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09/02/2018

Une naïveté toute en rousseur : A. Dumas (?)

    "A. Dumas", une signature en rouge tracée en grosses lettres au bas de deux tableaux récemment dénichés aux Puces, le "A" correspondant peut-être à "Alice", d'après ce que me confia le marchand qui exhibait ces peintures sur le trottoir, car l'auteur étant, paraît-il, une femme... Les informations étaient chiches à son sujet, il s'agirait d'une peintresse inconnue, trouvée par un médecin qui aurait ramené quelques toiles à Nice, où le marchand vendant aux Puces les aurait à son tour choisies... Au moment de sa découverte par ce médecin, elle vivait dans une maison de repos à plusieurs dizaines de kilomètres de Paris. A quelle époque? Probablement pas plus loin que le dernier siècle... Comme on le voit, et comme à l'habitude avec nos amis les brocs', il est bien dur d'avoir une traçabilité bien cernée...

A. Dumas, sans titre (les voyages au moulin), sans date, 90x106 cm, vers alt (2).jpg

A. Dumas, sans titre (deux visiteurs d'un moulin dans les bois, celui qui s'en vient, celui qui s'en va ; celui qui s'en vient a le sourire, celui qui s'en va fait une grimace : le prix de la farine lui a-t-il vidé la bourse?), sans date, 90x106 cm, huile sur toile, photo et coll. Bruno Montpied.

 

       Ce paysage me plaît énormément. Il ne faut évidemment pas se contenter de le juger d'après votre écran, la photo ne rendant que malaisément de son charme physique. Il y a un effet de matière, aux teintes rousses, rouges, brunes, jaunes, teintes automnales comme perpétuelles qui est envoûtant. Et plus je vis à côté d'elle, plus l'envoûtement grandit. L'esprit se fait progressivement aspirer dans ce paysage sylvestre aux arbres étranges. Se dressent ici, parmi ces corolles piquetant harmonieusement la composition (procédé habile d'autodidacte pour remplir le tableau d'une manière foisonnante), des bouleaux apparemment, tenant par de simples traînées blanchâtres aux dessins incertains, aux limites de l'anthropomorphisation... Et ces deux hommes aux têtes disproportionnées, aussi grosses que les roues de leurs carrioles (qui sont pour leur part passablement minuscules), que leurs expressions paraissent opposer... comme ils retiennent et interrogent nos regards, sur ces deux routes qui dessinent un V, ou le sommet d'une fourche, V que l'on retrouve en écho dans l'écartement des ailes du moulin, ailes comme désolidarisées du toit de ce moulin par ailleurs...

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A. Dumas, sans titre, sans date, 81x100 cm (un jardin aperçu dans l'axe d'une charmille, avec cinq personnages - deux femmes et trois hommes - qui paraissent s'échanger des propos, ou des plantes (un homme tenant un panier semble-t-il), devant des parterres de fleurs visible sen arrière-plan ; photo et coll. B.M.

 

    Dans ce tableau aussi, on retrouve la même gamme chromatique tournant autour d'une prédilection de l'autrice pour les teintes jaunes, rouges, oranges et brunes d'une saison figée par la magie d'une préférence. Il y a à l'évidence chez notre artiste un goût marqué pour les fleurs, l'abondance des couleurs de la nature, le foisonnement de la fertilité, apparent à la fois dans le jardin aux fleurs rouges de l'arrière-plan, et dans les ramures surchargées de grappes fleuries qui encadrent harmonieusement ce ballet de rencontres entre des personnages venus pour une récolte, semble-t-il, si l'on considère les brouettes placées à la base de chaque arbre, le tablier de la deuxième femme qui paraît concernée par le panier que lui tend l'homme devant elle, ou cet autre homme qui se penche à gauche pour cueillir des fleurs... Il y a peut-être là un moment de pur bonheur, un souvenir d'autrefois tel que voulut le revivre peut-être, au fond de sa maison de retraite, cette Mme Dumas, inconnue des radars de l'histoire de l'art, y compris naïf¹, au soir de sa vie, nostalgique peut-être, et ayant trouvé le moyen de revenir dans le passé à volonté par la magie de sa peinture.

     C'est l'occasion de répéter une fois de plus le plaisir que l'on peut goûter au spectacle d'une œuvre dite "naïve" (figuration poétique... Réalisme intellectuel...), contrairement à ce qu'affirmait Dubuffet, dans le but d'imposer son Art Brut. On n'a pas forcément affaire à un artiste ne se résumant qu'à une recherche de réalisme à l'académisme plus moins raté. Il y a chez les meilleurs naïfs, qu'ils soient frustes ou raffinés, une délicatesse de vision qui restitue la sensibilité immédiate des auteurs, une sensibilité brochée sur une perception enchantée – du fait de dispositions particulières pour voir le côté poétique des choses,  des situations, des relations entre les gens, des paysages... Le résultat de leurs œuvres est d'autant plus fort que ces artistes, qui se sont faits eux-mêmes, ont choisi de perpétuer la représentation extérieure du monde en y mêlant l'écho de leur perception intérieure de ce même monde.

       M'est avis que dans un proche avenir, l'art naïf merveilleux (car je n'ai pas en tête l'art naïf commercial du genre cul-cul) pourrait bien faire retour auprès des amateurs d'art autodidacte, par lassitude devant les recherches  répétitives  d'un certain art brut par trop déconnecté de la figuration, ou par trop ésotériques.  

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¹ J'ai consulté ma documentation, demandé autour de moi, et nous n'avons pour l'instant rien trouvé sur cette "A. Dumas" (ou Alice Dumas, le prénom "Alice" ayant été suggéré par le marchand, ce qui reste toutefois très incertain...). Si des lecteurs reconnaissaient l'œuvre et la dame, qu'ils n'hésitent pas à se manifester...

Mise à jour : cependant, si l'on veut bien sauter quelques mois sur ce blog, et se reporter à une nouvelle note, celle du 26 juin 2019, on verra que le hasard nous a finalement permis d'identifier cette artiste...

18/08/2015

Eloge de l'art naïf, réalisme poétique

Anonyme,-un-hameau-de-Pannes-(Loiret).jpg

Anonyme (Chapartes, ou Chapartas...?), Un hameau de PANNES (Loiret), 31x40 cm, début XXe siècle, coll.privée Paris, photo Bruno Montpied

 

      Voici un Naïf, un beau Naïf, un tableau "nature" comme disait un brocanteur amateur de la chose devant ce tableau qui venait d'être acheté. Un tableau qui tient avant tout, me semble-t-il, par le paysage, le génie du lieu, plus que par ce qui s'y raconte. Certes, on pourrait chercher des indices d'une narration du côté de l'inscription qui s'étale sur la façade de ce "Moulin de Sainte-Catherine" donnant sur la rivière, "mouture à façon à 2 frs les 100 kilos 2frs50 rendu domicile", inscription qui si j'étais savant en histoire de l'économie pourrait peut-être me donner la date exacte où fut peint le petit tableau. Car s'il existe semble-t-il une date d'apposée en bas à droite, quasi illisible, sous la signature elle-même à moitié effacée, on ne peut la donner exactement. Il semble qu'elle commence par 19... Un début de XXe siècle?

      Une femme se promène sur la rive en face du moulin,, un bras tendu vers l'avant (comme pour une esquisse de salut?), un meunier coiffé du bonnet traditionnel dans sa profession paraît posté à la fenêtre tout exprès pour la voir passer, et l'on pourrait imaginer une idylle... C'est une belle journée, les nuages sont nombreux dans le ciel poudreux permettant de faire ressortir la maison nettement dessinée comme si la pluie avait lavé le paysage la minute d'avant. La rive où se dressent le moulin et les maisons à l'arrière-plan disparaît derrière une végétation moussante piquetée de fleurs, des arbres sveltes aux ramures tout aussi fines que les autres éléments végétaux présents partout dans le paysage se dressent vers le ciel comme de jeunes sujets fiers de leur nouvel état d'arbres adultes. L'eau bouillonne dessous la roue invisible du moulin, cachée derrière une sorte de palissade de planches, s'engouffrant en direction de la rivière principale (?) sous un quai de bois aménagé pour renforcer la rive et permettre le passage tout ensemble. C'est le seul indice d'activité et de mouvement dans ce lieu, comme une trépidation localisée au cœur de ce bâtiment placé au centre du paysage, et peint avec cœur par l'artiste inconnu. Mais ce n'est pas le récit qu'a cherché cet auteur, c'est bien plutôt l'esprit du lieu à un moment donné, capté dans ce qu'il a d'éphémère et d'éternel à la fois, un moment de pure poésie de l'immédiat, sans autres moyens que quelques subterfuges pour masquer l'inexpérimentation en matière de rendu des perspectives (pour ne pas avoir à les restituer, on noie les lignes de fuite sous des ébullitions buissonneuses et un talus immense). Puisqu'on ne sait pas rendre les jambes, on les cache de même dans des touffes d'herbe bienvenues, qui masquent aussi par la même occasion les reflets argentés à la surface de la rivière (si c'est bien une rivière). Et l'on dessine les êtres humains petits pour ne pas avoir à entrer dans les détails... Là où on est à l'aise c'est lorsqu'il s'agit de peindre des maisons. Et l'on s'en donne à cœur joie...