je n'arrive pas à me décider à creuser la question. Je la prends pour une autre Unica Zürn au fond, une artiste visionnaire, para-surréaliste, marginale par rapport à ce mouvement (on dirait que comme dans le cas de Bellmer et Zürn, on aurait encore affaire ici à un autre couple d'artistes allemands où une femme se cache, à tort ou à raison, dans l'ombre de son compagnon). A lire la base patrimoniale des musées de Suisse romande, plusieurs œuvres d'elle (Ursula Bluhm) figurent dans la Collection de l'art brut, sans doute dans l'ancienne collection annexe dite de la "Neuve Invention" (les cas-limites entre art brut et art reconnu ; la base patrimoniale en question ne mentionne pas le distingo, et c'est un peu embêtant, accroissant la confusion entre créateurs de la Neuve Invention et la collection princeps de l'art brut). Dubuffet acquit de ses œuvres avant qu'Ursula se marie avec le peintre Bernard Schulze. L'automatisme très présent dans ses œuvres, accompagné d'une grande richesse chromatique, ses jungles de petites touches mosaïquées, rendent la fréquentation de ses œuvres fort agréable.
L'exposition d'Ursula et Bernard Schulze, aux Yeux fertiles, dure du 17 mars au 7 mai.
Un dessin aux crayons de couleur d'Ursula Bluhm, de 1959, tel qu'il figure sur la base patrimoniale de Suisse romande
Et que va-t-on montrer à la galerie Dettinger-Mayer en ce printemps? Christelle Lenci
Plus récente exposition de la galerie lyonnaise, c'est prévu pour durer du 9 avril au 4 mai. "Il était une fois", c'est son titre et, comme on le devine un peu en regardant le carton d'invitation, ce sont des dessins qui sont exposés de cette artiste, Christelle Lenci, dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'ici. Histoire de nous emmener en promenade dans une forêt de contes à usage interne peut-être... L'intéressant pour moi dans ce genre de dessins c'est l'usage parallèle du noir et blanc et de la couleur. Le noir et blanc paraissant réservé aux évidements, à la réserve laissée par les espaces colorés... Enfin, je le suppose à partir de ce seul dessin...
Armand Schulthess à Lugano
Inscriptions accrochées sur le terrain (de 20 000 m²) que possédait Armand Schulthess au Tessin ; ph. Hans-Ulrich Schlumpf, années 1970
J'avais déjà mentionné l'exposition qui avait été montée au Centre Dürrenmatt de Neuchâtel sur cet ancien fonctionnaire qui abandonna son travail à 50 ans pour se retirer en ermite du côté du Monte Verita dans le Tessin, lieu emblématique et historique où tant d'artistes, de poètes, de philosophes et de révolutionnaires, firent des séjours. On peut imaginer que l'exposition qui a commencé le 19 mars au MASI (musée d'art moderne) de Lugano, pour durer jusqu'au 19 juin, sous le commissariat de Lucienne Peiry, est le prolongement de celle de Neuchâtel. Pour en savoir plus sur ce créateur encyclopédiste qui avait semé des médaillons couverts d'inscriptions chargées d'informations scientifiques de tous ordres sur les arbres de son jardin (assez proche par le projet d'un Gregory Blackstock aux USA, ou d'un Arthur Bispo de Rosario au Brésil, eux-mêmes passablement férus d'accumulation d'informations), on peut écouter Lucienne Peiry interviewée dans une émission de radio, "A vous de jouer", sur Espace 2 (elle intervient seulement à 41'30, attention). Ou se référer aussi à son site, Notes d'Art brut.
Du côté de la création franche, le musée de Bègles réaménage ses salles et son accrochage
Après un bref moment de pause et de fermeture, le musée de la création franche annonce avoir repensé entièrement l'accrochage de sa collection permanente. Au point de proposer au total, répartis sur trois expositions distinctes, deux temporaires et une permanente, plus de 250 créateurs et artistes avec plus de 600 peintures et sculptures.
L'exposition du rez-de-chaussée, traditionnellement temporaire (elle se tient du 15 avril au 5 juin), s'intitule "les Mots à l'œuvre", présentant, en trois phases, différentes façons chez les créateurs exposés d'intégrer du texte et des mots au sein des images, la dernière phase se concentrant davantage sur les œuvres de lettres et de signes : du lettrisme sauvage en quelque sorte.
Une œuvre de Jacob Morf présente dans l'expo "Les mots à l'œuvre"
A l'étage (le musée n'en a qu'un), une exposition de Jeroen Hollander (de même durée que celle du rez-de-chaussée), avec ses réseaux de transport, je dois dire, ne m'a pas particulièrement convaincu. Je préfère encore rêver sur de vrais plans de métro...
Les salles de l'étage consacrées à la collection permanente ont été quant à elles réorganisées sur le thème du "foisonnement et de l'accumulation". Son titre, "Densités brutes", met l'accent, une fois de plus, sur le "brut" (sur le site du musée, un sous-titre précise que par musée de la "création franche", il faut entendre "musée d'art brut et apparentés"). Or, pour ceux qui connaissent bien le musée, on sait qu'au final une grande partie de la collection permanente comprend des créateurs et des artistes qui sont aussi apparentés à l'art singulier, synonyme de "neuve invention" à Lausanne. Ce qui n'est pas tout à fait identique à ce qu'on appelle "art brut". Je fais partie personnellement de la collection de création franche, et je me sens en effet très peu "brut"...
Une petite peinture à la délicate touche naïve et rugueuse de Joseph Sagués, ancienne collection Claude Massé, actuellement collection permanente de la Création franche ; à côté de l'art singulier, comme on le voit, dans la collection permanente il y a aussi de l'art naïf
00:38 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art singulier, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : csn 53, art naïf, art singulier, paul amar, joseph pépé vignes, musée des arts buissonniers, musée-école de la perrine, douanier rousseau, fabuloserie, renaud-dampel, victor hugo décorateur, hauteville house, ursula bluhm, galerie les yeux fertiles, christelle lenci, galerie dettinger-mayer, armand schulthess, lucienne peiry, création franche, les mots à l'oeuvre | Imprimer
22/07/2015
Un catalogue d'expo "La Mayenne à l'oeuvre" au Centre Kondas d'Art Naïf en Estonie
On peut désormais trouver en vente à la librairie de la Halle St-Pierre (par exemple...) le catalogue de l'expo "La Mayenne à l'œuvre: Destins croisés" organisée à Viljandi au Centre Kondas d'art naïf. J'ai déjà évoqué cette manifestation montée par l'Association CSN 53 ("Création Naïve et singulière en Mayenne"), conçue et coordonnée par Jean-Louis Cerisier, avec l'aide entre autres de Serge Paillard et Michel Leroux.
L'Estonie, c'est un peu loin... Et donc ce catalogue permet d'en voir davantage. Sur les créateurs et artistes mayennais, et aussi pour partir à la découverte de ce mystérieux inconnu qu'est Paul Kondas qui, s'il a été recensé dans l'Encyclopédie mondiale de l'Art Naïf (en 1984...), reste largement inconnu par nos contrées. Ce qui est dommage étant donné les quelques quatre peintures que nous montre le catalogue... (On aimerait fortement en voir plus).
Paul Kondas, Fleur de fougère, 80,5 x 51 cm, huile sur toile, 1980, coll. Musée de Viljandi (j'aime beaucoup le procédé de cerne blanc créant un halo luisant autour des personnages et des ronds dans l'eau, halos créés par l'éclat de la lune dans l'esprit de l'artiste, lune qui nimbe toute la scène d'une lueur de merveilleux)
Paul Kondas, Chasseur aux lapins, 140,5 x 86 cm, huile sur toile, 1977, coll. Musée de Viljandi
Dans l'esprit du concepteur de l'expo, il s'agissait donc d'esquisser une sorte d'échange entre des artistes mayennais et ce peintre naïf dont 26 œuvres furent acquises par le musée de Viljandi qui lui voua aussi son nom apparemment. Je ne sais pas à l'heure où j'écris ces lignes s'il est arrivé à convaincre Laval d'exposer des œuvres de Paul Kondas.
Henri Rousseau, La fabrique de chaises à Alfortville, prêt temporaire du Musée de l'Orangerie à Paris dans le cadre des collections permanentes du Musée d'Art Naïf et d'Art Singulier de Laval en février 2015 (pour pallier les prêts que ce dernier musée avait consenti au Palais des Doges à Venise dans le cadre d'une rétrospective Rousseau)
Certains pourront peut-être se demander pourquoi avoir adopté une perspective aussi régionaliste, par un curieux désir de se construire un destin ancré dans une zone départementale... Ce serait oublier qu'il s'est passé depuis déjà un siècle un curieux ancrage artistique à Laval et sa périphérie. Tout étant parti sans doute d'Henri Rousseau dit "le Douanier", puis de la fondation du Musée d'Art Naïf du Vieux-Château dont les collections s'enrichirent au départ d'un important socle d'œuvres provenant des collections rassemblées par Jules Lefranc, autre peintre naïf fort important, à la lisière d'une figuration poétique savante, de laquelle pourrait aussi participer l'œuvre d'un Elie Lascaux, originaire d'une autre partie de la France, le Limousin.
Jules Lefranc, Le môle noir, gouache sur papier, vers 1930, Musée d'Art Naïf et d'Art Singulier de Laval
C'est peut-être cette ouverture de Lefranc vers une figuration réaliste poétique qui amena d'autres peintres du cru, comme Henri Trouillard, à voguer de dérivation en dérivation vers des horizons carrément visionnaires, des Robert Tatin (présent par des lithographies dans l'expo Cerisier), des Alain Lacoste (lui aussi exposé à Viljandi) arrivant dans les décennies suivantes avec dans leurs bagages une liberté de ton encore plus radicalement éloignée de la représentation du réel "rétinien" (on les range dans ce qu'il est convenu d'appeler "l'art singulier", catégorie d'artistes en marge, semi-professionnels, au dessin automatique et empirique, plus ou moins inspirés par les exemples du surréalisme, de COBRA, ou de l'art brut). Jacques Reumeau pour sa part synthétisa peut-être toutes ces tendances dans le "melting-pot" d'une œuvre qui débouchait parfois dans l'hétéroclite, dérapant même jusqu'à une forme de ratage pathétique dans quelques cas. Deux œuvres reproduites dans le catalogue, provenant des collections Cerisier et Leroux, sont au contraire bien abouties, illustrant bien ce que j'appelle le "melting-pot" stylistique que paraissait rechercher Reumeau (et qui fait sa marque de fabrique, semble-t-il).
Jacques Reumeau, L'oiseau et le poisson, la rencontre, 64,5 x 49,5 cm, pastel, 1975, coll. Art Obscur Michel Leroux
Après ces glorieux aînés, vinrent toutes sortes d'autres artistes mayennais ou d'adoption (comme Joël Lorand, venu s'installer un temps en Mayenne ; je le crois aujourd'hui plutôt posé à Alençon) dont nous parle à l'occasion Jean-Louis Cerisier. Dans son expo en Estonie, on remarque les œuvres de Brigitte Maurice (figurative poétique semble-t-il), de Serge Paillard ou de Marc Girard. A suivre les indications de Cerisier dans ce catalogue, on comprend donc qu'il y a bien un creuset particulier dans cette belle région mayennaise.
Brigitte Maurice, Sans titre, 31,2 x 29 cm, huile sur bois, 2014, coll. Jean-Louis Cerisier
Et même si Jean-Louis Cerisier paraît avant tout s'intéresser à l'art dans une perspective de plasticien contemporain féru d'histoire de l'art, il n'oublie pas d'inviter des créateurs que l'on pourrait ranger dans l'art brut, comme Gustave Cahoreau, Patrick Chapelière (découvert et défendu au départ par Joël Lorand) ou "l'Ami des Bêtes" Cénéré Hubert pour lequel j'ai une certaine prédilection, créateurs "bruts" en cela qu'ils paraissent vivre (ou paraissaient vivre dans le cas de Hubert, décédé en 2001) au plus près leur création dans une proximité fusionnelle.
Cénéré Hubert, devant le portail décoré de son atelier, St-Ouen-des-Toits (Mayenne), ph. Michel Leroux
20:39 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : mayenne à l'oeuvre, jean-louis cerisier, serge paillard, centre paul kondas, viljandi, art naïf, art singulier, musée du vieux-château à laval, douanier rousseau, alain lacoste, robert tatin, henri trouillard, jacques reumeau, patrick chapelière, céneré hubert, jules lefranc | Imprimer
01/12/2013
Naïfs et Singuliers de Mayenne à Minsk, nul ne serait prophète en son pays?
Jean-Louis Cerisier, auto-bombardé ces temps-ci président d'une nouvelle association des Créateurs Naïfs et Singuliers de la Mayenne (CNS 53), me transmet l'information d'une exposition fort intéressante qui va se monter en Biélorussie à Minsk. Génial, les populations de là-bas pourront découvrir ce qu'ici en France on ne paraît pas capable de découvrir, à savoir qu'a existé, qu'existent encore, à Laval et dans sa région, une pléiade de créateurs et d'artistes talentueux et originaux, à la figuration tantôt poétique tantôt singulière (j'en ai déjà plusieurs fois parlé sur ce blog, voir plus loin). Nul ne serait décidément prophète en son pays, l'adage ne cesse de se vérifier dans notre beau pays qui paraît condamné à s'exporter pour se faire reconnaître. Comme me le disait récemment Jean-Louis, il y a de la frilosité dans ce pays. En témoignent, entre autres, toutes ces expositions d'art brut japonais, britannique, américain, italien, serbe, etc., qui se succèdent à Paris, tandis que pas une ne se consacre à nous montrer l'art brut français. Quoi? Qu'ai-je dit? On dirait presque un gros mot. Vous avez bien écrit: l'art brut français? Mais il ne faut pas y songer, nom d'une pipe. Cela ne peut être envisagé, ou bien alors il faut le faire à l'étranger, mis à distance, on acceptera peut-être de considérer la question. Je me demande aussi quelquefois si ces expos d'art brut de plus en plus exotiques ne se font pas surtout pour permettre aux commissaires et "curateurs" (ouh, le vilain mot à la mode) des collections d'art brut de se payer des voyages aux frais de la princesse... Parler de ce qui se produit en France serait-il forcément une attitude nationaliste? Ne serait-ce pas plutôt lié à notre volonté de parler de nos voisins créatifs, de ceux qui vivent sur un territoire quotidien que nous connaissons bien, dans un pays qui est le nôtre, autour de nous où nous pouvons facilement voyager, les distances étant courtes...? Ne serait-ce pas parler d'une création démocratique se manifestant dans l'immédiat et de façon directement poétique?
Voici la lettre qui annonce l'événement. Avec le bon de souscription pour commander le catalogue qui aura 56 pages et 31 illustrations (si l'on veut imprimer le bon de commande plus nettement on clique ici). L'exposition qui va être montée à Minsk prendra place au Musée National des Beaux-Arts de Biélorussie du 2 décembre 2013 (demain) au 6 janvier 2014. Elle devrait présenter en tentant d'en expliciter les rapports et les filiations les œuvres du Douanier Rousseau (le grand ancêtre d'où tout découle... Et ceux qui exposeront à ses côtés en sont grandement honorés), Henri Trouillard (un Naïf visionnaire trop méconnu dont on peut admirer au musée de Laval les chefs-d’œuvre), Jules Lefranc (fondateur en 1967 du musée d'art naïf de Laval grâce au don de ses propres œuvres et d'une partie de ses collections d'art naïf d'autres créateurs), Jacques Reumeau, Robert Tatin, Alain Lacoste, Brigitte Maurice, Serge Paillard, Jean-Louis Cerisier, Céneré Hubert (un habitant-paysagiste populaire, une fois n'est pas coutume), Patrick Chapelière (pour le coup pas originaire de Laval je crois).
Jean-Louis Cerisier, sans titre, février 1976, coll privée, version avant retouche restauratrice (avec traces de maculation), Laval, ph. Bruno Montpied
La même peinture sans titre, stylo bille et gouache, 29,7x21 cm, 1976, retouchée et rénovée, coll. privée, Laval, ph. J-L.Cerisier
Il faut espérer, et faire une petite prière pour que le musée de Laval, entre autres, par la suite accepte d'héberger cette exposition pour laquelle il prête des Reumeau, des Trouillard, et des Lefranc. Après tout ce musée qui s'ouvre depuis quelque temps déjà à l'art singulier, sautant depuis l'art naïf dans la chronologie des arts d'autodidactes à pieds joints par-dessus l'art brut, poursuivrait sa mise en valeur des artistes régionaux qui ont peut-être été à l'origine de sa mue actuelle. Car plusieurs d'entre eux sont déjà accrochés aux cimaises du musée (en plus des trois déjà cités et prêtés, on notera que Cerisier, Lacoste et Tatin sont présentés en parmanence au musée).
Henri Trouillard, Le Yéti, 1962, Musée d'Art Naïf et d'Art Singulier du Vieux-château, Laval, ph. BM
Il serait urgent de mettre en lumière ce que j'ai appelé dans le n°49 de la revue 303, Arts, recherches et Créations, en 1996, il y a déjà quatorze ans, "l'Ecole de figuration poétique lavalloise" qui, du fait de ses artistes consacrés de l'Art Naïf, Rousseau, Trouillard et Lefranc, naquit petit à petit, se développant en direction de formes d'art figuratif poétique ou singulier avec les Tatin, Reumeau, Lacoste, puis les Cerisier, Paillard et tutti quanti, et s'ancrant dans la région mayennaise sans se couper pour autant d'autres régions (Lefranc entretenait des rapports avec la Vendée par exemple, où il prit contact avec Elie-Séraphin Mangaud et Gaston Chaissac, encore deux créateurs dont les liens avec Lefranc n'ont pas fait l'objet de beaucoup de recherches parmi ceux qui s'intéressent aux arts singuliers).
Serge Paillard, Pomme de terre dite de la petite lampe, 2007
Enfin, voici en prime un petit documentaire de la télévision biélorusse diffusé ces jours-ci je pense, que je ne peux vous traduire (M. Gayraud nous éclairera peut-être en commentaire) mais qui présente en arrière-plan quelques-unes des œuvres de l'expo, des Trouillard, des Paillard, des Reumeau, des Cerisier, etc., ainsi que des vues du Vieux Château à Laval. Merci à Jean-Louis Cerisier qui nous a communiqué le lien et l'info. Le tapis rouge est décidément déroulé à Minsk pour nos chers Lavallois!
14:02 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : art naïf, art singulier, jean-louis cerisier, cns53, mayenne à l'oeuvre, musée national des beaux-arts de minsk, douanier rousseau, henri trouillard, jules lefranc | Imprimer