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Et ça continue à sortir, les Barbus Müller....
Le 16 mai prochain, aura lieu à Drouot une mise aux enchères dans le cadre de la maison de ventes De Baecque et associés. C'est de l'art populaire, envisagé dans sa dimension de curiosité. Plusieurs pièces ont été par le passé présentées aux Rencontres d'art de Montauban qui étaient organisées par le collectionneur, critique d'art et artiste surréalisant Paul Duchein, par ailleurs grand rédacteur de la revue Le Pharmacien de France où il passait de nombreux billets sur des sujets liés à la singularité spontanée présente dans les arts populaires, naïfs ou bruts. Quelque chose me dit – ce n'est absolument pas spécifié par la maison de ventes, je m'empresse de le souligner – que beaucoup des objets proposés en vente, sinon tous, ce 16 mai prochain, pourraient bien venir de la collection de ce monsieur Paul Duchein qui a toujours été très éclectique dans ses admirations et ses passions, créant en parallèle tout un ensemble de boîtes à coloration onirique, dans un style surréaliste un peu trop marqué. Mais ce n'est que mon opinion, le collectionneur qui est derrière la vente restant secret. Cependant, en comparant les pièces du catalogue de la vente avec les pièces que publia Paul Duchein dans son livre La France des Arts populaires chez Privat en 2005, on s'en assure davantage...
Dans la panoplie des pièces présentées, on retrouve (une fois de plus) une sculpture qui à l'évidence peut faire partie du corpus des Barbus Müller, cette série de sculptures en granit ou en roche volcanique, qui représentent la plupart du temps des têtes aux caractéristiques stylistiques semblables, grosse bouche, nez en goutte, yeux proéminents, un air un peu éberlué, voire halluciné, hypnotique, souvent hiératique.
Ce Barbu Müller, en vente à Drouot le 16 mai 2023, figurait dans le livre de Paul Duchein (voir dans l'illustration précédente sa reproduction, ne serait-ce que sur la couverture du livre) ; ce n'est donc pas totalement un inédit.
J'ai démontré dans divers articles et essais que plusieurs des pièces que l'on range dans ce corpus qui est à l'origine de la collection d'art brut de Jean Dubuffet (c'est lui qui a forgé le terme de Barbus Müller, sans rien savoir en 1946 de leur auteur) proviennent d'un paysan auvergnat, ex-soldat, Antoine Rabany, dit "le Zouave" (1844-1919). Actuellement, je dénombre onze sculptures provenant assurément de son jardin ou de son atelier à Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme). Ces dernières devraient, sur les cartels des collections ou des musées qui les détiennent, indiquer qu'elles sont d'"Antoine Rabany, dit le Zouave, sculpteur de Barbus Müller". Toutes les autres – non encore certifiées par moi comme provenant du jardin du sieur Rabany – peuvent être marquées "attribuées à Antoine Rabany". C'est l'étiquette qu'a choisie avec raison l'experte de cette vente, Martine Houzé, pour la sculpture de cette vente prochaine chez De Baecque. Donc, ci-dessus on n'a qu'un Barbu Müller, peut-être venant de chez Rabany, mais sans certitude absolue...
Cela ne veut pas dire cependant de façon absolue que tous les Barbus Müller, ou prétendus tels, proviennent bien de chez Rabany... Plusieurs de ceux qui font partie du corpus, ce dernier étant disséminé dans plusieurs collections publiques ou privées, sont parfois fort hétérogènes, comme par exemple celui qui a été exposé l'année dernière chez Ritsch-Fisch à l'OAF. Même s'il provenait de l'ancienne collection de l'Art Brut qui avait été déposée un temps chez Alfonso Ossorio durant une dizaine d'année aux USA (Dubuffet l'aurait laissé à Ossorio quand il a rapatrié vers 1962 sa collection en France en prétendant qu'il s'agissait d'un "Barbu Müller": une sorte de blague, je pense, ou une attribution à la louche plus ou moins mystificatrice de la part de Dubuffet...), il n'a que fort peu de rapports avec les autres Barbus Müller:
Deux faces de la même pièce, ex-collection ABCD, en vente à un moment dans la galerie Ritsch-Fisch, un "Barbu" douteux, ressemblant plus à un galet gravé du catalan français Jean Pous, lui aussi classé dans l'art brut.
En tout cas, on constatera que depuis mon élucidation du nom de l'auteur d'une partie des Barbus Müller, diverses pièces sortent régulièrement dans les ventes, les prix qu'elles atteignent (les deux dernières chacune aux environs de 100 000€) n'étant évidemment pas étrangères au désir de les vendre... Petit à petit, les contours du corpus Barbus Müller/Rabany s'acheminent vers la plus complète des résolutions.
03/05/2023 | Lien permanent | Commentaires (5)
Exposition des ”Barbus Müller” avec leur auteur démasqué, à Genève...
Les lecteurs attentifs de ce blog se souviendront sûrement que j'ai raconté sur ce blog même, en avril 2018, par le menu, la chronologie de mes découvertes concernant l'identité de l'auteur d'une partie du corpus de sculptures sur pierre volcanique, dites des "Barbus Müller" (sobriquet inventé par Jean Dubuffet, en 1945, au début de sa collection d'Art Brut). Je l'avais, il est vrai, déjà esquissée dans mon livre Le Gazouillis des éléphants, paru à l'automne 2017, où j'ai publié deux paires de clichés sur verre inédits qui montraient un jardin semé de statues qui ressemblaient furieusement à ces fameux "Barbus Müller".
Vue de détail d'un des clichés-verre, pris à la belle saison par un photographe inconnu, et ayant appartenu aux archives du photographe Goldner.
On peut toujours se reporter à mes notes en allant sur ce lien (on y tombe sur le premier "chapitre" qui, à la fin, envoie par un autre lien vers le second chapitre qui lui-même, à la fin, envoie vers le troisième chapitre, qui etc., et ainsi de suite jusqu'au sixième). Je ne sais trop pourquoi, Google paraît avoir refusé de les indexer, en dépit de leur nombre conséquent pourtant. Me doutant que ma découverte ne serait pas suffisamment validée, si je me contentais de la publier sur internet, je fis en sorte de trouver des publications sur papier pour en donner au moins une version condensée. Viridis Candela, la revue des Pataphysiciens, et la revue sicilienne Osservatorio Outsider Art, successivement, me permirent de réaliser ce projet.
Première page de la revue OOA n°16, automne 2018, "L'origine des Barbus Müller: du mythe du faussaire au mythe de l'art brut".
Il fallait aller plus loin. Notamment pour donner des informations nouvelles glanées depuis dans une recherche qui promet de toute manière des prolongements (notamment, on peut espérer voir resurgir des "Barbus" du fond des collections ou des brocantes où ils végètent, sans être clairement identifiés comme faisant partie du même corpus). C'est donc au Musée Barbier-Mueller, à Genève, lieu historique qui possède, au milieu des ses collections d'"arts lointains" onze "Barbus Müller", qu'est revenue l'idée de monter une exposition qui rassemble une vingtaine de sculptures, grâce à des prêts de collections extérieures en plus de leurs propres pièces. A côté de ces Barbus, seront proposées des œuvres d'arts lointains qui permettront au public d'établir des comparaisons.
Couverture du catalogue de l'exposition prochaine sur les Barbus Müller, à paraître le 3 mars 2020.
C'est que ces sculptures – la plupart du temps des têtes – du fait qu'elles furent longtemps privées d'auteur, et parce que leur aspect puissamment stylisé les apparentait dans quelques cas à des fétiches, étaient souvent raccordées à des sources hétéroclites, parfois complètement aventurées, surtout si l'on n'était pas trop regardant sur leur caractéristiques stylistiques pourtant marquées. Le corpus – que j'ai évalué à 43 pièces toutes associables les unes aux autres de façon à peu près cohérente et unifiée –, s'est bâti à partir de plusieurs collections les ayant fait reproduire, après la labellisation "Barbus Müller" par Dubuffet (d'après les collections de Charles Ratton, de Henri-Pierre Roché, du sculpteur Saint-Paul, de Joseph Müller, ou de Félix Stassart, datant toutes des années 1930 à 1950), grâce à des attributions auto-décrétées par les collectionneurs et les experts de ventes publiques sur la foi de témoignages et surtout de ressemblances formelles, de caractéristiques stylistiques, et de matériaux communs (la pierre volcanique).
Illustration tirée de "Adieu ma petite collection", souvenirs de Henri-Pierre Roché parus dans l'Œil n°51 en 1959 ; la statue de gauche a été ensuite acquise par le Musée Barbier-Mueller et donc incorporée à la série des Barbus Müller de façon intuitive...
Il n'y avait eu, jusqu'à mes découvertes d'un auteur unique d'origine auvergnate, installé à Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme), nommé Antoine Rabany, dit "le Zouave", aucune tentative de traçabilité rigoureuse de ces sculptures. Les deux paires de clichés sur verre publiées dans le Gazouillis des éléphants me permirent de remonter, depuis les Barbus inventés par Dubuffet en 1945, plus tôt, à savoir jusqu'en 1908, date du plus ancien témoignage sur le lieu de production et sur son auteur. Et de là, de démontrer que ces sculptures partirent très tôt se disperser au gré des antiquaires qui en achetaient.
Lorsqu'il est dit que l'écrivain et critique d'art Henri-Pierre Roché (dans un numéro du magazine L'Œil de 1959, année de la mort de Roché, né en 1879) put acquérir,"alors qu'il était tout jeune", une de ses trois sculptures – qu'il qualifie de "bourguignonne", et qui fut ensuite jointe par Dubuffet aux Barbus Müller –, on nous donne une clé pour reconnaître que l'histoire de ces sculptures étonnantes ne commence pas avec Charles Ratton et Joseph Müller, qui, de leur côté, les avaient acquises en 1939 auprès d'une antiquaire parisienne, Mme Vignier.
Henri-Pierre Roché, portrait multiple ; © Philippe Migeat - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP
© droits réservés.
"Tout jeune", est-ce une exagération...? En 59, Roché avait 80 ans. Faut-il imaginer qu'il acquit – à Semur-en-Auxois, nous dit la légende de la photo – cette sculpture dans les années 1920, voire avant, et donc peut-être alors que leur sculpteur était encore vivant ? Antoine Rabany dit le Zouave, l'auteur identifié par moi, avec l'aide de Régis Gayraud, est en effet mort, je l'ai déjà dit, en 1919. Ses pierres taillées en forme de têtes variées partirent très tôt de son jardin, puisque le témoignage que je donne en entier dans le catalogue de la nouvelle exposition du musée Barbier Mueller, signale que, dès cette année 1908, des sculptures se retrouvaient déjà à Evreux chez un antiquaire... Henri-Pierre Roché aurait donc pu, peut-être, au cours d'un voyage en Auvergne, rencontrer Rabany sur son lieu de production, au lieu de tomber sur sa statue à deux personnages (une mère et son enfant selon moi, plutôt qu'un "diable lui parlant à l'oreille") dans la localité de Semur-en- Auxois. Mais le destin en décida autrement...
A l'occasion de cette exposition, qui est prévue pour durer du 4 mars au 27 septembre 2020, un catalogue est publié donc, comprenant la réédition du fascicule 1 de l'Art Brut, consacré entièrement aux Barbus Müller, édité et non diffusé en 1947 par Gallimard, puis réédité une seconde fois en 1979, déjà par le même Musée Barbier-Mueller, avec un texte inédit de Jean-Paul Barbier-Mueller. Dans le catalogue proprement dit, on trouvera également trois contributions, de Baptiste Brun, de Sarah Lombardi et donc de votre serviteur, Bruno Montpied. Divers documents nouveaux et inédits paraissent à cette occasion, dont un scoop que je produis pour la première fois, ne l'ayant pas dévoilé jusqu'ici, le réservant au musée Barbier-Mueller... L'ensemble fera figure, à n'en pas douter, de document historique incontournable concernant la préhistoire de l'Art Brut.
Le fascicule I de l'Art Brut qui, n'ayant pas été diffusé, resta un "premier" fascicule avorté ; Dubuffet fit paraître en effet, plus tard, au début des années 1960, un plus officiel numéro I de la série des fameux fascicules de l'Art Brut.
25/02/2020 | Lien permanent
L'auteur des Barbus Müller dévoilé désormais sur papier
En septembre dernier, je ne l'ai pas encore annoncé, est paru un condensé, dans une revue sur papier, de l'enquête en six chapitres que j'avais numériquement fait paraître sur ce blog en avril dernier (voir ici le chapitre un ; on pourra lire les suivants en regardant les liens en haut de chaque note). C'est dans le n° 17 de la revue de l'actuel Collège de 'Pataphysique, intitulée Viridis Candela, le Publicateur. Je suis très fier d'avoir été accueilli au sein de cette prestigieuse – et historique – revue. Mon article s'intitule "Faux art roman ou art brut populaire, les Barbus Müller retrouvent leur père"... Car, en effet, mon enquête, réalisée avec l'aide ponctuelle de mon camarade chercheur Régis Gayraud, aboutissait à l'identification de l'auteur, auvergnat, des fameuses statues en lave ou granit surnommées, vers 1947, par Jean Dubuffet, les "Barbus Müller".
On peut acquérir la revue pataphysicienne en s'adressant à l'adresse suivante: Collège de ’Pataphysique, 51A rue du Volga, 75020 Paris. On n'omettra pas, si l'on ne veut acquérir que ce numéro, de joindre un chèque de 15€ à sa commande. Si l'on veut s'abonner, lisez plutôt ci-dessous les coordonnées pour y parvenir, décrites sur le 4e de couverture de la revue.
Je ne m'en suis pas tenu là. Eva di Stefano, qui anime depuis l'université de Palerme, avec un courage admirable, son Osservatorio Outsider Art (OOA), avec la publication d'une revue du même nom, m'a demandé de leur offrir un article lui aussi destiné à résumer (c'est encore plus condensé!) mon enquête sur les fameux Barbus. C'est chose faite avec le n°16 d'OOA qui est paru cet automne de 2018. Pour le coup, on peut lire le numéro en intégralité gratuitement en cliquant sur ce mot. Mon article s'intitule "L'origine dei "Barbus Müller". Dal mito del falsario al mito dell'art brut". Il commence à la p.30 de la dite revue et se poursuit jusqu'à la p.37. Il commence avec cette citation de Michel Thévoz (que j'utilise de manière quelque peu narquoise, je dois dire...) :
"On ne saura probablement jamais rien de l’auteur (ou des auteurs) des « Barbus Müller », ainsi nommés parce qu’ils ont appartenu pour la plupart à un collectionneur suisse de ce nom ». Cette affirmation péremptoire de Michel Thévoz dans son livre L’Art brut de 1975 m’a toujours intrigué..." (B.M.)
Il est à noter bien entendu que cette revue est en italien... De ce fait, je n'ai pu prendre tout à fait la mesure des autres articles de la revue. A peine, ai-je compris que plusieurs articles tournent autour de la question du "faux" dans la perception des historiens d'art confrontés à l'art populaire inventif, et aussi, comme l'indique le titre de l'article d'Eva di Stefano, traitent de "l'imagination archéologique" ayant affaire à l'art brut. Ce qui correspond à mes révélations à propos des archéologues français qui découvrirent le sculpteur du Chambon-sur-Lac en le prenant pour un faussaire spécialisé en art roman...
27/11/2018 | Lien permanent
Chez Tajan, trois nouveaux ”Barbus Müller” dont une merveilleuse Vénus enceinte
Les Barbus Müller, ça continue de sortir du bois, peut-être encouragé par les différentes expositions récentes (à Genève et à Clermont-Ferrand) où on en a vu plusieurs rassemblés... Et, même, les "femmes à barbe Müller", puisque sur les trois statuettes que Tajan va proposer à la vente, le 10 octobre prochain – avec mon conseil éclairé! –, il y a une très belle effigie de femme, la tête énorme ceinte d'une natte, les deux seins bien ronds où se dessinent les mamelons, le ventre bombé (celui d'une femme enceinte de quelques mois), le pubis frisottant, une fente vulvaire par dessous, non exposée à la vue.
C'est, à mon goût, la plus belle statue qu'il m'ait été donné de voir parmi toutes celles que l'on a regroupées dans le corpus des "Barbus Müller". Elle est plus belle, notamment, que celles qui figurent dans le fascicule de l'art brut n°1 de 1947 (jamais diffusé par son éditeur, Gallimard), consacré par Dubuffet auxdits "Barbus" (réédité en 1979, puis en 2020 dans le catalogue de l'expo sur les Barbus au Musée Barbier-Muller, à Genève). Quand j'écris "belle", je veux dire par là qu'il y a en elle des proportions évidemment non réalistes, qui lui confèrent une allure d'idole. Il y a du hiératisme en elle, du sacré. Par ailleurs, elle a un air de ressemblance avec certaines autres effigies, féminines, qui furent reproduites dans ce célèbre fascicule.
Lot n°1 de la vente Tajan, la "Vénus enceinte" (surnom que je lui ai donné), env. 60 cm de haut, granite sculpté ; ph. Bruno Montpied, 2023.
La "Vénus" renversée, "impudique"... avec la responsable de la vente, Eva Palazuelos, qui la soutient ; ph. B.M, 2023.
Deux Barbus Müller du fascicule de 1947 qui présentent un rendu anatomique analogue à celui de la "Vénus enceinte" de la vente Tajan.
Les deux autres sculptures qui passent en vente chez Tajan sont une sorte de petit "marquis" – une tête semblant affublé d'une perruque, le cou pris dans le col d'un vêtement que j'imagine comme un pourpoint –, et une autre tête aux yeux vides, la bouche fendue dans une sorte de large grimace, à l'expression comme catastrophée.
Photo de chez Tajan, comme un podium... le "Marquis" devant être à la 2e place selon moi, en terme de qualité esthétique...
Les trois sculptures sont taillées dans trois pierres d'origine volcanique différentes (en l'occurrence du granite, roche d'origine magmatique, une sorte de pierre ponce et une roche tirant sur le rouge à la façon des pierres contenant du fer), comme le faisait aussi, très probablement Antoine Rabany (1844-1919), à Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme) dont j'ai prouvé (voir mes anciennes notes en particulier, sur ce blog) qu'il fut l'auteur, entre 1907 et 1919 d'une douzaine de ces sculptures qui ont plus tard, après la Deuxième Guerre mondiale, été surnommées "Barbus Müller" par Jean Dubuffet, vers 1946, au moment où il commençait de rassembler des exemples d'artefacts de tous types sous la bannière de ce qu'il appela "l'art brut", appelé à rencontrer un prestige de plus en plus considérable au fil des décennies, jusqu'à aujourd'hui.
Un catalogue sort à l'occasion de cette vente, qui sera bientôt disponible, fin septembre, et déjà appréhendable en ligne (ICI), auquel j'ai donné un texte qui revient sur le pourquoi de mon sentiment que l'on a affaire ici à trois nouveaux venus dans le corpus des Barbus Müller, et également sur le rapport qu'ils entretiennent, surtout la "Vénus enceinte", avec (peut-être) Antoine Rabany, à qui sont attribuables beaucoup des Barbus apparus depuis les années 1940 (avant cette date, on parlait de sculpture populaire anonyme, de sculpture primitive, "celtique"', voire de sculpture des pays lointains, Océanie, Antilles...).
Tajan, vente le 10 octobre 2023 ; dans leurs locaux, 37 rue des Mathurins, 75009, Paris. A signaler le même jour la vente de la collection Jean-Pierre et Martine Nuaud où l'on trouve nombre d'artistes et de créateurs intéressants, plusieurs relevant de l'art singulier, naïf, brut...
15/09/2023 | Lien permanent
Sur les pas de Jean Dubuffet en Auvergne... et les traces des Barbus Müller/Rabany
Une nouvelle exposition au Musée d'Art Roger Quilliot (MARQ) de Clermont-Ferrand cet été, "Sur les pas de Jean Dubuffet en Auvergne", montée par la directrice adjointe du Musée, Pauline Goutain (une ancienne membre du CRAB), invite les spectateurs à explorer les liens qui ont uni le peintre à cette belle région.
Ce dernier était ami avec l'écrivain Henri Pourrat, que l'on sait avoir été un collecteur et un adaptateur littéraire des contes auvergnats, de même qu'un passionné du folklore. Autre écrivain avec qui il eut des relations fréquentes, Alexandre Vialatte (leurs relations ont du reste donné lieu à une exposition plus ancienne à Clermont-Ferrand, "Sur la route du Grand Magma (1953-1962)" au FRAC-Auvergne du 1er juin au 30 septembre 1991). Dubuffet vint aussi assister sa femme Lili lorsqu'elle se fit soigner au sanatorium de Durtol, ce qui l'amena durant son séjour de juillet 1954 à janvier 1955 à se passionner pour différents matériaux qu'il incorpora à ses œuvres (dont des scories, laves et pierres volcaniques, ce qui, personnellement, m'intrigue si l'on pense aux Barbus Müller, dont j'ai prouvé que leurs pierres, taillées dans de la roche volcanique ou du granit, avaient été créées à Chambon-sur-Lac, village situé dans la chaîne des puys ; or, Dubuffet a toujours dit qu'il ne savait pas d'où ces Barbus Müller provenaient... Curieux, non? Sans doute une coïncidence...). Ses périodes picturales des "Herbes" et des "Vaches" proviennent aussi de ce séjour en Auvergne, où il se balada en auto dans la campagne, armé d'un appareil photo.
L'expo se décompose en quatre sections, selon les renseignements que m'a fait parvenir Pauline Goutain que je reprends en majorité ci-après :
"La première partie est consacrée aux liens qui unissent Dubuffet et le milieu littéraire et artistique auvergnat ; liens qui se cristallisent lors de son séjour au château de Saint-Genés-la-Tourette durant l’été 1945, puis lors de sa rencontre avec Alexandre Vialatte en 1947.
La seconde mettra en avant le rôle, jusque-là passé sous silence, que Emilie Cornu-Dubuffet dite Lili a joué dans la vie et la carrière de Dubuffet. Elle mettra à jour la biographie de cette femme et la relation singulière qu’elle eut avec Dubuffet. Cette section abordera en particulier le séjour de Lili Dubuffet à Durtol et les œuvres que ce séjour inspira à Dubuffet : série des "Vaches", des "Herbes", des paysages, des "Petites statues de la vie précaire" (en particulier celles en pierre de Volvic).
La troisième partie se concentrera sur l’appréciation de l’oeuvre de Dubuffet par Alexandre Vialatte, à travers la notion de « grand magma », ses chroniques dans La Montagne et sa correspondance. Cette section exposera les "Hautes Pâtes" de Dubuffet, les oeuvres de sa période vençoise et de "l’Hourloupe"."
La quatrième section portera sur les « Barbus Müller », œuvres-clés de l’Art Brut. Elle présentera leur histoire : leur collection par Josef Müller (entre autres), l’intégration par Dubuffet à la collection d’Art Brut, leur attribution au cultivateur Antoine Rabany (1844-1919) par moi, Bruno Montpied (ma recherche, commencée en 2017, n'est pas achevée à ce jour)¹. Elle présentera également "les recherches menées par le village de Chambon-sur-Lac en collaboration avec l’Université de Rennes II depuis 2020". De nombreuses sculptures desdits "Barbus Müller" d'Antoine Rabany seront exposés, en provenance du Musée Barbier-Mueller de Genève (où elles ont déjà été exposés en 2020 avec un catalogue à la clé, où j'ai publié un essai sur mon enquête avec, pour la première fois, la photo du Barbu de Rabany encore incrusté aujourd'hui dans le mur de son ancienne maison dans le village de Chambon). Il semble aussi que cinq Barbus Müller inédits, retrouvés dans les parages de Chambon, seront exposés au musée clermontois, mais je dois dire que cette information reste pour le moment bien secrète, du moins pour quatre d'entre eux, car je suppose que l'un des cinq doit être l'essai inachevé que j'ai photographié l'année dernière dans les locaux de la mairie ( voir ci-dessous).
Sculpture d'Antoine Rabany (très vraisemblablement), retrouvée par les services de la mairie de Chambon-sur-Lac dans un dépôt de matériel où elle était à l'abandon ; il est fort possible que le sculpteur ait cassé la tête et donc abandonné la pièce, pour la refaire avec une autre pierre (voir ci-dessous cette pierre, conservée par le Museum of Everything à Londres, qui, à mon avis, est le second essai que Rabany sculpta après la première version ratée...).
Barbu Müller/Rabany, tel qu'il apparaissait avant d'aller au museum of everything, reproduit par Dubuffet dans le fascicule n°I de 1947 consacré aux Barbus Müller ; elle possède un petit "chapeau" triangulaire qui a disparu au fil du temps.
Il semble que je doive avoir des successeurs suite à ma découverte de l'identité de l'auteur des Barbus Müller (que j'avais commencé d'exposer sur ce blog même), des successeurs qui, pour le moment, ne se montrent guère diserts à mon égard, en ne me faisant pas part de leurs propres recherches, qu'ils exposent cependant au cours de conférences sur place à Chambon ou de projets universitaires (comme celui de Barbara Delamarre dans le cadre de l'INHA), recherches qui découlent pourtant directement de mes propres découvertes...
En tout cas, si vous voulez voir plusieurs de ces "Barbus Müller" sculptés par Antoine Rabany (j'ai l'intuition que les plus belles pièces rangées sous ce sobriquet proviennent en effet toutes du paysan Rabany, surnommé le Zouave dans son pays), courez à Clermont-Ferrand les voir. Ce n'est pas souvent qu'on peut en trouver d'aussi nombreux rassemblés en France (la dernière fois, c'était au LaM de Villeneuve-d'Ascq).
Exposition 8 juillet – 30 octobre 2022. Musée d’art Roger-Quilliot, Clermont Auvergne Métropole, Place Louis Deteix, 63 100 Clermont-Ferrand. Commissaire scientifique et général : Pauline Goutain, directrice adjointe MARQ et docteur en histoire de l’art. Un catalogue, édité par les éditions In Fine paraît à cette occasion, avec notamment un mien article, nouveau, sur les Barbus Müller et Rabany, que je mets en rapport avec d'autres sculpteurs autodidactes de la même époque, eux aussi dans le Massif Central.
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¹ Bruno Montpied viendra le samedi 9 juillet à l'Université d'été de la bibliothèque Kandinsky au 4e niveau du Centre Georges Pompidou (salle de l'Ecole Pro ou dans la Bibliothèque Kandinsky même) raconter les moments-clés de son élucidation de l'auteur des Barbus Müller, le paysan Antoine Rabany, avec sa localisation à Chambon sur Lac au début du XXe siècle. C'est sur inscription, mais des auditeurs libres peuvent venir suivre les débats. Voir ICI pour le programme général.
06/07/2022 | Lien permanent | Commentaires (8)
Sortie dans les librairies en France (enfin) du catalogue de l'exposition sur les Barbus Müller de Genève...
C'est prévu pour le 10 septembre si on accorde tout crédit au site web du diffuseur-éditeur In Fine. Car, à moins d'être allé le chercher à la librairie de la Halle Saint-Pierre, rue Ronsard, dans le XVIIIe ardt de Paris, seul point de vente où il était disponible depuis la réouverture des librairies et autres centres culturels, sa mise à disposition du public avait été passablement retardée par la malheureuse pandémie (il aurait dû être disponible en France en mai, si je me souviens bien). L'exposition au musée Barbier-Mueller, à Genève, a rouvert depuis quelque temps déjà, ayant prévu de se terminer le 1er novembre 2020 (j'étais allé présenter le fruit de mes découvertes à Genève début mars, juste avant que tout se referme...; l'exposition a été heureusement prolongée pour pallier la période où elle a été close).
Couverture du catalogue de l'expo sur les Barbus Müller.
C'est l'occasion de faire le point sur l'énigme liée à ces sculptures en lave et en granit que Dubuffet choisit – en les découvrant chez les marchands Charles Ratton et Joseph Müller, entre 1945 et 1946 – d'associer à la notion d'Art Brut (qu'il commençait à peine de bâtir), tant elles lui paraissaient originales, en rupture avec d'autres effigies de style populaire. Après deux textes de Baptiste Brun et Sarah Lombardi, qui s'attachent au contexte historique de l'entrée des "Barbus Müller" (sobriquet inventé par Dubuffet à cause de quelques barbes aperçues sur certaines sculptures et du nom de Joseph Müller qui en possédait le plus grand nombre) dans l'orbite de l'Art Brut, j'ai donné dans ce catalogue¹ une étude où je révèle le nom de l'auteur de ces sculptures – auvergnat, comme l'avait subodoré Charles Ratton – un paysan, ex-soldat, surnommé "le Zouave", qui habitait aux alentours de 1900 le village de Chambon-sur-Lac dans le Puy-de-Dôme, où il possédait divers terrains. Cette étude est accompagnée d'une iconographie variée, enrichie – élément nouveau par rapport à la première édition, moins développée, de cette étude (cf. le n°17 de la revue Viridis Candela, le Publicateur) – de trois photos relatives à un scoop touchant à un détail significatif du village de Chambon, en rapport étroit avec "le Zouave", détail qui ancre un peu plus la mémoire des Barbus Müller dans cette bourgade... (Je laisse la primeur de ce scoop au catalogue de l'expo du musée Barbier-Mueller, il serait peu élégant de déflorer tout de go le sujet).
Le village (aux alentours de 1920?) ; comme on le voit, le lac est situé nettement plus loin; à gauche on aperçoit le baptistère du Xe siècle situé au plus haut du cimetière ; le jardin d'Antoine Rabany (hélas, ici masqué par des frondaisons) était situé juste en dessous.
Avis donc aux amateurs d'énigmes artistiques et d'Art Brut. Si vous ne pouvez attendre le 10 septembre, précipitez-vous à la libraire de la Halle St-Pierre, où il doit bien rester quelques-uns des exemplaires commandés en avant-première...
Le "chercheur, peintre, écrivain, etc.", Bruno Montpied, lors de la visite de Chambon-sur-Lac, devant l'ancienne cabane du jardin aux sculptures d'Antoine Rabany, en mars 2018 ; photo Régis Gayraud.
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¹ Je dois remercier ici Georges Bréguet qui me mit en relation avec Laurence Mattet, la directrice du musée Barbier-Mueller, qui vit tout de suite le parti que pouvait tirer le musée de ma découverte dans le cadre de l'exposition qu'ils étaient en train de préparer. Et encore un grand merci à Guillaume Zorgbibe et Régis Gayraud qui tous deux ont joué un grand rôle dans mon élucidation de l'auteur des Barbus Müller.
24/08/2020 | Lien permanent | Commentaires (3)
Les Barbus Müller (d'Antoine Rabany ou non) continuent de ”sortir du bois”...
Le 14 octobre, à Drouot, das le cadre de la vente de la collection Canavy par la maison de ventes Ferri (sous le contrôle de l'experte Martine Houzé, spécialiste de l'art populaire, notamment de curiosité), intitulée "Curieux, étranges et exotiques, les objets de Monsieur Canavy", sera présenté au feu des enchères un nouveau Barbu Müller peu connu que ce M. Canavy abritait depuis bien longtemps dans sa collection parmi divers objets, plus classiquement populaires (magnifiques cannes, casse-noisette, battoirs à linge, gobelets, tabatières, affiquets, sifflets sculptés, cuillères sculptées, quenouilles, des éléments étonnants de charrettes siciliennes, etc.).
Barbu Müller d'Antoine Rabany en vente chez Ferri le 14 octobre ; photos Bruno Montpied, 2022.
Les lecteurs fidèles et attentifs de ce blog savent que j'ai identifié avec sûreté, avec l'aide de divers amis et connaissances (dont Régis Gayraud et les enquêtes que je lui avais demandé de mener dans les Archives Départementales du Puy-de-Dôme, où il résidait), l'auteur d'une bonne partie de ces sculptures surnommées par Dubuffet, au début de sa collection d'art brut en 1946-1947, des "Barbus Müller" (Müller, collectionneur suisse qui en possédait un certain nombre, et "barbus" parce que Dubuffet, qui prisait cet attribut pileux – voir son poème "As-tu cueilli la Fleur de Barbe?" –, en avait vu quelques-unes sur les effigies des sculptures). C'est un paysan, ancien soldat (on le surnommait le "Zouave"), Antoine Rabany, né en 1844 et mort en 1919, ayant vécu, et sculpté à partir du début des années 1900 apparemment, dans le village de Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme). Pour identifier avec certitude les sculptures dues à ce Rabany, je me suis appuyé sur les photos prises par un photographe anonyme sur place, vraisemblablement dans les années 1910, montrant le jardin utilisé par Rabany pour présenter en rangs d'oignon – comme dans un garden-center! – ses oeuvres en pierre volcanique ou en granit. J'ai publié deux couples de clichés stéréoscopiques en verre, prises à la belle, puis à la morte saison, ainsi que des photos montrant six pièces dues à l'archéologue Albert Lejay vers 1912. Cela a servi de documents fort utiles pour comparer avec les photos de divers Barbus entrés dans diverses collections, publiques ou privées.
Actuellement, je suis ainsi arrivé à reconnaître d'après les photos anciennes onze Barbus Rabany-Müller, et non plus huit ou neuf comme je l'ai écrit dans le catalogue de l'exposition des Barbus Müller du Musée Barbier-Mueller de Genève en 2020. Et parmi ces onze, il y a le Barbu reproduit ci-dessus de la collection Canavy. C'est Martine Houzé qui l'a reconnu parmi d'autres qui figuraient sur le cliché verre pris à la morte saison dont je viens de parler (cf. le catalogue de l'expo 2020 du Musée Barbier Mueller). Je n'ai pas eu de mal, invité par elle à le découvrir dans ses bureaux, à le lui confirmer. Voir ci-après :
Détail du cliché-verre pris à la morte saison à Chambon-sur-Lac par un anonyme vers les années 1910 ; la flèche de droite indique le Barbu de la collection de Monsieur Canavy qui passe en vente chez Ferri le 14 octobre. ; et la flèche de gauche montre une tête à côté,que, en la regardant de plus près, j'ai reconnu comme étant un Barbu Müller conservé au Museum of Everything, après avoir transité par une autre collection, celle du docteur Léon Fouks ; archive numérique B.M.
Je ne me suis cependant pas arrêté là. En regardant le détail ci-dessus, j'ai été stupéfait de découvrir que je n'avais pas assez regardé la voisine de ce Barbu Canavy moustachu. Or, il m'est apparu que la sculpture est la même que celle qui provint de la collection du psychiatre Léon Fouks (qui eut, entre parenthèses, une correspondance avec Antonin Artaud), Barbu Müller qui passa en vente à Drouot en 2009, et fila, via un galeriste très bien informé, au Museum of Everything... Qu'on en juge plutôt en regardant les images en vis-à-vis ci-dessous (ne pas s'attacher aux différences de netteté, d'éclairage, d'angle de vue qui pourraient faire croire à deux sculptures distinctes) :
Regardez la lèvre supérieure avec cet aspect bizarrement plat, la forme en olive allongée des deux têtes, les pommettes identiques., et le cou allongé similaire aussi...
Ces onze Barbus attribuables de manière sûre à Antoine Rabany sont à distinguer de tous ceux appartenant à des collections diverses, rangées dans le corpus des "Barbus Müller" en raison de leurs caractéristiques stylistiques communes et de leur matériau similaire (des roches volcaniques). Même si j'ai tendance à penser que les Barbus les plus "ronds" proviennent tous du même auteur, ce Zouave Rabany, il n'en reste pas moins que la preuve par la photo n'en a pas encore été administrée.
Signalons enfin une nouvelle qui m'est venue il y a peu des USA par la conservatrice du département d'art brut du Musée d'Art Folk Américain de New-York, Valérie Rousseau. Elle a repéré deux statues aux poitrines bien pleines dans les collections de la Fondation Barnes de Philadelphie, qu'elle reconnaît comme des Barbus Müller. Je n'en ai que des reproductions médiocres, voir ci-dessous :
Si celui de gauche (sur fond gris) a une allure qui le rapproche en effet du corpus des Barbus Müller/Rabany, celui de droite me paraît plus "africain", plus fétiche (les trois traits blancs au sommet de sa tête, vers l'arrière ressemblent à des nattes ou des scarifications). Mais il faudrait que Valérie Rousseau nous en dise plus, notamment pour nous dire comment ces sculptures sont arrivées à Philadelphie, par quel collectionneur...
Vente Canavy chez Ferri, Drouot-Richelieu, 14 octobre, salle 4. Pour voir le catalogue de la vente et les renseignements supplémentaires (les expositions au préalable de la vente) voir ICI.
10/10/2022 | Lien permanent | Commentaires (13)
On ne se gêne pas, et on présente aux enchères n'importe quoi sous l'étiquette ”Barbus Müller”
Le 2 décembre aura lieu à Sées, dans l'Orne, une vente aux enchères caritative où, parmi des lots très hétéroclites, figure une tête en pierre abusivement associée à Antoine Rabany et aux Barbus Müller (merci à Michel L'Egaré de me l'avoir signalée). Qu'on en juge ci-dessous:
Et de trois quart:
Pour comparer: un véritable Barbu Müller, à double face, attribuable (sans certitude, car sans preuve définitive) à Antoine Rabany, actuellement chez un collectionneur français (vente à Art Paris en 2018) ; les deux manières de faire les yeux par le sculpteur des "Barbus" figurent sur cette pièce double.
Ainsi, on ne s'embête plus. N'importe quel amateur ou collectionneur peu au fait de ce à quoi ressemblent réellement les sculptures du corpus "Barbus Müller", peu au courant de mes publications diverses et variées sur le sujet, peut se permettre de qualifier de rabaniesco-barbu n'importe quel caillou sculpté représentant une tête stylisée. Ici, pourtant, pour ceux qui ont fréquenté le sujet un tant soit peu, on ne reconnaît aucun indice du style caractéristique des Barbus (aucune traçabilité non plus n'est donnée dans la fiche d'information hyper sommaire). Le nez n'est pas en goutte, au contraire sa pointe est ici triangulaire avec esquisse de narines, ce que l'on ne voit jamais chez les "Barbus". Les yeux de la tête de Sées paraissent avoir les paupières closes, ou bien ils sont seulement vides, alors que chez les "Barbus", ils sont soit proéminents, cernés de creux, soit troués. La bouche de Sées est ouverte, montrant des dents, dirait-on, sous des lèvres finement modelées, alors que chez les "Barbus" les lèvres sont beaucoup plus frustes, soit sommairement formées, soit épaisses... Bref, on n'est absolument pas en terrain "Barbus Müller", ici (auxquels, par surcroît, il faut toujours faire attention de ne pas systématiquement associer le nom d'Antoine Rabany, comme je l'ai déjà dit sur ce blog). Et le commissaire-priseur de cette vente – au profit d'œuvres catholiques semble-t-il (par la maison Orne Enchères SARL) –, s'il était un tant soit peu rigoureux, se devrait de retirer cette attribution plus que désinvolte. L'estimation donnée de "100-200€" est, en revanche, tout à fait adaptée à cette tête de pierre, qui devrait simplement être qualifiée de "sculpture populaire anonyme" (ce qui est peut-être moins vendeur, mais infiniment plus adapté à ce qui est su de son origine). D'ailleurs, si le commissaire-priseur qui a donné cette estimation croyait vraiment à sa billevesée sur l'attribution aux Barbus Müller, il n'aurait pas donné une estimation aussi ridicule.
22/11/2023 | Lien permanent | Commentaires (5)
6 L'auteur des ”Barbus Müller” démasqué ! (6e chapitre) ; une enquête de Bruno Montpied, avec l'aide de Régis Gayraud
Le Zouave Rabany,
sculpteur brut à Chambon-sur-Lac
Voici, dans ce 6e chapitre, tout ce que j'ai pu rassembler, avec l'aide de Régis Gayraud, comme informations factuelles à propos de l'auteur des sculptures appelées en 1947 "Barbus Müller" par Jean Dubuffet:
Antoine Rabany, dit "le Zouave", ou le Zouave Rabany.
Né le 8 mars 1844 à Chambon-sur-Lac, Puy-de-Dôme, Auvergne (sur son acte de naissance, le nom est orthographié "Rabagny", graphie qui se mue en "Rabany" dans les papiers officiels ultérieurs ; l'orthographe provient peut-être de la prononciation auvergnate du nom).
Décédé le 2 janvier 1919 à Chambon-sur-Lac.
Acte de décès du Zouave Rabany, 1919, Chambon-sur-Lac.
Fils de Guillaume Rabany (1811-1878) et de Louise Lacombe (1811-1877)
Frère de François Rabany (1845-1924), Catherine Rabany (1848-1921) et d'Antoine Rabany (1849-?)
Marié le 25 juillet 1874 avec Marie Berthoule (1850-?)
Enfants: Antoine Alphonse Rabany (1875-?) et Mélanie Catherine Rabany (1883-1888)
Petits-enfants issus d'Antoine Alphonse (marié avec une Catherine Frappa):
Mélanie Rabany (née en 1902 à St-Genès, internée en 1928 , comme folle, à l'asile Sainte-Marie de Clermont-Ferrand), Marie Rabany (née en 1903 à St-Etienne), Irma Rabany (née en 1907 à St-Etienne)
Renseignements tirés des archives militaires:
Antoine Rabany fut dans sa jeunesse engagé volontaire, classe 1864, versé d'abord dans le 20e corps des chasseurs à pied, versé ensuite probablement dans un bataillon de zouaves ; sa profession indique alors "militaire".
Voici sa brève description physique dans sa fiche de renseignements :
"Antoine Chapa (ou Chapat) Rabany, né le 8 mars 1844 à Chambon, fils de Guillaume Rabany et de Louise Lacombe, cheveux et sourcils : châtain clair, yeux : gris-bleu, bouche: moyenne, menton : rond, taille: 1,68m, visage : ovale, ne sait ni lire ni écrire."
Cette indication sur son niveau d'instruction est confirmée en 1917, sur l'acte de décès de la belle-soeur d'Antoine Rabany, où il est dit que le zouave n'a pu signer à côté de l'officier d'état-civil : jusqu'à la fin de sa vie, Antoine Rabany fut donc analphabète.
En 1911, lors du recensement, il est indiqué comme "cultivateur" et "patron". Vivent à ce moment avec lui sa femme Marie Berthoule Rabany, et ses trois petites-filles, Mélanie, Marie et Irma.
Il se porte acquéreur d'une parcelle dite de la Chapelle, située en contrebas du cimetière et de sa chapelle sépulcrale, en 1893, parcelle qu'il achète en compagnie de son frère Antoine né en 1849, tailleur de vêtements de son métier ; en 1907, il devient le seul propriétaire du terrain. La chapelle sépucrale du cimetière comporte un chapiteau roman (Xe siècle). Des touristes viennent visiter ce monument, classé monument historique depuis 1862.
En 1908, l'archéologue Léon Coutil le rencontre sur place, le prenant pour un fabricants de faux objets archéologiques. Il signale que "Rabagny" (Coutil l'écrit comme il l'a entendu, à la manière de l'officier d'état-civil qui rédigea l'acte de naissance du zouave ; voir notre interview imaginaire... ) sculpte l'hiver, façonnant 3 à 4 pièces par an, les vendant entre 5 et 10 francs(-or). Il paraît se plaindre de ne pouvoir les vendre plus cher, car la pierre est dure (Coutil écrit: "Il se donne beaucoup de mal pour les exécuter, ignorant absolument le modelage et la technique du travail sur pierre dure"). Chaque sculpture est différente, Coutil le remarque. Comme ce dernier note aussi qu'il ne copie pas sur des modèles (ce qui est somme toute contradictoire avec l'hypothèse que Rabany ferait des fausses pièces archéologiques).
Interview imaginaire d'Antoine Rabany par Léon Coutil en 1908... Avec accent du terroir...
Dès 1908, donc, des pièces provenant de Rabany auraient été signalées chez des antiquaires à Evreux et à Murols. En 1912, un autre archéologue, Albert Lejay, signale en avoir découvert à Lons-le-Saunier, en provenance d'un antiquaire de Vichy. Il en acquiert une, et prend des photos des autres.
Un photographe anonyme prend des clichés sur verre de la parcelle de La Chapelle, probablement avant 1919, où l'on peut voir alignées des dizaines de sculptures en hiver et en été. Je publie deux de ces photos dans mon inventaire des environnements populaires, Le Gazouillis des éléphants, en 2017, et je donne la localisation de la parcelle aux statues.
En 1928, a lieu une vente sur licitation des biens de feu Antoine Rabany. La parcelle de la Chapelle est alors vendue. il n'est pas question de biens mobiliers, de sculptures, dont on peut penser qu'à l'époque elles ont déjà été pratiquement toutes dispersées auprès de divers antiquaires et collectionneurs.
En 1934, dans un article de l'Auvergnat de Paris, paraît au détour d'une correspondance entre Henri Pourrat et Gandilhon Gens d'Armes un témoignage de Maurice Busset qui cite le nom d'Antoine Rabany, sculpteur à Chambon ; la même année, une sculpture réapparaît chez un antiquaire de Lyon, Maurice Brossard (voir notre 1er chapitre)... ; plusieurs collectionneurs en acquièrent ailleurs, et les font connaître à Jean Dubuffet.
Les deux guerres mondiales ont certainement joué un rôle non négligeable dans l'effacement des traces de l'auteur des sculptures surnommées en 1947 "Barbus Müller" par Dubuffet, qui leur trouva suffisamment d'originalité pour les choisir comme pièces d'une "statuaire provinciale" qui deviendront, au fil des décennies, jusqu'à aujourd'hui, des œuvres fondatrices dans sa collection d'art brut.
Faudra-t-il désormais changer les cartels d'exposition et de musées pour inscrire "sculptures du Zouave Rabany" comme on dit "peintures du Douanier Rousseau"...?
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N-B : A noter que je publierai bientôt en revue une remise en forme de cette enquête dans la perspective d'une édition sur papier.
07/04/2018 | Lien permanent | Commentaires (26)
4 L'auteur des ”Barbus Müller” démasqué ! (4e chapitre) ; une enquête de Bruno Montpied, avec l'aide de Régis Gayraud
Le mystère se dissipe enfin, l'auteur se dévoile, et les Barbus retrouvent leur père...
Rien n'est encore fait dans cette enquête à la poursuite de celui que l'on croyait insaisissable, l'auteur des "Barbus Müller"...
Mais, je vais enchaîner les découvertes, toujours avec la méthode des mots-clés, souvent efficace désormais grâce à la vaste indexation de ces derniers, via les moteurs de recherche sur internet (si efficace que cela en devient magique et, parfois aussi, un peu désespérant, tant cela peut apparaître un peu mécanique...).
Je tombe tout à coup, à travers l'écran de mon ordinateur (voir ci-contre le deuxième article de février), sur deux textes, parus dans deux numéros de l'Auvergnat de Paris du 13 janvier et du 3 février 1934 ¹, et mis en ligne sur le site web de la Bibliothèque Clermont-Université. Il s'agit d'une correspondance et d'un débat entre Camille Gandilhon-Gens d'Armes (dont Régis me signalera qu'il fut un ami d'Alfred Jarry, simple référence entre parenthèses...) et Henri Pourrat – connu comme romancier régionaliste, conteur et connaisseur des traditions populaires en Auvergne –, à propos d'un chapiteau de la chapelle sépulcrale du cimetière de Chambon, où certains croyaient voir une illustration d'une pratique magique rare, "le martelage de ventre" (il s'agissait de menacer d'un coup formidable de marteau le ventre d'un patient souffrant du ventre), mais qui est en fait une représentation de la circoncision d'Abraham...
Chapiteau de la chapelle sépucrale du cimetière de Chambon-sur-Lac, très probablement la scène de la circoncision dont débattirent Henri Pourrat et ses collègues dans l'Auvergnat de Paris ; ph. Bruno Montpied, 11 mars 2018.
Dans sa réponse à Gandilhon, Pourrat lui rappelle ce que d'autres érudits lui ont dit de ce même chapiteau qui représente selon eux une scène de circoncision. Notamment, Pourrat cite Maurice Busset qui effectua de nombreux dessins à Chambon. Dans le témoignage de Maurice Busset, qui relève le peu de souci de réalisme des sculpteurs romans de la chapelle, un passage me saute littéralement aux yeux ! Car c'est le premier témoignage publié que je trouve sur le sculpteur de Chambon :
Extrait de la réponse de Maurice Busset à Henri Pourrat au sujet du chapiteau à "la circoncision" (ou au "martelage de ventre") de la chapelle sépulcrale de Chambon-sur-Lac.
"Il y existait encore avant la guerre un cultivateur que j'ai connu (Rabany, le zouave) et qui fabriquait pour les touristes des bonshommes en lave absolument semblables à ceux du baptistère et de l'église. C'était à s'y méprendre, et les antiquaires en ont vendu beaucoup comme pièces romanes authentiques"... Ce passage est pour moi, à l'évidence, la (première) confirmation que notre Antoine Rabany, dit "le zouave", né en 1844 et mort en 1919, un an après la Grande Guerre donc, est bien l'auteur des sculptures exposées dans le jardin, telles que les clichés-verre nous les montrent, situées en dessous du cimetière. La mention "avant la guerre" dans le témoignage de Maurice Busset correspond en outre aux dates pendant lesquelles Rabany posséda, seul, le dit jardin. Ce souvenir permet aussi d'avancer un créneau de dates encore plus anciennes pour les clichés-verre, soit avant ou pendant la Grande Guerre.
"Barbu Müller", coll. Joseph Müller, tel que reproduit dans le fascicule de 1947, réédité en 1979 ; comment peut-on y voir une copie "absolument semblable" aux sculptures romanes du Chambon, autrement que d'une manière très peu rigoureuse ?
Bas-relief représentant, paraît-il, le martyre de Saint-Etienne, sur le portail de l'église de Chambon-sur-Lac ; très peu de rapport avec les "Barbus Müller", si ce n'est une commune stylisation, due aux ciseaux de tailleurs de pierre pareillement peu exercés?
Je trouve particulièrement discutable l'opinion de Maurice Busset quant à la copie ("absolument semblable"...) qu'aurait faite notre zouave des sculptures du baptistère (c'est-à-dire la chapelle sépulcrale ; voir ci-dessus le chapiteau à la "circoncision"). Lorsque l'on compare ces dernières aux "bonshommes en lave", on peut mesurer aisément, en effet, l'écart de style. Il y a en réalité dans le jugement de ce Busset un nivellement par le bas : il ravale les deux types de sculpture à une forme d'art embryonnaire, "extrêmement primitif", une "tentative maladroite" (ce sont ses mots dans un autre passage de sa réponse à Pourrat). On notera par ailleurs la mention de l'utilisation par les antiquaires de ces sculptures comme "pièces romanes". On va retrouver cette interprétation plus loin.
Ceci dit, il faut peut-être garder à l'esprit l'idée que Rabany le zouave ait pu tout de même vouloir se mesurer avec les sculpteurs du Xe siècle, d'autant qu'il voyait les touristes venir de loin les admirer. Après tout, l'idée de se faire un peu d'argent de ce côté-là a pu germer dans sa tête (on va en trouver un indice plus probant dans notre cinquième chapitre). Cela a pu être un motif initial, avant que le sculpteur autodidacte ne se prenne au jeu et cherche toutes les combinaisons possibles dans la structure de ses personnages ultra simplifiés. Car, dans la quête de cet art du peu poussé à l'extrême, tout en cherchant la beauté et le hiératisme, la force expressive stylisée, "le zouave" Rabany² est allé bien plus loin que les sculpteurs romans de la chapelle voisine, ce qui justifie qu'en 1939 Charles Ratton s'y attache, et qu'en 1947 Dubuffet s'en soit entiché, décelant une originalité individuelle derrière ces pierres frustes et pourtant puissantes, ce qui pouvait justifier sa conception naissante d'un art véritablement "brut".
Sans être totalement coupées d'une culture traditionnelle cependant (ce qui contredit une fois de plus la vue de l'esprit de Dubuffet concernant la possibilité d'un art qui aurait été orphelin et vierge de toute culture artistique...), ces pierres du Zouave Rabany manifestent une personnalité individuelle qui s'exprime originalement par des formes stylisées, s'éloignant d'un langage collectif.
Nous avons donc répondu à la première question que je posais à la fin de mon troisième chapitre, mais reste la seconde question sur l'identification complète des sculptures aux Barbus Müller, ainsi baptisés vers 1947 par Dubuffet . Il faut reprendre le fil de l'enquête, car d'autres révélations vont venir étayer la première confirmation et, surtout, répondre à cette deuxième question...
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¹ On se souviendra peut-être que c'est cette année 1934 qui est avancée comme la plus ancienne pour la découverte de Barbus Müller chez un antiquaire, comme il est dit dans l'article d'Olivier Bathelier dans Les Cahiers du Musée des Confluences, volume 8 : L'Authenticité, 2011 (voir la note 2 dans le premier chapitre de cette enquête). On voit cependant que, rien qu'en se fondant sur le témoignage de Maurice Busset, cette date peut être désormais reculée en ce qui concerne les antiquaires...
² C'est ainsi qu'il faudra désormais l'appeler, comme on a appelé Henri Rousseau "le Douanier" Rousseau...
(Fin du 4e chapitre : à suivre...)
09/04/2018 | Lien permanent | Commentaires (2)