17/02/2018
Disparition d'une peintre naïve-brute, Yvonne Robert (1922-2018)
Je me fais volontiers provocateur avec ce qualificatif de "naïf" mais c'est que ce terme paraît adéquat, sans pour autant être pénalisant à mon humble avis, pour qualifier l'œuvre, riche et multiple, de cette paysanne vendéenne qui plongea dans la peinture, comme on se jette à l'eau pour apprendre à nager. Classée dans l'art brut depuis l'article que son frère, le collectionneur d'art précolombien Guy Joussemet, lui consacra dans le fascicule 14 de la Collection de l'Art Brut (1986), Yvonne Robert y gagna une certaine célébrité dans le monde des amateurs d'art d'autodidactes, sans que cela atteigne nécessairement un développement considérable, peut-être justement en raison de cet aspect résiduel "naïf" de sa peinture, mal vu des partisans orthodoxes de l'art brut, alors que ce n'est que l'autre face d'une même pièce (comme le sentait bien André Breton, à la différence de Jean Dubuffet)...
Yvonne Robert, Bonjour Sidonie Tiens la vieille est encore là..., 2005, dimensions non renseignées, communiqué par J-L. Faravel ; Le plaisir du spectateur des peintures d'Yvonne Robert se renforce à la lecture de leurs titres qui sont plutôt des récits des chroniques villageoises (pas très éloignées de l'esprit de Chaissac ou de celui de Gérard Lattier), des commentaires, des dialogues, parfois acides... Ce qui donne une double lecture (au moins) de ces œuvres.
Les spéculateurs et collectionneurs en quête de nouvelles viandes fraîches qu'ils espèrent trouver du côté de cet art brut dont on parle beaucoup, tentent de l'insérer de force dans leur connaissance cérébrale. On met au pinacle, chez certaine galerie parisienne, les faiseurs de diagrammes, les adeptes de numérologie lettriste spontanée, les "écrituristes" de tous poils, les gribouilleurs gâteux dont les productions sans la moindre émotion peuvent donner l'impression qu'on est toujours avec elles sur le terrain de la cérébralité adulée par les amateurs d'art contemporain. Avec Yvonne Robert, hélas, pour ces trafiquants d'ennui intellectualisé, il est difficile de retrouver le même genre d'escroquerie. C'est trop frais, trop touchant, trop authentique. On choisit alors de la regarder de haut, de la tenir en lisière, voire de l'ignorer. D'où le peu de développement de sa notoriété dont je parlais plus haut.
Yvonne Robert, ce sanglier du bois Charto, de 2014, est-ce un peu la peintresse elle-même, cernée par les corolles carnivores de ses détracteurs? Photo et coll. Bruno Montpied.
Guy Joussemet, qui fait partie de sa fratrie (au total sept enfants), a crûment dessiné le contexte familial misérable d'où est issue Yvonne Robert : "Elle est la sixième – et l'unique fille – d'une famille de sept enfants. Ses parents exploitaient une fermette de dix hectares [à Saint-Avaugourd-des-Landes dans le bocage vendéen], dont six en fermage. Querelles multiples, brouilles sans fin, agressions verbales constantes, ivresses prolongées du père, tentative de suicide de la mère, manque permanent d'argent, conditions de vie quasiment médiévales, voilà l'ambiance familiale." Je ne cite pas la suite des avanies que subira toute sa vie Yvonne Robert, dont une agression sexuelle, et des dépressions chroniques consécutives à des problèmes de santé à répétition¹. La peinture fut visiblement sa bouée de secours face au naufrage qui lui était promis. Elle commande en mai 1974, dans un magasin de Luçon, une boîte de couleurs pour aquarelle et du papier au nom d'une enfant de dix ans imaginaire (mais pas si imaginaire que cela, en définitive). Son frère Guy l'encourage vivement à continuer. Elle passe au bout de très peu de temps à la toile et à l'huile. Et elle ne s'arrête plus, créant par là même un double monde, plus accordé à ses espoirs et à son rêve d'une autre société.
Yvonne Robert, La Garache ne sortait que le soir pour faire peur aux gens, 2001, coll. privée, Gironde, ph. B.M.
Yvonne Robert, Les deux lotus, 2005, coll. privée, Loire-Atlantique ; exemple de peinture de pure composition non réaliste...
Son frère balaie dans son article la connotation "naïve" de ses compositions, affirmant que cela fut vite dépassé par sa sœur, qui se serait après 1984 davantage dirigée vers l'art "brut". Conscient du critère sociologique de la notion, il souligne dans cette même notice de 1986 qu'elle ne souhaitait pas se séparer de ses œuvres, n'en ayant laissé partir qu'une dizaine du côté de la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Et c'est vrai que les sujets peints ne sont pas toujours des paysages, des portraits, des saynètes rurales, mais aussi parfois débouchent sur une forme d'"abstraction" ou sur des compositions d'art informel, où des motifs ornementaux prennent l'essentiel de l'espace.
Yvonne Robert, Bonjour Monsieur Vous n'avez pas l'honneur de me connaître Je suis Léo Crépeau et j'habite à La Roche sur Yon, 2007, ph. et coll. B.M.
Yvonne Robert, Comme font les oiseaux Mélanie s'est cachée derrière son armoire pour mourir Victorien dit à Mélina Je suis sûr que ta mère a ses sous dans l'armoire sous ses chemises Dépêche-toi, les autres vont arriver, 2002, ph. et coll. B.M.
Il reste cependant que jusqu'à ces dernières années, Yvonne Robert, aura alterné les deux types d'expression, n'abandonnant jamais les sujets narratifs, les paysages, les anecdotes régionales, etc. Et qu'apparemment aussi, elle avait bien changé son fusil d'épaule quant à la communication de son œuvre, que l'on pouvait acquérir à un prix raisonnable en divers endroits. Elle représente de ce point de vue un exemple de créateur appartenant à un second marché des arts spontanés, aux prix abordables, n'éloignant pas les œuvres des auteurs primesautiers des amateurs au standing fort modéré certes, mais peut-être plus proches au point de vue social des auteurs d'art naïvo-brut.
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¹ Rien n'est dit dans le témoignage de Guy Joussemet sur la possible bigoterie diffuse dans les milieux vendéens, mais cela a pu également jouer sa part dans cet enfer.
12:23 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art rustique moderne | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : yvonne robert, art naïf, art immédiat, art brut, guy joussemet, marché de l'art brut, art rustique moderne, chaissac, gérard lattier | Imprimer
11/03/2014
Infos-miettes (22)
Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas délivré de ces infos-miettes dont vous vous régalez. En voici un nouveau bouquet, le vingt-deuxième, des infos nouvelles et des plus anciennes que j'avais oubliées.
Paul Amar dans l'Aveyron
Le Musée des Arts Buissonniers à Saint-Sever-du-Moustier près des Monts de Lacaune (région pas trés éloignée de Rodez pour que vous situiez) est très actif depuis quelque temps. En plus des fréquentes animations du village, il propose des expositions d'art singulier ou brut ici et là. Elles sont annoncées dans le bulletin de 8 pages qu'il publie régulièrement (Le Buisson), comme récemment dans leur n°56 (déjà). Leur saison commencera cette année le 4 avril.
Paul Amar au Musée des Arts Buissonniers
A retenir, depuis septembre 2013, une galerie entièrement vouée aux assemblages rutilants de coquillages bien connus de Paul Amar (sur trente années de création) a été ouverte au sein du musée. Ils ont aussi en projet d'exposer Gérard Lattier durant l'été prochain. Pour tous renseignements, contacter http://www.arts-buissonniers.com/
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Christian d'Orgeix aux Yeux Fertiles
Cela fait de nombreuses années que j'admire quand je peux en voir, c'est-à-dire rarement en vrai, et plutôt en reproduction (j'ai un petit livre autrefois paru il me semble chez Georges Fall), la peinture de Christian d'Orgeix, cet artiste proche des surréalistes qui habitait à un moment dans le même village qu'André Breton, à Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot. Il s'agit d'une puissante peinture visionnaire, avec des échos d'un Max Ernst qui aurait fait des enfants avec des peintres du groupe Cobra. Un riche coloriste campant à la fois des paysages "abstraits", des natures mortes, des personnages grotesques, des figures fantomatiques, des animalités fantastiques, le tout en une seule image.
Christian d'Orgeix, Mascarade, 1964, huile et collage sur toile, 81x100cm
Quelque œuvres de lui seront présentées du 6 mars au 5 avril à la Galerie Les Yeux Fertiles, 27 rue de Seine, dans le VIe ardt à Paris, dans le cadre d'une expo collective intitulée "Volet I" avec des oeuvres de B.Schultze, Raoul Ubac, B.Saby, Edgar Pillet, B.Réquichot et autres (on aurait pu se passer de Georges Mathieu cela dit). Une seconde expo intitulée pour le coup "Volet II" suivra du 10 avril au 10 mai avec des œuvres de Camacho, Alfred Courmes (celui-ci se faisant rare), Friedrich Schröder-Sonnenstern, Georges Malkine, André Masson, Dado, etc. Info et contact (attention il est souvent en retard côté mises à jour): le site web de la galerie.
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Mario Del Curto et Jean-Michel Chesné à l'intérieur d'une Chapelle
Brigitte Van Den Bossche, qui travaille dans le Centre de Documentation du MADmusée à Liège, signe un texte qui je dois dire m'a fait bondir. Elle y parle des créations de bord des routes dont la collection de cartes postales de J-M. Chesné représentant des environnements anciens et les photographies de Mario del Curto, deux ensembles iconographiques exposés tous deux dans la Chapelle Saint-Roch, "contexte des plus appropriés" dit Mme Van Den Bossche, lui permettent une envolée digne des écrivains les plus bondieusards :
"Derrière toutes ces manifestations marginales [il s'agit là des environnements spontanés d'autodidactes bruts ou naïfs], se profilent un idéal, une foi, un système de valeurs et de croyances, un outillage mental. Cette foi peut se traduire par la matérialisation de la croyance religieuse courante, mais aussi par la mise en œuvre d’une croyance très personnelle, un mysticisme inventé, une religion singulière, avec ses préceptes, ses prières, sa morale, sa méthodologie. L’œuvre est à la fois le reflet de cette croyance et l’intermédiaire entre le créateur et l’au-delà, elle traduit le dépassement de soi. L’acte de créer est vécu comme une aventure spirituelle, l’objet créé est conçu comme un territoire sacré et le créateur puise son énergie dans la foi.
Dans le contexte des plus appropriés de la Chapelle Saint-Roch, à Liège, le MADmusée présente un florilège d’images attestant de cette foi. Images pieuses et teintées de prosélytisme, images de dévotions personnelles, images d’intimes exploits, images d’une authentique "subculture" populaire aussi,… Sont dévoilés d’une part un ensemble de cartes postales anciennes, glanées et rassemblées par le peintre et sculpteur français Jean-Michel Chesné (collection entamée en 1993 après sa visite du Palais Idéal du Facteur Cheval et riche aujourd’hui de plusieurs milliers de clichés rares) ; d’autre part une série de reproductions du photographe suisse Mario del Curto (dont l’intérêt prononcé pour les Clandestins de l’art brut, avec lesquels il entretient une relation personnelle, se traduit depuis 1983 par une approche subtile et délicate). Toutes ces images célèbrent des univers déployés avec une force et une sensibilité exacerbées. Elles exaltent aussi la beauté du geste, la mystique de la tâche."
Et hop! Emballés, pesés, les inspirés, ils sont désormais embringués dans une nouvelle armée du salut. Mystiques, cherchant à causer avec l'au-delà, porteurs de "foi", mot sur lequel l'auteur joue de façon ambivalente, nos inspirés produisent maintenant des "images pieuses". Merde! Comment peut-on encore nous ramener la curetaille dans ces jardins où, c'est vrai, parfois on tente de créer des petits paradis, mais des paradis bien terrestres? Ne serait-ce pas une idée venue d'un des ces anciens numéros de Gazogène où son animateur, paix à ses cendres, publiant des cartes postales de la collection Chesné, avait cru démasquer une influence occultée de la religion dans l'inspiration de nos chers créateurs d'environnements ? Chaque fois que j'ai eu affaire à de ces inspirés du bord des routes, on n'a jamais beaucoup eu l'occasion de parler de Dieu, parfois davantage du Diable...
Expo "Oh My God" (titre explicite, non?), Liège, à la Chapelle Saint-Roch du 15.03.2014 au 25.05.2014. Dossier de presse.
Chez André Gourlet à Riec-sur-Belon, un Belzébuth le braquemart servant de support à jardinière, 2010, ph. Bruno Montpied
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Joël Lorand, œil singulier à la Galerie Grand-Rue à Poitiers (15 mars au 26 avril)
Il semble qu'avec cette exposition les Poitevins aient l'occasion de découvrir un éventail conséquent et varié des créations de Joël Lorand, authentique chercheur de formes nouvelles, créateur certes tourmenté mais en même temps raffiné, esthète au sens roboratif du terme, et aussi, ce qui ne gâte rien dans le milieu parfois bien trop sérieux de l'art dit singulier, pourvu d'un sens de l'humour réjouissant. Si l'on se fie au site web de la galerie, qui propose une sélection de visuels relevant de différentes périodes de Lorand (j'aime bien les premiers dessins, empreints d'une esthétique rageuse proche du graffito, voir par exemple ci-contre "Fier d'être un artiste dégénéré", 2002, coll. Frédéric Lux), on a peut-être affaire là à un lieu qui fait le pari de ne pas montrer uniquement qu'une série de peintures actuelles, mais propose plutôt différentes métamorphoses d'un même geste inspiré sous différents aspects, productions des époques antécédentes.
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Vodou, du visible à l'invisible au Musée Africain de Lyon
Je suis intrigué depuis quelques années, grâce à diverses expositions et catalogues, par l'art vodou, africain, brésilien, ou haïtien (la collection d'art vodou haïtien de Marianne Lehmann surtout a été un choc, perçue seulement à travers le livre magnifique qui lui a été consacré). Une expo débute le 20 mars prochain à Lyon. Ces objets, souvent sièges de carambolages visuels, et de triturations incroyables, sont terriblement chargés de poésie et de force d'ordre tellurique qui bouleversent en profondeur et hantent tous ceux qui s'y confrontent.
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Des mouchoirs pour s'évader à la Galerie Berst
Paños, prison break, tel est le titre de l'expo commencée le 11 mars dans la galerie de Christian Berst, interrogeant paraît-il, lui aussi, les marges de l'art brut pour mieux redéfinir les contours de ce dernier. Les mouchoirs tatoués des prisonniers américains d'origine mexicaine sont en effet la preuve qu'il existe de nombreuses preuves d'art populaire produit en milieu carcéral, contrairement à ce que pouvait affirmer Michel Thévoz dans un de ses anciens textes. L'expo est montée avec le concours de la pop galerie de Pascal Saumade, collaborateur connu du musée international des arts modestes à Sète, qui signe du reste le catalogue de l'exposition.
Expo du 11 mars au 19 avril 2014, Galerie Berst, 3-5, passage des Gravilliers, paris 3e ardt.
22:14 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul mar, musée des arts buissonniers, gérard lattier, christian d'orgeix, surréalisme d'après-guerre, galerie les yeux fertiles, paysagisme abstrait, mario del curto, jean-michel chesné, bondieuseries, environnements spontanés, madmusée, brigitte van den bossche, oh my god, joël lorand, galerie grand-rue à poitiers, artiste dégénéré, vodou, musée africain de lyon, panos prison break, art modeste, galerie berst, pascal saumade, pop galerie | Imprimer
05/12/2009
Autour de Trouille à L'Isle-Adam
Je m'en voudrais de ne pas vous signaler l'exposition autour de Clovis Trouille qui a débuté le 28 novembre au musée d'art et d'histoire Louis Senlecq de L'Isle-Adam et qui est prévue pour s'achever le 7 mars 2010 (tous renseignements sur le lien précédent, catalogue, conférences de Clovis Prévost, le vice-président de l'Association Clovis Trouille...). Elle s'intitule "Voyants, voyous, voyeurs", ce qui est tout un programme comme on voit... Le vernissage a lieu aujourd'hui à partir de 16 h. C'est annoncé sur un carton aux formes originales en accord avec les goûts du peintre Clovis Trouille (1889-1975), inclassable marginal de l'art moderne que l'on a tendance à rattacher aux surréalistes desquels il fut un temps le compagnon de route (mais dont il se séparait par son goût de "l'élite", et pour les artistes de l'Antiquité tels que Phidias ; il écrivait ainsi en 1961 à Maurice Rapin: "J'ai horreur de l'appellation "populaire", ce mot me fait vomir").
Clovis Trouille, vernissage de l'exposition organisée par Ornella Volta à la Lanterne Magique le 9 novembre 1962, Pablo Volta,tirage argentique original
A noter que l'exposition sera présentée ensuite au musée Rimbaud de Charleville-Mézières du 15 mai au 21 septembre 2010. Puis elle continuera son petit bonhomme de chemin jusqu'au musée du Vieux-Château de Laval du 16 octobre 2010 au 16 janvier 2011 (histoire sans doute de permettre à tous ceux qui prisent en Mayenne une certaine imagerie anticléricale délicieuse et peu montrée dans ces parages de s'en mettre plein les mirettes).
18:02 Publié dans Art immédiat, Art moderne méconnu, Art singulier, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : clovis trouille, voyant, voyous, voyeurs, gérard lattier, pierre molinier, di rosa, érotsime surréaliste, anticléricalisme | Imprimer